mercredi 23 octobre 2013

Ethiopie J 7. Dimeka Turmi.


Pas de prédicateur bruyant cette nuit, seulement un âne qui s’exprime sur le matin.
Des sortes de colibris vifs et colorés font trembler les grandes fleurs rouges de l’ibiscus voisin. Nous prenons un copieux petit déjeuner avec omelette sous la véranda car la pluie commence à tomber.
Nous changeons deux billets de 100 birrs en petites coupures de 1 birr, et achetons 3 couvertures en prévision du camping à venir (200 birrs = 8 € pièce)
Jamais nous n’avons vu autant de troupeaux de zébus sur la route qu’ils occupent placidement. Des bergers jeunes portent différents outils dont des sagaies et souvent un appuie-tête qui leur sert  parfois de tabouret. Des ruches de forme allongée en bois tressé sont suspendues aux arbres.
En direction de Konso, la route cède la place souvent à la piste et nous pouvons voir des ponts emportés par des crues imposant des contournements.

Ici on cultive le sorgho rouge ou blanc. Pour protéger les cultures des oiseaux, des enfants sont postés sur des plateformes en branches et font claquer leur fronde d’un mouvement gracieux, tandis que d’autres y vont de leur sifflet.
Certains arbres nous intriguent, les moringas dont il ne reste que des gousses car leur feuillage est ramassé comme légume ou tisane pour soigner l’hypertension et le diabète. Il parait qu’un homme doit en avoir planté quatre pour prétendre à une épouse.
Nous traversons Konso qu’on visitera plus tard mais nous pouvons déjà apprécier les toits de chaume à deux étages semblables aux jupes des femmes avec leur petit volant à la taille au dessus d’une jupe ample.
La pluie se met à tomber dans la montagne et  nous cache le paysage. Crevaison.
Nous faisons une halte à Key Afer où nous nous régalons de légumes et de viande de chèvre. Nous en profitons pour négocier de bracelets de cuivre. Après la cérémonie du café, le temps s’éclaircit.
Nous prenons une piste très praticable et nous croisons quelques Bannas et Hamars surprenants. Le marché de Dimeka qui s’est prolongé à cause du temps, est extraordinaire non pas pour ses étalages achalandés d’un peu de café, et de quelques oignons, mais pour les costumes et l’apparence des clients et des marchands.
Les hommes portent un pagne plus court qu’une mini jupe, des bijoux de perles et de cuivre, voire une clef de verrou en boucle d’oreille ou un bracelet de montre en métal transformé en pendentif. Leur front est dégarni  à l’arrière et ils portent une plume parfois ou une calotte d’argile. Tous exposent des jambes magnifiques parfois peintes.
Les femmes portent des jupes en peau de vache rehaussée de perles et coiffent leurs cheveux en tresses enduites d’une boue rouge composée de beurre et d’argile. Les femmes mariées se distinguent par un collier inamovible ressemblant à un collier d’esclave.
Bannas et Hamars sont « cousins » et les tribus s’inter marient.
Chaque photo se négocie de 2 à 5 birrs. Nous sommes dans une Afrique mythique, loin de notre civilisation et  en même temps confrontés à des rapports où l’argent est important.
Les chauffeurs s’esclaffent au récit d’une histoire vécue par un de leur collègue.
« Celui-ci a eu un accrochage avec un troupeau et téléphone à son patron:
- Paye la vache et continue, lui dit-il.
- Mais ce n’est pas une vache, mais 4 que j’ai tuées !
- Ma parole, tu as conduit dans l’enclos ! »
Ce soir nous campons sous les manguiers. Nous prenons notre repas aux bougies : pâtes à la sauce tomate et thon en boite, fruits… l’une d’entre nous confond une lampe de poche avec la poivrière, mais grâce au groupe électrogène nous avons le plaisir de boire une bière fraîche et de recharger nos batteries d’appareil photos. La soirée est magnifique.

