dimanche 24 avril 2016

Je suis Fassbinder. Richter, Nordey.

Pendant deux heures, la pièce de théâtre, encombrée d’écrans, qui avait l’intention d’empoigner les problèmes du moment, parvient à l’inverse de ses intentions : les années soixante dix paraissent si lointaines que la tentative de décalquage sur nos années seize en est pathétique.
Nous les avions pourtant tant aimées ces années de notre jeunesse et apprécié le metteur en scène :
Cette fois je n’ai pas applaudi, tout en reconnaissant qu’il y a matière à penser, mais en ce qui me concerne, c’est en opposition à une représentation que je juge hystérique, alors que j’aurais pu apprécier la conviction des acteurs. Le propos est frontal et didactique bien que des contradictions soient évoquées mais d’une façon tellement caricaturale.
Je me suis retrouvé dans la jeune femme qui se met à courir autour de la scène en disant « ça va s’arranger ! » mais quand on a fréquenté Galotta et d’autres, ces galops affolés ont un air de déjà vus.
Certes j’ai appris que la petite fille du ministre des finances d’Hitler, siégeant au parlement de Strasbourg était :
« pour que la police des frontières fasse usage d’armes à feu sur les réfugiés ».
Mais continuer à accoler le mot nazi à toute relation hétérosexuelle, banalise le terme, comme traiter de « gros cochon » tous ceux qui ont peur pour leur pays, ne risque pas de les convertir  à une fraternité dont ils sont exclus.
Inévitablement, je me retrouve du côté de Camus quand Nordey dans sa harangue finale tourne autour du pot avant d’aller au bout de son audace, le cinéaste allemand avait affirmé :
« La question la plus importante est de savoir comment détruire cette société  »
Je préfère psalmodier :  
« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »
Et il y aurait pourtant tant à dire en évitant les propos excessifs qui ridiculisent les protagonistes, sur l’asservissement des femmes, la liberté d’expression, puisque le titre est inspiré de « Je suis Charlie ». Pour le coup, ce Fassbinder je ne l’ai pas trouvé très « Charlie ».
L’hebdomadaire satirique a été protégé par l’état policier pendant des années.
De surcroit, faire tournoyer sa bite sur un plateau me parait d’une impertinence surannée, triste et vaine. Et la violence de nos désillusions ne doit pas forcément tout à la barbarie du capitalisme. Quand l’éminent directeur de théâtre national à la façon des comiques patentés monopolisant nos antennes envoie quelques coups de griffes envers Yasmina Reza voire Tchekhov qui lui est dans une autre cour, on peut trouver que le niveau baisse. Il y avait bien plus d’actualité dans la Princesse de Clèves
que dans ce froid potage potache.  
Et de se vautrer sur la moquette à longs poils des nostalgies régressives quand la bande à Baader faisait bander. 
Les loups EI sont entrés dans Paris et les cris « au loup » en ont laissé prospérer d’autres au FN, qui peuvent se lécher les babines en entendant tous ces applaudissements d’hommage à quelques aveuglés par des soleils éteints.   

1 commentaire:

  1. Oui, l'hystérie a le vent en poupe, et la pensée en souffre.
    J'ai dit à une amie vieille dame digne et cultivée que je continue à lire mes traductions, et textes des années '70, la période où j'étais en fac, et c'était un âge d'or par rapport à ce que nous voyons et entendons à l'heure actuelle..elle est d'accord avec moi, et je lui fais confiance.
    Mais si on a l'impression que ça déferle sur nous, c'est faux, tout de même. Comme toujours, ça vient petit à petit, comme la marée qui arrive, et c'est tout d'un coup qu'on en prend conscience, et c'est la catastrophe.
    Déjà quand mes enfants étaient au collège, et ça date un peu, je leur disais qu'il m'était évident qu'ils n'avaient pas l'éducation qui fut la mienne... et que ce qu'ils avaient était loin d'être un progrès.
    Moi non plus, je n'applaudis plus. Mais je ne vais plus voir du théâtre à MC2, ni dans le festival "In" d'Avignon. A mes yeux, c'est d'un affligeant exsangue que je préfère éviter.
    Il y a longtemps, de longtemps, j'ai accompagné ma fille lycéenne voir une représentation de "La Mort de Danton" par Sivardier, à MC2, pour entendre les actueurs gueuler d'un bout à l'autre de la pièce, et à la fin de la représentation, j'étais au premier rang, juste sous leur nez, et quand ils saluaient, ils ne pouvaient que voir que je n'applaudissais pas, mais que je les regardais droit dans les yeux sans broncher.
    Cela a fait effet, crois-moi...
    En passant, je me suis achetée "Un coeur intelligent" de Finkielkraut, que je lis avec plaisir.

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