jeudi 28 janvier 2016

Beato Angelico. Issa Steve Betti.

Le seul peintre béatifié (Beato Angelico ou Fra Angelico) 600 ans après par Jean Paul 2, de son nom Guido di Pietro, entre à treize ans dans les ordres, en 1408, au temps du grand schisme divisant la chrétienté entre Avignon/ Rome et Pise.
Pour cette naissance au service de Dieu, il s’appellera désormais Giovanni di Fiesole ; son surnom Angelico vient d’une figure alors en vogue, Saint Thomas d’Aquin, surnommé « le docteur angélique ».
Lui ne sera pas « gyrovague », moine itinérant, il suit une éducation artistique à Florence.
« Ce qu’il sait peindre et ce qu’il a répété partout, ce sont des visions, les visions d’une âme innocente et bienheureuse. » Taine
Son premier tableau, attribué d’abord à un autre, « La thébaïde »  avait été découpé en plusieurs panneaux. Du côté de Thèbes en Egypte, les premiers moines se consacrent à la prière et au travail.
Dans ses miniatures emblématiques de l’art médiéval, aux douces couleurs, aux traits fins et assurés, il célèbre « Saint Dominique en gloire »  pour qui « La véritable richesse consiste à se satisfaire de peu ».
Sur fond d’or, inspiré de la tradition byzantine, le « Retable de Fiesole » destiné à un couvent «observant»,  qui appelle au respect de l’idéal monastique des origines, il peint bienheureux dominicains et moniales. La pastorale est tournée vers tous.
« Saint Jérôme pénitent »  devant des rocailles très Giotto, a laissé l’habit de cardinal, le regard tourné vers l’intérieur, il a consacré sa vie à la « vulgate », version latine de la bible, qui n’existait alors qu’en grec.
La « Madonna con il Bambino e i santi Tommaso d'Aquino, Barnaba, Domenico e Pietro martire » est peinte sur bois, a tempera, utilisant l’œuf comme liant. La Vierge et le Christ  traités en style gothique, parmi d’autres personnages inscrits dans une perspective, ne sont désormais plus hiératiques, leurs visages sont personnalisés, le paysage amorce ceux de la renaissance. Tout en conservant une dimension sacrée, il peut être question de « conversation ».
Saint Dominique et Saint thomas d’Aquin, saints de fraiche date, entourent une « Vierge à l’enfant », fresque exposée à l’Hermitage à Saint Petersburg. Ils s’approchent d’un réel, qui pour les artistes, toujours fuira.
« Le Jugement dernier » peint en 1431, au moment où Jeanne d’arc est brûlée à Rouen, sépare les bienheureux en farandole des damnés dans la confusion, en une perspective spectaculaire. Les diables punissent ceux qui ont péché par où ils ont péché. Bosch viendra bientôt. Le thème sera repris dans plusieurs tableaux où les dominicains figurent souvent du bon côté alors qu’ils furent parmi les inquisiteurs les plus tenaces ; « Domini canes » : chiens de Dieu. A propos, depuis Vatican 2, la résurrection des corps ne fait plus partie du dogme catholique.
« Le tabernacle des linaoli »  commandé par la corporation des tisseurs de lin, réalisé avec Ghiberti témoigne de la vitalité de Florence http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/10/florence.html dont la production de textiles aux belles couleurs a fait la fortune. Les anges musiciens annoncent la bonne nouvelle sous les volets où sont représentés Saint Pierre et Saint Marc, avec des scènes de leurs vies sur la prédelle qui supporte le polyptique. La vierge devenue « star » sur le tard  dans l’histoire du catholicisme, comme nous l’a expliqué avec verve le conférencier devant les amis du musée de Grenoble, va fournir de nombreux sujets de peinture : lors de son mariage, de sa dormition -elle n’est pas morte-, lors de multiples annonciations. Elle représente la puissance ecclésiale depuis que Jésus a quitté ce monde.
Une des « Annonciation » conservée aujourd'hui au couvent San Marco de Florence dont Frère Angelico a assuré la décoration des cellules monastiques, est remarquable : Eve chassée du paradis ressemble à la vierge étonnée décidément blonde. Tout commence.
Le commanditaire ( est-ce Strosi ?) assiste à « la descente de croix » au décor printanier annonçant renaissance et résurrection, baigné dans une douce lumière ; la compassion accompagne la beauté.
Comme la vie de Saint Nicolas qui inspira le père Noël, les vies de Côme patron des chirurgiens et Damien son jumeau, celui des pharmaciens, furent riches en évènements. Ils travaillaient gratuitement, et les tortures qu’ils durent subir, furent multiples : avant d’être décapités ils avaient résisté à la noyade, au feu, aux flèches, à la lapidation. « Le Martyre des saints Cosme et Damien » appartient au Louvre. Ils connurent l’enfer sur terre.  Ci dessus ce que Wouzit en repris.
Fra:« Ce bon moine a visité le Paradis et il lui a été permis d'y choisir ses modèles. »

