vendredi 22 novembre 2013

Rythmes scolaires et prière de rue.



Tout le monde avait voté l’écotaxe et plus personne n’en veut.
Tout le monde était contre la semaine de 4 jours et plus grand monde n'est content de sa réforme.
On n’a jamais tant parlé de la fatigue des enfants et elle s’est accrue avec les nouvelles dispositions qui entrent dans une logique d’animation qui s’avère être souvent de l’agitation.
Le surmenage des enfants n’est pas du à l’école mais aux écrans et à ceux qui les leur tendent.
Ce n’est pas qu’une question d’horaires de classe mais d’une fatigue de la société dans son ensemble où nous nous supportons de moins en moins facilement où l’énervement est au coin de chaque rue embouteillée. L’école a été virée du samedi matin pour cause de couples recomposés, de papas ensommeillés et de week-end à encombrer. Nous manquons de sommeil.
N’ayant ni les compétences ni l’appétit pour amorcer quelques réflexions sur « l’école 2.0 », je reviens sur ce qui était permis dans nos heures que je trouvai fécondes, il y a dix ans, dans ma ville, quand pas grand monde pensait qu‘apprendre était fatigant.
Je ne voyais pas les parents comme des consommateurs et l’instruction et l’éducation dispensées pendant 27 h hebdomadaires n’apparaissaient pas comme des concurrentes ravageant la vie familiale. Nous appréciions notre chance de bénéficier de locaux adaptés qui permettaient la liberté et la responsabilité en sécurité.
Les samedis matins en classe étaient des moments légers et riches. Je parle du primaire et dans les débats actuels, il serait sage de distinguer les âges : réveiller des bambins de la sieste pour leur proposer des activités est vraiment aberrant. 
Nous  travaillions alors 6 h : un instit’  accompagné de moniteurs formés en éducation physique, en musique, en arts plastiques avec des possibilités d’intervenants en  théâtre, contes, sorties cinéma et temps à la bibliothèque du quartier, en anglais, en informatique ...  avec de surcroit une heure sup' hebdomadaire avec une enseignante spécialisée (RASED) pour quelques élèves en difficulté.
Ces enfants que j’ai suivis, précédés parfois, n’ont pas tous fini à l’ENA, mais lorsque l’un d’eux a été réveillé de sa sieste, il n’a été exposé au 20 h.
Une fois Anthony, assoupi, est tombé de sa chaise, peu sensible alors à la prose d’Hugo ou de Pennac. Il est devenu boulanger et il se lève de bonne heure.
Nous débutions tranquillement chaque journée par des débats autour des préoccupations des enfants et aussi des nouvelles du monde, sans non plus « prendre les têtes » avec des problèmes  submergeant les mômes. Personne n’ignorait mes engagements mais je tenais comme principe les recommandations de Ferry Jules :
"Si parfois vous étiez embarrassés pour savoir jusqu'où il vous est permis d'aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir : avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez -vous de le dire ; sinon, parlez hardiment, car ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre propre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est une de ces idées d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l'humanité. "
La petite qui proposait une banane à Taubira nous a choqués mais de plus en plus d’enfants sont utilisés dans des combats partisans, manipulés, et pas seulement par la droite. Tout le contraire du respect de leur parole, trop sacralisée par ailleurs. Prendre la parole, faire en sorte qu’elle soit vraiment mienne et non celle de tous nos papas : il s’agit d’un apprentissage qui  peut durer une vie. Pour avoir essayé de favoriser l’expression des gônes, j’ai toujours été frappé des timidités des éducateurs à dessiner ou écrire. J’en mesure la difficulté chaque fois que j’ai bouclé sur ce blog un article pour ne pas être qu’un perroquet de mon Libé, de ma télé, de mon Canard.
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Tiens « Le Canard » reprend lui-même « Le Monde » dans cette information :
« En Corée du Sud : 650 000 lycéens ont passé le « Sunum » pour intégrer l’une des universités du pays : une épreuve de près de 9h, sanction d’une scolarité au rythme fou d’au mois 15h d’études quotidiennes. Ce jour là, les mères de famille prient en pleine rue pour le succès de leur enfant. »
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Comme je n’ai pas trouvé de dessin qui me parle cette semaine, il y a toujours un Sempé :

jeudi 21 novembre 2013

Polke Sigmar.


