samedi 14 décembre 2019

La vengeance des mères. Jim Fergus.

Parce qu’elles ont perdu leurs enfants massacrés par l’armée américaine, des femmes blanches mariés à des indiens qui avaient été échangées contre des chevaux, vont se venger.
Alors qu’elles étaient des parias, elles gagnent leur émancipation. Extirpées des prisons ou de conditions misérables, indomptées, elles se sont intégrées à la société cheyenne dont elles décrivent la vie rustique, mais riche, et combattent du côté des damnés exclus de leurs terres, trompés par l’état américain.  
«  Vous réchauffez le climat au point que d’autres espèces disparaissent, des sociétés humaines s’effondrent, des millions de gens doivent quitter leur foyer sans savoir où aller »
est-il dit dans un retour au XXI°. 
Alors c’est qui le « sauvage » ?  Même si tout n’est pas pareillement convenu dans ces 385 pages, il vaut mieux recouvrir son pâle visage de quelques couleurs pour traverser les plaines et cette part d’histoire du nouveau continent à la fin du XIX°siècle.
Le récit fait alterner moments de fureur et de douceur, même si le procédé consistant à croiser les journaux de quelques protagonistes m’ait semblé quelque peu artificiel :
« Tout ce qu’il y avait avant, ce que nous étions, ce qui était, tout ce qui n’a pu devenir, et nous avec lui, tout cela disparaît, effacé comme un coup de craie sur un tableau noir.»
L’univers de l’école est si loin de celui des tipis.
Un des apports venant d’Europe avec elles, sera le french-cancan qui apparaît comme un marqueur d’affranchissement.
Concernant la thématique « Indiens » d’autres auteurs sont bien plus forts :
Note de l'auteur copiée sur le site de Babélio à propos de la photo de couverture:
« La photographie reproduite sur la couverture de ce roman a été prise par L. A. Huffman à Fort Keogh, dans le territoire du Montana, en 1878. La jeune femme, dénommée Pretty Nose, était une chef de guerre amérindienne qui, à la fin du mois de juin 1876, s'est battue contre la 7e de cavalerie du général George Armstrong Custer à la bataille de la Little Bighorn, à l'âge de vingt-cinq ans. Apparentée à tort, selon diverses sources, à la tribu des Cheyennes du Nord, elle étaie en réalité arapaho. Les Arapahos étaient des alliés des Cheyennes, et les deux tribus unies par d'étroits liens de parenté. Pretty Nose avait également du sang français par son père, un marchand de fourrures canadien-français. Malgré les interdictions successives, prononcées par les autorités religieuses et gouvernementales, concernant les mariages entre différentes ethnies, religions et cultures, ceux-ci étaient déjà nombreux dans les Grandes Plaines pendant la première moitié du XIXe siècle, comme dans toute l'histoire de l'humanité.
Pretty Nose a vécu par la suite dans la réserve arapaho de Wind River, dans le Wyoming, jusqu'à l'âge d'au moins cent deux ans. »

vendredi 13 décembre 2019

Notre ADN culturel. Régis Debray.

Il a beau se répéter : « l’€uro est un billet de Monopoly » dans des articles rassemblés par le « 1 », je l‘apprécie toujours autant et sourit quand il joue au modeste dans l’avant propos.
Je ne suis pourtant pas d’accord du tout avec sa comparaison entre son retour de Bolivie avec celui des djihadistes revenant de Syrie.
Surtout quand après les attentats contre Charlie il disait :
« Le choc des civilisations n’a aucune raison de nous effrayer : c’est très salutaire, parfois salvateur. »
Même si ces souhaits d’il y a 5 ans ont abouti à l’inverse :
« C’est le moment de relever la tête et d’assumer notre ADN culturel.
« Je ne dis pas colère, je ne dis pas compassion, je dis fierté collective. »
Il m’a appris des mots : il n’aime pas les « bonaces » : « état d'une mer très tranquille »,
et les mulâtresses à la belle « ensellure » « cambrure au niveau des reins » avaient compté dans ses engagements de jeunesse.
Ses observations intitulées « la cartographie des courants souterrains » que dévoile le peintre Fromanger sont fines. Sa fresque « De toutes les couleurs » illustre cet article plutôt que le dessin de Trapier dont le style vieillot me déplait en couverture de ces 80 pages.
Son discours courtois, après avoir reçu le prix Montaigne autour de l’apport des lettres et de la philosophie en politique, est délectable.
« Le XX° siècle ayant poussé le romantisme du XIX° jusqu’au fanatisme et la passion jusqu’au carnage, voilà que les sobres vertus, les retenues du Siècle des Lumières, reprennent une appétissante actualité. »
Je l’ai beaucoup cité, il cite beaucoup :
« Un homme qui a lu et retenu est plus capable de grandes entreprises qu’un autre. » Montaigne
« Du temps où les nations se haïssaient, l’Europe avait plus de réalité qu’aujourd’hui. »
De Gaulle
Le sens du tragique adouci d’humour a de la gueule quand le style l’habille.

jeudi 12 décembre 2019

La douleur des corps : une esthétique de la cruauté ? Christian Loubet.