Nous ne sommes pas sûr de pouvoir visiter les Mursis qui se sont révoltés car un camion a renversé une femme enceinte et l’a tuée. Son mari réclamait qu’on lui livre le chauffeur pour se venger et la femme de celui-ci pour qu’elle lui donne quatre enfants afin d'arriver aux sept qu’il souhaitait. La situation se résoudra sans doute par de l’argent et le passage sur la route sera rétabli.

mardi 22 octobre 2013

La revue dessinée. N°1. Automne 2013



240 pages de reportages et documentaires en bandes dessinées à paraître chaque trimestre.
J’aime les BD, j’aime les promesses  des premiers numéros,  j’ai bien aimé ces 225 pages, dont le concept est aussi évident que peut être celui de XXI, ce qui laisse promettre le succès. 
Jean-Philippe Stassen aux dessins comme des vitraux se consacre beaucoup à l’Afrique, cette fois à Bruxelles dans le quartier de Matonge, avec sa communauté congolaise et rwandaise. Une page de documentation vient compléter le chapitre, des sujets graves alternent avec du plus léger, ici avec des planches consacrées au langage quand « salope » n’est pas le féminin de « salaud ».
Nous suivons un  jeune agriculteur qui essaie de s’installer dans le nord de la France mais doit payer un exorbitant pot de vin appelé « arrière fumure » ou « « pas de porte », un droit de reprise qui handicape une profession sinistrée, elle aussi.
Nous sommes mieux renseignés avec une histoire de « byte » qui revient sur les inventeurs des avancées technologiques en informatique.
Nous vérifions où en est la mythologie de la marine auprès de l’équipage du Floréal qui navigue dans les mers australes.
La biographie du  clochard compositeur de musique Moondog est étonnante, et en passant derrière les grilles de la ménagerie du jardin des plantes nous rencontrons des passionnés, des attentifs, des consciencieux. 
A partir d’une description de la vidéo surveillance, comment se dessine notre futur ?
A travers les pionniers du gaz de schiste nous pouvons nous construire une réflexion plus documentée, et réviser ou mieux comprendre Keynes avec quelques pages pédagogiques  et pas tristes  à laquelle succède un reportage d’un auteur  à la découverte de la pratique de la planche à roulettes, pardon du skate.
Le récit du dernier combat d’Allende est servi par un dessin au crayon pudique et puissant. L’histoire de Saint Denis qui porta sa tête une fois qu’il fut décapité, illustre le phénomène très français de la « céphalophorie ».
Ce qui distingue la presse gratuite, et le flux des dépêches sur notre ordi de la presse papier, c’est le style des rédacteurs, encore plus manifeste quand se succèdent des dessinateurs.

lundi 21 octobre 2013

La vie d’adèle. Abdellatif Kechiche



Quand un film est tellement encensé, il est parfois difficile de rejoindre les critiques unanimes sur les hauteurs où l’œuvre est placée ; aujourd’hui je les suis avec mes cinq étoiles en carton recouvert de papier de chocolat.
La « palme » à Cannes est indiscutée tant le propos s’inscrit à tous les égards dans notre présent, au moyen d’une écriture singulière où la jeunesse est mise en lumière dans toute sa beauté.
Pour m’efforcer de ne pas répéter ceux qui ont mieux dit toute la richesse du cadeau de l’auteur de « L’esquive », j’insisterai seulement sur l’intensité de l’engagement des actrices et du réalisateur et sur les plaisirs d’une durée nécessaire de trois heures.
Nous avons le temps de suivre l’évolution des personnages, de partager leurs emballements, leurs doutes sans nous laisser distraire par des péripéties alambiquées : c’est limpide. L’impitoyable écart culturel entre les deux amoureuses est finement traité ainsi que la distance due aux des différences d’âge.
Les gros plans saisissant les subtilités des regards, les rougissements d’une émotion nous rapprochent du cœur des actrices, elles, dont les prestations généreuses les mènent loin du tohubohu médiatique.
Etant du métier, la dictée en CP  ne m’a pas parue très bien menée, c’est que le désarroi de la future maîtresse vient brouiller sa vie dans tous ses aspects. 
Parmi tant de scènes d’une force exceptionnelle, celle du vernissage m’a dévoré.
J’en ai aimé l’acuité conclusive, en gourmand, comme Adèle qui « aime manger  toutes les croûtes même celle de ses bobos. » 
« C'est trop bien, Marivaux », j’ai apprécié, instituteur toujours, l’éloge de la littérature qui permet de mettre des mots sur la complexité des sentiments, et nous fait vivre plus intensément ; ce cinéma aussi.    


dimanche 20 octobre 2013

Une mouette. Isabelle Lafon.