mercredi 27 janvier 2016

Le Paris de Vito.

Paris recommencé, mais Paris renouvelé :
bobo, rétro, auto, moto, vélo, ghetto, prolo, mélo, claustro, dingo, macro, astro, métro, boulot, dodo... gentillet.
Le dessinateur qui a étudié l’architecture est plus proche de Batelier qui vendait ses dessins dans la rue du temps de Politique hebdo que de la poésie de Sempé, légère.
Dans ces 135 pages autoéditées, la capitale est bien mignonne parée de couleurs champêtres dont les personnages arrondis accentuent un air d’illustrations pour enfants.
Pourtant ce livre se veut « manifeste pour une ville palimpseste ».
« Ville qui se construit sur elle-même et où l’on ressent les couches successives de son histoire. »   
La célébration de Belleville, de la petite ceinture, de la place de la République, de la Villette, tout en proclamant son allergie au dessin d’observation, le rapprocherait d’atmosphères genre Amélie Poulain, sans la lumière.
Sont  aussi relevés « l’entre soi », les congestions urbaines, l’exigüité des logements.
La vocation est politique, mais il manquerait la percussion nécessaire au genre.

mardi 26 janvier 2016

Les larmes de l’assassin. Thierry Murat. Laure Bondoux.

Cette  histoire qui tient à l'essentiel se déroule en bordure du désert dans une cabane isolée, misérable : une BD métaphysique est à craindre.
Elle l’est, sans chichi, avec un déroulement du scénario qui n’incite pas à la divulgation, tant la découverte de la vie par un petit garçon est limpide, puissante, palpitante.
Les dessins élémentaires et beaux expriment très bien les enjeux fondamentaux en place au fin fond du  Chili: la survie et la vie, les souvenirs et l’oubli, les dangers que représentent les autres, l’amour et la mort.
Rien que ça !
J’avais déjà fait part d’une de ses BD brièvement
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2008/06/elle-ne-pleure-pas-elle-chante.html
et je viens de voir qu’il a adapté  « Le vieil homme et la mer » d’ Hemingway: cela doit lui convenir à merveille quand il s’agit de mettre en forme des primordiaux de la nature humaine où se rencontrent sobriété, rudesse, et tension.

lundi 25 janvier 2016

Je suis le peuple. Anna Roussillon.

Les évènements de la révolution Place Tahrir sont vus depuis la campagne autour de Louxor où les femmes pétrissent la pâte sans relâche et les hommes une terre qui attend l’eau.
Dans la lignée délicieuse de « La vierge, les coptes et moi » où une écriture personnelle vient féconder un documentaire, il y a de quoi se régaler en abordant la complexité de la situation en Egypte et au-delà, avec ces fellahs si proches, si lointains.
Les bouteilles de gaz sont vides, la télévision tapisse les murs lépreux aux couleurs photogéniques.
Les protagonistes qui en sont comme ils disent « à la maternelle de la démocratie » nous donnent des leçons sur les conditions nécessaires pour que la politique ne soit pas un leurre. Nous suivons leurs changements d’opinion face à des évènements qui gardent une part de mystère. La religion imprègne tellement les mots et l’armée héritière d’un passé prestigieux demeure toujours aussi présente.
- Avant en temps de deuil, on arrêtait de regarder la télé pendant un an
- C’était il y a très longtemps…

dimanche 24 janvier 2016

Le conte d’hiver. Agence de Voyages Imaginaires.

