jeudi 27 février 2014

L'ultime croisade des hidalgos*. Christian Loubet

Au 15e et 16e siècles, l'Espagne est unifiée, la « Reconquista », croisade chrétienne est terminée, les juifs et musulmans sont convertis ou chassés ; « le soleil ne se couche jamais » sur l'immense empire de Philippe II. L'or des Amériques n’est pas encore épuisé …
El Greco (Le Grec) (1541- 1614),  formé comme peintre des icônes après un séjour à Venise, s'installe à Tolède. D'abord maniériste, « vénitien », c'est le peintre de la couleur, il devient l'interprète des mystiques, exaltant l'idéal de la Réforme catholique, apprécié de l'aristocratie et de l'Eglise. En 1578, marié, intégré, il a de nombreuses commandes ; son premier succès – une crucifixion - date de 1577. Son premier grand travail pour le roi sera « La bataille de Lépante »(1571) peinte en 1579 à la gloire de Don Juan d'Autriche, instrument de la victoire de la chrétienté contre les Turcs. Le roi n'appréciera pas la toile qu'il juge trop originale.
L'enterrement du Comte d’Orgaz (1586) : Le chef d'œuvre du Gréco s'admire à Tolède à l'église Saint Tomé, exposé aujourd'hui sous le porche pour ne pas perturber les offices. De 3m 50 de haut, il oppose monde terrestre (en bas) et ciel avec le Christ, la Vierge, St Jean Baptiste et les élus. Un ange tient dans ses bras, sous forme d'ectoplasme, l'âme du Comte.
Le peintre est aussi un grand portraitiste.
A partir de 1600, la déformation verticale s'accentue (problèmes de vision ?) mais les couleurs sont toujours très vives et le mouvement, le nombre des personnages achemine l'œuvre vers le baroque.
Il osera quelques nus sous couvert de mythologie malgré l'interdiction de l’Inquisition.
Le père de l'Ecole espagnole, « visionnaire » très original et très moderne parfois influencera des peintres comme Picasso ou J. Pollock.
Velasquez (1540-1614) : le grand témoin du siècle d'or sous Philippe IV.
Le peintre sévillan, très influencé par l'Italie (Le Caravage surtout), s’illustre d'abord dans la peinture de genre, joue sur la lumière et le clair obscur et décrit la réalité, même la plus prosaïque, ce qui est complètement nouveau (ex : « la vieille femme faisant frire des œufs »).
A Madrid, à 24 ans, il devient d'abord « peintre du Roi » puis « peintre de Chambre », charge la plus importante à la Cour et « surintendant des travaux royaux ».
Dans ses peintures religieuses comme dans ses nombreux portraits de cour il n'hésite pas à montrer la réalité même brutale (le portait de la mère supérieure des Clarisses, missionnaire déterminée) ou la laideur du Roi à la bouche déformée.
Envoyé par Philipe IV comme diplomate en Italie, il  est un des premiers à s'intéresser au paysage, il peint des toiles caravagesques ou mythologiques. Le portrait du pape est lui aussi peu flatteur. Il osera même peindre son propre domestique noir.
Portraits de la Reine, de bouffons, de nains … Mais, comme il a de nombreuses activités, particulièrement comme installateur des résidences royales, son œuvre est réduite : 162 tableaux dont il n'en reste que 111.
En 1639, il peint « La Reddition de Bréda » (de 1625), tableau politique rappelant la victoire sur les hollandais insurgés et destiné au palais du Buon Retiro.
" La Venus au miroir" vers 1545, "Mars" et autres tableaux mythologiques. Et toujours cette dualité caractéristique de nombre de ses tableaux. Ici la beauté du corps nu vu de dos et le reflet d'un visage laid dans le miroir (rajouté ?).
1656 ; "Les Ménines " et toujours le jeu des miroirs : c'est le peintre qui est important dans le tableau !
"Les fileuses" ou "Légende d'Arachné", son dernier tableau de 1657 sans doute, est très impressionniste. On y retrouve le dialogue entre réalité et évocation des Dieux à l'arrière-plan et tout le savoir-faire artistique accumulé en quarante ans de carrière
« Ce dernier Vélasquez, dont l'univers poétique, un peu mystérieux, a pour notre temps une séduction majeure, anticipe sur l'art impressionniste de Claude Monet et de Whistler, alors que les peintres précédents y voyaient un réalisme épique et lumineux. »
Après l'apogée d'une société pleine d'illusions (El Gréco), puis la prise de conscience de l'ambigüité du monde (Vélasquez), les artistes de la fin du siècle montreront sa décadence. 
* Hidalgo : gentilhomme.                                         Compte-rendu de Dany Besset.  
                                                                                    


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