mardi 19 novembre 2024

Idéal standard. Aude Picault.

Une infirmière en néonatalogie sur la pente descendante, pour ce qui concerne sa courbe de fertilité, se met en ménage avec un ingénieur financier. 
Nous sommes en ville dans un univers plus féminin que chez Dupuy et Berberian mais aussi finement traité. 
Les papotages amicaux peuvent produire de petites blessures quand il est si souvent question de problèmes de couple et que se rappellent les normes de tous côtés. La solitude éloigne pourtant les rêves de prince charmant.
Le propos féministe s’inscrit dans un récit de vie sans éclat, avec un sourire sans illusion.
Quand il est question de femme trentenaire, Bridget Jones, franche et drôle, devenue une référence archétypale s’impose. Mais suite au succès du personnage, les critiques affluent comme dans le domaine de la BD, avec la question : « Faut-il en finir avec la BD « girly » ?Maintenant que la déconstruction supplante la construction, j’en suis à aimer encore davantage le genre incarné par Penelope Bagieu ou Margaux Mottin, certes plus étroit que celui dont Bretecher fut la pionnière, mais aussi bien vu. Ces 150 pages sont de la même veine. 
Les dessins frisottants, légers, aux discrètes couleurs pastels s’accordent à un scénario limpide. 
Un certain romantisme ne disparait pas sous l’acuité du regard. Champagne ! 

lundi 18 novembre 2024

Anora. Sean Baker.

Liaisons dangereuses d’une stripteaseuse chez les oligarques russes à New York.
Un prix pour l’actrice principale Mikey Madison aurait été mérité, quant à la palme à Cannes, 
il faut croire que la concurrence ne devait pas être vigoureuse, ni très inventive.
Youri Borissov est aussi intéressant.
Nous passons cependant de bons moments chauds, sentimentaux, drôles, alors que tombe la neige, que les émotions sont celles de la coke, que nous en sommes à plaindre de pathétiques méchants et que la chair même ficelée joliment est plus frénétique que romantique.
L’histoire (2h 20) de ces paumés dans un monde perdu, sans sommeil, vigoureusement menée, nous emmène une première fois vers les lumières de Las Vegas pour y revenir quand les promesses ne tiennent plus. 
Qui parle encore de rêve américain ? 

samedi 16 novembre 2024

L’intérêt de l’enfant. Ian McEwan.

Bien que mon échantillon des auteurs anglais soit réduit, il est pour moi « the author » typique avec lequel l’humour permet la profondeur et de grands plaisirs de lecture. 
Une juge aux affaires familiales rencontre un jeune témoin de Jéhovah qui risque sa vie en ne voulant pas être transfusé. 
« Je vais vous dire pourquoi je suis là Adam ; je veux m’assurer que vous savez ce que vous faites. Certains vous trouvent trop jeune pour prendre une telle décision et croient que vous êtes sous l’influence de vos parents et des anciens. D’autres pensent que vous êtes extrêmement intelligent et doué qu’on doit vous laisser aller jusqu’au bout. » 
Le conflit entre la foi et la loi est traité avec finesse.
Nous suivons, en dehors de son travail, cette femme sans enfants à un moment où son couple est remis en question sans entamer son sens de la justice ni son humanité . 
« Ecoute Fiona, dit-il soudain, je t’aime. »
Elle mit quelques secondes à répondre.
« Je préfèrerais que tu dormes dans la chambre d’amis. »
Il baissa la tête en signe d’acquiescement.
« Je vais mettre ma valise ailleurs. »
Il ne se leva pas. Ils connaissaient tous le deux la vitalité du non-dit, dont les fantômes invisibles dansaient autour d’eux à présent. » 
Bien que des questions complexes de vie et de mort, de liberté, de choix de vie, soient examinées avec minutie, c’est le mot « limpidité » qui  peut caractériser ces 237 pages.

vendredi 15 novembre 2024

La littérature ça paye ! Antoine Compagnon.