Ben oui, je l’avais vue cette pièce à la MC 2, avant  qu’elle soit proposée à côté de chez moi,
Les résurgences de la mémoire prenant des chemins inattendus, j’avais le sentiment dans cette version, de retrouver des accents du festival « off » à Avignon, en plus confortable, c’est que la troupe est l’héritière des « Cartouns sardines » un des phares des rencontres estivales des troupes de théâtre. Je suis passé donc  de la version « in » de la pièce de Shakespeare à Grenoble, à une interprétation clownesque à Saint Egrève.
Je me dis que celle-ci doit être fidèle à l’esprit joueur des origines remontant à 400 ans, avec une pincée de comédiens jouant une multitude de rôles, de tous les instruments de musique et de leurs voix pour chanter agréablement, emballant le public qui s’est levé plus facilement pour applaudir que dans la ville centre.
Il parait que la jalousie favorise l’imagination et comme il est question de mari trompé, aux pays des rois de Sicile et de Bohème réunis, tout est permis : les morts, pas morts, le temps lui-même en meneur de jeux (de mots) a des absences. L’amour est là, lui, indestructible. Le parti est pris de la farce : après un début pépère, le rythme s’accélère, et comme on ne peut s’attarder au texte, la trame limpide permet de passer un bon moment où les questions existentielles sont mises de côté.

samedi 23 janvier 2016

Invisible. Paul Auster.

L’écrivain « a fait le job » : narrateurs variés avec des équivoques bien dosées, des moments de tension et de décontraction, de la profondeur et de la légèreté, de l’érudition et de la simplicité. Un thriller et un conte existentiel avec ce qu’il convient d’allusions personnelles.
« Quels sont mes sentiments à l’égard de cet homme ? Compliqués, ambigus, une combinaison de compassion et d’indifférence, d’amitié et de méfiance, d’admiration et de stupeur. »
Les récits se croisent, se démentent, dans le milieu de l’édition, de la poésie, de l’écriture.
Mais y aurait-il un agent double parmi ces manipulateurs, un tueur ?
Tant de finesse, d’attentions aux mots pour tant de solitudes et d’indifférences.
« Je confonds parfois ce que je pense du monde avec le monde lui-même »

vendredi 22 janvier 2016

Révisions.

Les cliquettements de nos machines tellement pressées de nous passer le temps présent maltraitent le passé en commémorations mécaniques.
Mitterrand, 20 ans. Nous avions été heureux quand la gauche avait gagné, mais faut-il avouer que nous préférions Rocard surtout quand tout le monde s’incline aujourd’hui ? Le bref culte qui est rendu à Tonton souligne l’état loqueteux dans lequel nous sommes tombés.
Sans plus m’arrêter parmi ces paysages effacés, je vais essayer de revenir sur quelques mots bourdonnant autour d’un lieu que j’ai déserté depuis 10 ans : l’école.
Pour avoir fréquenté, admiré des maîtres Freinet, mais ne pouvant prétendre à une quelconque expertise en la matière, je suis assez étonné quand même de la fortune de certains des mots de l’instit de Vence, inversement proportionnelle à la perte du sens des démarches qui ont fait naître tant de propositions qui élevaient les élèves.
Des conseillers fuyant les classes et des colloqueurs universitaires ont  mis en circulaire des préconisations extraites de réflexions issues d’un  mouvement militant qui partait de l’échange de pratiques sur le terrain et non de reportages télévisés ou de constructions hors sol.
Les avidités individuelles réduites à des plans de carrière ont siphonné ceux qui avaient des ambitions pour les enfants, pour l’école, des plans de travail et une organisation coopérative fraternelle en « béton » ou plutôt chantourné au filicoupeur pour permettre aux petits d’accéder à la liberté, aux savoirs. Ceux qui ont mis ces fonctionnements en place n’attendaient pas qu’on leur explique ce qu’est la laïcité, leurs convictions forgées dans le débat et l’entraide étaient rétives à tout ordre tombant des ministères : tout le contraire d’aujourd’hui où un caporalisme de pacotille revient au galop. La critique de l’enseignement frontal depuis les chaires prête à sourire.
Ainsi les mots : « projets », « compétences », « enfant au centre », « équipe », ont ponctué les clips, incitations, BD pour les nuls, injonctions du ministère par ses petits marquis, dénaturant les intuitions, réflexions collectives, audaces de pédagogues qui ont alimenté les « bibliothèques du travail » et tant d’outils amoureusement construits à partir des réalités diverses analysées par des praticiens.
Comment sommes-nous passés de démarches visant à l’émancipation, aux mots de l’entreprise ? De l’école Mao aux rotatives de Grenelle pour parodier un titre qui a marqué la fin d’une époque : « Lettre ouverte à ceux qui sont passé du col Mao au Rotary ».
Comment sommes-nous passés de « L’école moderne », marque déposée par le mouvement pédagogique pour lequel liberté et démocratie ne sont pas seulement des mots mais des actes, aux heures mornes des nouveaux rythmes scolaires qui ont signé la fin d’une école « maitre du temps » ? Les familles éclatées, les maitresses ne pouvant plus payer des loyers parisiens ont accompagné avec soulagement la transformation : les enfants sont davantage fatigués.
Ces engagements pédagogiques, ceux d’une vie entière, allaient avec des convictions politiques et syndicales. En me désolant des orientations présentes, en particulier au collège, défendues par le syndicat CFDT pour lequel j’ai consacré jadis tant d’heures, j’aurai le sentiment de trahir mes idéaux de jeunesse, si l’éditorialiste Jacques Julliard, un des piliers de « la deuxième gauche » n’était devenu un défenseur assidu de l’exigence en matière scolaire :
« l’effort n’est pas de droite, l’excellence n’est pas de droite, la conservation de notre patrimoine culturel n’est pas de droite. » 
 Je le rejoins comme opposant déterminé non pas à Najat Valaud Belkasem qui n’est qu’une porte-parole en mal de notes pour prompteur sur la notation, mais à son ministère qui alimenta Chatel comme Peillon ou le fugace Hamon pour nous faire prendre les vessies économiques pour des lanternes égalitaires.

