Partagé entre curiosité et lassitude face à des procédés
théâtraux hors des formats courants, je redoutais quelque peu les quatre heures
de spectacle … et j’ai bien aimé.
Bien sûr il n’y a rien de naturaliste dans cette
confrontation entre gens de lettres et gens de peu qui n’ont pas leur langue au
fond de la poche de leurs bleus.
Mais l’investissement des acteurs, l’opulence du texte, le sujet qui a le temps d’être traité nous embarquent.
Mais l’investissement des acteurs, l’opulence du texte, le sujet qui a le temps d’être traité nous embarquent.
L’intellectuel revient de la ville, perd son pouvoir de
parole et sa part d’héritage devant son frère ouvrier et sa sœur restés dans la
maison de leur enfance.
Les monologues ne sont pas factices, mais reproduisent bien
des situations réelles d’incommunicabilité où les sacs n’en finissent pas de se
vider. La musique accompagne parfois des scansions à la Ferré façon « il n’y a
plus rien » quand la poésie cherche un futur pour décoller de l’ennui et
des rancœurs.
« Salut à toi,
nourrisson au regard innocent, enfant aux bulles de morve qui pendent, garçon
au gros derrière et au manche de fouet en bruyère, adolescent au vélo bleu,
homme de la ville aux lunettes de soleil et pantalons blancs, grand monsieur
avec les billets en vrac dans la poche, la jambe molle dans le cortège de
deuil, l'étranger à la baguette de coudrier blanc-argent, l'homme aux
chaussures qui ne font pas de bruit. Quand vas-tu rester ici pour toujours et
t'occuper un peu de nous ? Quand vas-tu te dresser contre la bruyante imposture
des soi-disant représentants du peuple, des programmes de région, des
questionnaires, de la fausse sollicitude, des clôtures électriques, du réseau
malfaisant d'images creuses et de discours creux jetés sur nous pour nous tuer
l'un après l'autre, pour souffler la lumière de l'âme, pour étouffer ? »
Moment exceptionnel digne d’une séquence de théâtre dans le
théâtre : à l’occasion de cette représentation nous nous sommes retrouvés, moi
venu à la ville, avec « Trois sœurs » de mon village d’enfance, connaissant
bien les irréductibles pesanteurs de là bas et d’ici et partageant avec elles
intimement les dilemmes exposés là et les rêves aussi, ceux permis par l’art
pour nous hausser un peu sur la pointe des pieds. Amatrices de théâtre, elles
ont souligné la filiation avec la tragédie grecque à laquelle j’ajoute le
plaisir de m’extraire un temps des zappings et des textes en 140 signes.
« Dans ce monde
apprêté de couleurs artificielles, retrouvez les couleurs vivifiantes d’une
nature »