samedi 3 mai 2014

Home. Toni Morisson.

Dans le sud des Etats Unis dans les années 50 nous suivons les errances un homme revenant de la guerre de Corée. Pauvreté et violence pourtant omniprésentes apparaissent souvent comme par inadvertance dans le récit en 150 pages du prix Nobel 1993 de littérature, pas toujours frontalement comme ici : 
…elle dit quelque chose en Coréen. Ça ressemble à « Miam-miam ».
Elle sourit, tend la main vers l’entre-jambes du soldat et le touche. Ça le surprend. Miam- miam ? Dès que le regard passe de sa main à son visage, que je vois les deux dents qui manquent, le rideau de cheveux noirs au-dessus d’yeux affamés, il la flingue. Il ne reste que sa main parmi les ordures, cramponnée à son trésor, une orange tavelée en train de pourrir. »
Il s‘agit de la version du personnage principal, un noir dans un milieu où l’esclavage n’est pas si éloigné, qui alterne avec la voix plus poétique de la narratrice.
Les individus semblent des fantômes vaincus par le destin à la rencontre des cadavres mal enterrés de leur enfance. Le récit parfois en apesanteur peut aussi avoir la franchise des auteurs américains mais dérouter; il m’a fallu les commentaires de lecteurs enthousiastes pour comprendre que le style est parfaitement accordé au propos qui m’avait laissé assez insensible bien que les sujets abordés soient terribles.

vendredi 2 mai 2014

Deux mai.

" Pourquoi dire: Il fait beau temps?
Ce beau temps là sent la pluie.
Un air de mélancolie s'est emparé du printemps. "
Le 1°Mai à Istanbul, à Taipei, à Jakarta, à Dacca : ça a de la gueule.
Ici, cette année je ne suis pas allé au défilé, j’avais pourtant tellement aimé ces rendez-vous parfumés au muguet, du temps où le printemps n’était pas qu’une affaire de météorologie, longtemps longtemps avant que les hérauts de la gauche ont disparu.
Rabhi ravit les téléspectateurs, mais Dany est parti, Rocky vieillit et Finki s’aigrit.
Les rouges bannières sont abattues comme il convient de le faire des voiles quand plus aucun vent ne les pousse, victimes de chansons aux couleurs de cerise comme tant  d’autres qui ont attendu le prince ou la princesse charmante toute leur vie et finissent seul(e)s.
Quand il ne reste que des squelettes de chansons, au moment où les rythmes solaires appellent les défilés à battre son plein sur les boulevards, « dictes moy où n’en quel pays » se trouvent des réponses aux inégalités qui se creusent, aux libertés qui se réduisent, aux fraternités qui se fracassent ?
Les féministes pouvaient se trouver dans le même cortège que ceux qui fêtaient les solidarités internationales ;
aujourd’hui des gamines ne sortent de chez elles que pour mettre la kalach sous leurs tentures, les brigades internationales font le Jihad.
Les rocardiens retrouvaient  des anars pour secouer les hiérarchies ;
aujourd’hui passent pour des gauchistes ceux qui veulent préserver les petites retraites !
Mise à toutes les sauces jusqu’aux plus rances, la liberté s’immole dans les incendies de portail écotaxe ou de radars qui visent à réduire la vitesse, elle s’éteint sous la régression des savoirs et la haine des cultures.
" … là-haut les quatre vents,
Pris d'une brusque furie,
Bousculent la bergerie,
Des petits nuages blancs...
pourquoi dire: Il fait beau temps? "
Rosemonde Gérard
……………
Dans le « Canard » de cette semaine :

jeudi 1 mai 2014

Affiches en France. #2. Savignac et les autres.

