jeudi 30 avril 2015

Apparu/disparu : le fantastique dans la littérature et dans l’art. Michel Viegnes.

Parmi les oppositions: illusion/réalité, raison/croyance, le couple apparu/disparu a semblé plus fécond au conférencier pour aborder le thème du fantastique devant « Les amis du musée ».
Bien que « Etre/paraitre » eut aussi la rime riche.
En mettant au jour nos spectres intérieurs, le fantastique élargit notre vision du monde.
Le propos plus documenté en littérature qu’en peinture, s’est conclu sur le rôle de l’artiste, médiateur entre deux mondes:
«  L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». Paul Klee
Les apparitions dans les saintes écritures font partie de la foi religieuse et les hallucinations procèdent de la psychiatrie dans les hôpitaux profanes.
Pour les illusions douteuses perturbantes, les « fantastiqueurs » qui travaillent volontiers dans la pénombre ne se confondent pas avec les auteurs des contes, légendes, et mythes traditionnels qui vivent dans la lumière.
« Ce fut comme une apparition », dans le registre amoureux, nous passons du réel à l’imaginaire. 
De Flaubert à Nietzsche :
« … cette fatigue pauvre et ignorante qui ne veut même plus vouloir : c'est elle qui crée tous les dieux et tous les arrière-mondes ».
Nous naviguons entre les phares, Baudelaire:
« Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes,
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,
M'apparut. »
Cet extrait des « 7 vieillards », aux 13 quatrains, était dédié à Victor Hugo, qui  avait compris « le frisson nouveau » que ferait passer le traducteur de Poe.
L’auteur des « Fleurs du mal » voyait la ville pas seulement comme un décor :
« Fourmillante cité, cité pleine de rêves,
Où le spectre en plein jour raccroche le passant ! »
Ce poème du haschich, où l’image du vieillard se multiplie, amène une excroissance du réel, un basculement. Cette allégorie du temps, signe l’entrée du monde dans l’ère de la répétition.
En ce moment les légendes urbaines sont ravageuses.  Et Le Golem qui hantait les rues de Prague a échappé à son créateur. 
Le colosse à l’âme fissurée, Maupassant, également syphilitique, assiste à sa propre dégradation : le Horla est un « halluciné raisonnant ».
Dans un de ses contes titré « Apparition » : « Une grande femme vêtue de blanc me regardait, debout derrière le fauteuil où j'étais assis une seconde plus tôt. »
« La fille en blanc » peinte par Whistler convient pour évoquer le saisissement qui fige la pensée, quand toute faculté de s’abstraire est abolie, au-delà de l’horizon humain.
Le choix des « Têtes guillotinées » de Géricault  permet lui d’évoquer les drames qui de Lady Macbeth à Richard III allient la peur à la culpabilité, au pays des rêves éveillés.
Dans « La chute de la maison Usher », le maitre Poe, réunit quelques uns de ces noirs sentiments, plus une  prophétie auto réalisatrice quand  Roderick enterre sa sœur vivante.
« Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio, qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie » Hamlet
« They are more things », dans cette nouvelle, Borges parodie Lovecraft maître de l’horreur, en ébranlant jusqu’à la géométrie, nous laissant deviner, s’installant dans une maison, une altérité irréductible, venue d’un autre monde. 
Comme le réalise Giger, le créateur d’Alien, qui hybride organique et mécanique.
« Il n'est point de serpent, ni de monstre odieux,
Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux ;
D'un pinceau délicat l'artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable. »
Boileau
L’image du « Livre de sable » de Borges est proprement affolante, en se recomposant à chaque fois, il ne finit pas, il disparait pour mieux réapparaitre.
La disparition, un vide au cœur du réel, une béance.
Les images nous fascinent, elles constituent un monde complexe et se rapprochent de l’expérience fantastique.
A l’intérieur de leur cadre, elles acquièrent du prestige, comme le temple qui délimitait un espace sacré. Dans l’exposition de « l’art dégénéré » les nazis avaient arraché les œuvres à leurs cadres.
« L’araignée » d’Odilon Redon est souriante, celle de la nouvelle d’Ewers fatale : fasciné par la femme qui s’encadre dans la fenêtre d’en face, un jeune homme va se pendre.
Mais l’être fantastique peut échapper à sa représentation : ainsi la Vénus de Prosper Mérimée impossible à croquer. Prosper est le complice des profanateurs de tombes dans la nouvelle de Maupassant: « Le tic »

mercredi 29 avril 2015

Iran. Philippe Bichon.

Les ouvrages concernant l’Iran touristique sont suffisamment rares pour apprécier 144 pages où se mêlent dessins, photographies et récit à la main.
Ce carnet de voyage, à peine plus grand qu’un passeport dont il reprend l’aspect, est plaisant. Comme pour les critiques de cinéma qu’il est plus rentable de lire après qu’avant le film, l’abondance des noms de lieux ne dira pas grand-chose à celui qui envisage le voyage, et sera plus utile pour réviser les plaisir d’un périple assez proche de celui que nous avons narré chaque mercredi de cette année  http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/09/quest-ce-que-vous-allez-faire-en-iran.html.
L’auteur m’a fait découvrir une nouvelle profession : il est « carnettiste ».
Agréable, mais sans plus, alors que le genre « carnet de voyage » a ses sites, ses festivals et de réelles réussites originales. Les aquarelles conviennent bien au genre certes mais ne vont pas au-delà d’un prétexte pour entrer en relation avec les habitants ou d’un tremblement du réel qui aurait besoin de s’affranchir de la reproduction presque exclusive de diverses mosquées sans guère de silhouettes humaines. Le voyageur s’est pourtant appliqué à parler le farsi et à communiquer grâce à la musique, mais son récit un peu conventionnel manque de verve. Et n’est ce pas une nouvelle idée reçue symétrique de la diabolisation dont était victime ce pays de souligner essentiellement l’accueil  chaleureux de la population ?

mardi 28 avril 2015

Biscottes dans le vent. Rabaté. Bibeur Lu.

