lundi 5 avril 2021

L’horloger de Saint Paul. Bertrand Tavernier.

La rediffusion de ce premier film d’une œuvre en comportant une trentaine permet au spectateur de passer de l’identification au fils en 73 à celle du grand père en 2021 pour constater que les relations entre générations demeurent mystérieuses sans qu’un emprisonnement de 20 ans en soit forcément le prix.
Bien que la relation entre le commissaire (Rochefort) et le brave horloger (Noiret) puisse  paraître parfois quelque peu aléatoire, est reposée la question éternelle :
« qu’avons-nous fait pour nos fils ? » à moins que ce ne soit «  qu’avons-nous pas fait ? ».
Tavernier a été assistant de Melville 
mais la traversée du temps épargne « L’horloger de Saint Paul » inspiré de Simenon dont on retient la profondeur psychologique et le charme des rouflaquettes.
La camaraderie autour des assiettes lyonnaises est toujours aussi réconfortante alors que les années Pompidou étaient rudes dans les entreprises quand la CGT n’était pas forcément du côté d’un gauchisme encore vivace.
Le fils assassin s’était confié à Madeleine qui s’était occupé de lui dans la  vraie maison de la famille Tavernier dans laquelle Aragon avait été hébergé pendant la guerre 
«  mon père est trop gentil ».
Pendant une heure 45, nous avons du temps pour envisager sous des allures désabusées, un désarroi pouvant tourner à la complaisance, et remarquer qu’à chaque époque de bons vivants crient qu’ils étouffent avant de regretter le temps d’avant où d’autres pensaient avoir manqué d’air eux aussi.

dimanche 4 avril 2021

Charlebois.

Le psychédélique québécois navigue rarement seul dans nos mémoires :  
planant avec Louise Forestier dans « Lindberg» : 
« Alors chu r'parti
Sur Québec Air
Transworld, Nord-East, Eastern, Western
Puis Pan-American
Mais ché pu où chu rendu »
 
avec Félix Leclerc et Gilles Vigneault : 
« Quand les hommes vivront d'amour
Ce sera la paix sur terre
Les soldats seront troubadours
Et nous, nous serons morts mon frère ».
 
Ça remuait comme en première partie de Ferré,« J't'aime comme un fou » 
« M'as-tu vu courir ?
M'as-tu vu courir ?
M'as-tu vu courir dans ta rue ? »
Et on courait, même si à l’époque, on goûtait moins l’ « Ordinaire »: 
« Le jour où moi, j'en pourrai pu
Y en aura d'autres, plus jeunes, plus fous
Pour faire danser les boogaloos »
 ni même le trop languide « Je reviendrai à Montréal »
« Dans un grand Bœing bleu de mer
J'ai besoin de revoir l'hiver
Et ses aurores boréales ».
Il apportait quelques accents de ses voisins aux fières causes de nos cousins.« L’indépendantriste » 
« Faut qu'on s'sépare, u faut qu'on splite
C'est toi qui pars ou moi j'te quitte
Prends le Pacifique, j'garde l'Atlantique
Forever indépendant triste »
 
Et qui n’a pas envie de croire « J'suis moins vieux »? 
« Oh, même si les nuits repassent
Un peu moins vite sous mes yeux
Les plis que font les ans qui passent
J'suis moins vieux
Et même si la vie me lasse 
Et que j'entends de mieux en mieux
Le bruits des ailes d'un ange qui passe »
 Parce que toujours dans ces contrées,« Si j'avais les ailes d'un ange » 
« Je monterais toutes les belles collines
Quand la noirceur sera venue
J'allumerais des lumières pour ma vue
Et je roule, roulerais dans la nuit[…]
Avec Aline pourvu qu'ça pine
Avec Thérèse fraise contre fraise
Faut pas qu'ça niaise »

 

samedi 3 avril 2021

Nature humaine. Serge Joncour.

