jeudi 20 juin 2019

Le street art. Gilbert Croué.

"Les zèbres dans la ville" de Faith 47 (native de Johannesburg) annonçaient  la conférence  concernant l’actualité du « street art » catégorie majeure des arts plastiques, vus dans le catalogue destiné aux amis du musée de Grenoble.
De tous les styles, de toutes provenances, les jeunes artistes proposent à tous leurs productions parfois tellement spectaculaires que l’on ne doute pas qu’ils auraient su comment décorer La Sixtine.
Des villes ont été transfigurées : Baltimore, difficile à vivre, fait  désormais appel à des voyagistes pour des circuits consacrés à l’art des rues, « graffiti alley », comme à Philadelphie où 3000 murs ont été décorés. Il convient de ne pas confondre des appropriations intempestives et des créations vives, surprenantes, dialoguant avec l’espace urbain. http://blog-de-guy.blogspot.com/2017/01/biodegradables.html
Au pochoir:
Banksy, le plus célèbre, souvent imité, entretient fort habilement sa notoriété tout en restant anonyme. « L’hirondelle africaine » avait été effacée par une municipalité anglaise, alors qu’ailleurs des plaques de plexiglas protègent désormais ses œuvres.
Les références à l’histoire de l’art  sont fréquentes. «  La jeune fille à la perle »
« Un bon dessin vaut  mieux qu’un long discours ». En prise avec l’immédiateté, exposée à la vue de tous, la critique sociale et politique joue sur son terrain avec efficacité. 
« Les faucheuses » de Goin à Lisbonne. Les Parques FMI, BCE, UE peuvent couper les fils de la vie.
La parisienne Miss Tic, du nom d’une sorcière de Disney, a laissé des traces poétiques, elle aussi, à Grenoble. «  Je croyais à rien mais je n’y crois plus »
Zabou, à Londres, en cela, elle croit : « In art we trust ».
Le canadien Roadsworth a reçu 53 chefs d’inculpation pour ses interventions sur la chaussée ou les trottoirs, «  Nid de poule », mais la mobilisation des riverains a permis l’abandon des poursuites, il a consacré ses heures de TIG à ses jeux sur les routes.
Le style de  C 215, pseudonyme de Christian Guémy est facilement reconnaissable, ses portraits de « Simone Veil »  avaient été recouverts de croix gammées.
Papiers peints collés et retravaillés :
Lilyluciole, une femme encore, illumine les rues de Montréal et Paris, mettant en valeur le métissage.
Nadège Dauvergne, sur des papiers très fins, évoque les préraphaélites, « Pandora ».
Elle joue joliment avec les publicités, « Madame Récamier » d’après David.
Les femmes de YZ sont fatales, bien que les collages soient éphémères, elles demeurent les « Eternelles amazones » au Bénin.
Obey a commencé à peindre des t-shirts et des skateboards, à éditer des stickers, ses affiches pour Obama sont devenues des icônes. « Hope ».
JR est également très connu, «l’artiviste urbain » a collé ses immenses portraits sur le mur en Israël pour rappeler la parenté des hommes ou sur les bidonvilles de Rio, il a fait entrer 4000 visages « Au Panthéon ! »
Peintures directes et nacelles :
Conor Harrington, aujourd’hui mieux côté que Banksy, fait se rencontrer l’abstraction et des figures viriles très XVIII° siècle, les galeries reflètent la rue.  S’il en coûte toujours 3000 € pour une peinture sans autorisation, les festivals se multiplient tel celui de Grottaglie en Italie où  « When We Were Kings » est en majesté.
El Mac  veut redonner de la dignité aux victimes à Ciudad Juárez, une des capitales du crime  au Mexique : « Juarense y Poderosa ». Ses ondes de  gris très modelées sont spectaculaires.   
Les « rats »  du belge Roa inquiètent.
L’Hawaien Hula, sur son paddle, peint la montée des eaux : « Lewa ».
Natalia Rak la polonaise est flashy : « Quand les flèches ne suffisent pas » Moscou.
Réemploi de matériaux divers :
Bordalo II représente des sculptures d’animaux essentiellement en plastique.
Vhils le Portugais révèle ses portraits au burin, au marteau-piqueur et même à l’explosif. « La polynésienne »
Aheneah après Miss Cross Stitch fait du point de croix sur les murs avec 2300 vis et 700 m de fil. La française a réalisé cette œuvre au Portugal.
L’artiste australien  Buff Diss utilise du ruban adhésif et Abraham Clet  français vivant à Florence appose ses stickers sur les panneaux routiers.
Les délicats détournements de Sandrine Estrade Boulet sont éphémères mais Internet les immortalise comme tous ceux de cette liste internationaliste qui peut fournir une porte d’entrée à des recherches épatantes.
 