Tellement gentil qu’on ne croirait pas que ce récit en bandes dessinées d’un quotidien paisible tiendrait jusqu’au bout, eh bien si !
Le jeune Daniel Saboutet  trouve du travail à la Poste, il est entouré de potes serviables, de parents attentifs mais pas envahissants. Il construit des maquettes d’avion qui séduisent une voisine.
« - Je te laisse fiston !
- Ah ! J’oubliais… Tiens, cinquante Euros. Tu dis rien à ta mère... »
La mère avait fait pareil à la page d’avant.
Il y a bien parfois un peu de caricature dans l’air, les collègues, les clients, la tournée ponctuée de coups à boire. Mais une pause dans les violences de l’heure fait bien du bien.
L’album date de 2013, alors on pourrait croire qu’il s’agit d’un récit historique, tant en 2015, le chômage est devenu la norme, le cynisme la règle, le pessimisme le chemin.
Le titre reste énigmatique, et si Rabaté dans la tendresse fut moins hors du temps http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/05/les-petits-ruisseaux-rabate.html, profitons de ces 240 pages qui durent le temps de quelques chanson de Trenet. Nous reviendrons bien assez tôt à nos noires déferlantes.
……
Aujourd’hui c’est le 2000° article que je publie sur ce blog. Celui qui a été le plus lu concerne la BD, « Les profs » ( 2600 vues) devant « Les bidochons font de l’informatique ». L’article d’hier concernant Léopardi  a reçu 6 visiteurs qui rejoignent les 300 038 clics comptabilisés depuis mai 2010.

lundi 27 avril 2015

Leopardi, il giovane favoloso. Mario Martone.

Pour voir de la poésie, ces temps-ci, il me semblait intéressant d’aller au cinéma. Après le grand breton Keats http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/01/bright-star.html , faire connaissance avec un autre phare du XVIII° finissant, au pays de Dante.
De belles images, mais le souffle est un peu court.
Il m’a fallu lire les critiques de la presse après la projection de 2h et quart pour percevoir les enjeux politiques qui accompagnaient la poésie du Rimbaud italien au delà du côté réac d’un père dont il aura du mal à se détacher lors d’une vie interrompue à 38 ans.
La très riche bibliothèque paternelle permettait toutes les évasions de l’esprit tout en constituant un lieu d’enfermement pour un corps souffrant.
Si l’on voit l’attachement de son ami  révolutionnaire napolitain Ranieri, on ne saisit pas ce qui les lie. Le bel Antonio séduit la belle Fanny que le souffreteux poète aime de loin.
« Quant au bonheur des masses, il me fait rire, car mon petit cerveau ne peut concevoir une masse heureuse composée d'individus qui ne le sont pas. »
Wikipédia est nécessaire aussi pour connaître l’étendue du génie, la diversité et la précocité des talents du «sombre amant de la mort» d’après Musset.
Que c’est difficile de déguster les mots sans être aspiré par la biographie!
Devant les genêts qui poussent sur le Vésuve :
« Aujourd’hui, partout
Ce ne sont que des ruines
Où tu vis, ô gracieuse fleur, en ayant 
presque pitié des épreuves des autres, au ciel 
Tu répands une douce odeur de parfum,
Qui console ce désert. »
Tant d’autres citations pourraient enrichir nos noires tablettes :
« Les hommes, qui sont malheureux par essence, veulent croire qu'ils le sont par accident. »

dimanche 26 avril 2015

Billie Holiday. Antoine Hervé.

Bien de mes voisines de fauteuils de la MC2  se lassent des blagues d’Antoine Hervé,
je continue à les aimer, les blagues, et mes voisines.
Quand il dit : « le père de Billie était un poseur, un dragueur, un charmeur, mais n’était pas à l’heure » ça me va, et s’il reconnait lui-même abuser de l’expression : «  produits dérivés » pour dire la drogue qui ravagea la vie de « Lady Day », ce ne fut quand même pas un élément anecdotique dans cette vie chaotique.
Par contre, elles, les voisines, sont d’accord avec moi pour reconnaître les talents de pianiste du pédagogue dans ses dialogues tout en souplesse et professionnalisme avec sa chanteuse Olga Mitroshina qui avait bien tort de cacher son charmant minois sous un bonnet et un chapeau, pour mieux laisser apprécier une voix subtile. Et pas de quoi brailler, comme une spectatrice au moment du rappel qui demandait aux artistes : « sans micro ! ». Se croyait-elle dans les clubs des années 30 où il ne fallait pas attirer l’attention des policiers ? Alors que Billie Holiday tira justement des micros toutes les nuances permises par la retenue.
Née à Baltimore, il y a cent ans, Eleanora Fagan a vécu 44 ans. Sa biographie se rapprocherait de celle de Piaf :  
« Si je ne brûlais pas, crois-tu que je pourrais chanter ? »
Une fleur de gardénia dans ses cheveux fut son emblème, elle a fleuri sur une misère qui vit le jour d’une mère de 13 ans, se réveilla dans les bras d’une grand-mère morte dans la nuit,  plus tard violée par un voisin, aima hommes et femmes, connut la prison, la came, la gloire et la chute. 
Quand elle chante « God bless the child»:
« Them that's got shall get
Them that's not shall lose
Ceux qui ont, auront
Ceux qui n'ont rien, perdront »
Elle sait de quoi elle parle, et  Augustin Trapenard n’aura rien à dire, sur ce coup.
Elle commença par imiter Louis Armstrong et rencontra les plus grands : Benny Goodman, Lester Young, Duke Ellington, Count Basie, Artie Shaw, Art Tatum, Dizzy Gillespie
quand ces heures de la prohibition furent les plus inventives pour le jazz. 
« Le jazz : le son de la surprise »
Elle chanta « Strange fruit », qui tranchait avec ses chansons d’amour. Le succès de cette protest song, parmi les premières, n’empêcha pas les difficultés pour la chanter en particulier dans le sud. Près de 4000 noirs avaient été lynchées en 50 ans aux Etats Unis avant 1940.
« Les arbres du Sud portent un fruit étrange
Du sang sur les feuilles et du sang sur les racines
Des corps noirs se balancent dans la brise du Sud
Un fruit étrange est suspendu aux peupliers »

