vendredi 31 janvier 2020

« Qui n’en veut ? »

L’expression « Qui n’en veut » est désuète comme les sketchs des Deschiens qui imposèrent un label qui toujours m’embarrassa tant je reconnaissais dans leur miroir impitoyable, un milieu familier.
Mais aujourd’hui qui a la "grinta", de l'appétit, qui n’en veut ?
Alors que la dépression travaille la société française, l’énergie de ceux qui construisent et investissent était jusque là plutôt chinoise et la vigueur spirituelle tournée vers La Mecque, alors que chez nous la détermination en politique, de préférence négative, verserait vers la haine faute de construire des perspectives crédibles à partager par une majorité. C’est que les Incompris arthritiques, soumis à l’air du temps, courent en tous sens, après tout ce qui bouge pour que rien ne bouge.
Dans un espace public asséché par les écrans, la couleur jaune des maillots de l’an dernier a tourné à la veste lors du tour d’Europe devant les électeurs. De braséros en torches dans la nuit, l’émotion a mangé la raison.
Le pli a été pris pour une radicalité des comportements revendicatifs. Blocages, cadenas, piquets sont rédhibitoires en signant des difficultés à convaincre quand bluff, mensonges et courte vue compromettent la crédibilité des argumentaires.
Je ne déroge pas à la règle commune en vilipendant  Facebook tout en y étant constamment collé, regrettant que les réseaux sociaux, où la tricherie et les faux semblants deviennent viraux, acceptent si peu la contradiction.
Pris dans l’engrenage, je participe à l’agressivité générale, mais difficile de se taire quand la France est traitée de dictature. Tant de mauvaise foi me radicalise dans mes postures légitimistes.  Il n’y a pas de raison que la polarisation des débats n’électrise qu’un côté de la borne !
Pour prolonger un article précédent
http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/01/verites.html
la formule «  la vérité existe en dehors de nous même » me semble féconde puisqu’elle incite à aller voir ailleurs, chez l’autre.
Mais au jeu des citations, les  phrases qui claquent ne manquent pas et si «  seul on va plus vite, à plusieurs on va plus loin » valable pour un spectacle de danse, la question de la destination reste entière.
Par un effet de balancier lui aussi très banal, je suis désormais d’avantage porté à admirer des individus que transporté par les effusions collectives. J’eus le goût jadis de travailler avec des gens différents, je fuis désormais les assemblées unanimes et me désole solo derrière mon écran des copiés/collés qui abondent en des lieux où on pourrait attendre des opinions originales.
« Il y a beaucoup de vertu à vaincre sa volonté et à se soumettre à celle des autres » 
Le proverbe est chinois.

jeudi 30 janvier 2020

Du noir et blanc à la couleur. Voyage dans les Etats-Unis de 1950 à 1980. Hélène Orain.