mercredi 19 juin 2019

Une vie entière. Robert Seethaler.

Dans les montagnes autrichiennes la rude vie d’un homme pendant la première partie du XX° siècle.
«… il avait un toit sur la tête, il dormait dans son lit et, quand il s’asseyait sur son petit tabouret devant sa porte, il pouvait promener son regard sur un paysage si vaste que ses yeux finissaient par se fermer …» 
Un grand livre en 145 pages qui vont à l’essentiel, mais je ne saurais mieux dire que Philippe Chevilley dans le journal « Les Échos »: « Une vie entière semble écrit dans l'encre bleu foncé des torrents. Ce livre simple et juste enchante et nous élève. »
Garçon de ferme, estropié, travaillant à l’installation de téléphériques, prisonnier en Russie ; Andréas Egger surmonte toutes les épreuves. Sa force ne réside pas que dans ses bras, c’est un roc, comme ceux qu’il perce où qu’il extirpe d’une terre ingrate. La vie lui a fait au moins le cadeau d’une compagne, mais pas pour longtemps.
La fresque décrite sobrement est impitoyable sans tomber dans une complaisance qui aimerait le noir, mais notre frère humain est coriace, on dirait aujourd'hui résilient. Son histoire poignante est édifiante même si tant de frugalité est bien loin de nos habitudes. La mort est dans tous les coins, la misère, la violence, la solitude, alors les moments de lumière sont éblouissants.
 « L’aïeule est partie maintenant. Où, on peut pas savoir, mais c’est sûrement bien comme c’est. Là où meurt ce qu’est vieux, y a d’la place pour ce qu’est nouveau. C’est comme ça, ce sera toujours comme ça. Amen ! »   

mardi 18 juin 2019

Moi, assassin. Antonio Altarribea. Keko.

134 pages en rouge et noir, comme sorties du bois dont ont faisait les xylogravures. Quand le meurtre est une forme d’art, le récit a de quoi déranger et l’habile scénariste http://blog-de-guy.blogspot.com/2012/12/lart-de-voler-antonio-altarriba-kim.html peut passer pour un pervers.
Un professeur qui lui ressemble, anime un groupe « Chair souffrante, la représentation du supplice dans la peinture occidentale ». Celui-ci vient de dépasser la trentaine de crimes. Nous sommes rendus complices des derniers, sophistiqués et spectaculaires quand le « body art » devient du « bloody art ». Le regard documenté porté sur les performances de l’art contemporain et le rappel d’une histoire de l’art souvent doloriste en Espagne sont particulièrement adaptés à la bande dessinée. Le texte fouillé dialogue avec une iconographie puissante. Une bande dessinée pas destinée à tout public.
Par contre Rencontre sur la transsaharienne de Verdier et Christin n’aurait pas dû apparaître au rayon adulte de la bibliothèque. Pour avoir apprécié le scénariste qui avait travaillé avec Bilal, j’ai été déçu. En effet la rencontre improbable de trois humanitaires lyonnais avec deux africains qui quittent le Congo et deux émiratis qui viennent chasser dans les sables, est surtout celle de leurs véhicules dessinés comme du temps de Michel Vaillant. Le dessin est aussi banal que le scénario, naïf comme les personnages, ensablé dans son bac, sans chaleur, sans surprise.

lundi 17 juin 2019

Meurs, monstre, Meurs. Alejandro Fadel.