Le conférencier, historien des mentalités, devant les amis du musée de Grenoble commence par citer « Sade » : «  La cruauté loin d’être un vice est le premier sentiment qu’imprime la nature »
Pour l’illustrer le surréaliste Clovis Trouille dont le mouvement avait promu le Marquis était plutôt ludique alors qu’avant Nietzche, celui qui fut enfermé pendant 30 ans avait proclamé la mort de Dieu. Après la révolution française passée des Lumières à la Terreur, la croyance en l’homme «  à l’image de Dieu » ne s’impose plus. Delacroix qui avait perdu père, mère et frère parlait « d’un fond noir à contenter » et « le soleil noir » de Nerval, s’ajoutait au « noyau infracassable de nuit » de Breton. Dans les écrits et la peinture la violence donnée ou subie ne connaît plus de limites.
Sur le thème des plaisirs nés de la violence, je n’irai pas puiser dans l’iconographie infinie de la souffrance rédemptrice du Christ, mais plutôt du côté d’œuvres plus rares.
Romantique, J.H.Füssli : « Brünhilde se venge de Gunther ».
Goya était inévitable: « Les désastres de la guerre » s’inscrivant dans un florilège de la cruauté, sont repris 170 ans plus tard par les frères  Chapman.
Les têtes coupées n’ont pas manqué dans l’histoire de l’art, mais « Salomé » donnant un baiser à Jean Baptiste dont elle a réclamé la tête par Lévy-Dhumer est scandaleuse.
La femme fatale inquiète : « Vampire » de Munch.
L’ambivalence est poussée chez Balthus« La victime » au corps abimé est fantasmée.
Dans des formes exacerbées du don de soi, « Sainte Lucie » de Francesco del Cossa, offre ses yeux, impavide, sublime au bout de la souffrance.
Les combattantes les plus héroïques peuvent être vulnérables, mais l’ « Amazone blessée » de Franz Von Stuck est puissante.
« Sainte Agathe » avant de se faire arracher les seins est la plus sereine de tout le groupe ainsi que Sebastiano del Piombo l’a représentée
et celle de Zurbaran est également étonnante.
« Saint Sébastien soigné par Irène » par Trophime Bigot  a été courageux.
Toute ressemblance avec un autre crucifié  pour « Le  Grand martyr » de Lovis Corinth  ne serait pas fortuite.
Le corps devient un matériau pour jeu de massacre : Hans Bellmer ficelle sa femme « Unica Zürn ».
Niki de Saint Phalle représente son père incestueux : « La Mort du patriarche »
L’actioniste viennois, Hermann Nitsch, est sanglant en abondance,
alors que Gina Pane se scarifie, mettant en scène ses mutilations : c’est du « body art ».
La notion de résilience est apparue récemment et l’art a pu aider les thérapies. Freud avait opposé l’instinct de mort à l’instinct de vie tandis que Leopold von Sacher-Masoch était décliné en nom commun.
Au cinéma dans « L’empire des sens » la castration est le terme de l’orgasme ultime et « Salò ou les 120 Journées de Sodome » de Pasolini a paru insoutenable à beaucoup.
Jean Benoît dans sa performance de 1959 présentant « L’exécution du testament du marquis de Sade» revient sur l’alliance du désir et de la mort, quand «  la fascination du sadisme révèle l’aigle noir du fascisme ».
« Que Sade n’ait pas été personnellement un terroriste, que son œuvre ait une valeur humaine profonde, n’empêcheront pas tous ceux qui ont donné une adhésion plus ou moins grande aux thèses du marquis de devoir envisager, sans hypocrisie, la réalité des camps d’extermination avec leurs horreurs non plus enfermées dans la tête d’un homme, mais pratiquées par des milliers de fanatiques. Les charniers complètent les philosophies, si désagréable que cela puisse être » Raymond Queneau.
David Olère, rescapé d’Auschwitz : « Nos cheveux, nos dents et nos cendres »

