vendredi 23 novembre 2018

Ici gilets jaunes, là gisent les verts.

Je ne prends pas le temps de laisser reposer les mots pour mon article du vendredi et m’insère dans l’embouteillage créé par les éruptifs aux couleurs fluo.
Pépé tremblote, chevrote : pourquoi la France ne connaitrait-elle pas l’ivresse du populisme ?
J’ai bien lâché quelques phrases sur les réseaux sociaux en faisant suivre un article du journal Le Monde qui prévoyait : «  la transition écologique va nécessiter un courage politique considérable. » Un commentaire à ce propos proposait « de taxer la bidoche », auquel j’ai répondu  après avoir signalé une autre tribune : « Nous sommes tous climato sceptiques ».
« J’aime le pot au feu et les sardines, et m’agacent les donneurs de leçons, si bien que je comprends les manants mais je persiste à approuver les bons élèves qui nous gouvernent. »  
Ce formidable outil qu’est Internet et sa promesse d’ouverture sur le monde se révèle être celui du repli sur soi avec des réseaux qui s’auto-allument. Maintenant que bien des religions pourvoyeuses depuis si longtemps de fake-news ne fournissent plus leur lot de croyance, ce sont les traqueurs de fausses nouvelles et autres décrypteurs qui loin d’être entendus se prennent dans la tronche des tombereaux d’insultes permises par l’anonymat. Intermittence des lumières.
Bien pensants contre irresponsables, bobos/ beaufs, ville/campagne, voiture/ vélo, startup/ CDD, papa poule/ maman toute seule, consentants à l’impôt/ réfractaires aux taxes dispensés de l’impôt sur le revenu, statistiques générales/ressenti particulier, démocrates/abstentionnistes : la fracture est sociale, culturelle, géographique, de classe.
On a beau savoir la nécessité d’envisager le temps long, nous sommes affolés par les éclats de l’immédiat, cliqueurs et vibrant à tous les gazouillis. Notre trace est furtive, les vérités intermittentes. Des proclamations gravées dans le marbre s’oublient aussitôt proférées mais les ressentiments demeurent.
Face à ce mouvement qui a le mérite de remettre la question des inégalités au centre du débat, je peux me permettre une recension de quelques morceaux épars alors que tant d’éminents commentateurs n’ont rien vu venir.
- Florence Aubenas s’étonnait qu’un bénéficiaire du RSA estimant qu’il n’a pas sa place dans les manifs, se place ainsi en citoyen de seconde zone. J’admire justement son sens civique et sa reconnaissance envers l’état. On ne peut pas en dire autant de ceux qui ont occasionné des dégâts après que le projet de Notre Dame des Landes fut abandonné.
- Un étudiant de Grenoble avait noté sur son dos «  Faut que je sois vener pour me lever à 7h un samedi » : ce n’est plus « Nuit debout » mais « La France qui se lève tôt ».
- Les adversaires des taxes mettent en avant leurs enfants auxquels ils ont fourni la pancarte : «  J’ai peur de l’avenir », qui pourrait servir à leurs adversaires avec une précision : « j’ai peur du présent aussi».
La planète brûle, les populistes triomphent, les nuances passent pour ratiocination surplombante. Alors allons-y, il est tard : est ce que l’écologie si elle n’est pas punitive est encore de l’écologie ? Piolle, qui n’est pas dans d’autres domaines ma tasse de gnôle, avance avec courage.
Si j’emploie trop le terme « pathétique », comment nommer les politicards sans propositions qui courent après les souffrances et finissent de déconsidérer la politique ?
Je reste persuadé que le plus grand respect à prodiguer  à ceux qui sont dans la détresse est d'affirmer des désaccords avec tant d'affirmations contradictoires et estimer que certaines formes prises par leur colère ne sont pas efficaces à moyen terme, même si le buzz présent est tonitruant.
« Ce n'est pas la misère qui provoque le besoin d'égalité, mais la richesse. »
Frédéric Dard qui n’a pas connu Carlos Ghosn
……
La photographie date de 2008.           

jeudi 22 novembre 2018

André Derain. Claire Grebille.