samedi 25 avril 2015

Un moment si doux. Raymond Depardon.

Ce livre de 160 pages en couleurs est édité à l’occasion de l'exposition du photographe normal le plus célèbre de France au Grand Palais début 2014.  Il nous ramène du temps où on était regardant sur le nombre de diapos qui recueillaient mieux les teintes, domaine qu'il n’avait guère privilégié, pas plus qu’il n’a jamais recherché le dernier appareil à la mode.
Trimballant ses boitiers économes aux quatre coins du monde, celui  qui fait les photos  « que tout le monde pourrait faire et que personne ne fait », n’a jamais oublié ses racines de cultivateur.
Ce sens de l’économie bien sûr, et une timidité, une humilité allant avec des coups d’audace en font un familier aussi bien des personnes en vue que des paysans au Chili, en Bolivie, en Ethiopie …
Des chiens errent dans les rues, les femmes courbées sous des charges pesantes s’éloignent au long des routes, à Buenos Aires les passants croisent des ombres et les plages d’Honolulu ne font pas rêver.
Se disant peu courageux sur les théâtres de guerre, il va choisir à Beyrouth par exemple une voiture criblée de balles  plutôt qu’un snipper derrière sa kalachnikov.
J’ai beaucoup aimé ses paysages inédits à Glasgow, quand dans les années 80, il était possible de saisir des enfants sur pellicule alors que c’est devenu tabou aujourd’hui autant que des images de militaires hors reportage embarqué. Les couleurs sont sombres et le noir et blanc aurait tout aussi bien convenu,  même si le rose du chewing-gum  de la photo qui illustre l'article, pète. Par contre comme il le dit lui-même dans ses portraits de paysages de France http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/10/la-france-de-depardon.html , pour retenir ce qui disparait la couleur souvent très claire et presque transparente s’imposait.
Comment fixer l’image d’un tracteur Massey Ferguson sans le rouge ?

vendredi 24 avril 2015

Ça brûle !

Ce matin là, j’étais parti, grognant à propos de papiers jetés à côté des poubelles, mais dans la période comme les moments calmes deviennent une exception, je sens le besoin d’aligner trois mots pour évoquer quelques pas le long de la voie du tram qui déroule son tapis de verdure à travers une ville qui s’embellit. Je suis passé par un parc avec ses oiseaux, ses coureurs, ses amoureux, ses boomeurs et ses babies.
J’arpente mon territoire en paix où s’affirme le printemps, et je me réfugie face aux dérèglements du monde.
En fin de semaine dernière, des abrutis ont mis le feu à des locaux sportifs à la Villeneuve et au théâtre Prémol du village olympique.
Pourtant dans les parages les citoyens n’ont pas été dispensés dans leur jeune âge d’activités transversales concernant « le vivre ensemble ».
Dans les incertitudes de l’écriture, j’avais formulé d’abord « nos élèves ont mis le feu » pour assumer mon créneau comme d’autres dans les réseaux sociaux qui ne parlent que de Palestine ou de Grèce : moi c’est l’école et j’en décolle pas.
Non que je tienne à me fustiger particulièrement en une pose inoffensive, mais pour réagir  par rapport à d’autres qui à l’occasion ont ressorti le coût du stade des Alpes et patati c’est la faute au foot professionnel et patata, je ne suis pas la justice ... malheureux incendiaires !
Ceux qui ont été élevés par notre société, s’en prennent au bien public détruisant des années d’investissement bénévole, atteignant  la solidarité, le loisir, le plaisir et la réflexion.
Ne reste-t-il qu’à être consterné ?
Tout participe à la confusion. Des morts en Méditerranée, on passe à des propos des plus débiles évoquant la pédophilie des moniteurs de colonie de vacances en plein dans un reportage visant à illustrer l’intérêt des colos. Dans des commentaires sur Facebook, le pédophile, terme décidément très en vogue, est instituteur.
Dans Politis, Philippe Val par dessin interposé est grossièrement attaqué ; il s’est élevé contre la sociologie de bistrot qui vise à tout excuser. Le débat est clôt avant d’avoir commencé. Chaque jour, on peut relever la fuite face aux problèmes posés.
Statues détruites : parlez plutôt violences policières,
chasse à l’étranger en Afrique du Sud : voyez les scandales financiers …
« Dans certains cas l’automatisation consiste à repousser les limites de la déqualification, sauf que ce sont des capacités cognitives, intellectuelles, et bientôt peut-être émotionnelles, que nous acceptons de perdre. »
Cette réflexion dans Libé concerne les objets connectés et ce court extrait participe peut être à l’embrouillement des idées, mais cette deshumanisation n’est pas générée que par les machines, les religions  y contribuent …  et il faut croire aussi, l’école ! 
...... 
L'image de la semaine est prise dans "La Vie"

jeudi 23 avril 2015

François Boucher, le bonheur de peindre. Fabrice Conan.