jeudi 21 janvier 2016

Biennale d’art contemporain. Lyon.

Le thème de cette 13° édition était «  la vie moderne » : difficile de faire plus actuel pour des contemporains.

Mais entre le musée d'Art contemporain et la Sucrière parmi 60 artistes, qui trouvera une œuvre inoubliable, surprenante ?
En sachant que j’allais voir des pneus récupérés sur la nationale 7, je vérifiais que j’étais bien en territoire « art contemporain » où le concept prime et les commentaires nous éloignent.
Hé bien, sur place, ces objets - on retrouve des pneus dans d’autres installations - reprennent l’interrogation majeure de l’art depuis Duchamp qui  a modifié notre façon de voir.
Dans ces caoutchoucs déchiquetés, il y a de la beauté et des histoires.
Et avec les vidéos qui me fatiguaient vite, je peux commencer à m’y faire, quand Cyprien Gaillard nous emmène en drone à l’intérieur d’un feu d’artifice en 3D avec une musique planante. C’est beau, mais aussi angoissant, comme lorsqu’un artiste taïwanais filme des paysages urbains désertés évoquant Fukushima.
L’affiche de l’évènement biennale qui courrait sur quatre mois avec ses parasols sur fond de centrale nucléaire est inspirée par cette œuvre.
Le thème de la modernité reviendra dans les deux prochaines biennales.
Certaines propositions relèvent  d’avantage des cabinets de curiosité de jadis quand une pièce est plongée dans la nuit pour nous faire sentir un jasmin qui s’exprime mieux dans l’obscurité.   
Ce qui reste d’humour est pathétique, alors qu’un sketch de « Rire et chansons » peut souligner plus élégamment la perte d’humanité lorsque les serveurs téléphoniques nous baladent d’un robot à l’autre : « appuyez sur la touche étoile ».
La curiosité du public est éveillée par des noyaux de cerises qui tombent sur une batterie par détection des téléphones portables : ça crépite !
D’autres sont anecdotiques, bien que la vue de Manhattan à 360° ait nécessité beaucoup de travail, des agrafes dans le béton même si on leur prête une dimension de réparation historique et sociale, peuvent amener un sourire circonspect, comme les fils électriques fondus, des pots de peinture renversés, des boules en béton attachées par des cordes, les biens saisis chez Kim Dotcom qui avait fait fortune dans le piratage informatique 
ou des plantes qui poussent  dans des ordinateurs,  à l'intérieur de chaussures.
Il y a plus de photographies que de peintures, des d’animaux à grandes cornes, des chevaux reproduits sur des éléments de carrosserie de voiture, et des images des traboules sur de la soie en hommage aux canuts.
Des personnages tous semblables en bord de mer font  leur impression.
Les jeux avec les supports peuvent être signifiants : deux sculptures  en marbre intitulées « Commerce extérieur Mondial Sentimental », de femmes roms recouvertes de châles en piécettes jaunes,
ou des maisons de SDF en carton réalisées en marbre avec une virtuosité étonnante.
Une autre sculpture d’un corps étendu sous une couverture de survie brillante nous dérange.