Benoit Buquet avait intitulé cette deuxième conférence aux amis du musée :
« Après guerre, années pop et contestation 39/75 ». 
Cassandre (voir http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/04/affiches-en-france-1-toulouse-lautrec.html#1 ) inventeur « du beau, du bon, Dubonnet » n’est plus aussi flamboyant après guerre qu’avant. Vichy a interdit toute publicité concernant l’alcool.
Willemot qui inventa la spirale en écorce d’orange d’Orangina, mit en scène « travail » « famille » et « patrie », puis à la libération rend hommage à la France combattante. Sa collaboration dans les années 60 avec les chaussures Bally est empreinte d’élégance ; le trait qui entoure les corps enduits de Bergasol assure une lecture franche du dessin et surligne la protection promise par le produit.
Des artistes comme Matisse se trouvent réactivés par les affichistes qui verront leur inventivité attaquée par le marketing.
Savignac, « né à l'âge de quarante et un ans, des pis de la vache Monsavon. » cherche à divertir. Il crée des mythologies au moyen de gags visuels efficaces : la vache du pot au feu Maggi se met en deux pour humer la bonne odeur de son autre moitié en train de mijoter. Un zèbre a mis ses souliers pour vanter Cinzano et « vite un Aspro !» car le trafic automobile traverse nos tympans. Il reçoit des commandes de toute l’Europe : fromages italiens, journaux hollandais, cigarettes allemandes…
Hervé Morvan, dans la même veine, met un homme à l’abri dans une bouteille de Gévéor et ses slips se confondent avec les coques de « Petit bateau ».
Georges Mathieu, s’exprime dans le registre de l’abstraction lyrique, dans une campagne pour Air France où son « tourisme de l’œil » fait escale.
La signalétique des jeux Olympiques de Grenoble est l’œuvre de Raymond Excoffon un graphiste, typographe, influencé par l’op art, qui laissa aussi la fourrure chaleureuse d’un écureuil épargnant humaniser les surfaces lisses offertes par les trente glorieuses.
Bien que La France ait été rétive à l’austérité du Bauhaus, le suisse Jean Widmer mettant la lettre au centre de ses travaux, va marquer nos paysages avec la signalétique des autoroutes, ou  celle de Beaubourg. Il venait de la direction artistique du « Jardin des modes », où il fit primer des compositions rigoureuses.
Roman Cieslewicz émigra vers la France, depuis la Pologne, son pays d’origine,  qui influença nos artistes par ses affiches de théâtre ou de cirque. Le portrait pop art d’un Guevara christique est à l’origine de toute une iconographie. Les lettres encadrées de guillemets « Che si » prenant la place des yeux, s’affirment avec force.
De l’atelier au sous sol des Beaux-arts en mai 68, sortiront :
« La chienlit, c’est lui », « Quand les parents votent les enfants trinquent », « La beauté est dans la rue », elle lançait des pavés si légers, « Sois jeune et tais toi », « La police vous parle tous les soirs à 20h », un CRS derrière son bouclier  siglé« SS » lève sa matraque, la jeunesse à la tête bandée s’inquiète pour son avenir...
En 72, le Front des Artistes Plasticiens manifeste contre une « expo fric », une « expo flic » à Beaubourg en reprenant le style sérigraphique qui fit florès quelques mois avant ; il conteste l’absence de certains ou la présence d’autres « vendus au capital » : une affaire d’artistes.

lundi 28 avril 2014

Amours chiennes. Inárritu.

Enfin j’ai comblé le manque que mes comparses des salles obscures me rappelaient depuis qu’ils avaient découvert ce réalisateur mexicain en 2000.  
L’une d’entre eux n’avait d’ailleurs pas regardé le film jusqu’au bout, n’ayant pas supporté la souffrance des animaux.
Depuis le toutou parfumé pour accompagner la solitude d’une cover girl ou la troupe des batards suivant leur clochard jusqu’aux bêtes de combat, le cinéaste ne reste pas de faïence sur la description de la violence. Celle-ci ne se détend à aucun moment avec  des frères ennemis, des femmes méprisées, un idéaliste fourvoyé, un pauvre type riche…
Cette rubrique des chiens et des hommes écrasés prend une dimension épique avec des habiletés du scénario qui font se croiser tous ces destins cassés.
C’est vrai que c’est un film à voir même si sa nouveauté d’alors a pu s’émousser.
Les 2h1/2 ne nous laissent pas le temps de japper à la lune tant le rythme est soutenu même si cette ampleur aurait pu permettre d’entrer dans la nuance pour certains personnages.
« Nous sommes aussi ce que nous avons perdu »

dimanche 27 avril 2014

Vortex Temporum. Anne Teresa de Keersmaeker.

Le groupe Ictus joue la musique spectrale de Gérard Griset qui disait : « Nous sommes des musiciens et notre modèle, c’est le son, non la littérature, le son, non les mathématiques, le son, non le théâtre, les arts plastiques, la théorie des quanta, la géologie, l’astrologie ou l’acupuncture. »
Les danseurs viennent sur le plateau et dansent dans le silence.
Il fallait bien chez De Keersmaeker qui tricote si bien la danse avec la musique que dans un troisième temps les danseurs rencontrent la musique. Une musique pas facile à apprivoiser mais que les mouvements des corps rendent plus fluide. Les  courses à l’envers reprennent  leur bon sens, les galopades s’amorcent, des duos fragiles apparaissent, des harmonies s’ébauchent et s’il faut se raccrocher au titre qui signifie « Le tourbillon du temps » nous sommes dans l’ambigüité qui s’affiche en latin pour une certaine universalité, en réalité destinée à une caste lettrée.
Je suis en face d’un tournoiement parfaitement réglé comme si je regardais un documentaire sur le ballet des planètes de notre système solaire dont « le silence  éternel des espaces infinis m’effraie » avec Pascal. Cette musique vivante est intéressante à aborder, d’ailleurs l’initiation ne dure qu’une heure. En 2008 ATDK était venue à la MC2, mon billet était bref :
Les spectacles nous contraignent et le jeu avec le temps est une découverte renouvelée. Avec cette musique nous restons dans l’attente comme si les instruments n’en finissaient pas de s’accorder mais quand la lumière s’éteint sur un dernier geste discret et central du chef d’orchestre nous venons d’éprouver l’épaisseur de l’instant, de goûter la justesse de gestes dont le prix tient à leur brièveté, à leur inventivité, à leur évidence