5 actrices remplaçant 11 acteurs se présentent frontalement au public et racontent « La mouette » de Tchekhov.
« Une » et non « La » Mouette: l’article indéfini a toute son importance, « d’après » Theckhov.
L’adaptatrice nous donne à entendre cette pièce plus qu’à l’écouter, elle annonce d’ailleurs qu’elle veut nous perdre. En l’absence de toute agitation sur le plateau, nous pourrions nous rapprocher du texte, mais la pièce ramenée à  moins d’une heure évacue la dimension du temps qui me semble essentielle dans l’œuvre originale.
L’entreprise de brouillage est aisée car dans toute pièce russe même bien explicite, il est  souvent difficile de s’y retrouver avec les patronymes ; mais où sont les subtilités, les hésitations, les états d’âme ?
En disant les didascalies avec  la même conviction que des dialogues qui mènent à un drame, ceux-ci perdent du relief.
Et une fois encore, comme les conférenciers qui m’exaspèrent quand ils disent : 
« bien sûr tout le monde sait ça »
il est nécessaire de connaître déjà la pièce pour apprécier cette interprétation qui met en valeur trois actrices sur cinq.
De la même façon que Woody Allen pouvait dire :
«  J'ai pris un cours de lecture rapide et j'ai pu lire "Guerre et Paix" en vingt minutes.
Ca parle de la Russie. »
J’ai perçu, en cet emballage, qu’il est question de théâtre dans le théâtre, d’amour de rivalité et d’ambition.
Une recherche, une expérience, une proposition, un match amical de début de saison.
« Il n'y a pas besoin de sujet. La vie ne connaît pas de sujet, dans la vie tout est mélangé, le profond et l'insignifiant, le sublime et le ridicule »

samedi 19 octobre 2013

Gordana. Marie Hélène Lafon.



En face d’une caissière de Franprix, mon auteure de l’année garde son ton si juste, en particulier quand elle évoque d’où vient celle qui vient de l’Est de l’Europe de l’Est.
Elle lui invente un destin comme on s’amuse à imaginer des aventures à celui qui arrive dans une salle d’attente, mêlant la fiction à une réalité rude.
50 pages efficaces dans une jolie  série des « Editions du chemin de fer » où des gouaches de Nihal Marth agrémentent  une écriture toujours aussi équitable.
« La fraîcheur de nos produits et le sourire de nos caissières se mélangent avec les belles paroles lourdes des chansons sempiternelles qui disent au plus juste les amours naissantes ou usées, les vouloirs, les attentes muettes, les espérances déçues ou comblées, l’ardeur des commencements, le goût de fer des trahisons et l’usure molle des sentiments. Ti amo ti amo. Quoi que je fasse ou que je sois rien ne t’efface je pense à toi. »
Sa pâte littéraire est travaillée avec des mots vifs, puissants, essentiels.
J’ai appris le mot « adamantin : qui est relatif au diamant ».
« L’éclat adamantin de son cou blanc ».

vendredi 18 octobre 2013

"La gauche" à Saint Egrève : La machine à perdre, saison n+1



La gauche est majoritaire à chaque élection sur la commune, à l’exception des municipales ; c’est alors que dans un nuage de poussière, la machine à perdre vient de se remettre en branle.
Une candidature, en un attelage déjà usé, qui prétend agir « autrement » vient de se proclamer, se réclamant de la gauche.
Elle ne se place pas, semble-t-il, dans la continuité du groupe dit socialiste qui siégeait au conseil.
Il est vrai que les ambitions contrariées d’un chef de file contesté, ses maladresses, l’absence de propositions, ont  découragé bien des bonnes volontés.
Je figurais sur la même liste « Réussir Ensemble Saint Egrève », en 2008, et ne peux rester muet devant ce qui s’apparente à une farce.
Il convient pour redonner du sens aux mots « loyauté », « cohérence politique » de confronter les actes et les proclamations.
Avant de ressortir les mots «  charte de la démocratie locale », il aurait fallu tirer des leçons des échecs passés et  avoir travaillé à redonner une crédibilité à une équipe rassemblée, être apparu dans les instances de concertation qui existent dans la cité.
Quand un ancien secrétaire de la fédération de l’Isère du Parti Socialiste apporte son soutien dans un quatre pages où ne figure nulle part le mot « socialiste », cela augure mal de pratiques franches.
En méprisant la culture, en apparaissant comme le candidat d’un seul quartier, tout en ayant été silencieux si longtemps au moment où des projets étaient contestables, l’échec électoral est programmé.
Flatter les égoïsmes, prétendre fédérer les mécontents, contribue à dévaloriser une parole publique dont l’absence de courage, de clarté engraisse de pénibles démagogues.
Et si l’expression de ma consternation est appréciée comme faisant du tort à la gauche, je n’ai aucun scrupule puisqu’il s’agit si peu de La Gauche dans cette entreprise.
Celle de la justice sociale, celle d’une vision de l’avenir, quand les politiques redeviendraient respectables.
……
Dans le « Canard » cette semaine :


jeudi 17 octobre 2013

Félix Vallotton.