Le conférencier, familier des amis du musée  de Grenoble, s’est appliqué à illustrer un portrait complet du représentant de la quintessence de l’esprit français en peinture qui n’a pas brossé que des angelots aux fesses roses. Le catalogue du parisien né en 1703 traite de mythologie, de religion, de campagne, des femmes …  « Le peintre des grâces »  dans son « portrait par Gustav Lundberg », ci-dessus, nous regarde.
Lui a été observé par son temps, attentivement, et ses œuvres ignorées pendant la révolution car très liées à l’époque de Louis XV,  pas focément le « Bien-Aimé » pour tous, seront particulièrement prisées sous le second empire.
En son temps, au XVIII° siècle, les écrits sur la peinture se multiplient, tant chez les critiques qu’en histoire de l’art. Diderot est partagé :
« Cet homme a tout, excepté la vérité. » 
« On y revient. C’est un vice si agréable. »
Et il est bien vrai que  ses couleurs, effets et matières engendrent du plaisir en regardant ses toiles, gravures, décorations, cartons à tapisserie, dessus de porte, et autres porcelaines.
Fils de peintre décorateur, il est marqué par son maître Lemoyne, peintre du roi ; il sera à son tour le maître de David. Il travaille comme illustrateur. Son apprentissage en gravures, comprenant des copies de Watteau, permettra plus tard la diffusion de son œuvre ; sa dextérité en dessin lui vaut de répondre à de nombreuses commandes.
- Le religieux : « Saint Barthélémy » occupe la totalité de l’espace, sur fond de château Saint Ange à Rome où il étudia, et « Joseph présentant son père et ses frères à Pharaon » porte des influences italiennes, comme « Salomon et la reine de Saba » tiennent de Tiepolo, et le «Sacrifice de Gédéon » comporte des lumières vénitiennes. Dans le tableau « Bethuel accueillant le serviteur d'Abraham », un chameau pointe son nez, pendant que les académies s’interrogent s’il convient de représenter une telle bête dans des scènes bibliques.
« La lumière du monde »  est commandée par la marquise de Pompadour pour sa chapelle privée qui tient dans un placard : la paix autour du petit Jésus rayonne et une poule bien rustique s’est glissée au premier plan.
- Dans les scènes mythologiques, les nus s’épanouissent en toute légalité, particulièrement avec « Diane sortant du bain », resplendissante.
Europe peut se faire enlever par ce taureau de Zeus, Vénus demander à Vulcain des armes pour Enée, Apollon se préparer pour son lever, tel le soleil, « La naissance de Vénus » dans le genre est un sommet, la déesse de l’amour toute timide est la reine au milieu d’une douce « exubérance » où les putti font la cabriole.
Si au XIX° siècle, les critiques d’art cherchent  volontiers qui est représenté dans les portraits, actuellement, bien des attributions sont contestées : est-ce madame Boucher qui aurait servi de modèle et Marie-Louise O'Murphy est-elle cette jeune femme couchée ? En tous cas « L’Odalisque blonde » est charmante et attirante. Et madame de Pompadour qui fut si importante pour sa carrière n’eut pas à se plaindre de l’image que donna d’elle « le favori de la favorite ».
- La campagne est recomposée dans les scènes pastorales, les paysannes aux pieds nus ont des vêtements soyeux, les colombes marchent sur le toit du charmant moulin. En « Automne pastoral », le berger est d’opérette, en « hiver » douce est la neige et la  petite fourrure autour du cou, seyante. Un détail charmant de ce tableau conservé à New York illustrait le catalogue annonçant la conférence.
- Les intérieurs sont plus réalistes mais pas moins attrayants : dans « La toilette », une jeune femme attache sa jarretière au milieu d’un désordre de bon aloi, 
et le baiser d’ « Hercule et Omphale » est chaud.
- Ses chinoiseries m’ont parues plus anecdotiques, mais témoignent avec ses décors de théâtre de la diversité de ses talents. Les angelots sont passés des plafonds devenus blancs à des formats plus intimes, leurs nuages rebondis invitent à nous asseoir et d’autres coussins en pile à nous affaler. Le plaisir est assumé, aucune morale n’attaquera notre moral, voile que vaille !  

mercredi 22 avril 2015

Taxi Téhéran. Jafar Panahi.

Le film est tellement  surprenant, vif, cocasse que nous resterions encore longtemps, dans la voiture conduite par le réalisateur à travers Téhéran, dont on ne voit pas grand-chose, la caméra étant tourné vers l’habitacle.
Le réalisateur empêché de travailler par le pouvoir traite ses  personnages avec efficacité, malice et empathie :  ainsi deux femmes croquignolettes obnubilées par des poissons qu’elles doivent relâcher, une petite nièce qui n’a pas la langue dans sa poche, un vendeur de DVD pittoresque et un ancien voisin tourmenté. Les protagonistes d’un accident nous font rire alors que la situation aurait pu être tragique. Une belle dame à la belle énergie, chargée de fleurs est une avocate qui cherche  à défendre une jeune fille emprisonnée car celle-ci envisageait de suivre un match de volley masculin.  Pourtant de là bas nous parviennent des raisons de croire encore au combat pour la dignité, la liberté, sans blabla, avec une énergie communicative.
Nous  assistons à plusieurs dialogues autour de l’insécurité qui ne nous dépaysent pas vraiment, avec un vif débat sur la peine de mort entre une institutrice et un voleur à la tire.
Peu importe que ce soit scénarisé, ce film vraiment sympathique, contribue l’air de rien à une réflexion sur le cinéma. Il dénonce dans un sourire une société si contraignante que les cris de quelques uns concernant les libertés qui seraient menacées en France paraissent bien anodins.
« L'art naît de contrainte, vit de lutte, meurt de liberté. » La citation de Gide pourrait s’appliquer à cette œuvre, mais  exprimée dans le confort d’un pays en paix, elle me semble trop absolue et presque inconvenante. En tous cas, au cœur d’une prison nous arrive un beau moment de liberté, de tendresse, d’humour, d’engagement. 

mardi 21 avril 2015

La revue dessinée. N° 7.Printemps 2015.