 

mercredi 20 janvier 2016

Berlin métropole du XXI° siècle. Daniel Soulié.

Sous Guillaume II, la ville-état (Stadtstaat) a connu un développement exceptionnel, sur tous les plans. Le dernier empereur allemand, dernier roi de Prusse, notre ennemi héréditaire, abdiqua en 1918.
Après une première conférence devant les amis du musée de Grenoble
il est question cette fois des bouleversements au XX° siècle dans la ville où le XIX° a détruit le XVIII° qui avait détruit le XVII° …
Le kaiser intervenait aussi en architecture, on a pu parler de « wilhelminisme » privilégiant les monuments au style néobaroque oscillant avec la simplification néoclassique. L’art nouveau fut bien différent de chaque côté du Rhin.
En 1920 est créé le Grand Berlin qui  compte 3 700 000 habitants avec une superficie multipliée par 8. Huit fois plus grand que Paris, il est bien desservi par les transports : métro en 1900 et premier omnibus électrique, premier feu vert. L’agglomération conserve plusieurs centres.
Sous la république de Weimar, la « ville des casernes locatives » sinistres où s'entassait une population miséreuse, va se transformer ; l’industrie  va rencontrer l’architecture.
Les stucs et surcharges sont délaissés pour la brique, le fer, le verre. Paris vit alors dans ses structures hausmaniennes et les premiers gratte-ciel à New York recouvrent le béton avec des pierres. La lumière, l’air, le soleil entrent dans des appartements accessibles à tous. De 1924 à 1936, 140 000 logements sont construits.
Les lotissements jamais très élevés, avec au dernier niveau des locaux collectifs, ci-dessus celui du parc Schiller, s’organisent autour de jardins ouvriers. Les décors géométriques évoquent Mondrian, Malevitch, les fenêtres et les balcons d’angle récupèrent de la lumière.
C’est l’âge d’or de l’architecture  avec le Bauhaus (de l'allemand Bau, construction, et Haus, maison) de Walter Gropius que Goelbels déclara :
« expression la plus parfaite de l’art dégénéré ». 
Le lotissement en fer à cheval Neukölln-Britz est inscrit au patrimoine mondial.
Celui de « la case de l'oncle Tom » du nom d’un restaurant  qui se trouvait là où vont s’installer 2500 logements à la bordure de la forêt du Grunewald a gardé ses couleurs vives qui éclairent des jours pas toujours ensoleillés. 
La maison du syndicat IG Metall construite en 1930 marque une simplicité nouvelle.
L'immeuble Shell et ses façades ondulées en lignes décrochées est bien restauré alors que
le grand magasin Karstadt qui avait été épargné par les bombardements a été dynamité par les nazis à l’arrivée de l’armée rouge.
De cette époque subsistent le stade olympique qui pouvait recevoir 110 000 spectateurs et un théâtre de plein air de 25 000 places.
Le hall du peuple, haut comme trois fois Saint Pierre au centre de la ville rebaptisée « Germania » qui devait dépasser Paris, pour aller au delà des nuages, les militaires n’en ont pas voulu ; celui-ci devenant une cible trop facile à repérer.
364 bombardements ont eu lieu, 10 000 appareils ont été détruits, 50 000 personnes sont mortes. La ville très étendue a été détruite à 30% alors que Dresde, Hambourg ont été rasées.
Avec les gravats transportés par les « femmes des ruines », est édifiée Teufelsberg, la « Montagne du Diable », qui servit aux alliés de poste d’écoute des pays de l’Est.
Le gigantesque aéroport de Tempelhof fut épargné et servit aux américains et anglais lors du pont aérien de 1949.  
« Très vite, la reconstruction de Berlin ressemble à une compétition idéologique avec l'affrontement des deux blocs antagonistes dans le domaine architectural. »
Lors de la division de la ville en quatre zones d'occupation, le centre historique de Berlin se retrouve dans la partie socialiste de la ville. Enclavée dans la RDA, la reconstruction de la vitrine de l’Ouest fut longue.
Le bâtiment de la Philharmonie construit en 1963 est spectaculaire.
En 1957, après une exposition universelle d'architecture, cinquante-trois architectes de treize pays différents  parmi lesquels Gropius, Niemeyer, Le Corbusier, Taut … vont réaliser des maisons individuelles et des tours, dans le  quartier hanséatique Hansaviertel.
Il faut préciser que 80% des berlinois sont locataires.
Le mur construit en 1961 tombera en 1989.
Depuis toute l’élite architecturale s’est retrouvée là :
Foster (parlement), Pei (musée historique) Gehry, Nouvel …
le musée juif  est époustouflant.
On peut voir de l’art contemporain dans un ancien abri anti aérien réhabilité, le bunker.
De la même façon que le vote pour rétablir Berlin en tant que capitale fut serré, les discussions en matière urbanistique ne finissent pas : « Berlin n’est pas, Berlin sera »
Christian Prigent a écrit lui dans son livre « Berlin sera peut-être un jour »
« Lacs, forêts, béton, parois rutilantes, éboulis tragiques ; verres, aciers, murs troués, ronce, bières, drogues, ordures. Strates d’Histoire découpée et feuilletée. Dans un méli-mélo catastrophique et jubilatoire. Dans la lèpre et le luxe. Dans la finesse et la lourdeur. Dans l’intelligence et l’inventivité comme dans la stagnation obscure et la bêtise opaque. Berlin est une âme, en somme. Une âme affinée dans la cruauté des temps. Avec le ciel dessus. »

