mardi 2 juin 2009

Dormir, dormir encore…

Dormir, dormir encore. Le chat est couché sur les pieds de l’enfant, chaton léger, si léger. C’est un chat qui jamais ne ronronne. C’est un chat de guerre qui craint les guerres. Son refuge, ce n’est pas la cave. Son refuge, il le trouve sur les pieds d’une enfant qui respire lentement pour retarder l’avenir. Elle rêve vite, elle veut terminer son rêve avant que ne se fende le silence. Le silence quand on le laisse tranquille, c’est le poids d’un chaton.
On marche dans la rue. La mère regarde par la fenêtre. Dans le ciel des fleurs de lumière achèvent de se faner. Les tirs de la défense anti-aérienne font leur boulot d’éclairagiste. Le spectacle son et lumière commence par la lumière. Faut bien qu’ils y voient, ceux qui vont tuer et ceux que l’on tuera. Les étoiles du feu d’artifice dégringolent quand se tait le chant des sirènes. Ils glissent sur les toits, le beffroi, disparaissent. On va peut-être mourir cette fois, murmure la mère, c’est beau pourtant ce ciel en fleurs.
L’homme et l’enfant ont sursauté. Ils ne se sont pas réveillés. Peut-être qu’ils rêvaient de l’enfer. Il faudrait réveiller l’enfant avant que le ciel ne lâche la mort. La mère regarde la rue, comme si c’était la chose la plus importante à faire par cette nuit d’été : prendre le frais à la fenêtre. Des ombres marchent, chuchotent. La petite s’enfonce sous son drap. La mère se penche pour l’écouter respirer. Dormir, dormir encore, c’est ce que disent les cheveux, le front de l’enfant, sa main posée sur la patte du chat… Elle n’a pas entendu les sirènes. Les nuits précédentes, elle était la première à jaillir du lit. Elle n’a pas entendu les jurons de l’homme répandu, long et large au travers du lit. « Merde ! Je ne descends pas, laisse-moi, tant pis… Y en a marre… Va… Prends l’enfant ou laisse-la avec moi… J’veux pas mourir sous terre… »
Déjà, il se fout la tête sous l’oreiller.
Dormir. Elle voudrait s’étendre près de l’homme long et large. Cacher son visage à l’aisselle de son homme, respirer sa vie, laisser passer la guerre, confier l’enfant au chat, à la maladresse des bombardiers. S’endormir, ne pas rêver, ne jamais se réveiller.
Elle se redresse. C’est ce silence. Un bloc de gelée aux tympans. Ses oreilles guettent les vibrations qui font de la gelée du silence imbécile mille aiguilles de terreur. C’est un bruit qui prendra à peine le temps de passer par les oreilles, qui ira droit au ventre pour le saccager. Alors, il sera trop tard.
Elle enroule la petite dans sa couverture.
Le couloir, c’est du goudron dans la gelée du silence. L’enfant ne pèse pas lourd, le sommeil l’allège encore. Parfois elle murmure, ne veux pas, veux pas… Mais la mère fait son travail de mère avec douceur et furie, c’est une chatte son petit entre les crocs.
La rue a le gris des vieilles rues sous les nuages frôleurs de lune. La mère évite les trottoirs, les murs traîtres ; elle gagne le milieu de la chaussée. Tout ce qui est de main d’homme lui fait peur. Soudain le vent les frappe. Pas de bruit formidable, à peine quelques cliquetis de tôles, le grincement de la girouette au carrefour de leur rue et du boulevard. La lumière arrive brutale sur le front de l’enfant. Elle ouvre si grand les yeux que la mère trébuche. Elle dit à la mère qu’elle veut marcher. Elle montre le disque filant sous l’effilochure des nuages.
- C’est une bombe ?
- C’est la lune, la pleine. Vite, on n’a pas le temps.
Le bourdonnement qui se retenait de l’autre côté du ciel, lance son boucan. Une sauvagerie, un hurlement. Retour des titans d’acier.
Les deux courent. Les tigres à leurs trousses lancent des rafales de frelons : c’est la lune bien sûr, c’est cette saleté de lune. Si elle brille de son gros ventre obscène, alors les tigres et les frelons arrivent pour le percer. Rien à faire. La petite pleure. Elle court plus vite que sa mère, ses pieds nus font clap, clap sur les pavés. Les mères ne sont pas rapides quand les coursent les tigres : elles hésitent entre fuir ou faire face.
- Regarde ! Ils sont là, les salopards ! Regarde bien, n’oublie pas !
Elles sont pétrifiées au carrefour. Puis sèchement l’enfant libère sa main. Volte-face. Elle court vers leur maison ;
- On a oublié le chat ! On l’a oublié !
Dans la chambre, l’homme n’a pas bougé. Tout est blanc et noir : des zébrures jaunes de plus en plus rapprochées. La maison tremble. Une gravure pieuse tombe dans un fracas de verre. A terre, saints, saintes, dieux et grigris ! Ils font une drôle de gueule les dieux lares ; personne ne sera épargné surtout pas les ventres des mères, aucun enfant, aucun chat. C’est contre eux que se font les guerres.
L’enfant compte, elle ne sait pas ce qu’elle compte. La voix froide qui jamais n’a peur lui dit de compter. Elle lui dit que si l’on entend le sifflement c’est que la bombe n’est pas pour vous. Alors elle espère les sifflements et se glace quand le silence revient.
Près de la mère, sous la table aux pieds grêles, elle guette les sifflements. Les pieds de l’homme font une drôle de danse. Ils courent. L’homme court dans son sommeil. Les tigres le pistent, rugissent dans son rêve.
La mère, son enfant, leurs dents claquent dans leur mâchoire… qu’une mâchoire pour hacher la peur… leurs entailles se vident… un seul ventre… ventre labouré, troué, explosé… oh…oh…oh… les serpents ne sifflent pas sur les têtes… les serpents se tordent et mordent dedans…
Les tigres sont repartis. Ils ont griffé la lune, ils ont chié dans les nuages, ils ont pété les tympans. Les pieds de l’homme sont au repos. L’enfant s’est rendormie, le chat entre les bras. La mère s’accoude à la fenêtre. Les gens sortis des abris regagnent leur demeures : c’était Five les usines de locos, ça brûle là-bas… Ce coup c’était pas pour nous… Ils sont heureux de respirer l’air de la nuit après la puanteur des souterrains.
On saura demain qui a casqué.
La mère se recouche. Pour se faire une place elle repousse le bras de l’homme. Le ciel est une fumée. Elle regarde la lutte que font les nuages aux fumées de la guerre. Elle ne peut pas dormir. Elle ne peut pas dormir. Elle ne veut plus dormir.
Lille 1943 ou 44 ou… ?
Kaboul, Bagdad, Gaza, Darfour, Sri Lanka, Peshawar et cetera.

Philomène

lundi 1 juin 2009

Looking for Eric

Tout pour me plaire : foot et cinéma social. C’est le film qui m’a le plus ému à la suite de la série de vingt quatre vus à Cannes. Histoire d’amour et d’amitié, avec de l’humour, de l’autodérision pour Cantona, et même un morceau de thriller, un nuage de fantastique et ce regard empreint de nostalgie de Loach sur la classe populaire, la solidarité. Toujours des gueules d’acteurs crédibles, les mystères du football mis à la portée de tous les manchots et une profondeur, une noirceur que je n’avais pas soupçonnées en écoutant les cris des « mouettes » fascinées par le tapis rouge cannois. Le temps a passé, Manchester a été racheté par les américains, et les enfants abandonnés dans la vie ne recousent pas forcément tout ce qui est déchiré comme dans cette fin trop mièvre, à mon goût. Elle fait, disons, partie d’un rêve qu’on voudrait prolonger. Comme on se repasserait le plus beau geste dont Eric C. se rappelle : non pas un but mais une passe, comme une caresse. Un sport collectif.

dimanche 31 mai 2009

Terrine de lapin

J'ai pensé à une recette pour ton blog.
C'est une recette pour l'été, ma mère la faisait souvent quand nous avions des invités.
Je crois qu’elle la tenait de paysans de la Mayenne, chez qui elle passait des vacances dans les années 1910.
Je n'ai pas en tête les proportions exactes, je cuisine un peu au pif mais voilà.
Il faut : un lapin coupé en morceaux, des lardons natures ou salés mais surtout pas fumés, des oignons, du sel, un peu de poivre, du vin blanc sec et une feuille de laurier.
Dans une terrine qui va au four on met : une couche d'oignons, une couche de lardons, une couche de lapin. On sale légèrement, surtout si les lardons sont "natures".
On recommence, oignons, lardons, lapin, on sale encore un peu, un soupçon de poivre, on ajoute le vin blanc, la feuille de laurier sur le tout, on ferme le couvercle et on met au four.
Je dirais four chaud, (autour de 200 °) à peu près une heure. Le lapin cuit vite, quand ça sent bon, c'est cuit. On sort la terrine, on la laisse refroidir, quand elle est froide on la met au frigo. Le vin blanc prend en gelée au bout de quelques heures. Une nuit, c'est parfait. Il n'y a plus qu'à dresser un plat avec la gelée tout autour. On peut servir des haricots verts avec. Régal assuré.
Elisabeth

samedi 30 mai 2009

Le retour imaginaire

Dans les livres de photographies, quand il y a du texte, en général, celui-ci a moins de poids ; dans ces 120 pages les mots importent.
Ces images de Kaboul prises avec un appareil archaïque sont imbibées par le noir qui les encadre. Souvent le noir offre un écrin raffiné aux images, là il embrume tous les clichés et leur donne une patine qui les emporte loin des calendriers.
Atik Rahimi, le prix Goncourt, avait passé la frontière en 83, il nous parle de l’exil et des mots en allés avec les larmes. Il revient en Afghanistan où tout est ruine : le cimetière est défoncé, le marchand d’oiseaux n’a plus que des cages et la jeune femme assise sur les gradins est revenue au stade où son amoureux a été tué parce que sur sa poitrine était tatoué : « l’amour n’est pas un péché ».

vendredi 29 mai 2009

L’Europe : le débat interdit.

Le laisser aller libéral ne peut se cacher plus longtemps sous l’agitation du chouchou des médias, c’est la faillite, alors regardez ailleurs : allez fouiller dans les cartables, des fois que vous trouveriez un couteau.
Je reviens de meeting, où pendant 2 heures nous avons pu approfondir le sujet de l’Europe, avec Peillon, orateur à l’ancienne, replaçant l’échéance du 7 juin dans l’histoire des socialistes : bien.
Est-ce que l’urgence est de sanctionner…les socialistes ?
Le soir des élections ce qui va compter, c’est bien si Sarko est en tête ?
Alors, on se refait les regrets de 2002 ?
Je joins une vidéo où il est question d’Europe du site du Nouvel Obs.
Europe: débat Daniel Cohn-Bendit/Pierre Moscovici - Nouvel Obs
Réunis dans la salle de la Bellevilloise à Paris, jeudi 25 mai, par le Nouvel Observateur et Terra Nova, Daniel Cohn-Bendit, député Vert, tête de liste Europe-Ecologie et Pierre Moscovici, député PS du Doubs, ex vice-président du Parlement européen ont débattu de l'Europe politique et répondu aux questions des profanes venus les écouter: A quoi sert le Parlement Européen, qu'a-t-il fait, qu'est-ce que cela change au quotidien...? Extrait de ce débat qui a duré plus d'une heure.

jeudi 28 mai 2009

Décoder un tableau religieux.