Dans la continuité du trimestre précédent : http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/01/la-revue-dessinee-hiver-2015-n-6.html , la justice est très présente dans les 230 pages de ce recueil  de reportages en bande dessinée.
Justice aux yeux bandés, dans « Les barbouzes de la République », il est question du SAC.On revoit Foccart, Debizet, Pasqua dans ces années où les coups tordus ne manquaient pas, jusqu’à l’assassinat des gêneurs; alors on se dispensera de nostalgie.
Justice du quotidien, pour une journée avec un juge au tribunal d’instance confronté aux surendettements, aux curatelles. Sa fonction sociale est évidente.
Le travail patient des associations apparait pour une remise en cause des chefs d’état africains du Gabon, du Congo Brazzaville, de la Guinée équatoriale, les plus corrompus.
Les enquêtes sont documentées, complètes, vivantes.
Un autre sujet développé concerne les migrations, en suivant Frontex qui protège les frontières de l’Europe. En 2014, 3 419 migrants sont morts en Méditerranée.
Les rubriques habituelles épluchent un plan de « Play time » de Tati, et l’image du soldat soviétique qui plante le drapeau rouge sur le Reichstag.
Nous rencontrons la centenaire Montmartroise Gisèle Casadesus, révisons les années 93-98 dans l’histoire de l’informatique, faisons la connaissance du groupe musical masqué « The Residents » formé dans les années 60, et on revient sur le mot cannibale dans un chapitre consacré à la culture générale et  sur le mot antisémitisme.
 Celui qui en  explique l’étymologie est situé entre un juif et un arabe :
 « Votre bouffe est la même ! Tous ces mezze à base de pois chiches, d’aubergine, de boulgour, d’agneau… Quand on mange et qu’on chie les mêmes choses c’est qu’on est pareil, non ? »
Quant au futur, 6 pages sont consacrées au contenu de nos assiettes, à vous faire regretter par anticipation, les hamburgers de chez Mac Do et les mezze.

lundi 20 avril 2015

L’homme idéal. Yann Gozlan

Qu’il est bon parfois de voir un film déplaisant, il nous rattrape de molles appréciations positives et supportera toute mon amertume qui peut s’employer en ce moment dans bien des domaines.
Histoire d’un écrivain sans inspiration : le cinéaste qui cite lourdement des réalisateurs plus prestigieux en manque cruellement, d’inspiration.
Les affres d’un romancier débutant : même pas, l’acteur principal dont on fait tant de cas, Pierre Niney, semble absent de sa vie.
Il a trouvé dans un déménagement un manuscrit qu’il s’approprie et devient d’une façon fulgurante un auteur à succès ; j’espère que c’est un peu plus compliqué du côté de la rue des Saints Pères. Il lui suffit de quelques mots de Romain Gary, un précepte de  Stephen King  «2 500 signes par jour !», pour avoir belle voiture. Laissez Jack London en dehors de cette farce !
Le biquet s’était rendu d’emblée antipathique en faisant la leçon à l’éditeur qui l’avait refusé. Il devient criminel à répétition avec une facilité aussi déconcertante que son ascension sociale est aisée.
« L’homme idéal », pourquoi ce titre ? Même pas le gendre idéal, il est défaillant sur toute la ligne, devant l’écran vide de son ordinateur, avec la riche héritière qui lui tombe dans les bras. Son imagination, il la mobilise pour faire disparaitre ceux qui sont au courant de l’imposture, mais la godiche compagne n’a rien vu, pourtant il en fait des bêtises, l’empêtré du traitement de texte.
Il n’y a rien à sauver : la musique est lourdingue et je n’ai même pas pris de plaisir aux images mignonnes au moment où il met à l’eau un cadavre trop bien ficelé : ce n’était pas le moment !

dimanche 19 avril 2015

Aringa rossa. Ambra Senatore.

« Ah non ! je me suis dit au début, le coup de la danse sans musique, on nous l’a déjà fait ! »
Et puis les bruits arrivent, comme un sifflement de bouilloire, un avertisseur de recul, et des musiques.
Les propositions arty se succèdent vivement, n’aboutissent pas, mais surprennent parfois ou citent d’autres gestes de danse vus sur les plateaux ces temps ci.
La chorégraphe italienne qui fait mimer la jovialité méditerranéenne ou US en joue et rejoue, est une universitaire qui a travaillé avec Gallotta. Ses danseurs tombent parfois du plateau  ou continuent à chercher à danser dans la salle, la troupe s’excite autour d’une théière ou d’une clef, se fige au moment où une musique aux accents fox-trot pousserait à gambader, alors qu’ils se déchainent dans les silences. Les identités sont brouillées, les pistes déroutent.
« Aringa rossa » signifie hareng rouge qui en anglais est employé pour désigner une fausse piste, elles ne manquent pas. J’avais trouvé récemment un éplucheur dans une boutique bien achalandée, rue Lafayette, à l’enseigne du « concombre rouge ».
Une heure plaisante où nous pouvons rire, et c’est rare dans la danse, apprécier l’inventivité, la vigueur des neufs beaux acteurs-danseurs et danseuses-actrices.
Des amis qui avaient vu la veille un musicien muet et un danseur couché en guise de spectacle,  sous l’intitulé «  A corps et à qui », ont trouvé celui ci tout à fait plaisant, bien que déstructuré à loisir.

samedi 18 avril 2015

100 photos National Géographic. Reporters sans frontières.