L’ambition du titre parfaitement réalisée en 400 pages varie les points de vue sur la nature, forcément humaine, avec un ancien militant du Larzac, chevrier, les maraîchers qui fournissent le super marché Mammouth, l’étudiante s’enivrant des odeurs de menthe, l’éleveur s’interrogeant sur l’agrandissement de ses bâtiments : quand le paysan devenait exploitant. 
«  Par chance, être agriculteur c’était travailler sans cesse, c’était embrasser le vivant comme l’inerte, ça suppose d’être à la fois éleveur, soigneur, comptable, agent administratif, vétérinaire, maçon, mécanicien, géologue, diététicien, zoologiste, chimiste, paysagiste et tout un tas de choses encore…et surtout de ne pas craindre de passer des heures dans les moteurs de toutes sortes… » 
Je ne déflore aucun dénouement en notant que l’engrais peut être explosif, car l’auteur sait nous tenir en haleine et sa description de l’évolution du monde rural ne concerne pas seulement les ruraux ou un de leur fils, genre abordé sur ce blog: 
Entre la sécheresse de 76 et la tempête de 99, de vache folle en Tchernobyl, les catastrophes se sont succédé et même au bout d’un chemin non goudronné, la mondialisation sous toutes ses formes pousse sa corne. 
« Depuis quatre jours dans le plus grand secret les Soviétiques bombardaient la centrale de sacs de sable largués par hélicoptères, mais ça n’y avait rien fait. L’unique solution était donc d’envoyer des soldats et des pompiers au cœur de cet enfer, cependant à force de brûlures et de radiations ces hommes tombaient les uns après les autres, au bout de deux minutes, ils s’écroulaient, alors il fallait vite en envoyer d’autres… » 
Global et local, ici et maintenant, les fracas du monde n’atténuent pas les fines notations sur les mentalités des différents personnages: 
« Vivant dans une ferme paumée au milieu des coteaux, pour les parents c’était rassurant de montrer à leurs enfants qu’ils participaient quand même de ce monde contemporain, celui des pubs à la télé, celui de la cafetière électronique et du fer à vapeur, celui du couteau électrique, de la foire aux T-shirts et de la yaourtière. » 
Bien des thèmes sont abordés, j’allais dire « habilement » mais cela laisserait entendre un savoir faire qui prendrait ses distances avec l’émotion, alors que la nostalgie s’exhale aussi bien que la poésie avec une tension qui n’a rien d’artificiel ponctuée de moments comiques, quand un publicitaire vient poser ses spots dans la prairie pour des tranches de jambon sous blister. L’intrigue sentimentale n’est pas qu’un vecteur narratif et pose les dilemmes autour de la liberté en particulier pour le personnage principal héritier d’une tradition en un milieu qui a su s’adapter à de grands bouleversements. Il subit plus qu’il n’agit, se tenant plus près du réel, de nous, qu’un omniscient héros. 
« S’ils se prirent la main c’est qu’ils venaient de tomber de haut. Tous deux sans rien dire, ils ruminaient leurs liens, tout ce qui les empêchaient de devenir réellement libres, elle qui se sentait appelée par d’autres pays pour sans cesse fuir le sien, et lui qui se sentait viscéralement attaché à sa terre. »

 

vendredi 2 avril 2021

Déconfiture.

Les questionnements d’aujourd’hui rencontrent souvent la rhétorique de la décadence des civilisations avec surgissement des barbares à la fin de l’empire, les hirsutes remplaçant les glabres. Nous y sommes : barbe au menton chez tous les mâles et poils sous les bras chez leurs compagnes.
Mais les transitions ne se sont pas faites en un jour, bien des Goths et Francs avaient servi dans l’armée romaine. Dans les empilements d’images d’Epinal, tel Napoléon perçant sous Bonaparte, comment ne pas voir des signes avant coureurs d’un populisme qui enfle.
Des habitudes s’installent avec une banalisation des violences et une multiplication des boucs émissaires : Big pharma et Bill Gates se substituent au chef d’orchestre clandestin du temps de Marcellin. Des augures qui n’ont pas vu passer le FN de 3 à 30% envisagent la possibilité de l’arrivée du RN au pouvoir pour lequel les simplifications, le soupçon permanent et la brutalisation des débats déroulent le tapis.
L’histoire des batailles ne s’enseigne plus mais l’histoire est devenue aussi un champ de bataille. Les leçons à postériori abondent, les « faut qu’on » déboulonnent : Colbert a perdu des points pour son code et Victor H. aurait été vu avec sa maîtresse, une blanche !
Des formules aussi fécondes que « La guerre du Golfe n’a pas eu lieu » peuvent se décalquer pour s’excuser de ne pas voir l’extrême droite en maraude. Elle gagne du terrain quand est délivrée abondement l’étiquette infamante à toute évocation de la laïcité, du droit au blasphème, de la sécurité… Qu’ont dit du sort de Samuel Paty, les universitaires qui trouvent que la remise en cause des islamo-gauchistes est brutale ? Quand le nazisme pour certains commence avec l’exigence orthographique, il devient invisible, indicible, impensé. Les monte-en-l’air ont multiplié les portes blindées et les racisés régalent les racistes de toujours. 
« Quand le sage montre la lune, le sot regarde le doigt » : l’adage ne dispense pas les faiseurs d’opinion de toute critique. Alors que dans le reste du  monde la pandémie a rendu encore plus pénible la condition des femmes ne pouvant plus exercer leurs « petits » boulots, les féministes de chez nous s’occupent prioritairement de PPDA et de Pierre Ménès.
Chacun a son mot à dire sur tout, mais dans la vie réelle le dépassement de fonction est rare, il est remarqué en sport où tout devient si prévisible. Après avoir regretté les raideurs administratives et les blocages corporatistes, les vétérinaires participant à la vaccination inspirent les humoristes. Mon grand-père maréchal ferrant soignait les chevaux et le vétérinaire apportait des médicaments aux grands-mères dans les hameaux isolés. Maintenant dans la formation des magistrats, j’ai entendu la suggestion d’une cession pour leur apprendre à écouter les enfants : quelque part il y a un boulot qui n’a pas été fait ou serions nous devenus si sourds ! Et mieux vaut en rire, quand il faut un stage aux producteurs de cinéma pour les sensibiliser au sexisme voire les rééduquer. 
Des tutoriels pour cuire un œuf à la coque ont sûrement été mis en ligne, est ce que le bon sens a droit au chapitre dans les ouvrages de développement personnel ? 
« Le bon sens est la chose au monde la mieux partagée : car chacun pense en être bien pourvu. » Descartes.