Si les années 50 ont constitué une rupture en matière de photographie, la conférencière devant les amis du musée de Grenoble devait rappeler quelques personnalités qui avaient marqué les décennies précédentes colorisées de nostalgie.
Tel, Paul Strand, en 1916, un pionnier. « Blind woman ».
Déjà Alfred Stieglitz, « Old and New »  à New York, avait impulsé la modernité et fait reconnaître la photographie en tant qu’art.
« Le photographe est l’être contemporain par excellence, à travers son regard, le maintenant devient du passé. » Berenice Abbott « Nightview »
Walker Evans, célèbre pour ses portraits : « Floyd Burroughs », sonde les profondeurs d’une nation, ses routes, son architecture, il est exposé en 1933 avec Edward Hopper.
Mais c’est peut être à partir de Cartier Bresson, le plus imité, et son fameux « moment décisif », que se situeront de nombreux novateurs. « Simiane-La-Rotonde »
En 1955, Edward Steichen donne une impulsion nouvelle aux façons d’exposer avec une scénographie originale avec «  The family of man » (500 photos, 273 photographes, neuf millions de visiteurs). Son contenu optimiste présente  tout ce qu’un monde pacifié possède en commun : une maman, un travail. « La vie, l'amour, la mort ».
Loin de ces cimaises, William Klein  qui vivait à Paris, revient chez lui : «New York avait des comptes à me rendre. La ville m'avait toujours paru moche et inconfortable. Mes souvenirs étaient gris. »
Il réalise un journal photographique où il saisit le bouillonnement de tous les quartiers. « New York », d’abord publié en France, comme dans l’imagerie du fait divers, a du grain, du flou, des cadrages inédits. Le grand bonhomme provoque ses sujets.
«  Gun »
« Gun, gun, gun »
Alors que le photo journalisme est à son apogée, le suisse Robert Frank choisit de partir avec sa famille à travers les Etats-Unis grâce à une bourse Guggenheim. Il n’apprécie pas que ses cadrages lui échappent, comme le choix des clichés, voire les légendes. Jack Kerouac préface son livre « Les Américains » dont il retient 87 photos sur 23 000 prises : « Vous regardez ces photos, et à la fin vous ne savez plus du tout quel est le plus triste des deux, un jukebox ou un cercueil ».
En 1967, au MOMA, John Szarkowski présente «  New Documents » avec Diane Arbus, aux images sans concession dont « Les jumelles identiques » inspireront les personnages de Shining.
Sa photographie d'un « Enfant avec une grenade en plastique dans Central Park » a pesé sur la jeunesse de ce garçon qui finalement a reconnu la violence qui le tenaillait alors. Plus tard, il a appelé sa société « Grenade Boy Productions ».
Gary Winogrand disparu prématurément laissant 250 00 photos inédites, « le péquenot de la photographie » comme l’appelait un confrère, est un des maîtres de la photographie de rue. Avec humour et énergie, il rend compte d’une nation prise entre angoisse et optimisme.
« El Morocco »
« Central park Zoo »
Lee Friedlander joue sur les reflets, multiplie les autoportraits où on ne le voit pas, bien avant les « selfies ». « Self Portrait »
Vivian Maier, amateur ignorée n’avait pas vu les photos qu’elle prenait dans ses moments libres ou lorsqu'elle  promenait les enfants qui lui étaient confiés. Avec une ironie teintée de poésie, elle est attentive à ceux qui comme elle, « la nounou » n’apparaissaient pas aux yeux de  certains de leurs contemporains. « Enfant qui pleure ». Elle est exposée actuellement au musée de l’Ancien Evêché.
Alors que le titre de la conférence annonçait la couleur, la rareté des Kodachrome a mis en évidence leur beauté. Discrètement avec  « Snow », de Saul Leiter, peintre à ses débuts ou d’une façon affirmée par Meyerowitz pour qui « la photographie de rue c’est du jazz ». Il a été le seul accepté à Ground zero, il y est resté 9 mois.

mercredi 29 janvier 2020

Lacs italiens 2019. #7 B. Révisions Milan.

Le tram n°2 bringuebalant nous mène au Dôme.  
Nous avons plaisir à le revoir sous le soleil agréable réapparu, à repasser sous la haute galerie Vittore Emmanuele bondée et toujours aussi impressionnante.
Devant la Scala fermée, un jardin potager bobo expose des salades vertes, de la vigne et autres plantes sans aucune mauvaise herbe, contenus dans des carrés esthétiques délimités par des branches tressées.
Dans ce quartier chic, Le museo Bagatti Valsecchi rue Gesu est un palais appartenant à deux frères  collectionneurs et richissimes férus d’art du XIV°. Leur demeure n’est constituée que de boiseries, tapisseries et objets de la Renaissance italienne, pillages de monuments anciens. 
Peu de lumière transperce les fenêtres en cul de bouteille occultées en plus par des rideaux assez opaques et le mobilier de bois sombre très sculpté ne ressort guère sur les murs rouge sombre.
 
 
Il y a beaucoup d’objets en ivoire. La muséographie est parfois intéressante notamment cette petite pièce aménagée où l’on peut consulter des photos sur des rails, ou ouvrir les tiroirs renfermant quelques objets familiaux comme une robe de baptême. Nous traversons les différentes salles, chambres à coucher, salle de bain, lit sicilien en fer…Armures  arbalètes  lances et écus envahissent un couloir.
- Deux pièces du palais accueillent une exposition temporaire  « Di galli e glline upupe, civette e altri animali », œuvres modernes de Toni Zuccheri. Les oiseaux sont conçus à partir de matériaux divers, verre, métal. Le gardien attire volontiers notre attention sur certains détails.
En sortant, en face du musée, un hôtel cinq étoiles et de grosse voitures noires  attirent les curieux ; un trio sur le trottoir opposé fait son show : un italien accompagné par une belle fille qui le dépasse en taille mais pas en âge et une sorte d’Iggy pop s’affairent avant de monter dans l’un des taxis… pour faire seulement quelques mètres jusqu’à une réception à la maison Versace ! 
Là, de coûteuses voitures s’arrêtent devant la porte au milieu de la rue pour déposer des VIP reçues par un personnel stylé.
 