samedi 26 avril 2014

Schnock. N°9

Coluche est en couverture de ce numéro qui était resté en rayon depuis un moment dans ma librairie préférée, mais nous ne sommes pas à un trimestre près, pour un retour vers les années passées par paquets de dix. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/06/schnock-n7-ete-13.html  
Ce n’est pas qu’un exercice nostalgique : le recul permet de relativiser les emballements. Celui  qui n’hésitait pas à enlever la salopette se retrouve à nu après tout ce temps (86 : putain de camion). Lederman témoigne, Miou Miou a apporté des photos, Romain Bouteille et Sotha du café de la gare parlent des débuts et même des photos anthropométriques sont publiées, Fred Romano la compagne des années destroy se rappelle et Louis Rego parle du tournage de « La vengeance du serpent à plumes », un livre noir est entrouvert, un autre est doré.
Nous en apprenons aussi sur un autre personnage haut en couleur : Paul Newman, par contre dans un autre article, comme je ne savais rien au départ d’une certaine Marie France chanteuse avec le groupe Bijou, je n’ai pu apprécier.
Le rappel des starlettes de Cannes est charmant, et la recension de quinze jouets aussi : premiers Playmobils, Dinky toys et l’ordi Atari… Le récit d’un voyage en Allemagne de l’Est  dans les années 70 est exotique. La reprise d’un article de Paul Gégauff concernant le milieu du cinéma du temps de la Nouvelle vague ne manque pas de piment dans un ensemble où le style des journalistes est un des atouts durant 175 pages sur la ligne :
« No future mais No Stalgie »

vendredi 25 avril 2014

"L'Europe et la mondialisation: atouts, défis et perspectives". Pascal Lamy

Pour sa 90° réunion depuis sa création en 2006, l'Université populaire européenne de Grenoble avait invité à une conférence débat, l’ancien chef de cabinet de Jacques Delors qui vient d’écrire «Quand la France s’éveillera ».
Europe, fille de Poséidon distinguée par Zeus : après les guerres, l’idée est devenue réalité. Son nom prononcé par les poètes, les philosophes, les géographes s’est incarnée en une entreprise d’édification politique pour gérer les affaires communes.
Aujourd’hui, la paix, qu’elle a garantie est devenue tellement une évidence, que cet argument, convaincant pour ceux qui avaient vécu des temps furieux, ne fonctionne pas plus que la perspective d’une amélioration du niveau de vie : « ensemble » ne semble pas plus porteur aujourd’hui que « chacun dans son coin ». La solution européenne devient le problème, la prime à la coopération qui avait vu le jour avec la mise en commun des ressources en charbon et acier ne semble plus aller de soi.
L’Europe est le continent le plus intolérant aux inégalités, aux atteintes à l’environnement, elle équilibre compétivité et solidarité : « une économie sociale de marché ».
En 2050 nous serons 5% de la population et représenterons 10% de l’économie mondiale alors qu’aujourd’hui c’est 20%.
Au niveau mondial, la réduction massive de la pauvreté est un fait allant de pair avec une augmentation des inégalités au sein des pays émergents et une pression sur les ressources : énergie, eau, climat. Le dumping social n’est pas l’argument obligé : les pays les moins inégalitaires sont aussi les plus performants. Quant au dumping fiscal, une question progresse : les paradis peuvent-ils se sentir menacés ?
Les technologies de l’information et l’usage massif des conteneurs quand 90% du commerce passe par la  mer ont abaissé les coûts de la distance, le marché s’est élargi mais la crise financière de 2008 a été contagieuse.
Les faiblesses de notre continent tiennent à une démographie vieillissante et son cortège de réticences à accueillir les étrangers, à une transition énergétique difficile et un déclin de la place de l’innovation dans l’exploitation des technologies.
Alors que nous sommes forts de 500 millions de citoyens, de consommateurs, avec un niveau de richesse important, nos usages d’une gouvernance supra nationale quoiqu’inachevée devraient être un atout pour inspirer une coopération mondiale plus efficiente.
Sur un territoire où les systèmes de redistribution sont plus développés qu’ailleurs, le sentiment  d’appartenance s’érode pourtant, les taux de participation aux élections européennes sont en baisse. Et les beaux agencements institutionnels octroyés et non conquis dans la lutte, paraissent « frigides », illisibles ; c’est qu’en plus, la redistribution se grippe quand la croissance passe en dessous de 2%.
Le resserrement des liens entre la France et l’Allemagne peut-il relancer une dynamique où les compétences de l’une à gérer une économie pourraient  s’échanger avec une vision géo stratégique qui va au-delà d’un niveau d’exportations ?
« Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté » W. Churchill.
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Dans le "Canard" de cette semaine: