dimanche 12 avril 2009

Minetti

Les chaises retournées sur les tables indiquent bien qu’il est temps de quitter la scène d’une vie tragique. J’aurai pu m’identifier au vieil acteur attendant dans un hall d’hôtel, un directeur de théâtre qui ne viendra pas. Mais une fois la situation en place, je suis resté indifférent.
Le nom de Thomas Bernhard pour le texte, d’André Engel pour la mise en scène au service de Piccoli laissaient prévoir une émouvante rencontre mais je suis resté détaché. L’acteur qui tient la scène plus d’une heure veut jouer une dernière fois le roi Lear, mais enfermé dans sa solitude, il radote et ses sentences ne passent pas auprès d’une femme se noyant dans l’alcool en cette soirée de la Saint Sylvestre, à peine plus indifférente qu’une jeune fille attendant son amoureux, qui lui laissera son transistor. Il ne semble pas les voir, il rabâche, et Piccoli ne m’emballe pas, j’ai trouvé sa voix fausse alors que les interrogations sur la vie, les masques, le désamour auraient pu sonner moins dans le vide.

samedi 11 avril 2009

30 heures sous un autocar en marche

Un Afghan de 19 ans a voyagé plus de trente heures attaché au châssis d'un autocar entre Athènes et Nowa Deba, dans le sud de la Pologne.
Il souhaitait gagner l'Italie mais s'est trompé de véhicule.
Le sien a accompli un périple de 2 800 kilomètres en passant par la Macédoine, la Serbie, la Hongrie et la Slovaquie.
Intercepté hier par les gardes à la frontière polonaise, Yahiya, originaire de Kaboul a dû panser quelques plaies : un câble de la boîte de vitesse du bus passait près de sa joue et l'incisait à chaque changement de régime.
Il a demandé l'asile en Pologne.
Une brève dans "Libération" il y a trois jours.

vendredi 10 avril 2009

Le moment fraternité.

Pas toujours facile, Régis Debray, pourtant j’ai lu son dernier livre soulevé par un style qui me ravit, comme je serais porté par une musique d’un morceau dont je ne saisirais pas toutes les paroles.
J’ai recopié des phrases pour nos débats contemporains avec mes camarades, même si j’ai mis du temps à considérer que la place faite à l’armée et à la religion, dans cette affaire de fraternité datant de 1848, était démesurée. Je suis bien trop englouti par les nouvelles du jour où un pape vire tellement au ridicule que j’en viens à négliger nos besoins de sacré.
« A l’enseigne de l’Histoire nos Michelet enflammaient les députés, sous le signe de l’actu, les rédac chef donnent des sueurs froides aux ministres »
J’aime le XIX°. L’ancien prisonnier n’est pas dans l’air du temps, il redéfinit les conditions du passage du « on » au « nous », avec ce qu’il faut de frontières, de marches pour s’élever, de rite, de combat.
L’économie seule ne fait pas une société « Chaque pays fait comme il peut, avec les moyens du bord, ce qu’il a dans son sous-sol et sa mémoire »
Quelque peu enivré par sa prose, j’aime retrouver le plaisir de jouer avec le mot « livre », grâce à cet ouvrage qui ouvre, où il se livre dans quelques récits de sa vie.
De l’incarnation, une érudition épatante, fécond jusque dans ses parenthèses :« le parisianisme c’est ce qui reste quand on a tout oublié du jacobinisme »
Fraternité: « Le président de la République se garde de l’utiliser, même dans ses vœux de nouvel an, lui préférant les droits de l’homme. Et quand un préfet plus audacieux le fait résonner le 14 Juillet dans ses pièces de réception, il ne tient pas trop à le voir se concrétiser le lendemain sous ses fenêtres. »
Dans la banalité des jours qui braillent d’individualisme, un air parfumé d’humanité.

jeudi 9 avril 2009

Gangs of skaters 09.

Jérôme Romain et Ben Thé, des artistes de la famille des skateurs, exposent à la Bifurk qui offre un abri aux adeptes de la planche à roulettes. Dans ce hangar immense, une salle d’exposition, la galerie de LAA (Laboratoire Art Aujourd’hui) au 2 rue Gustave Flaubert en face de la MC 2, côté Guynemer. Le parking était désert quand nous nous sommes présentés. Nous avons été bien reçus, mais ce serait mentir si nous affirmions que nous ayons été transportés par l’originalité des œuvres. Les toiles de Jérôme Romain sont hyper réalistes, de bonne facture. L’artiste revisite le pop art avec sa mythologie des années 60: bord de mer, piscine, boissons, talons hauts; portraits soignés mais déjà vus. Quant aux collages de Ben The, c’est finalement assez scolaire avec jeux de mots sans surprise ; une nonne qui fume sous sa cornette vous a des airs moins novateurs que bien des peintures d’avant la première guerre. Sympathiques, mais pour moi, il se trouve que des surprises se dévoilent parfois dans des lieux conventionnels, alors que des lofts alternatifs peuvent me paraître plus sages.