Il y avait bien cette anecdote, quelques années en arrière, d’un élève de quatrième dans une église interrogeant: « qui c’est cette femme avec un bébé dans les bras ? » mais c’est en jaugeant l’inculture présente de certains étudiants en philosophie qu’Eliane Burnet a écrit son livre et nous régale de son exposé rigoureux aux amis du Musée.
Régis Debray, décidément en majesté, en ce moment, est cité en préambule pour appuyer que c’est en connaissant notre culture qu’on peut mieux apprécier les autres. A rapprocher du Dalaï Lama recommandant aux apprentis bouddhistes de bien étudier leur religion d’origine avant d’entamer leur tourisme spirituel.
A travers les évangiles, les écrits apocryphes, nous apprenons que l’âne et le bœuf apparaissent au chevet de Jésus par intermittence au cours de l’histoire, et de voir ces modestes animaux se prosterner a suscité bien des commentaires. La vénération de leurs os posa question. Il en est des montagnes d’interprétations, d’exégèses où les intentions de transmettre et de connaître sont émouvantes. La conférencière n’entre pas dans le détail de la forêt des symboles, mais esquisse à travers quelques tableaux la distinction entre une résurrection, une élévation, une ascension au-delà de leurs structures voisines.
Illustration bienvenue de la fécondité des connaissances qui ne s’appliquent pas seulement à des tableaux du passé, mais aussi à des œuvres contemporaines qui déclinent le thème de la visitation mille fois interprété mais réservant encore des surprises, tels ces Jésus dans le placard de sa maman rencontrant son cousin qui s’agenouille déjà.
J’ai bien aimé au delà de l’image qui a beaucoup servi « que chaque tableau soit une fête » cette idée de retrouver un cadre commun avec ses rites ses références où chacun apprécie l’instant ; même si les noëls de l’enfance ne ressemblent plus à ceux de l’âge mûr, une musique, des odeurs nous suivent.
Délices de découvrir des richesses insoupçonnées : par exemple à Capharnaüm, le paiement d’un tribut par le Christ en deux tableaux évoquant le même épisode. C’est quand même mieux de ne pas arriver vierge devant un tableau, ainsi devant « le massacre des innocents », ayant entamé notre angélisme nous gagnerons en savoir, en émotion, en plaisir.

mercredi 27 mai 2009

Inégalités à l’école

Establet met en avant Guingamp.
C’est bien de voir les gens. Au forum de « la République des idées », Baudelot avec sa carrure et son accent m’a semblé plus accessible et j’ai tout compris à Establet quand il a évoqué la petite équipe de Guingamp qui avait battu, la veille, une équipe de l’élite du foot français, Rennes.
Il utilisait cette métaphore pour faire valoir que les progrès de la masse profitent à tous, l’efficacité et l’égalité vont de pair dans le domaine de l’école.
La perspective pour des lycées en Zep de pouvoir faire accéder des élèves à Sciences Po, au-delà du destin individuel de ceux qui ont réussi, a transformé positivement la vie de ces établissements.
Dans les groupes de niveaux : les forts avec les forts progressent, les faibles régressent ; en classe hétérogènes, les forts progressent, les faibles progressent.
Establet un des chercheurs majeurs à faire valoir le « niveau qui monte » a reconnu que ce n’était plus d’actualité depuis plusieurs années en France.
D’après les enquêtes PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves) menées tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans le monde, la France est championne pour la reproduction des inégalités liées au milieu social et de surcroit l’écart entre l’élite et les plus faibles s’aggrave.
Le Japon, qui est à un bon rang, considère que ce sont les résultats du groupe qui importent : eh bien chacun est tiré vers le haut !
« La France, hypocritement, le temps d’une messe croit à l’égalité de chacun devant Dieu, mais au dehors, l’idéal aristocratique triomphe ».
L’école devrait réduire les écarts de performances et en même temps sélectionner les plus aptes à commander. Ce désir d’égalité côtoie la reconnaissance du pouvoir. Et pourtant, les contradictions entre justice sociale et efficacité peuvent être fécondes, l’élite peut s’élargir. Celle ci pourrait se spécialiser, et s’obliger à la coopération alors que la France produit de bons polyvalents mais en milieu endogame, ghetto du haut.
Dans la même période qui a vu le nombre des étudiants multiplié par 70, celui des élèves des grandes écoles a été doublé seulement.
La logique économique a gagné tous les terrains et pas seulement celui du vocabulaire, toutefois l’état pourrait opérer un retour sur investissement en obligeant les « winner » à s’engager plusieurs années pour l’état qui a dépensé pour eux.
A l’autre extrémité, 130 000 « décrocheurs ».
Le CLEPT( Collège Lycée Elitaire Pour Tous) essaye d’amener ceux qui avaient des incompatibilités réciproques avec l’institution, à être leur propre recours. Alliant l’action et la recherche, cette équipe de profs entraîne les jeunes à se situer en surplomb par rapport à leur parcours.
Nous avons bien souvent peur pour nos jeunes, mais s’ils n’ont pas plus de perspectives serions nous amenés à grossir les rangs de ceux qui ont peur de nos jeunes ?