mercredi 11 décembre 2019

Lacs italiens 2019. # 3. D’un château l’autre

Une nuit satisfaisante n’empêche pas quelques péripéties pendant nos préparatifs :
- le grille-pain fait disjoncter l’électricité mais Marzio, contacté par téléphone se montre tout à fait réactif et arrive à 8h du matin en moto pour tout réinstaller à la cave
- la cafetière chute et répand le café dans toute la cuisine
- nous nous trompons de trousseau de clés pour sortir la voiture du garage.
Bref, vers 9h nous quittons notre appartement aux installations historiques pour parcourir une petite distance jusqu’à Cavernago, intéressante pour son castello Colleoni.  
En effet, il ne ressemble à rien de connu : murs en galets et briques, tours et créneaux du Moyen Age, aspect fortifié.
 Quelques ornements notamment à l’entrée tranchent par la blancheur de la pierre. 
Dans les douves asséchées courent des pintades criardes. Malheureusement  le château ne se visite pas, il semble appartenir à un particulier joignable par une sonnette et disposant d’une boite à lettres. Avec un peu de recul, on aperçoit quelques fresques extérieures  derrière l’enceinte dans les tons brique. Des dépendances ont été aménagées en habitations pour une population plus modeste. Derrière un portail clos s’étend le parc arboré du château  et un petit ruisseau chantant près duquel une oie farfouille dans ses plumes.
Le sieur Colleoni, général vénitien du XIV° siècle, possédait à quelques kms un autre château à Malpaga, lui aussi non visitable mais dont on aperçoit les caractéristiques extérieures  d’un château fort  à pont levis  malgré des transformations, des remparts et la présence d’une loggia à arcades  annonçant le tournant vers des bâtiments moins défensifs et plus agréables. Le lieu sert aujourd’hui à des festivals sur des « fiabe » (contes de fées) donnés en costumes, se loue pour des fêtes ou des mariages. Malpaga semble désert  avec son église au pavement récent, ses entrepôts, sa mairie et son gîte pour  « nobles voyageurs ». Seuls quelques papis discutent sur un banc à l’entrée du parking, Les mises en garde contre les voleurs collées sur les arbres paraissent pour l’heure incongrues.
Le circuit nous entraine ensuite vers Caravaggio, ville natale du célèbre peintre, à travers des paysages toujours aussi plats, où poussent maïs et riz. 
Nous nous garons Via Carlo un peu à l’extérieur du centre plutôt piétonnier, dans un emplacement blanc certifié approprié par une  riveraine.
Rapide visite  d’une chapelle dédiée à Sainte Elisabeth puis visite plus sérieuse de la chiesa dei Santi fermo e rustico : nous  allumons un cierge électrique, hommage à M. face à la chapelle  de Saint Antoine. 
L’église à l’intérieur ne peut rivaliser avec Santa Maria Maggiore  de Bergame, même si un sacristain attire notre attention sur l’une des chapelles latérales nous l’éclairant pour qu’on puisse voir les fresques, avant de nous pousser vers la porte pour fermer.
C’est lundi et la ville semble vidée de ses habitants : beaucoup de magasins fermés, peu de restaurants en vue ou ouverts.
 Renseignements pris après quelques errances, nous hésitons à rentrer dans le ristorante "Tre re" indiqué près de la gare sur le chemin du sanctuaire (viale papa Giovanni XXIII, 19) dont l’apparence nous parait bien chic. Excellente surprise ! Les repas sont servis dehors dans un joli cadre pour 11 € : « verdure » à volonté au buffet, premier plat (pâtes à l’arrabiata ou pesto, ou soupe) second plat (osso bucco ou côtelette vitel tono ou escalope milanaise) café vin blanc et rouge + service et couverts compris ! Imbattable et bon ! D’ailleurs l’albergo est fréquentée, le service efficace.





mardi 10 décembre 2019

La troisième population. Aurélien Ducoudray Jeff Pourquié.