Quelques femmes ont du mal à accepter leur âge dans le choix de leur vestiaire même si certaines restent bien conservées mais la mini-jupe, si elle met  encore en valeur le galbe, dévoile aussi les flétrissures de leurs jambes. Dans le quartier, hommes et femmes exhibent aussi des tenues étranges  et provocantes, tel ce garçon qui se promène en pantoufle de fourrure, avec des fringues improbables. Il est vrai que c’est la semaine de la mode à Milan !
Nous tentons de gagner la gare centrale en tram n°11 en bois et c’est grâce au GPS que nous ne loupons pas l’arrêt.
Il reste 500 m à marcher avant de découvrir la colossale façade de la gare inaugurée en 1931. Le monument  mussolinien est d’une vastitude impressionnante, c’est une fourmilière bourdonnante d’une activité incessante.
Nous devons attendre une petite demi-heure avant de connaître le numéro du quai et passer le contrôle de sécurité. Le composteur cette fois-ci se situe juste avant de monter dans le train bien rempli pour Bergame. Nous arrivons à destination au bout d’une heure de route à la nuit tombante.


mardi 28 janvier 2020

Un homme est mort. Kris. Davodeau.

Cet homme s’appelait Edouard Mazé, tombé sous une balle de la police lors d’une manifestation des ouvriers employés à la reconstruction de la ville de Brest le 16 avril 1950.
La BD qui occupe 62 pages retrace cet épisode à travers le tournage d’un film aujourd’hui disparu de René Vautier commandé par la CGT pour témoigner de la lutte de ces ouvriers et célébrer leur unité lors de 89 projections sur les chantiers, cette dernière étant fatale à la pellicule qui avait beaucoup servi dans des situations où l’inventivité était de mise.
Des conditions très artisanales ayant empêché toute prise de son en direct, le poème d’Eluard écrit pour la mort de Gabriel Péri accompagnait les images:
 « Un homme est mort qui n’avait pour défense
 Que ses bras ouverts à la vie
 Un homme est mort qui n’avait d’autre route
 Que celle où l’on hait les fusils
 Un homme est mort qui continue la lutte
 Contre la mort contre l’oubli »
Un dossier de 16 pages vient compléter et nuancer un récit des riches heures de la classe ouvrière tout en conservant le ton de ce temps. Il fait ressortir des enjeux très contemporains concernant la popularisation des luttes alors à ses balbutiements, voire soulignant récemment l’obscénité d’une irresponsable qui sur des plateaux de télévision souhaitait l’usage de balles réelles contre des voyous qui avaient attiré des policiers dans un guet-apens.
Avec la valeur sûre Davodeau aux dessins, le scénario de Kris, petit-fils d’un militant communiste, est  habile et bien charpenté.
Il est bon de se rappeler de René Vautier encore vivant en 2006 au moment de cet hommage. L’auteur d’« Avoir vingt ans dans les Aurès »,  était resté en marge du milieu du cinéma pour se consacrer à la diffusion militante. J’ai encore le souvenir d’une chanson qui accompagnait son film « Quand tu disais Valéry » « …que ça changerait, Valéry, nous on savait, Valéry, qu’c’était pas vrai ».

lundi 27 janvier 2020

Play. Anthony Marciano.

Puisque le mot « générationnel » est prononcé dans chaque critique de ce film, celui d’une génération antérieure à qui on dit « Ok boomer » version : « je vous ai (trop) entendu…mais j’en ai rien à battre », ne peut dans son avis que se retrouver enfermé dans son âge.
Pourtant j’ai gardé une âme crédule qui me fait oublier les acteurs  Alain Chabat, Noémie Lvovsky, Max Boublil, pour croire que l’un fut un père insuffisant, elle une mère protectrice d’un adulescent éternellement caché derrière une caméra intrusive et omniprésente.
Toujours donneur de leçons, aggravant mon cas d’années accumulés après une carrière d’instit, je trouve cette génération, là montrée, bien superficielle, cruelle, bonne en blagues, mais nulle en politique et en sentiments.
Oui la coupe du monde 98, nous en fûmes aussi, mais un rapport aux enfants aussi désinvolte ce n’est pas possible ! La scène d’anniversaire de la petite avec les papas bourrés est insupportable comme la séquence de la barque du premier baiser qui se résout enfin plus tard.
J’étais curieux d’un autre regard, j’ai trouvé le film bien troussé : il fait réagir et sourire.
Mais je suis plus ému par les films chinois, que par ces ironiques répliques et ces personnages pathétiques.
 http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/01/sejour-dans-les-monts-fuchun-gu-xiaogang.html 
"Play" c'est "cool" mais une fois le temps écoulé on ne sait même plus s'il vous a plu.

dimanche 26 janvier 2020

Nous, l’Europe, banquet des peuples. Laurent Gaudé. Roland Auzet.