Né en 1941 en Silésie (Pologne), il  passe de l’Allemagne de l’est à l’ouest.
II travaille chez un maître verrier, et suit les cours aux beaux arts de Düsseldorf où Beuys enseigne. Avec Richter il forme l’attelage éphémère du « réalisme capitaliste », à lire comme une réponse au « réalisme socialiste » mais aussi au pop art. Tous deux d’origine protestante, c’est  le froid qui rencontre le chaud. Polke portant sur le monde et l’art un regard amusé.
Chercheur, expérimentateur, il va à l’encontre de la notion de style en entretenant les ambigüités, les ambivalences, si bien que ce trait deviendra une écriture.
Il multiplie les supports, tend des tissus sur les toiles puis sur les châssis (couvertures, torchons, tapis de bain…). Erigeant la banalité au rang d’œuvre d’art, il reprend la trame de photographies en peignant lui-même les petits points, ne recourant ni à la sérigraphie ni aux pochoirs. Il passe de la peinture gestuelle à l’abstraction, et évite l’académisme qui a atteint  aussi cette manière, en introduisant  des éléments figuratifs.
Des substances chimiques diverses (vernis, cire, mica…) se retrouvent sur ses toiles. Il réintroduit des poisons (orpiment à l’arsenic), des pierres précieuses (lapis-lazuli) qui avaient disparu de l’attirail des peintres.
Il essaye toutes sortes de drogues afin de pousser « les portes de la perception » telles que les nommait Huxley.
Sa rencontre avec des aborigènes l’amène à approfondir ses propres démarches : le symbolisme des couleurs et les pigments fabriqués, le versant sacré des productions.
Il change de format et va plus loin dans ses recherches sur la matière picturale ; l’introduction de couleurs thermosensibles joue avec la notion du temps.
Il met le monde sans dessus dessous, peint à l’arrière de supports transparents, et rejoint Vinci qui conseillait à ses élèves en mal d’inspiration d’aller voir les murs tachés de pluie où dans ses batailles l’informe crée la forme.
Il ne se cantonne pas à un domaine chamanique,  alchimique, il s’intéresse à la politique avec une série de tableaux sur la révolution française exposés  à Vizille en 2001.

La peinture, qui représente la foule se pressant à l’exposition sur l’ « Art dégénéré » organisée par les nazis, se craquèle. Le temps fait son affaire.
Les images se superposent, se devinent, se cachent, les matériaux se mélangent, s’allient.
La conférence de Guy Tosato n’était pas qu’un exercice obligé mais le partage d’une fidélité : le peintre disparu en 2010 était l’objet de sa conférence inaugurale aux amis du musée de Grenoble qui compte désormais dans ses collections « l’homme donnant du grain à ses poules » dont nous picorons volontiers quelques petits points ironiques.
Nous apprécions aussi l’interprétation du « Madame de Senonnes » d’Ingres qui figure sur les affiches : c’était une commande du directeur actuel du musée de la place de Lavalette lorsqu’à Nantes il faisait dialoguer l’art contemporain avec les œuvres du musée des beaux arts.
Jusqu’à début février les œuvres les plus récentes de Polke sont chez nous, avant la rétrospective au MoMA de New York.
Créateur aimé de ses confrères, sa peinture dynamique réclame de nouvelles perspectives à la peinture. « Que la magie de l’art advienne !» Encore.

mercredi 20 novembre 2013

Ethiopie J 10 au matin. Chez les karos.



De bonne heure, nous prenons la piste tourmentée vers l'ouest à travers une brousse peuplée  d’acacias, de ficus et de frangipaniers en fleurs, seule couleur vive dans le décor jaune sable et marron grisâtre ponctué par des termitières impressionnantes.
A l’arrivée du village de Kolcho, la vue est magnifique, nous surplombons une boucle de l’Omo enserrant la forêt et de grandes plantations de coton gérées par des Turcs où des tracteurs soulevant des nuages de poussières lumineux annoncent des bouleversements des façons de vivre.
Le bruit des nos moteurs attire les habitants du village appartenant à l’ethnie Karo qui compte 1000 personnes.
Ils sont maquillés d’argile en pointillés artistiques ou par aplats qui leur donnent l’air de lémuriens. Ces peintures corporelles sont magnifiques. Les coiffures cherchent l’originalité, plus pour attirer le photographe que semble-t-il par tradition. Certains enfants portent des couronnes de fleurs de frangipaniers, de fruits inconnus, d’herbe. Une femme joue avec un clou planté sous sa lèvre, le faisant sortir puis le remettant avec sa langue. Un moment en désaccord sur le prix de la visite et des photos, nous décidons de visiter le village en nous privant de nos chers appareils, au grand désarroi des karos : 
«  Photo ? No ? Go ! »