mercredi 8 avril 2009

Musique. Faire classe #28

« Quand la musique était rare, sa convocation était bouleversante comme sa séduction vertigineuse. Quand la convocation est incessante, la musique repousse. Le silence est devenu le vertige moderne. » P. Quignard
Les petites phrases convaincantes, bien tournées ne manquent pas pour traduire les délices subtils de ces heures passées à écouter et chanter. Rien moins que le temps ( tac! tac ! tac !), l’enfance ( dodo) et la mort (tatatam) seraient convoqués avec l’amore, les secrets, la solitude et le « tous ensemble ». Les grandes orgues jouent pour naviguer vers ces contrées sublimes. Les clichés empesés trouvent leur symétrique dans le stéréotype du pipeau nasillard qui accompagnerait des heures tristes et un beau bordel ! Omniprésente dans les oreilles calfatées au M.P.3, si fluette dans l’enseignement, le respect ne tient pas à la matière. Silence et « Laaaaa ! » Chantons à l’unisson, harmonie.
Mes difficultés à tenir un rythme, mes timidités de chanteur, mon inculture musicale m’ont empêché d’aborder tranquillement ses heures en solitaire. Heureusement des moniteurs sont venus saisir la baguette. Quelques minutes au guide - chants pour un C.A.P. me coûtaient trop de temps pour rendre serein des apprentissages que je n’ai finalement pas eu à mener. Cependant j’ai vécu bien des moments de grâce dans l’attente d’un train où j’entraînais une classe à chanter ; moments trop rares et d’une qualité moindre que ce que les éducateurs musicaux ont apporté chaque année à la guitare, à l’accordéon, au violon. Je leur ai suggéré des thèmes autour de l’amitié, de la défense de la planète, de l’enfance, sur différents pays, autour de l’école. J’ai repris par exemple en histoire ce qui avait été le fil rouge d’une année comme les chants emblématiques d’une époque même s’il est avéré que les vrais maquisards in situ chantaient plus souvent « la digue, la digue » que « le chant des partisans ». J’ai appris aussi à ne pas mettre la musique à toutes les sauces, ne pas la proposer lorsque les enfants s’exercent à une autre activité, ne pas ancrer dans les oreilles l’idée de musique arrière - plan. Pour une écoute exclusive, je m’en remis souvent à d’autres, ne délivrant qu’avec parcimonie des ouvertures : « c’est pas l’homme qui prend la mer… » pour annoncer notre départ en classe de mer, ou quelque conclusion tonitruante avec « Bella cio » qui accompagnait une fin de journée de classe. D’avoir trop patienté au son des « quatre saisons », nous avons des réticences à proposer des classiques aux risques de l’oubli et d’un appauvrissement de la connaissance qui ne serait bâtie qu’avec du neuf … pour nous. Tentatives de musique dans les cars de ramassage, mais j’y renonçais pour ne pas vouloir non plus combler absolument chaque minute vacante dans ma frénésie de transmettre. Laisser se reposer les esgourdes, se laisser aller à la mauvaise blague régressive du voisin. Je ne suis pas « Le roi de la montagne » dans son hall, ni « la reine de la nuit ». Maître par intermittence, il me fallut bien reconnaître que je n’étais pas Dieu.
Les tensions de la mode, viennent s’agripper autour des partitions. A quoi bon ressasser à l’école ce que les jeunes savent d’ailleurs ? Pourtant, quand Sinsemilla reprend Brassens, nous nous gagnons quelque légitimité. Et l’année des « choristes» le chœur mettait plus de cœur à chanter. La Star Ac aide à prendre de l’assurance et à s’exposer. Piocher dans le répertoire de l’heure, attire des adhésions fortes et des rejets puissants ; attention territoire balisé par les tribus. Par contre, le patrimoine nous sauve et tisse le lien entre les générations: Goldman, Perret, Le Forestier, Fugain, Berger, Nougaro… C’était bien quand arrière grand -mère venait de reconnaître « tout va très bien madame la Marquise » chanté à la fête de fin d’année. Les futurs « muants » avaient leurs timidités de pré ados mais ensemble, dans la chaleur, c’était fête ! La fête de l’école, et cette batoucada pour les dix ans ! Abdelrezac en fendit un tambourin.