Les nounours, je les aime quand je suis dans l’univers de ma petite toute petite, mais ils me laissent froids en général quand dans le même moment à l’autre bout du monde une petite fille se retrouve avec une ceinture d’explosifs sur le ventre.
Pourtant le recueil qui apporte son obole à la liberté de la presse, consacré aux animaux me semble bienvenu quand les hommes se déchirent.
Le sourire prêté à un perroquet feuille morte ou un poisson clown veillant sur ses œufs, des éléphants de mer ne se quittant pas de la nageoire, une jeune femelle bonobo aux lèvres barbouillées d’argile jaune nous ravissent.
Qu’ils soient flous, saisis dans l’urgence, ou au bout d’un longue attente avec des appareils automatiques sophistiqués, nous avons le détail des prises de vues par divers photographes impliqués dans leur combat pour la défense des espèces menacées qui font partager leur point de vue sur la beauté du monde.

vendredi 17 avril 2015

France culture papiers N°13 printemps 2015.

En  page une, Debray et Wolinski : je prends.
« Mon occupation préférée : dire des conneries avec des gens intelligents. »
La thématique principale était inévitable :
« Crise ou sursaut : que peuvent les politiques? »
avec Rosanvallon, Stora, Meddeb dont Bidar reprend l’émission, pour les plus attendus :
il le faut bien.
Après la marche républicaine du 11 janvier, « trop nombreux pour être récupérés » : ce tous ensemble exceptionnel interroge notre individualisme.
La reprise d’une chronique de Nicolas Martin est éclairante : dans les pays de culture du riz la coopération entre agriculteurs est nécessaire, beaucoup moins dans les pays de … blé.
S’interrogeant sur la crise de la représentation minée par nos impatiences, Claude Lefort est cité :
« Je vois la démocratie  comme un régime inachevé, cet inachèvement est même constitutif de la vie démocratique dans la mesure où il montre sa capacité à accueillir le conflit en faisant droit à l’indétermination du pouvoir »
Et il n’est pas inutile de faire le point sur les métamorphoses de la social démocratie dont Jaurès pensa l’articulation entre liberté individuelle et égalité sociale, Jacques Delors  parle de « la commission de la dernière chance » en matière Européenne.
Parmi ces rappels écrits d’émissions, il y a  bien sûr un portrait maison : Sonia Kronlund, productrice de la quotidienne « Les Pieds sur terre » mais ce n’est pas que pour exposer sa binette.
Ce numéro de près de 200 pages est  riche et varié :
Les arméniens en France, une enfance au goulag, la classe moyenne en  Turquie, des sons dans Paris au XVIII° siècle à  ce qui s’invente chez les transhumanistes de la Silicon Valley, Napoléon journaliste… Le Corbusier dont les sympathies nazies sont révélées alors que celles d’Heidegger se confirment, par contre Geneviève de Gaulle-Anthonioz apparait dans toute sa force et sa modestie.
Nous arrêtons notre regard sur la Célestine de  Picasso et comprenons l’importance d’Apollinaire dans la carrière de Pablo. Cannes, est bien la ville « des marches et du marché », et si je ne connais pas Richard Ford, pour 15 € j’aurai eu l’impression d’être un peu moins désemparé, le temps de  quelques lignes sur lesquelles se poser.
En évitant de tomber matin ou soir dans tous les Trapenard ni se faire flasher à chaque heure par les brèves info contigües.
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Les dessins qui accompagnent cet article sont copiés dans Courrier international, Mix et Remix les ont signés dans  le journal "Le matin Dimanche" de Lausanne

jeudi 16 avril 2015

Les bâtisseurs du nouveau réalisme.

Le conférencier Thierry Dufrêne pouvait reprendre son expression « singularité collective » pour qualifier le groupe du « Nouveau réalisme » lors de son deuxième exposé aux amis du musée, après  avoir, dans une séance antérieure, évoqué Klein et Tinguely dont il sera encore question dans la description des travaux de Restany, César et Raynaud, sujets du jour.
Pierre Restany est critique d’art, fédérateur du groupe.
Pour illustrer une de ses réflexions  considérant que le milieu urbain, industriel est une nouvelle nature, le rapprochement entre des tableaux patrimoniaux, en hommage à une nature rêvée et des productions plus récentes de tôle et de béton, est éclairant.
Jadis, les bergers du Guerchin et de Poussin dans les jardins des délices d’Arcadie découvraient la mort : « in Arcadia ego »  écrit sur un tombeau « Moi, la Mort, je suis aussi ici ».
Aujourd’hui, les voitures compressées de César sont, elles, des totems incontournables et un  pot de Raynaud  peint de la couleur rouge des habillages industriels et des interdits, rempli de ciment tel un sarcophage, ne porte plus de fleurs.
D’ailleurs, le cycle immuable des saisons peut s’oublier quand le dimanche devient un jour comme les autres.
César Baldaccini, http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/11/cesar-au-musee-cantini.html est un bâtisseur, roi de la compression, de l’expansion et de l’empreinte.
Le méridional influencé par Germaine Richier est flatté de la reconnaissance de Giacometti.
Il rend hommage à Picasso avec un « Centaure » place de la Croix Rouge à Paris.
Son bestiaire de fer, riche de scorpions, chauve souris et autres gallinacés témoigne d’une variété des œuvres  impressionnante.  Quant à la « Vénus de Villetaneuse » ou « Ginette », elles sont marquées par les personnages figés dans les cendres vus lors d’un voyage à Pompéi.  Lorsqu’il évoque Valentin, un parachutiste mort en représentation, dans une série d’ hommes-oiseaux, réalisme et abstraction s’hybrident formidablement.
Jean-Pierre Raynaud, est connu pour ses pots de fleurs, il a eu une formation de jardinier, et les carreaux de céramique blanche sont sa signature. Il en avait recouvert l’intérieur de sa maison de la Celle Saint Cloud qu’il a détruite par la suite puis en a exposé les morceaux au musée d’art contemporain de Bordeaux.
Les nouveaux réalistes du vieux continent  ont recyclé les rebuts, héritiers de Duchamp et de ses ready made d’avant 1914. Ils sont contemporains, dans le nouveau monde, du pop art qui a mis des couleurs à la société de consommation, avec Andy Warhol  qui disait que Pierre Restany était un mythe :
«     … le nouveau réalisme : une façon plutôt directe de remettre les pieds sur terre, mais à 40° au-dessus du zéro de dada, et à ce niveau précis où l’homme, s’il parvient à se réintégrer au réel, l’identifie à sa propre transcendance, qui est émotion, sentiment et finalement poésie, encore. » Pierre Restany