jeudi 1 avril 2021

Nouvelles complètes. Ernest Hemingway.

Des lettres ponctuent 78 nouvelle  en 1252 pages. Ce volume est impossible à lire sans faire des pauses entre chaque histoire intense mise en place dès les premières lignes, de Venise à Paris, des rivières du Wyoming aux neiges du Kilimandjaro, des défenses immenses d’éléphants aux cornes des taureaux, de guerre civile espagnole en pièges sanglants après le débarquement, de bars sombres en infinis océaniques …
Limpide et informé :  
« Le pré était humide de rosée et Nick voulait attraper des sauterelles comme appât avant que le soleil n'eût séché l'herbe. Il trouva beaucoup de belles sauterelles; elles se tenaient au pied des pousses d'herbe. Parfois elles étaient suspendues aux lames d'herbe. Elles étaient froides et mouillées par la rosée et étaient incapables de sauter avant que le soleil ne les eût séchées... »  
Corsé : 
« Quand vous avez eu la langue bien brûlée par de la lessive, le vin fait dans votre bouche le même effet que l’eau croupie, la moutarde a pour vous le même goût que de la graisse d’essieu » 
 Objectif :  
« Le grondement crépitant de l’artillerie dont les batteries étaient installées derrière nous et les coups sourds des explosions que suivait l’apparition de nuages de poussière jaune se gonflant en volutes. Mais nous étions juste un peu trop loin pour prendre un bon film. »
 Ses correspondances marquent sa confiance et sa rectitude : 
« Pour votre information dans les histoires concernant la guerre j’essaie d’en montrer tous les différents aspects, l’abordant lentement et honnêtement et l’examinant de plusieurs manières. Ne pensez donc jamais qu’une histoire représente mon point de vue car les choses sont plus compliquées que ça. » 
«  Trois de ces histoires sont trop terribles pour les écrire mais je m’efforce de les écrire très simplement et délicatement mais avec les vrais mots »  
De belles leçons d’apprentissage : 
« Nous pourrions aller au marché ensemble ou à un combat de coqs et ensuite chacun de nous écrirait ce qu'il a vu. Ce qui se passait et que tu as vu et qui est resté. Des choses comme les éleveurs qui ouvrent le bec de leur coq et leur soufflent dans la gorge quand l'arbitre les laisse les prendre et les manipuler, avant que le combat reprenne. Les petites choses. Pour voir ce que chacun de nous a vu. »