mardi 7 avril 2009

Les Kinés #2

Vient comme son titre l'indique après Kiné #1 paru la semaine dernière:

A la quatorzième séance j’ai voulu en savoir un peu plus sur le massage thaïlandais; sur le masseur, j’avais mon compte de détails.
- Ca ne m’enlèvera pas la peau ?
J’avais le souvenir cuisant d’une énorme Bédouine écorchant mon dos dans un hammam minable de Toulon. Les jours de spleen on ferait mieux de rester planqué devant ou derrière un écran plutôt que de chercher réconfort en n’importe quelles mains.
- Et comment faut-il être dévêtu, euh, vêtu ?
- Nu, nu, le massage du fessier est très agréable alors les culottes ça empêche.
- Ben…
- Mais vous pouvez mettre un string si…
Je suis devenue très pudique à partir de cinquante ans. Allez savoir pourquoi ?
A la dernière séance j’ai pris mon courage à deux mains. Tout en enfilant mes collants pure laine de chez « Bernard », vente par correspondance pour les frileuses :
- J’aimerais prendre rendez-vous avec Virgile pour un massage.
- … Pas avant la fin du mois… Désolée.
- Et pour les strings… Vous croyez… ?
- Ecoutez, j’en ai vu de très jolis en ville chez Z. Alors a-do-ra-bles ! J’ai craqué pour un ensemble tee-shirt et string parme. Un papillon rose derrière chacun en organdi. Fait en Inde probablement.
- Ils n’avaient pas plus simples, sans papillon ou colibri ?
- Chez Z. ils ont de tout et les soldes battent son plein !
Se moquait-elle de moi, Juliette ? Pensive, elle me regardait enfiler mes baskets T.B.S. bleus en solde à la défunte Camif.
Chez Z, j’étais la seule cliente à farfouiller dans les bacs. J’ai mis à droite ces petites choses légères, transparentes, arachnéennes, roses, noires, dorées. Enfin des choses pour derrières en boutons, je veux dire arrières et avants encore dans la fraîcheur des adolescences réelles ou prolongées.
J’ai enfin dégotté un string de coton blanc qui coûtait la peau des fesses, si je peux oser cette expression.
La caissière m’a demandé si c’était pour un cadeau ?
- Non, c’est pas pour ma petite fille, c’est pour moi. Je pars au Vietnam avec mon copain.
Je n’ai même pas rougi ! La nuque bien redressée (merci Juliette !), fière comme la sirène du Mississipi
Je digérais laborieusement un moka quand je l’ai vu. « 30 euros » en rouge sur une énorme étiquette. Moka éclipsé, j’ai pénétré dans cette caverne d’Ali Baba, direct, comme on tire un poisson d’une rivière.
Puis toute bête, prête à ressortir :
- Qu’est-ce que… ?
La vendeuse a jailli de derrière un millier de manteaux, matelassés, taillés dans des couettes.
J’ai pris la travée des moins chers. Ils pendaient, les polissons, bien dodus, bien gonflés, promettant des errances confortables jusqu’au printemps.
J’ai essayé un beige : il a mangé mon teint.
J’ai essayé un foncé : je ressemblais à une veuve corse (pour changer des siciliennes).
J’ai essayé un blanc : employée au SAMU.
J’ai acheté le rose sans vraiment l’essayer, comme ça, vite fait.

Rendez vous pour la suite la semaine prochaine . Marie Treize

lundi 6 avril 2009

Beter things. Tokio sonata

Deux films tournés avant que la crise explose, ils décrivent en Grande Bretagne et au Japon la débâcle des valeurs sur fond de marasme économique avec des manières qui me sont plus proches chez l’anglais très pessimiste, que chez le Japonais plus froid.
Beter things. Dans la triste campagne anglaise, les jeunes crèvent les bras garrottés et perclus de seringues. Les vieux en sont à quitter la vie plus dispos. Malaise, solitude, ennui : l’alerte n’est pas nouvelle, on peut le dire : le film est dérangeant.
Tokio sonata : On a beau essayer de se méfier des clichés, l’impassibilité japonaise nous paraît toujours aussi énigmatique et quand le film tourne au burlesque nos grilles de spectateurs sont encore chamboulées : certains adorent, d’autres ne goûtent pas forcément les excès mécaniques. Une lueur d’espoir arrive en conclusion d’une histoire ou le mensonge règne et l’incommunicabilité est une donnée constante; la société japonaise crise depuis un moment. Les artistes nous le disent depuis longtemps.