mercredi 15 avril 2015

Le musée de l’entreprise Raymond.

Tellement de musées industriels se sont installés dans les locaux d’usines désaffectées que la visite de celui de l’entreprise Raymond au 114 cours Berriat à Grenoble est réjouissante.
Cette société est en pleine forme (9,5 % de croissance cette année).
Depuis les agrafes destinées à la ganterie jusqu’aux fixations techniques en particulier dans l’automobile qui en font un des leaders mondiaux, il est passionnant de parcourir 150 ans d’histoire guidés par l’ancien patron qui nous a accueilli en personne avec deux dames à la retraite qui consacrent des heures à l’entreprise où elles continuent à s’investir.
Au départ trois compagnons (Raymond, Allègre, Guttin) montent un atelier rue Chenoise pour fabriquer des boutons métalliques à estamper au nom du client.
Avant la guerre de 1870, ils seront rejoints par 15 autres personnes travaillant 14 h par jour, 6 jours sur 7. Leur invention du crochet à hélice qui se rive sur le cuir connaitra le succès en permettant de se passer du passepoil aux boutonnières long et délicat à broder.
Grenoble fournissait le monde entier d’articles en chevreaux issus des montagnes environnantes.
Cette production gantière nécessitait des boutons.
L’entreprise s’installe à l’emplacement d’une usine de fils de pêche et compte 300 personnes. L’invention du premier bouton pression en 1886 donne une impulsion aux effectifs qui atteignent aujourd’hui 5500 personnes dans 14 pays avec 350 chercheurs en bureaux d’études qui mènent 1500 projets par an. Le portefeuille de brevets est au cœur de la fabrique.
La fabrication d’accessoires de mode s’arrête en 1999, alors que pendant les trente glorieuses,  les clips de fixation pour l’électro ménager, l’ameublement, les constructions navales, le bâtiment se sont multipliés. 

Depuis les attaches sur cuir jusqu’aux tôles, l’innovation a toujours été le moteur de l’entreprise qui a conçu certaines de ses machines et les outils destinés à la pose de pièces fabriquées désormais en salles grises. Une usine en Alsace travaille sur des colles. 
400  pièces en moyenne sont nécessaires pour fixer câbles, tableau de bord, garnitures dans un véhicule.
S’il est amusant de repérer tant d’objets cachés de notre quotidien, la fierté des entrepreneurs et de leurs collaborateurs se comprend, quand l’idée d’un concepteur qui a imaginé un raccord pour un circuit de carburant permet de faire vivre 1500 personnes.
7 milliards de pièces métalliques sont  pressées, cintrées, découpées à partir de 70 000 tonnes d’acier. Les injections plastiques depuis 1955 permettent de palier les inconvénients de l’oxydation des métaux et assurent une étanchéité indispensable aux fixations techniques.
Nous  étions en visite à la suite d’un groupe d’étudiants en génie mécanique attentifs, de quoi contredire les litanies déprimantes sur la formation.
L’adaptation n’étant  pas qu’un mot, fut il maître mot, avec les flux tendus, la logistique doit répondre au quart de tour pour que la créativité continue à se concrétiser. 
Le bruit des machines de la nouvelle usine de Saint Egrève et la magnifique nouvelle configuration du siège historique permettent de croire à la poursuite d’une puissante dynamique reliant la conception au développement, à la commercialisation.

mardi 14 avril 2015

Y a rien de plus beau que le boulot. Vuillemin.

En ces temps traumatisés côté humour, j’ai eu envie de reprendre une rasade d’inconvenance d’un dessinateur perdu de vue. Mais dans cet album de 2001, de l’auteur à « la ligne crade »  j’ai surtout mesuré que j’avais du mal avec la scatologie. A chaque page des merdes alternent avec des dégueulis de toutes les couleurs, plus fréquents que la moindre parole provenant de personnages qui n’ont rien d’humains. Ces provocations là ne sont que grossièreté et rebutent le lecteur qui serait venu chercher une façon radicale d’évoquer le  monde du travail. Un dessin par page, comporte en dessous une cohorte de demandeurs d’emplois monstrueux qui se trainent sur chaque page pour mener jusqu’à un gag ultime… excellent.

lundi 13 avril 2015

Le Challat de Tunis. Kaouther Ben Hania.