mercredi 31 mars 2021

Saint Quentin

N
ous retrouvons notre route vers Laon,
passons au pied de la montagne couronnée sans faire de halte et atteignons SAINT QUENTIN ( Aisne) vers 11h.
Nous laissons la voiture dans un parking souterrain sous la place de l’hôtel de ville,  avec des impressions déjà favorables sur la cité de Quentin de la Tour malgré une statue colorée et  peu raffinée dédiée à l’enfant du pays et plantée près de la Mairie.
Selon notre habitude, nous commençons par fréquenter l’Office du tourisme afin d’obtenir un plan et un circuit de l’art déco sur papier avec commentaires. Nous étudions tous ces documents  devant un café. Nous pouvons alors attaquer la visite, guidés par le petit fascicule :
Le premier bâtiment signalé est  la Criée municipale, investie actuellement par un traiteur.  De forme arrondie avec une marquise en béton armé, de couleur blanc et bleu,  elle a conservé son appellation sous fond jaune fané. 
Pour la dénicher, nous avons traversé une petite brocante et le marché où nous avons acheté  50 masques chirurgicaux pour 10 € (les mêmes qu’en parapharmacie).
Le circuit propose ensuite de passer par des rues dont l’intérêt provient  des bow-windows qui donnent du relief aux façades fraichement repeintes.
Nous arrivons ainsi à la basilique Sainte Thérèse de style gothique (ogival) toujours aussi impressionnant  par ses dimensions. 
Deux vitraux  art déco s’y font face,
au sol un labyrinthe de prières est prévu pour les pèlerins.
Puis nous découvrons le carrefour « les quatre vents » avec ses grands magasins. Le Seret est composé de vitres maintenues par une armature métallique, il est orné de mosaïques et est affublé d’une tour d’angle surmontée d’un dôme.  Une quincaillerie en briques et béton de 1935,  les magasins Devred en béton, pas loin, les anciennes  galeries Lafayette à l’abandon se disputent le reste du carrefour et  attirent eux aussi l’attention.
Les façades du bar de Lyon, de la poste, du Carillon (salle de spectacle) portent toutes les marques de l’art déco, sans tapage.
Nous passons par la  rue de la sellerie devant le conservatoire  reconstruit en 1929, associant briques, pignons du Nord, béton et bow-windows, il surpasse toute autre construction de la même époque présents dans cette rue.
Nous continuons  la rue de la sellerie qui devient rue d’Isle pour arriver à la gare.
Malheureusement, les salles signalées comme remarquables sont inaccessibles pour cause de Covid. 
Cependant grâce à la commerçante du kiosque à journaux qui nous file le tuyau, nous passons sur le quai et par un interstice de la porte tambour condamnée, nous avons un aperçu partiel de la magnifique décoration murale du buffet.
Ça a l’air somptueux !
Et nous repartons frustrés : les deux plus beaux intérieurs art déco de la ville, le buffet de la gare et l’intérieur des galeries Lafayette dorment à l’ombre loin des regards en attendant des jours plus fastes….
Sur le chemin du retour nous bifurquons  rue Voltaire, jetons un œil aux ex bains douches municipaux disparaissant sous la végétation du jardin.
Nous avons  interrompu le circuit pour déjeuner à L’Edito place de l’hôtel de ville, d’un filet de julienne sauce champagne/ riz ou fagotti au jambon cru et origan suivi d’un café.

mardi 30 mars 2021

Garder le cap. Sempé.

J’aurai pu mettre une brassée de liens vers de multiples articles
à propos de Jean Jacques Sempé.
Mais en recevant ce cadeau annuel, si j’ai eu une certaine crainte d’être blasé, ce léger doute a rendu encore plus vif mon plaisir.
Il n’y a rien de meilleur !
J'aurais pu me laisser influencer par ceux qui le trouvaient un peu désuet mais outre que des silhouettes de jeunes femmes «  de la diversité » apparaissent, comme la barbe de quelque hipster, voire un psychanalyste avec des piercings, ces mémères se disant un peu « chipotées » devant des toiles immenses aux vagins monstrueux sont intemporelles, universelles. 
Nous sommes aussi un de ces propriétaires qui voient un noir voilier en détresse juste devant leur paisible terrasse, ou ce promeneur confiant à son collègue : 
«  J’avais trouvé, moi, un modèle de société vraiment idéale, mais j’ai abandonné l’idée : il n’y avait pas de place pour moi. » 
Depuis la préhistoire avec le père qui reproche un zéro en histoire à son fils alors qu’ « elle vient de commencer ! » jusqu’aux voisins d’un lotissement où tous les angles sont droits et propres s’extasiant devant une vieille brouette déglinguée, nous révisons toutes les époques avec de surcroit un groupe de comédiens en habits XVIII° sur une île déserte qui rassurent leurs sauveteurs : 
« Nous donnions une représentation quand le paquebot à échoué. » 
La tentation  est grande de tout raconter mais autour d’une table immense, dans une église solennelle, au bord d’une piscine, à un passage pour piétons, dans un entrepôt ou un bureau, une galerie, une bibliothèque, ou perdu dans un paysage grandiose, le nonagénaire réinvente le monde et nous console d’être si petits et si forts, si drôles
.……
Mon voisin Hubert réalise des mandalas en plastique, il recycle les « bouchons d’amour » après avoir commencé ses patientes et éphémères constructions avec du sable.  Il œuvre sans relâche pour l’association : Bouchons Solidarité Environnement.