mardi 19 janvier 2016

Les vieux Fourneaux. Lupano et Cauuet.

En quatrième de couverture du premier album, d’une série de trois offerts par mon fils:
«  Vous êtes inconséquents, rétrogrades, bigots, vous avez sacrifiés la planète, affamé le tiers monde ! En quatre-vingts ans vous avez fait disparaître la quasi-totalité des espèces vivantes, vous avez épuisé les ressources, bouffé tous les poissons…Vous êtes la pire génération de l’histoire de l’humanité »
Pas quand même! Mais la complicité de trois septuagénaires encore réactifs a pu faire un malheur au pied des sapins.
Les dessins un peu caricaturaux, remarquables dans les décors, servent un scénario ménageant des révélations qui auraient pu assagir Pierrot, Mimile et Antoine dont l’intransigeance s’est maintenue sur un air d’anarchie.
Un collectif « Ni yeux, ni maître » officie à Paris avec le dénommé Jean Chi « qui se vide le moutardier sur demande »
 Et dans le Sud ouest, les papys, genre flingueurs, nous font croiser des thèmes familiers : les délocalisations, l’évasion fiscale, le fric quoi !  Egalement la dévastation des îles Nauru dans le pacifique et tout sur « La fleurmeuline du papé® », le canon à moutons et le lance-poules, l’engagement syndical et citoyen.
La petite fille a repris les marionnettes de la compagnie « Le loup en slip ». Depuis sa maison au confort précaire mais chaleureux, le trio d‘amis d'enfance se trouve bien et ne retrouvera pas que des trésors enfouis, mais aussi quelques vérités nuançant des portraits qui auraient risqué d’être trop flatteurs derrière une faconde pittoresque.    

lundi 18 janvier 2016

A peine j’ouvre les yeux. Leyla Bouzid.

Elle est belle la jeunesse ! Je craignais pourtant que ce film soit manichéen : le pouvoir d’un dictateur vers sa fin, Ben Ali, et des parents coincés contre la musique, et les premiers amours.
Nous sommes en Tunisie en 2010.
Tout est  nuancé, fin et fort, complexe et évident. Bien filmé de près et à distance, avec des temps de tension et de grâce, du punch et de la douceur, dans la sensualité et la pudeur, les passions et la retenue.
Ces derniers temps nous avons été gâtés par les femmes réalisatrices
Turque avec une belle révolte : « Mustang »
Tunisienne et un docu fiction original : « Le Chalat de Tunis »
Marocaine aux filles rebelles de « Sur la planche »  
et aussi une autre du côté de Marrakech « Much loved »
Le titre est extrait d’une des chansons qui galvanise ce film :
 « A peine j’ouvre les yeux,
 je vois des gens éteints,
leur sang est volé,
leurs rêves délavés » 
paroles mélancoliques sur des rythmes rocks qui n’oublient pas le oud et grand bol d’énergie.
Les actrices sont excellentes et la mère qui préfère pour sa fille des études de médecine à une vie dangereuse est jouée par la belle Ghalia Benali … chanteuse.

dimanche 17 janvier 2016

La princesse de Clèves. Magali Montoya.

