Depuis mon enfance campagnarde à coquelicots où la biodiversité était préservée en pleins champs et non en touffe photogénique égarée dans la salle des
pas perdus de la gare du Nord, un voyage en ville a toujours été une fête.
Désormais, je ne me sens pas forcément bien accueilli au
chef lieu du département en franchissant difficilement ses entrées, maculées,
négligées, s’apparentant à des labyrinthes protégeant une cité « apaisée »,
revêche aux périphériques. Les tags s’inscrivent sur les gabions à peine
posés et il n’y a bien que les herbes hautes et le lierre pour masquer des
signatures aux égos envahissants et faits pour durer.
La ville minérale réclame une végétalisation, les socles des
statues en voie d’être abattues ici ou là appellent mousses et lichens, les
pelouses convoquent l’ortie.
Le terme « mauvaise herbe » n’a pas disparu à
cause des désherbants, mais en toute correcte sémantique, les végétaux
échappent désormais aux caractérisations infamantes, à réserver à nos seuls
gouvernants.
Heureusement que lorsqu’on pousse la métaphore fourragère,
Brassens vient nous rappeler un temps où les jardins à l’anglaise se
permettaient déjà quelques irrégularités.
« Je suis de la
mauvaise herbe, braves gens, braves gens
C'est pas moi qu'on rumine et c'est pas moi qu'on met en gerbe »
C'est pas moi qu'on rumine et c'est pas moi qu'on met en gerbe »
Le long de murs fraîchement repeints, barbouillés de graphs
dépourvus d’orthographe (« Nique le cistème »), de maigres
coquelicots et quelques graminées ont poussé entre deux plaques de goudron
disjointes.
En décrivant ainsi un paysage recouvert d’un vernis de chez
Ripolin par dessus un jugement moral, j’entre dans l’éternel dilemme qui tourne
autour du beau, où des personnages balafrés deviendraient plus tendance que la
blanchounette Vénus de Botticelli, les hirsutes préférables aux peignés.
On a vu disparaître les rondeurs en noir et blanc des
publicités Aubade, recouvertes par d’autres affiches autrement plus prudes
visant à régenter le citoyen. A l’abribus, les masqués ont rejoint les voilées composant
un sombre tableau, même si le bel arrondi d’un visage mis en valeur par un
foulard vient l’éclairer parfois.
Les religions nées des mystères de la mort nous font signe
plus que jamais. Et le mâle blanc déguisé en esthète ne disculpe pas
l’agnostique croassant devant tant d’austère religiosité.
La légèreté s’est évaporée, laissant cabotins et calotins sur
le devant de la scène. Qui déploie encore un journal où se côtoient les
nouvelles et des opinions diverses ? Nous nous esquintons la vue, crispés
sur des images grandes comme des timbres-postes aux idées de la taille d’un
émoticône.
L’humour s’est enfui, celui qui permettait de décoller du
tragique, d’adoucir les relations, de sourire, de respirer, remplacé par coup à
l’estomac, bol d’acidité, négativité, ricanement ; je l’ai perdu.
Le pognon ne concerne pas que les milliardaires et tout acte
se mesure désormais en chiffres, l’argent roi a pollué les aires les plus
désintéressées. Ce que nous dénonçons chez d’autres peut nous atteindre aussi.
La diffusion de l’information par les moyens de communication
modernes est un progrès majeur pour l’humanité. Mais cette puissance autour de
phénomènes scandaleux les fait devenir tellement emblématiques que s’oublie le
contexte. Et les antagonismes s’exacerbent, les incompréhensions se creusent avec
la convocation de l’histoire jusqu’à l’anachronisme.
Et il faut prendre des gants pour élargir la formule «
j’ai confiance en la justice de mon pays» et en ceux qui nous instruisent, nous
nourrissent, nous protègent.