Le genre film d’horreur n’est décidément pas mon genre et si je poste cet avis incomplet c'est que ce  film présenté à Cannes l'an dernier est sorti en salle alors que d'autres bien plus intéressants, à mes yeux, n'ont pas eu cette possibilité. 
Je suis parti au bout d’une demi-heure, écœuré de tant  de sang, de fantastique à prétention théorisante, joué de façon outrée, dans des couleurs boueuses, sous des lumières fuligineuses. 
Le mot « érotisme » apparaissant dans certains commentaires m’a semblé vraiment tout son contraire : le ridicule confine alors à l’abject. Et en tant que mâle, je n’endosse pas non plus le costume du « monstre » qui serait en nous d’après « Le Monde ». Il s’agirait selon d’autres spectatrices ayant vu le film jusqu’à la fin, de l'assemblage d’un sexe féminin géant affublé d’une paire de couilles. Ce méchant poilu accumulant les têtes de femmes coupées n’oserait même pas figurer dans les bréviaires les plus rétrogrades qui honniraient le sexe à ce point. Avec ce type de Savonarolesque morale, les manifestants « contre tous » pourraient passer pour d’intempestifs progressistes.


dimanche 16 juin 2019

Léo Ferré.

77 textes concernant la chanson sur ce blog et aucun en hommage à celui que je tins au plus haut des cieux, noirs, bien entendu, hormis une anecdotique étiquette de chianti
M’essayant à la sagesse, je n’ai pendant des années pas trop cherché du côté des passions enfuies de ma jeunesse. Avec une Olivetti qui coinçait, nous recopions alors les paroles de « La solitude » fiévreusement .
« Le désespoir est une forme supérieure de la critique.
Pour le moment, nous l´appellerons "bonheur",
les mots que vous employez n´étant plus "les mots"
mais une sorte de conduit
à travers lequel les analphabètes se font bonne conscience. »
Nous nous hissions au dessus du panier, péremptoires marmots.
Je récuse aujourd’hui ces déluges verbeux, prétentieux, que je ne peux plus écouter tranquillement, je les avais trop aimés.
Je m’en tiendrais au consensuel, un comble : « Avec le temps »
« Avec le temps va tout s'en va
L'autre qu'on adorait qu'on cherchait sous la pluie
L'autre qu'on devinait au détour d'un regard
Entre les mots entre les lignes et sous le fard
D'un serment maquillé qui s'en va faire sa nuit »
Sublime.
Alors pour refroidir ces braises encore vives, Lavilliers, Léotard feront de bons passeurs." Thank you Satan".
« Pour le péché que tu fais naître
Au sein des plus raides vertus
Et pour l'ennui qui va paraître
Au coin des lits où tu n'es plus »
Lui qui nous amena vers quelques géants : Rimbaud, Aragon.
« Tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j’ai vu battre le cœur à nu
Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille »
En sommes nous revenus de ces fulgurances qui nous emmenèrent si loin ?
Moins considérable que Villon, Apollinaire, Verlaine, son pote Caussimon nous éclaboussait :
« On voyait les chevaux d'la mer
Qui fonçaient, la tête la première
Et qui fracassaient leur crinière
Devant le casino désert... »
Et après ce pauvre Rutebeuf que dire de mieux :
«  Le vent me vient le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta »
Nous nous sommes soulevés d’avoir aperçu :
« … de drôles de types qui traversent la brume
Avec des pas d'oiseaux sous l'aile des chansons 
Leur âme est en carafe sous les ponts de la Seine
Leurs sous dans les bouquins qu'ils n'ont jamais vendus»

samedi 15 juin 2019

Eux sur la photo. Hélène Gestern.