Je dois à un ancien président de la République, qui beaucoup esquinta la France, quelques sept heures de plaisir théâtral. Puisque Sarko qui tant brunit en cours de route avait raillé le roman de madame de Lafayette publié en 1678, cette œuvre ne pouvait avoir que des qualités.
Quoique : « Les paroles les plus obscures d'un homme qui plait donnent plus d'agitation que des déclarations ouvertes d'un homme qui ne plait pas »
Avec délectation, j’ai éprouvé combien cette balise de notre culture que je méconnaissais était constitutive de notre identité française. Le saut à l’élastique n’étant plus de mon ressort, le risque d’être enfermé à la MC2 de 15h à 23h 15 était jouable.
Pourtant, même si en fond de la sobre scène, un grand panneau généalogique rappelle les noms des personnages, l’entrée dans les intrigues du XVI° siècle à la cour d’Henri II, me fut laborieuse. Elles me semblaient hors sol, bien peu politiques, si loin par exemple de Shakespeare qui guette toujours quand on s’approche des planches et du pouvoir.
« Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci, répondit Madame de Chartres, vous serez souvent trompée : ce qui paraît n'est presque jamais la vérité. »
Mais en éprouvant la dimension exceptionnelle offerte par le temps, je fus bientôt emporté par la ferveur des actrices dépassant la narration, par la langue de l’auteure et sa finesse pour décrire les passions et nous rappeler la violence des vertus, la beauté, l’amour et … la liberté.
«  La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne d’Henri le second. »
Ainsi commence l’histoire qui parfois tourne au vaudeville : à cette hauteur, il faut tenir la longueur. La performance admirable des actrices nous facilite l’entrée dans les méandres, les contradictions des passions très modernes, dans la fatalité des drames ;
« Je n’ai que des sentiments violents et incertains dont je ne suis pas le maître : je ne me trouve plus digne de vous ; vous ne me paraissez plus digne de moi ; je vous adore, je vous hais ; je vous offense, je vous demande pardon ; je vous admire, j’ai honte de vous admirer ; enfin, il n’y a plus en moi ni de calme ni de raison. »
Si des blagounettes nous effleurent en comparant les langages SMS à tant de sophistication des sentiments, la redécouverte de mots enfouis nous régale : ainsi « commerce » qui n’est pas celui de l’OMC, « raccommodements », « enjouement », « inclination », « affliction » « opiniâtrer », « souffrir », « manquer à soi même », « fâcheux » … « faire la cour ».
De ces tourbillons soyeux, mieux accompagnés par la musique que par une peintre sur le plateau qui commence bien ses tracés puis se perd parfois dans des barbouillages, pouvons nous encore apprendre de la fragilité des hommes, de leur quête ?
Qui peut oser clore ces riches heures, en écrivant ?
«… et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables. »

samedi 16 janvier 2016

Chantiers. Marie-Hélène Lafon.

Une de mes écrivaines préférée
a du choisir son titre comme elle pèse chaque mot tout au long des 112 pages,
mais « A l’établi », qu’elle emploie volontiers pour évoquer son travail, aurait mieux convenu, à mon goût, qui dit bien la minutie et l’œuvre solitaire.
« Ma place est à l'établi, où ça fermente, où je fomente »
La grammairienne vient de la campagne, d’un monde disparu.
« Le père est lancinant. Il répète on est les derniers on est périmé. Il sait que le monde devient mauderne, il le voit à la télévision ; le journal, les papiers de la banque et de la chambre d’agriculture le disent. C’est le tout début des années soixante-dix, il est content d’avoir un tracteur et des machines efficaces qui épargnent la fatigue, il n’est pas dressé contre les choses mais il sent qu’elles échappent, ça lui échappe. »
Et revient sur les mots, leur redonne couleurs.
« La fille, cette fille, a étudié le latin et le grec. Elle a appris l'étymologie de humilié. Elle sait que humilié, étymologiquement, veut dire qui est au sol, à terre, humus le sol en latin, comme dans inhumer et exhumer, et posthume; au sol, sur la terre, dans la terre, planté dans la terre comme un arbre. »
C’est le premier livre que j’arrive à reprendre après les tueries de novembre, et de tels rappels aux subtilités de la langue accusent la fin d’un autre monde au moment où le collège se déforme.
Si la trajectoire qui mène de la ferme à cette exigence dans le travail d’écrivain peut être familière, je n’ai pas assez de connaissances de Claude Simon auquel un chapitre est consacré pour apprécier intimement son approche, mais la musique générale me va.
«  Je vois la phrase, elle s’incarne, c’est la clôture de barbelés que les hommes tendent entre deux piquets de châtaignier ou de chêne fortement équarris ; les enfants sont là, ils aident, ils assistent, ils fournissent le marteau, les tenailles, les crampillons, ils portent, ils transportent, ils galopent ; et ils voient, ils pourraient voir la phrase se tendre entre deux piquets de châtaignier comme entre la majuscule  et le point... »
Une intime.