La conférencière devant les amis du musée de Grenoble nous parle d’un temps où Paris était la capitale des arts quand les avant-gardes se bousculaient à la suite des impressionnistes : « La belle époque ». Les fauves en premier, et parmi eux  le « fauve incandescent » à la peinture « iridescente » (qui a des reflets irisés).
Né à Chatou en 1880 à proximité des paysages peints par Renoir ou Monet, l’ancien cancre aidé par sa famille de commerçants, après des études à l’Académie Camillo, deviendra vite une référence.
Avec l’ « Autoportrait dans l’atelier » le peintre affronte le tableau : la touche est épaisse, les volumes simplifiés, les couleurs assourdies, les plans géométriquement décomposés.
Un gant blanc ressort dans son « Bal à Suresnes » et insiste sur la maladresse du troufion de façon ironique.
Avant la guerre, autos, vélos, photos se multiplient, les rayons X permettent de voir au-delà des apparences. Les peintres que les photographes ont imités dans un premier temps sont libérés de la représentation « illusionniste », ils utilisent les nouvelles technologies.
Le grand gaillard rencontre Vlaminck dans un train de banlieue. Le musicien coureur cycliste d’origine flamande a «dessalé l'ami Derain, l'initiant à la couleur sortie du tube comme aux plaisirs populaires...». « Portrait de Vlaminck ». Ils feront atelier commun.
Le « Portrait de Matisse » avec lequel il va travailler à Collioure, est d’une grande liberté.
Celui-ci brosse un « Portrait de Derain » exotique, aux touches vibrantes.
Les impressionnistes ont exposé pour la dernière fois en 1886, les divisionnistes ont pris la suite dans la célébration de la nature. Ils théorisent en juxtaposant les couleurs que les lignes suivent, systématisent une technique qui peut apparaître comme fastidieuse. 
« Le Cap Layet » d’Henri-Edmond Cross, est au musée de Grenoble.
A leur tour, les couleurs complémentaires dans  « Le Pecq, hiver »  se mettent en valeur avec courbes et ombres bleues. Le paysage expressionniste est réinterprété et le sentiment prend le pas sur la sensation. «L'artiste s'observant en train de sentir ne sent plus rien...»
Si Le Caravage peignait autour du noir, les « Toits de Collioure » vigoureusement simplifiés sont peints autour d’un blanc en réserve qui synthétise toutes les couleurs.
«  Le port de Collioure »  revient au divisionnisme
alors que « Le phare » est exécuté en grands aplats.
« Cette couleur m'a foutu dedans. Je me suis laissé aller à la couleur pour la couleur. »
 Au salon de 1905, tous les fauves sont lâchés.
«J'avais fait chaud, très, très chaud. Le fauvisme a été pour nous l'épreuve du feu. Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite. Elles devaient décharger de la lumière...»
Ils font scandale, c’est bon pour les affaires. Vollard, son marchand, l'envoie à Londres où Monet avait brillé dans les brumes, lui trouve qu’il y a trop de soleil.
« Effet de soleil sur la Tamise »  fait disparaître tout élément architectural, 
contrairement au « Pont de Westminster » avec cernes proches de Gauguin et cadrage japonisant.
« Je ne vois d'avenir que dans la composition ... Je crois que le problème est de grouper les formes dans la lumière et de les harmoniser concurremment à la matière dont on dispose »
Il cherche, mais ne va pas au bout de ses intuitions.
A « l'Estaque », comment ne pas être sous l’influence de Cézanne.
Et ses « Baigneuses » renonçant aux couleurs ont des volumes qui annoncent les demoiselles d’Avignon d’un autre contemporain célèbre. Dont il dira pourtant :
«On retrouvera bientôt, Picasso pendu derrière son tableau
 «  La danse »  est une quête de l’enfance de l’art, un rêve primitif,
« Le grand tort de tous les peintres, c'est d'avoir voulu rendre l'effet du moment de la nature et de ne pas avoir pensé qu'un simple assemblage lumineux met l'esprit dans un même état qu'un paysage vu »
Il change de manières, de marchands : après Kahnweiler, Paul Guillaume, il renie ses anciennes pratiques : « le fauvisme: «une histoire de teinturiers», le cubisme, «une chose vraiment idiote »… « Portrait de Lucie Kahnweiler »
Il réalise des décors pour le théâtre, sculpte, revient au classicisme, on a parlé de « byzantinisme » pour «  Samedi ».
Le Centre Pompidou vient de présenter les productions de l’artiste pendant « la décennie radicale », entre 1904 et 1914, ainsi la conférencière n’a guère développé la période après la seconde guerre où il a été accusé de collaboration.
Son « Age d’or»  prévu pour une tapisserie a des tonalités proches de paysages
qu’il a lui-même titrés « Sinistres »
Il meurt en 1954.

mercredi 21 novembre 2018

Au nord de la Moselle.