Nous déambulons entre les cases, proches de celles qu’on a pu voir à Domba avec travail à la meule et des cases en construction. D’ailleurs une Hamar se repère par son habit et son collier de femme mariée, elle témoigne de la bonne entente entre Hamar et Karo, de « l’intermaritalité ». Le guide local nous explique sur l’emplacement  réservé aux cérémonies, l’endroit réservé aux vieillards, aux enfants. Les femmes sont oubliées, pourtant le centre est réservé aux jeunes danseurs hommes et femmes.
Finalement nous décidons de sélectionner  des enfants ou des adultes  à photographier, passant par dessus nos scrupules de comportement d’esclavagistes, considérant qu’il s’agit de rémunérer un travail.
Nous revenons à l’hôtel de Tourist de Turmi par la piste d’où nous avons pu apercevoir des pintades et quelque dick dick.

mardi 19 novembre 2013

Les Meilleurs Ennemis. Jean-Pierre Filiu David B


« Une histoire des relations entre les États-Unis et le Moyen-Orient ».Tome 1.
Une fois passée une introduction où il est question de Gilgamesh qui a failli me décourager tant cela est compassé, la centaine de pages suivantes est instructive : depuis les pirates du XVIII° siècle jusqu’à l’éviction de Mossadegh  premier ministre iranien fomentée par la CIA.
La Méditerranée fut  pendant des siècles le siège de la puissance et source de revenus pour les états « barbaresques » qui soumettent à l’esclavage les occupants des bateaux pris et délivrés après paiement d’une rançon.  
Lorsque les bateaux de commerce des jeunes Etats Unis devenus indépendants ne sont plus protégés par les anglais, ils devront y consacrer un cinquième du budget du pays à traiter avec les pachas. Jefferson assiège Tripoli et se retrouve face à tout le Moyen Orient en guerre sainte.  
Au chapitre « pétrole » : Roosevelt  s’allie au roi d'Arabie Saoudite et  se trouve en contradiction avec les autres puissances impérialistes d’alors  la France et  la Grande Bretagne.
Les EU n’ont pas toujours soutenu le sionisme. Après avoir évoqué auprès de Ibn Saoud la tragédie des juifs européens, Roosevelt « promet que rien ne se décidera en Palestine sans que les arabes ne soient consultés ».
Le dernier chapitre s’intitule « coup d’état », et si depuis bien longtemps quelque frère banni a été utilisé pour renverser le sultan en place, les manœuvres menées par les frères Dulles en Iran ont été déterminantes sur le devenir de ce pays.
Les dessins soignés apportent un peu de poésie, de symbolique dans un récit qui  mêle avec virtuosité des anecdotes aux grands destins, avec leurs lots de fulgurances, de lâchetés, de passions comme une illustration de grands mythes.
C’est alors que je suis revenu au prologue qui m’avait dérouté et  je comprends mieux cette stèle sumérienne  du musée du Louvre dite « la stèle des vautours » trouvée en Irak  qui termine le premier chapitre où l’on voit les corps de vaincus empilés de façon à former un monument de la victoire, elle figure au dessus d’une pile de prisonniers à la prison d’Abou Ghraib.

lundi 18 novembre 2013

Heimat. Edgar Reitz.


Le noir et blanc où se distingue le rougeoiement d’un fer à cheval, l’or d’une pièce, est bien beau, mais estompe les aspérités, les douleurs, les passions, dans ce film pédagogique sur l’Allemagne rhénane au milieu du XIX°, quand trainaient encore quelques mots en français du temps de Napoléon : « liberté, égalité ».
Les maîtres de l’Europe rêvaient alors d’Amérique comme les Erythréens d’aujourd’hui imaginent l’Europe.
Leurs chariots se multiplient au sommet des collines où nous demeurons à contempler les paysages au fond desquels s’agitent quelques personnages.
Je n’ai pas été touché, bien que mon pépé ait été maréchal ferrant et que la corvée de ramassage des pommes de terre ne me semblât guère romantique. Un des fils, lecteur fervent, parait plus à l’aise avec les langages des indiens d’Amazonie que dans l’échange avec ses proches. Les livres ouvrent aux mondes lointains mais feraient écran à l’égard de nos contemporains.
J’ai trouvé les reconstitutions conformes au cahier des charges d’un écomusée, loin du souffle d’un chef d’œuvre annoncé. Dans la deuxième partie, aux images toujours belles, nous retrouvons les personnages qui nous sont devenus familiers et nous nous en rapprochons.
La dernière image illustre Barrès :
« Pour nous, la patrie, c'est le sol et les ancêtres, c'est la terre de nos morts ».
Heimat signifie patrie.
« Où Dieu trouve-t-il tout ce noir qu’il met
Dans les cœurs brisés et les nuits tombées ? »
V. Hugo