vendredi 15 janvier 2016

Liberté.

Je ne vais pas m’atteler à une rédaction, genre qui parait-il se raréfie, autour d’un mot tellement lourd, mis pourtant avec désinvolture à toutes les sauces et qui par nature s’échappe entre les paragraphes.
Je vais essayer de surcroit de ne pas trop citer des auteurs oubliés :
« Il existe aussi une liberté vide, une liberté d'ombres, une liberté qui ne consiste qu'à changer de prison, faite de vains combats entretenus par l'obscurantisme moderne et guidés par le faux jour. » Jean Edern Hallier
La liberté qui n’avait plus à faire valoir sa licence tant elle semblait aussi évidente que l’air et l’eau, nous ne la voyions plus à l’abri de nos portes blindées. A réinterroger.
Ainsi il me semble abusif, factice et contre productif de prétendre faire exercer son libre arbitre,   à un nourrisson, sponsorisé par papa et maman, pour savoir s’il préfère son yaourt à la fraise ou à la framboise.
Et sur des murs repeints de frais, je ne vois que l’effacement de ce mot si vif,  « libre » lorsqu’il dégouline sur le territoire des autres, alors que cinquante ans en arrière j’aurais tenu le pinceau au moment où on enlevait l’échelle.
En matière d’élevage, je crois bien que ce sont les cadres qui libèrent, leur absence angoisse et fait se couvrir de baillons et de masques les enfants abandonnés. Il y a des barrières à ne pas franchir, quand l’avalanche menace.
Entre deux réveillons, mon libéral préféré se croyait cohérent depuis ses racines croyantes jusqu’à ses engagements barristes en  affirmant qu’il n’y a rien à faire contre le réchauffement climatique : je suis sceptique  face aux climato sceptiques, et il y en a. Parce que terre Gaïa, autre madone, en aurait vu d’autres, il ne s’agirait pas de contraindre les libres propriétaires de 4X4, ni les libres actionnaires des mines de charbon… je ne suis pas d’accord.
Les seuls qui croient à nos frontons où s’écaillent « lib’, ég’, frat’ » sont ceux qui les mitraillent, les autres aux oreilles incrustées d’écouteurs regardent de haut l’école qui n’a plus qu’à laisser les élèves bavarder gentiment. La chaire est faible.
« Qui n’entend qu’une cloche, n’entend qu’un son »
La multiplication des canaux d’information a restreint les choix, et raréfié les confrontations toniques. Se rejouent-elles encore, en dehors des papiers fossiles, les oppositions souverainiste/mondialiste qui avaient pris la suite de communisme contre conservatisme ?
Ou comme l’écrit J.F Colosimo :
« le partage s’insinue entre ceux qui postulent que l’homme est son propre demiurge, qu’il peut se réinventer tous les matins, et ceux qui pensent que l’homme est un être historique, que cette histoire le constitue et l’oblige. »
L’étincelle pouvait naître du frottement de deux options contradictoires, alors que se creusent comme sillons parallèles, des trajectoires qui s’ignorent ou l’inné et le carnet d’adresses sont déterminants. Plus de flamme.
Pas vraiment free.
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 Le dessin au début de l'article est paru dans courrier international et Le soleil (Québec) et ci dessous sur le site de Libération sur lequel il convient de cliquer pour qu'il soit lisible.