Roman épistolaire entre une femme et un homme à la recherche de leur passé.
Des descriptions de photographies d’une délicatesse et d’une précision exquises sont insérées entre deux lettres échangées dont la courtoisie m’a d’abord séduit et l’évolution dans la forme et le fond, passionné.
«  La photographie a emprisonné dans sa chimie la trace de l’éclat trop vif de la lumière d’été qui tombe à la verticale et semble inonder toutes les surfaces claires qu’elle touche, robe, table, casquette du petit garçon. »  
Plus que le dévoilement de secrets de famille, les variations des correspondants passant du découragement à la passion, de l’indulgence à la colère sont si bien menées que trop de divulgations éventeraient la subtilité de ces 300 pages.
« Vous me demandez qui va se souvenir de nous. Je vous dirais volontiers que c’est d’abord à nous de nous en soucier. De recréer un présent qui nous appartiendra, et que ne nous disputeront pas les morts. »  
Les fantômes se révèlent bien vivants, mais les regards croisés permis par l’écriture, amènent à l’apaisement, à mieux vivre.
« Je me dis que ce matin ensoleillé, à Saint-Malo, la tendresse de notre premier café partagé, dans la lumière rase de février qui faisait onduler la mer comme cristal et feuille d'or, c'est à eux que nous le devons. Oui, c'étaient eux sur la photo, qui nous parlaient, nous appelaient...Je les contemple jusqu'au vertige et je crois les entendre nous dire qu'il faut vivre maintenant, saisir la chance qu'ils ont laissé échapper. »

vendredi 14 juin 2019

L’Europe fantôme. Régis Debray.

Faut-il être en manque d’intellectuel?
Il n’est même plus de bon ton d'en regretter la disparition, Onfray faisant l’affaire pour certains. Quant à moi, mon maître c’est Debray, bien que cet essai concernant un sujet où je n’ai pas voté comme lui, risque de me poser quelques difficultés, ne sachant exprimer un désaccord à sa hauteur depuis ma position proche de ces « mobinautes multipasseports des centres-villes qui mangent bio et prennent l'avion carbonifère » qui  « continuent d'adhérer, c'est le sort des éponges.»
Il est bien vrai par exemple que l’influence d’un pays ne dépend pas seulement de sa taille mais de sa réactivité : Singapour, Israël ou la Suisse en apportent la preuve.
Je préfère ses formules concernant  l’Europe des comptables, sans « contours » et sans « conteurs », à la phrase trop facile qui fera l’affaire pour une accroche qui plaira à Médiapart :  
« On attendait Erasme, c’est M. Moscovici qui est arrivé. »
J’ai trouvé ses 44 pages éditées dans une collection appelée « Tract » chez Gallimard très bien tournées, comme d’habitude, et moins brutales que prévu.
«  ... l’Européen qu’il soit méditerranéen, rhénan ou balkanique, fut doublé par l’océan global. Le merveilleux industriel d’outre atlantique est venu occuper les quatre cinquièmes des écrans de cinéma, les deux tiers des émissions musicales à la radio et des BD, la quasi-totalité des galeries d’art contemporain, les facultés des sciences et de philosophie, les jouets, les papilles et les magazines. »
En dehors de l’importance coutumière qu’il accorde aux E.U.
le rappel du sens religieux de la bannière bleue aux douze étoiles, qui n’a jamais flotté sur un champ de bataille, n’est pas une condamnation mais affronte les difficultés à fonder une communauté morale.  
Il me semble injuste de faire porter aux instances européennes toutes les responsabilités du déclassement industriel et des effondrements culturels. Les compromis rabotent les meilleures intentions devant s’accommoder de la diversité, comme il le sait bien.
«  Un demi-siècle d’ouvrages inspirés, d’apostrophes intimidantes et de plans sur la comète a donné à l’Union européenne une certaine présence dans le discours et la conversation et il ne faudra pas demain lui dire, à la créature bruxelloise, dans son dédale de blocs de verre et de béton, comme le poète à sa fileuse, « Tu es morte naïve au bord du crépuscule » mais «  tu as conjuré, bavarde, la venue du crépuscule », telle l’héroïne des Mille et une nuits. »
......
 La photo est de Pelle Cass découvert dans "Courrier international"