Nous ressortons de la projection, les jambes coupées, accablés et en même temps admiratifs du courage des femmes. En 2003, à Tunis, un homme a lacéré au couteau des femmes, par derrière. La réalisatrice revient sur ce fait divers qui a pris la dimension d’une légende urbaine.
Nous naviguons entre réalité et fiction. Elle organise des castings, va dans les cafés bavards  avec une caméra qui se met au diapason de la violence. Un odieux jeu vidéo a été concocté à partir de ces actes pervers, il renforce les frustrations d’une société perdant son âme sous les lames acharnées au malheur. La commercialisation d’un « virginomètre » ne fait même pas rire : c’est tragique. Un pêcheur trempe sa ligne dans un égout, il n’espère même pas prendre quelque chose, il « tue le temps ». Oui.

dimanche 12 avril 2015

Histoire d’une vie. Aharon Appelfeld. Bernard Levy.

« Où commence ma mémoire ? Parfois il me semble que ce n’est que vers quatre ans, lorsque nous partîmes pour la première fois, ma mère, mon père et moi, en villégiature dans les forêts sombres et humides des Carpates. D’autres fois il me semble qu’elle a germé en moi avant cela, dans ma chambre, près de la double fenêtre ornée de fleurs en papier. La neige tombe et des flocons doux, cotonneux, se déversent du ciel. Le bruissement est imperceptible. De longues heures, je reste assis à regarder ce prodige, jusqu’à ce que je me fonde dans la coulée blanche et m’endorme. »
Au petit théâtre de la MC2, l’acteur Thierry Bosc, seul en scène pendant une heure et quart, nous fait partager  le passé  douloureux d’un israélien devenu écrivain, prix Médicis, mais surtout sa recherche des mots justes, préférant les hésitations à la fluidité.
Du fond de la douleur reviennent de belles leçons, quand il parle de son grand père :
« J'allais le voir une fois par jour, il me caressait la tête et me montrait les lettres du livre qu'il étudiait et il me racontait une petite histoire ou un dicton. Un jour, il me raconta un proverbe que je ne compris pas; selon ses vœux je ne l'interprétais pas correctement et il me dit: « Ce n'est pas important, l'essentiel est d'aimer ce matin. »
Son aventure n’appartient qu’à lui : rescapé des camps, orphelin, il survit dans les forêts d’Ukraine  avant de débarquer à 14 ans en Israël. Son écriture élémentaire peut être partagée :
« Plus de cinquante ans ont passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le cœur a beaucoup oublié, principalement des lieux, des dates, des noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. Chaque fois qu’il pleut, qu’il fait froid ou que souffle un vent violent, je suis de nouveau dans le ghetto, dans le camp, ou dans les forêts qui m’ont abrité longtemps. La mémoire, s’avère-t-il, a des racines profondément ancrées dans le corps. Il suffit parfois de l’odeur de la paille pourrie ou du cri d’un oiseau pour me transporter loin et à l’intérieur. »
Le grand corps de l’acteur s’inscrit dans un décor au plafond bas dont les parois s’éclairent de silhouettes d’arbres, d’écritures, sobres et belles, sur fond de musiques agréables et subtiles.
Au-delà des commémorations de la libération des camps, de la condition juive, les débats actuels sur l’identité, la construction de la mémoire, de soi même, ce qui s’appelle le vocabulaire d’une langue, la barbarie, résonnent en profondeur. 

samedi 11 avril 2015

XXI. Printemps 2015.

 L'indispensable trimestriel, en vente en librairie, vanté depuis toujours sur ce blog http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/01/xxi-hiver-2015.html , est original, varié, consistant.
Avant les reportages, au détour de rubriques brèves, mais jamais anodines, sous un titre familier : « Les riches de plus en plus riches » :
«  Un français qui gagne 2000 € par mois figure parmi les 1, 61% les plus riches de la planète. »
Il y a de quoi relativiser ; l’aviez-vous vu comme ça ?
Lorsqu'il est question dans la colonne d'à côté  de l’équilibre planétaire, dont quatre des neufs ressorts écologiques seraient affectés, vous pensez aller vous recoucher.
Heureusement, des portraits positifs viennent en contrepoint :
- un réfugié du Sud soudan a trouvé sa voie aux Etats-Unis grâce aux échecs,
- un postier tellement passionné est devenu un expert parmi les égyptologues,
- une journaliste qui habitait Londres est revenue vivre à Alep…
 Dans ce numéro 30, le dossier thématique concerne l’Inde en trois articles roboratifs :
le destin de Narendra Modi, le premier ministre de « la plus grande démocratie du monde »,
et de celle qui, nourrie par un tuyau, est en grève de la faim depuis 15 ans pour faire abroger la loi militaire qui s’applique toujours dans l’état du Manipur, loin d’être démocratique, comme dans d'autres régions du sous-continent où deux chanteurs remettent en cause le système des castes.
Gilberte Beaux, ancien bras droit de Tapie, vit en Argentine dans un immense domaine agricole, semblable à une Iranienne qui sur une superficie bien plus petite est aussi une exécutive woman des plus efficace. La première milliardaire d’Afrique, fille du président angolais, achète des pans entiers du Portugal, l’ancienne puissance colonisatrice.  
Ces trois bonnes femmes dégagent une énergie impressionnante, comme cette avocate turque qui a appris sur le tard son ascendance arménienne et se bat pour la reconnaissance du génocide qui fit plus d’un million de morts. La rencontre d’une photographe et d’une kamikaze à Kaboul est également poignante.  
Le récit en photos concerne les ouvriers de Peugeot :
la classe ouvrière n’est plus ce qu’elle était.
Chicago, elle, dépasse sa légende, contractée en  Chirak vu que le nombre de meurtres était bien supérieur à celui des soldats tombés au combat : un habitant se fait tirer dessus toutes les trois heures, des mômes de 15 ans choisissent  à l’avance leur cercueil !
Bien plus fous que ces ados décrits dans une bande dessinée par Pauline Aubry qui a connu aussi une adolescence qui se rassurait à l’hôpital. Certains se scarifient pour oublier sous la souffrance physique, leur souffrance psychique.