Voilà à nouveau réunis pour un reportage dans un établissement psychiatrique, 
le dessinateur aux traits variés
et le scénariste qui sait donner vie aux reportages dans des milieux n’appelant à priori ni le rebond inattendu, ni le fantastique, ni la fresque épique.
Quoique chez les fous, où ils vont s’investir en proposant un atelier de BD, il peut y avoir des surprises qu’ils ne cachent pas.
Ils entrent dans la « troisième population », celle des intervenants extérieurs qui viennent apporter quelque chose à la première population, les patients, et à la deuxième, les moniteurs et les médecins.
Nous suivons les deux compères plein d’humilité, dans la clinique en milieu ouvert de la Chesnaie, et découvrons avec eux une démarche thérapeutique où le personnel polyvalent déploie une belle énergie. Rien d’idyllique, les souffrances sont là, mais un peu plus de liberté, de responsabilité, de compréhension font du bien à tout le monde. Dans ce lieu où « l’on fume beaucoup, on grille, on bédave, on clope, on tafe… on crapahute, on traine des pieds, on flâne, on trépigne, on marche aussi » chaque geste appelle à retrouver du sens : gérer de l’argent, croiser les avis, respecter les autres, relativiser.
Respectant la confidentialité, ces 112 pages sont réalistes avec un humour qui évite de se complaire dans une poésie qui éloignerait du réel et par petites touches permet de mieux comprendre un fonctionnement qui mériterait d’être dupliqué en d’autres lieux.     

lundi 9 décembre 2019

Gloria Mundi. Robert Guédigian.

Quand on demande aux parents de la petite Gloria d'où sort ce prénom, la maman répond «  D' un film à la télé » : c’est dire leur légèreté et quelque défaut de transmission.
Mais pourquoi Guédigian a choisi ce titre : "Sic transit gloria mundi" (Ainsi passe la gloire du monde) ? Il me parait démesuré pour ce film lourd sans les dilemmes pourtant jamais très approfondis de ses productions précédentes https://blog-de-guy.blogspot.com/2017/12/la-villa-guedigian.html .
Les jeunes qui vapotent et tournent à la coke sont globalement méchants méchants et les vieux gentils gentils alors que les thèmes de l’ubérisation, de la perte des solidarités, du délitement urbain à Marseille, des familles qui ont perdu tout sens commun, la société consumériste, sont abordés mais un scénario à l’issue calamiteuse.
Pourtant le générique est beau avec une naissance dans une belle lumière, mais la petite va beaucoup pleurer par la suite. Meylan sort de prison, il écrit des haïkus : « J’avais beau arracher les aiguilles de ma montre, le temps ne s’arrêtait pas ». Le film dure une heure quarante sept. C’est qu’il faut caser : «  premier de cordée », Cash convectors, les soldats de « vigie pirate », une patronne abusive en boutique, la prostitution, les sextape, le travail clandestin, les violences diverses, le téléphone au volant avec mise à pied, la femme voilée,  la femme de ménage, le certificat médical, les seins refaits, les assurances, le travail de nuit, les cadences infernales et un panier repas …
Un des deux grands-pères explique au bébé dans sa poussette : «  Tu iras longtemps à l’école et puis tu seras au chômage » : rires dans la salle.
Ah si ! Ascaride qui ne veut pas faire grève, ça c’est original, c’est sûrement ce qui lui a valu un prix d’interprétation à Venise, bien que sa confession express d’un passé où elle avait fait des passes ne passe pas bien.

dimanche 8 décembre 2019

Voyage en Italie. Montaigne. Michel Didyn.

Difficile d’échapper pour cette représentation à la qualification de « scolaire », qui ne peut pourtant être péjorative de ma part. Ce n’est pas à tous coups que les jeunes présents à la MC 2 rencontrent matière au programme pédagogiquement amenée.
Cette heure et demie tient plus du récit, du racontage, que du théâtre.
Le sympathique philosophe est vivement campé mais n’affronte aucune contradiction, ce qui nuit à la dialectique et à une dynamique scénique.
« Je sais bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche. »
Le voyage avec son secrétaire et son palefrenier passant par la Lorraine avant l’Italie est matérialisé par des pierres disposées autour d’un feu autour duquel tournent une poule et un cheval plus distrayants que poétiques.
La séquence où le cheval se soumet à la bride, peut-elle appeler une réflexion sur la sagesse qui viendrait de la maîtrise de soi ? Alors que son maître avoue ne pas combattre quelques habitudes dont il ne veut se défaire à son âge, quarante-sept ans.
Ils parlent comme des livres et nous retrouvons des formules familières dans une langue savoureuse qui demande cependant un petit temps d’adaptation:
« Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »
« Rien de ce qui est humain ne m’est étranger.»
Je regrette souvent une hystérisation des débats sur les plateaux des salles de spectacle, mais après avoir appris que cette année 1580 se situait en pleine guerre de religions, je trouve que le parti pris touristique se nourrissant d’anecdotes, passe à côté de l’objectif fixé au moment des attentats contre Charlie.