Pas loin du Luxembourg la cité médiévale de Rodemack ne mérite pas tellement son surnom de « petite Carcassonne lorraine » pas plus que le label qui situe le village parmi les plus beaux de France.
Tout de même, le domaine seigneurial du XII° siècle, ne manque pas d’intérêt. Edifié à l’emplacement d’une abbaye, il fut  transformé en forteresse au  XIVe siècle. Cet endroit stratégique adossé à une falaise fut disputé par les Français, les Espagnols et les Prussiens.
Finalement ses pierres servirent à des constructions plus civiles, aujourd’hui la citadelle et ses 700 mètres de murailles percées de bouches à feu est en réfection. Une grande bâtisse à l’entrée avec sa cloche attend son tour, alors que l’église a été restaurée ainsi que l’écurie d’à côté qui devint boulangerie puis menuiserie.
Belle vue sur Cattenom la deuxième centrale nucléaire de France.
Au hasard de la route, arrêt au Café du soleil à Soetrich où sont installés des casiers numérotés destinés à recevoir quelques économies des habitués. Le dépôt doit être régulier sous peine d’amende. Cette épargne collective de tradition mosellane est déposée sur un compte bancaire associatif.
« Viens petite bourgeoise demoiselle
Visiter la plage aux de Wendel
Ici pour trouver l'Eldorado
Il faut une shooteuse ou un marteau
La vallée d'la Fensch ma chérie
C'est l'Colorado en plus petit »
Malgré Lavilliers et des souvenirs de « Lorraine cœur d’acier » nous ne nous attardons pas à Hayange dirigé maintenant par le R National , le temps de quelques photographies des hauts fourneaux arrêtés depuis 2011.
A Neufchef après un repas pris au musée des mines de fer, nous mettons le casque et nous nous habillons chaudement pour suivre le guide ancien mineur qui se montre excellent pédagogue.
Le minerai, « minette », avait une teneur en fer assez faible si bien que la dernière mine a fermé en 1997 à Audun-Le-Tiche.
Mais auparavant que de travail dans des conditions dantesques, depuis le paysan embauchant sa famille en hiver pour extraire quelques cailloux, jusqu’au Diesel parfumé à la citronnelle qui a supplanté dans un dernier temps l’électricité pour alimenter les engins de transport! Les rats d’abord indésirables, quand des chevaux étaient installés dans leurs stalles, avaient été jugés par la suite comme de fiables lanceurs d’alerte pressentant les éboulements.
A travers l’évolution des engins destinés à transporter le minerai, les différentes façons de manier les explosifs, l’évolution des notions de sécurité, nous révisons que notre société ne s’est pas bâtie seulement dans les salons ni les studios.
Autrefois le mineur achetait son bois pour boiser, les explosifs, la mèche. Les amendes étaient fortes pour tout manquement : jetons oubliés d’être remis à la sortie… les tricheries réprimées : vols de wagon, surcharge des chevaux…
Au pays des « gueules jaunes », le musée organise désormais des anniversaires pour les enfants.

mardi 20 novembre 2018

La revue dessinée. Automne 2018.