Par-dessus la gravure très contrastée intitulée « L’argent » qui servait de fond au titre de sa conférence aux amis du musée, Gilbert Croué avait inscrit :  
« Félix Vallotton, peintre graveur, misanthrope ».
Il nous a présenté de nombreuses vues d’une œuvre qui compte près de 2000 réalisations dont une centaine sont présentées au Grand Palais à Paris sous le titre
« le feu sous la glace ».
Vallotton, l’enfant suisse, a observé un graveur qui loge au dessus de chez ses parents chocolatiers.
Il entre dans le métier de peintre à 16 ans, se plaçant dans la lignée d’un Ingres avec des portraits simples de personnages portant une certaine fatigue, ou retranscrivant, efficacement au fusain, les lumières d’un intérieur.
Vivant chichement de quelques articles pour la « Gazette de Lausanne », depuis Paris, il produit pour la presse, des gravures qui vont lui assurer une certaine notoriété et marquer son style jusque dans ses toiles. Ses traits sont efficaces.
La commune de Paris n’est pas si lointaine et ses compositions énergiques mettent en scène l’arrestation de « L’anarchiste », une « Manifestation » mouvementée, « La charge » de la police. Je pense alors aux affiches de mai 68.
Les masses noires s’opposent aux blancs creusés dans le bois avec « Les cygnes » élégants et des femmes chez « La modiste » où les rayures rythment une scène cadrée d’une façon singulière.
La photographie qu’il a pratiquée lui permet de retravailler ses sujets en atelier et d’aborder d’autres façons de cadrer.
Son « bain d’été » aux volumes simplifiés fit scandale au salon, alors que les Nabis l’invitent depuis son sinueux « Clair de lune » qui rejoint les principes du groupe signifiant « les prophètes » pour qui la nature est un prétexte décoratif, aux lignes marquées, aux couleurs affirmées.
Les contrastes de lumière sont dynamiques avec l’enfant en vue plongeante qui joue au « Ballon » dans le jardin des Natanson qui animèrent la « Revue blanche ». Leur égérie Misia au bain, à la coiffure, se détache parmi les ombres tranchées.

Un chat blanc ajoute une ondulation à une gravure de « La  paresse » rythmée efficacement, et un  petit chien noir au milieu d’un groupe de femmes du « Bain turc » doit apprécier les poitrines abondantes.
Sa série intitulée « Intimités » est allusive et permet toutes les interprétations : qui ment dans « Le mensonge » ? « L’irréparable » vient après «  La raison probante » et « Le triomphe » : il adore les femmes mais ne leur fait pas confiance.
Bien des mises en scènes d’intérieur évoquent la peinture hollandaise, voire Rothko pour les aplats de couleur aux teintes montées, Hopper pour la mélancolie, Delvaux pour les nus...
En 1899 il épouse une Bernheim de la famille des riches marchands de tableaux, jeune veuve mère de trois enfants. L’anar s’embourgeoise. Il habite près du bois de Boulogne, possède une villégiature en Normandie.
A l’extérieur en été ; il accroche les rayons du soleil à son coucher, les clartés nacrées de la brume au dessus des toits et la légèreté d’un matin d’été derrière « La charrette à Honfleur ».
Il va à l’essentiel, citant la nature, la recréant.
 A l’intérieur en hiver, ses nus, sont originaux avec la « Femme au chapeau violet », celui-ci se portait en fin d’après midi (de 5 à 7), ou « La blanche et la noire » ambigües qui pourraient résumer une œuvre riche soulignant les contrastes, tout en nous laissant un espace pour interpréter.
En 1917, en "mission artistique auprès des armées, il produit les gravures de la série « C'est la guerre », et saisit aussi  sur la toile des « Tirailleurs sénégalais », dont beaucoup moururent de froid, en attente de monter au front.
Il a obtenu la nationalité française, mais trop vieux pour combattre, il produira quelques tableaux qui rendent compte de la violence du conflit tout en écrivant qu’il ne parvient pas à traduire l’intensité de l’horreur. 
Il meurt en 1925, et n’aura pas le temps d’emménager sur la Côte d’Azur où il peint un « vieil olivier » auquel sont adossés des canisses, des rues de Cagnes et du Canet, la baie de Cannes. 

Ses paysages autour de « La Loire  à Nevers », « Soir sur la Loire », aux lumières fluides, aux harmonies raffinées, aux rapports de couleur audacieux, sont  comme le miroir d’un monde à contempler, les hommes vus de loin donnent un rapport d’échelle, leurs actions ont pu parfois lui donner envie de s’éloigner.