A partir d’une intention louable consistant à redonner de l’élan à l’ambition européenne, l’ample mise en scène et les textes lyriques, mais pas trop, tombent parfois dans ce que nous avons appris à décrypter : le populisme.
Ainsi d’emblée, attaquer par la trahison de la volonté populaire au référendum de 2005 donne le ton aux harangues véhémentes à venir où il s’agira de cracher sur tant de méchants plutôt que de louer les bâtisseurs : ça ressemble à du François Ruffin quand sous le maquillage du clown se dessine le rictus de la haine.
Pourtant bien des aspects de l’histoire du continent vivement évoqués, parfois seulement gribouillés, sont mis en perspective par d’énergiques acteurs: le printemps des peuples de 1848 qui aurait commencé à Palerme, le Congo, propriété privée du roi des Belges, le charbon de la révolution industrielle, la boue de 14-18, les cendres des camps de concentration, Jan Palach, Charlie … Tant de choses à dire en polonais, italien, allemand, portugais… à chanter avec la proposition d’un nouvel hymne pour conclure le spectacle de plus de deux heures :      
« Hey Jude, don't make it bad,
Hey Jude, ne gache pas tout,
Take sad song and make it better.
Prend une chanson triste et rend la meilleure.
Remember to let her into your heart,
Souviens toi qu'il faut la mettre dans ton coeur,
Then you can start to make it better.
Après seulement les choses iront mieux. »
Ils ont eu le bon goût d’éviter la facilité qu’il y aurait eu de faire reprendre « Bella ciao » par le public alors qu’il y avait un chœur sur scène, mais en version punk difficile de chanter ensemble. Les préoccupations actuelles concernant les réfugiés traversent à quatre reprises le récit historique commun nécessaire pour préciser une identité européenne si incertaine.Lorsqu'on lit, on va à son rythme, la réflexion peut avoir sa place. Ici on est enseveli sous un maelstrom de mots et d'images.
J’ai pu apprécier pourtant que l’anonymat des fondateurs de la communauté européenne soit plutôt décrit comme une condition de la pacification des nations après leurs folies renouvelées.
La  grise technocratie en est légitimée après la folie des foules abusées et se déchirant entre elles. Cela apporte quelques nuances à de péremptoires envolées où pas une fois le mot €uro n’est prononcé, il aurait pu rimer avec Hugo qui lui est cité :
« Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. »

samedi 25 janvier 2020

Dieu et nous seuls pouvons. Michel Folco.

« - Comment tu ne connais pas ? » s’étonnait une de mes amies des plus lectrices en me prêtant  son édition de France Loisir.
« - Hé non ! » Honte sur moi, mais plaisir d’une découverte palpitante.
L’histoire de huit générations de bourreaux s’étend de 1683 à 1914 dans l’Aveyron.
« La prison n’était pas un châtiment en soi mais un simple lieu de détention provisoire où les prévenus attendaient leur procès, puis l’exécution de la sentence. »
Ces « exécuteurs des hautes œuvres » ont exercé un métier que personne ne voulait faire, mais qui attirait les foules autour des estrades. L’opprobre et les privilèges ont accompagné la famille des Pibrac de Bellerocaille.
« Menez à la ville un chien de ferme, le premier qu’il mordra sera un paysan. »
Il est question de mort et de vie, de justice. Nous sommes renseignés, histoire et littérature, surtout sur les enjeux politiques et sociaux avec le premier de la dynastie au nez de bois, enfant trouvé, et avec le petit dernier pour lequel une solide transmission avait été entreprise, alors qu’Adolphe Crémieux avait réformé la peine capitale et supprimé les exécuteurs provinciaux en 1870.
Sur 315 pages nous sommes emportés d’abord dans un XVII° siècle remarquablement rendu avec force expressions archaïques, humour noir, personnages pittoresques et fil narratif qui ne vous lâche pas, jusqu’à la veille de la grande guerre.
Au dernier chapitre l’ancêtre doit résoudre un mot croisé :
« On peut le mettre en boîte sans le vexer ».
La solution est le dernier mot du livre : « cadavre »
La maison de famille, l’oustal, à l’orée du village est devenu un musée et d’autres bourels ont contribué à l’exposition d’une multitude de moyens de torture ou de mort :
« Malgré la distance et l’encombrement de l’objet, le garrotteur de Madrid avait apporté un magnifique banc d’étirement en noyer du XVI° siècle en parfait état de marche et portant de nombreuses traces d’usage. L’ancien exécuteur du Périgord offrit une douzaine de poires d’angoisse en argent du XII° siècle finement ciselées ainsi qu’un rarissime arrache-seins à quatre pointes utilisé jadis sur les sorcières et les filles-mères coupables d’avortement. »