Lecteur fidèle du trimestriel qui est à la BD, ce qu’est « XXI » au reportage ou « 6 mois » à la photographie, ces trois revues étant maintenant acoquinés, j’avais loupé celui de l’été, mais pas ce numéro 21. 
Les différents chapitres entrent dans la complexité lorsqu’il est question de savoir si l’énergie est plus verte chez nos voisins allemands, ou lors d’un reportage en Nouvelle Calédonie à travers l’histoire de jeunes sans repères.
Au-delà d’évènements spectaculaires qui sont notre lot quotidien,  c’est très intéressant de connaître par exemple les tendances du management visant à sous noter des collaborateurs pour mieux les virer. Elles tranchent avec une disparition annoncée des notes à l’école : les continents s’éloignent. Comment les potaches assoupis sous une bienveillance démotivante supporteront-ils une compétition exacerbée?
Lorsque c’est « l’hôpital qui se fout de la charité », la tarification à l’acte qui devait améliorer l’équilibre budgétaire des hôpitaux ayant tourné à une course à la rentabilité, des changements sont envisagés qui prendraient en compte un parcours de soin.
L’artificialisation de nos campagnes à travers la montée en puissance des multinationales de semences sera-t-elle freinée par ceux qui travaillent à des alternatives ?
Une goélette chargée de scientifiques pourra-t-elle redonner des couleurs aux coraux qui meurent ?
Les décryptages sont toujours pertinents :
de la photo d’une femme courant un marathon, agressée par un  organisateur
ou du film culte « La bataille d’Alger » de Pontecorvo.
Des rappels de l’histoire sont utiles :
le vote des femmes,  
ou un retour sur l’affaire Cahuzac, qu’en est-il de la lutte contre l’évasion fiscale ?
Cette fois la séquence consacrée au sport concerne le quiddich (Harry Potter), avec bâton en guise de balai, quant au Yoga, son succès lui a-t-il fait perdre son âme ?
Comme d’habitude, je n’ai aucune idée de ce que fut Cosey Fanni Tutti qui est à l’honneur de la rubrique : Face B.
L’empire du soleil couchant est au sommaire du prochain numéro, à ne pas louper.

lundi 19 novembre 2018

En liberté. Pierre Salvadori.

La présence de l’auteur dans une salle de la Bocca, loin de la Croisette où se croisent tous les critiques, vécu comme un hommage à l’association Cannes Cinéphile, constitue un plus dans l’appréciation déjà très favorable que j’avais de cette comédie. Les intentions du réalisateur qui est apparu à la fois modeste et ambitieux, sont parfaitement concrétisées.
La fiction est vitale pour surmonter la mort, remettre en cause les images des hommes les plus considérables, fussent-ils pères. Qu’il est bon de rire à des zozotements régressifs, ou à des gags récurrents quand un meurtrier vient avouer son crime et n’est pas entendu par les enquêteurs, ou lorsque des vigiles rivés aux écrans se mettent à verser une larme d’émotion. Le casting est prestigieux, les péripéties rythmées, le découpage efficace.
La violence parodique nous répare de bien des brutalités avec des rituels sado maso qui deviennent une mine pour pouffer. Des moments poétiques nous confortent dans nos goûts pour la littérature, alors que la légèreté s’oublie, à être trop proclamée dans tant d’autres productions. Les retrouvailles d’un jeune fraîchement sorti de prison avec Audrey Tautou  lui demandant de rejouer son arrivée est un grand moment de cinéma, chaleureux, simple, délicat

dimanche 18 novembre 2018

Spectacles pour enfants.