dimanche 17 novembre 2013

Juliette. Nour.

J'aime la chanteuse,  sa voix, ses choix, sa présence sur scène, son humour, son énergie.
Son dernier CD qui porte son nom : « Nour » comme Noureddine signifie « lumière » : celle qui la rassurait quand  petite, elle avait peur dans le noir et qu’elle choisira d’éteindre elle-même quand sa vie vacillera.
La gravité de cette belle chanson  tranche avec quelques potaches propositions voire une pochade telles « Légendes », « Les doigts dans le nez » qui pourrait avoir des parentés avec Pierre Perret.  De même « Jean Marie de Kervadec » de François Morel  parodie des chants de marins : il faut « monter à la misaine » et « virer au guindeau » alors  qu’il s’agit seulement d’aller au Super U qui ne rime pas seulement avec jambon cru.
Et je m'amuse à voir du le Forestier dans « Le petit musée » nostalgique, des rythmes de Laviliers en plus drôle dans « Belle et rebelle » plutôt que « moche moche et remoche »,  des accents d’Anne Sylvestre avec « Une petite robe noire » à propos des violences dont sont victimes les femmes. 
« La veuve noire » qui n’arrive pas à occire son mari malgré ses nombreuses tentatives est marrante.
« Le diable dans la bouteille » a été beaucoup entendue et a perdu ainsi un peu de sa saveur comme ces pubs qui vous surprennent la première fois et vous lassent quand on ne voit plus qu’elles.
Mais celle où Juliette est elle telle qu’elle me plait, s’intitule « L’éternel féminin », une bossa endiablée, au service d’un texte drôle sur un sujet essentiel :
« Regardez qui est là qui attise les flammes
Régnant sur les Enfers, le Diable est une femme !
Rien d'étonnant à ça ! Des brunes jusqu'aux blondes
Par elles sont advenus tous les malheurs du monde !
Le Diable est une femme et vous vous en doutiez :
La place d'une femme n'est elle pas au foyer ? »

samedi 16 novembre 2013

Une matière inflammable. Marc Weitzmann.


J’avais retenu ce livre parmi 500  proposés à la rentrée, parce qu’il mettait l’actualité politique en fond de création littéraire: essai de roman, fiction et frictions contemporaines .
Il est question de DSK  sans un détail crapoteux de plus dans une affaire qui n’en a pas manqué mais le scandale est replacé dans une durée qui apporte quelques éclairages intéressants. Dans la palette des rapports humains assez impitoyables en général, les relations amoureuses sont disséquées d’une façon originale.
Le narrateur Frank Schreiber essaye de se détacher de son milieu pour mieux le décrire, c’est mordant, habile, mais désenchanté à ce point, c’est épuisant.
«  …et si ce livre a quoi que ce soit de politique, selon moi, c’est dans l’analyse sous jacente des raisons de cet impasse en chacun de nous - dans l’analyse de nos conflits d’intérêt intimes… »
Il  décrit l’évolution de Patrick Zimmermann un économiste venu de l’OCI (trotsk’) :
 « Au prochain siècle le futur se déversera dans le présent à une vitesse inégalée »
Il passera par le PS jusqu’à devenir conseiller du directeur du FMI,
« tu te fais un ami là-bas en ce moment, tu te garantis deux ennemis. ».
L’arriviste finit seul. 
« Ce militant qui a truqué ses convictions et qui se lamente sur la fin de l’honnêteté, qui dénonce le mensonge – à force de s’être menti à lui-même… »
Le milieu juif parisien est décrit avec un détachement qui est la marque de fabrique de ces 365 pages sans empathie :
 « Tu ethnicises  la problématique du parvenu si chère au roman français, tu en fais le nœud  d’une hystérie masculine scindée entre la quête d’une virilité indépendante et la soumission au désir d’en être »