Par contre, il n’est plus besoin de s’excuser de préférer le
monde d’avant, quand le chômage était en train de décroître, l’ancien temps se
parant des plus vifs regrets. Quant à l’avenir ?
« La rumeur
pousse comme une mauvaise herbe après un incendie de forêt. » Moses
Isegawa
C'est très difficile de savoir ce qu'on a devant les yeux. Vraiment très difficile.
RépondreSupprimerMais.. il me semble que nous avons devant les yeux une indication du... désenchantement pour la vie urbaine, et à grande échelle.
"On" nous fait une publicité permanente pour la crise mais cela fait un certain temps que ça dure, tout ça.
Aux U.S., le pays.. des Lumières, pour tant de nos concitoyens, la ville est un endroit où on vient pour faire commerce dans les centres commerciaux, mais les nantis ne veulent pas y vivre, sauf éventuellement dans les lieux comme New York, et encore.
Il y a 14 ans maintenant, j'ai vu à quel point New York était triste en dehors d'une centre ville, Manhattan, très rutilante pour les besoins de la cause CAPITAListe. Déjà, les grandes villes américaines ont été confrontées à des problèmes de banqueroute à grande échelle, et il me semble que cela est inouï pour un Européen. Une ville en banqueroute est une ville où on ne vient pas chercher ta poubelle pendant des semaines, et des semaines. Tu vois un peu ? Tu imagines ?
Or, il y a une volonté en Europe de... SUIVRE le tracé américain, avec l'idée que l'Amérique est toujours.. devant. Devant les colons, devant, comme terre promise, vierge, sans.. frontières.
Les fantasmes collectifs ont une vie très longue...
Aux U.S., il y a un grand exode de la ville, tellement elle est devenue.. minérale et inhospitalière, sale, et jonchée de detritus. Certes, un lieu impressionnant de maîtrise industrielle, mais inhospitalier aussi pour... la créature que nous sommes, qui a soif de vert, d'un peu de nature, ET DE BEAUTE.
Ce problème est déjà ancien, d'ailleurs...
Le père d'Adolf va fuir sa campagne pour aller chercher sa fortune et "devenir quelqu'un" dans une Vienne cosmopolite, et en revenir fonctionnaire, et le jeune Adolf, à son tour, va fuir sa campagne, sur les traces de son père, et chercher sa fortune dans une Vienne cosmopolite, et devenir.. qui il est devenu, comme on le sait. Le serait-il devenu sans ce projet de fuir la (fruste...) campagne pour devenir quelqu'un... en ville ?
On peut en douter.
Si la diffusion de l'information par les moyens de communication modernes est un progrès majeur pour l'humanité (dixit toi), on peut s'interroger pleinement sur..la nature idéal du progrès.
Trop d'information tue l'information. Trop d'information enlève la possibilité de... discriminer et déterminer ce qui est important par rapport à ce qui l'est moins. Trop d'information dans notre contexte actuel contribue massivement à détruire notre capacité de penser.
Nous vivons une période où nous nous enfonçons dans.. la gueule de bois. J'ai une bonne nouvelle : "nous" avons déjà vécu cela collectivement en Occident, même. A l'époque où Saint François a émergé pour souffler un vent nouveau sur.. l'Eglise, et changer la donne.
S'il y a quelque chose qui m'époustoufle, c'est notre incapacité de nous dire que PEUT ETRE... tant de "grâce" sous forme de... "cadeaux GRATUITS" POURRAIT nous porter une poisse terrible.
Pourquoi on ne parvient jamais, semble-t-il, à comprendre à quel point le bien et le bon peuvent être... dévastateurs, et ne rien laisser debout lors de leur passage ?
Nous pouvons nous consoler, Guy, en nous disant que notre tristesse est vraisemblablement celle de Stéfan Zweig, qui a dû se sentir assommé en voyant la destruction de.. la légèreté, la grâce, la civilité de SA civilisation dans le rouleau compresseur nazi.
A notre époque.. NOTRE rouleau compresseur...