Bestiaire végétal. Colectivo Terrón.
Il a fallu que j’aille à Lyon pour découvrir une troupe basée à Grenoble comme son nom ne l’indique pas. Dans la cadre magnifique du TNG (Théâtre nouvelle génération), un théâtre qui ressemble à un théâtre, j’ai beaucoup apprécié leur spectacle qui renverserait volontiers la proposition destinant, jadis, des mièvreries aux enfants; ces 50 minutes bien adaptées à des petits, peuvent ravir aussi les adultes.
Nombre d'offres artistiques pour les grands sont bien moins subtiles que celles que je viens de voir avec mes deux petits enfants.
En jouant avec des feuilles sur le chemin du Théâtre après avoir pris le métro jusqu’à la station Vaise, ils se sont mis dans l’ambiance, puisque sur scène attendait une violoncelliste à côté d’un tas de feuilles. Celui-ci va s’animer et rencontrer un tas de foin laineux également surprenant, puis les danseurs vont s’emparer de cannes, de tiges, en exploiter toutes les sonorités et les figures avec roseaux jaseurs et osiers rusés. La poésie des créateurs part de l’univers des enfants et prolonge leur imaginaire : les fibres qui tissent les paniers sont bien exploitées, sous de belles lumières avec des inventions rigolotes et enjouées. Ces matériaux primaires sont primordiaux, bruts, ils sont doux. Quel plaisir quand le respect des gônes évite la démagogie sur un terrain où elle prospère, les fait grandir sans les surplomber et ravit tous les âges. J’ai pensé, décidément ces espagnols, ils sont justes, en souvenant d'« Intarsi » une autre réussite…c’était des catalans, http://blog-de-guy.blogspot.com/2017/09/au-bonheur-des-momes-2017.html et eux sont basés … quai de France. Vive l’Europe !
Euraoudzeweurld. Merlot.
Trop vieux pour aller dans la fosse, il a fallu un concert « Bambino » pour me rendre à la « Belle électrique », accompagner de jeunes enfants.
La promesse est tenue d’un voyage en musique autour de la terre, du Liechtenstein au Bangladesh en passant par la Chine, le Mexique, l’Arctique, éprouvant le vent et arpentant la savane, rencontrant même un dictateur…
Se voulant comique, la prestation des trois musiciens se situe loin du loufoque Bobby Lapointe, subtil et original dont l’influence est pourtant très visible. Ces 50 minutes sont musicalement variées et bien exécutées, mais les liaisons entre les chansonsqui accumulent les clichés sont laborieuses avec les sempiternelles caricatures de l’école : 
la maîtresse disgracieuse-qui-n’aime-pas- les-enfants et le bon élève insupportable qui veut être le chef, sauf que celui qui le malmène est bien plus autoritaire : toute ressemblance… En voyant ces deux spectacles à une semaine d’intervalle, cette production française m’a parue encore plus déclamatoire et démagogique. Un spectacle engagé pour des adultes aussi lourd soit-il, ne me gène pas, comptant sur l’expérience, le sens critique du public ; vis à vis des enfants, je suis mal à l’aise comme lorsqu’ils utilisés comme porteurs de pancartes dans les manifs.

samedi 17 novembre 2018

Un monde à portée de main. Maylis de Kerangal.

Le charme et la force de l’auteur de « Réparer les vivants » continuent à faire leurs effets
http://blog-de-guy.blogspot.com/2015/10/reparer-les-vivants-maylis-de-kerangal.html alors je me suis précipité sur les 285 pages de son nouveau roman documenté qui a mis quatre ans pour voir le jour.
 « …blanc de zinc, noir de vigne, orange de chrome, bleu de cobalt, alizarine cramoisie, vert de vessie et jaune de cadmium… » 
Le monde des peintres de trompe-l’œil décrit avec la minutie habituelle de l’écrivaine en chef peut sembler très spécial : nous passons d’une école Bruxelloise à divers chantiers en Russie, à Cinecitta , à Lascaux. Et grâce à l’élégance de l’écriture et l’empathie de l’auteur avec ses personnages, nous  retournons à l’enfance de l’art, pénétrons au cœur de notre temps, des images, du roman, du réel, des passions. Et du fracas ! 
Le rappel d’un évènement qui a modifié ma vision du monde m’a fait un effet de flash, mais je ne peux le divulguer, pour que le lecteur ait une révélation semblable à la mienne. 
Quelques  lignes suffisent pour donner une profondeur supplémentaire à une histoire d’amour qui va finir par se parer de tous les atours de la peinture :
 « comme s’ils se peignaient l’un l’autre, comme s’ils étaient devenus des pinceaux et s’estompaient, se frottaient, se râpaient, se calquaient, relevant les veines bleues et les grains de beauté, les plis de l’aine et l’intérieur des genoux… »
Le scénario sans aspérité permet de mieux percevoir l’intensité d'une quête de la vérité par trois jeunes. Leurs mœurs peuvent dérouter les vieux papas, mais ceux-ci se rassureront en considérant la finesse que leurs enfants mettent en œuvre pour aborder la vie.
« Paula commence à peindre, condense en un seul geste la somme des récits et la somme des images, un mouvement ample comme un lasso et précis comme une flèche, car l'écaille de la tortue contient à présent bien autre chose qu'elle-même, ramasse les genoux écorchés d'une fillette de cinq ans, le danger, une île au fond du Pacifique, le bruit d'un œuf qui se lézarde, la vanité d'un roi, un marin portugais qui croque un rat, la chevelure ondoyante d'une actrice de cinéma, un écrivain à la pêche, la masse du temps et sous des langes brodés, un bébé royal endormi au fond d'une carapace comme dans un nid fabuleux. »
Pour qui aime la peinture et la littérature, qui ont décidément à voir ensemble, le plaisir sera double.