Bien sûr la dimension économique est traitée, mais avec l’académicien aussi à l’aise avec les chiffres qu’avec les lettres, nous allons plus loin avec ce livre bref et tonique (185 pages). 
« Les familles s’inquiètent du retour sur investissement de leurs dépenses d’enseignement supérieur, notamment aux Etats-Unis, plombés pas une énorme dette étudiante ( la deuxième après la dette immobilière). » 
Le dessin de Sempé en couverture, bien que je le sache trompeur, m’a bien sûr amené près de la caisse du libraire, et les arguments du professeur au Collège de France m’ont évité de me complaire dans la déploration de l’effacement de la littérature et permis de voir plus positivement l’avenir.
Il ne se contente pas de flatter le lecteur dans un mol plaidoyer dans lequel il n’y aurait plus rien à dire après la sentence de Sénèque : 
« Le repos sans lecture est la mort et pour l’homme vivant un tombeau. » 
Le propos n’est pas figé en prenant en compte les nouvelles technologies. Pour un chapitre consacré à la bibliophilie, activité de petite niche, la mise en évidence du développement des audio-livres m’a paru tout à fait intéressante. 
« … un peu de technique éloigne de la littérature, mais que beaucoup y reconduit, et qu’un enseignement littéraire, dans les écoles professionnelles, droit, médecine, ingénierie, commerce, ne fait pas de mal et au contraire beaucoup de bien. » 
« Transfuges de classe », bénéfices pour la santé de l’apprentissage d’autres langues, démocratisation de l’enseignement supérieur, constituent  des thèmes familiers, mais sont abordés avec simplicité, même si je dois revoir quelques définitions : « sérendipité » ou « nudge »…
Dévitalisant pourtant les départements de littérature, un grand nombre de disciplines universitaires font de plus en plus appel à la narration. 
Plus intimement, le temps passé à lire permet d’approcher l’ambition de devenir auteur de sa vie. 
Patiemment, nous apprenons que le chemin vers soi passe par les autres, par les livres.

jeudi 14 novembre 2024

Biennale art contemporain. 2024. Lyon.

Depuis quelques paires d’années nous visitons les usines désaffectées de Lyon pour aller à la rencontre de nouveautés en matière de création artistique. 
Cette fois nous commençons notre visite par les « Grandes Locos », anciennement lieu de maintenance de la SNCF sur la commune de La Mulatière.
Le thème de cette 17 ° édition, « Voix des fleuves », a été respecté au mieux quand les locaux au bord de l'Yzeron étaient évacués par crainte d’inondation, deux semaines auparavant.
Sinon, il faudrait quelques médiateurs talentueux pour expliquer le lien entre Saône et Rhône et les thèmes représentés par la plupart des 78 artistes sélectionnés qui nous ont étonnés, émus ou laissé de glace.
Les « Marmites enragées » sifflant l’Internationale nous ont mis de bonne humeur.
L’ample installation d’
Oliver Beer, « Resonance Project: The Cave » qui nous avait été recommandée fait entendre huit chanteurs exprimant leur premier souvenir musical dans des grottes préhistoriques en Dordogne.
Les sons ont laissé de belles traces sur la toile bien que quelque peu maniérées, mais intéressantes.
Les mille magnifiques paysages de Jean Christophe Norman sont réalisés sur les pages de l’ouvrage « Le fleuve sans rives » de Hans Henny Jahnn dont il avait retenu une phrase : « Par mer calme le bateau disparut de la surface de la mer ».
Bel hommage aux livres et respect du thème, originalité du propos : 
le tour de force est impressionnant.
Des costumes liés par une toile sortiront de la grève 
quand des performeurs se glisseront dedans
comme des bouteilles attendent des exécutants pour un moment musical.
Après Joanna Vasconcelos reine des textiles monumentaux, 
« Le Cactus » de Mona Cara ne retient pas particulièrement l’attention,
pas plus que les oiseaux de Chourouk Hriech   
pourtant de belle taille et soigneusement exécutés.
Les squelettes de « La chariotte des malins » de Clément Courgeon en rouge et blanc convoquent l’enfance.
Un long cylindre de bois ou un plateau mobile peuvent divertir les gônes qui feront baisser une moyenne d’âge élevée inquiètant en général les organisateurs d’évènements culturels.
Les toiles du bien nommé  Edi Dubien, se retiennent
plutôt que l’entre soi de Ludivine Gonthier, « Portrait de groupe revivifié »
ou les anecdotiques évocations de Tirdad Hashemi et Soufia Erfanian « originaires d’Iran et  exilé·e·s en France pour vivre plus librement leurs identités queer » trouvées au MAC. 
 https://blog-de-guy.blogspot.com/2024/06/musee-dart-contemporain-lyon-2024.html
Lorraine de Sagazan
  dans son « Mont de piété » a mis littéralement aux clous des objets qui ont vécu, dérisoires et évocateurs de vie, de séparation.
Robert Gabris
,« rom et queer », vaut plus par ses réalisations pour nous faire apprécier son univers « This Space Is Too Small For Our Bodies » que par des commentaires tellement attendus: « … développant une critique postcoloniale des structures institutionnelles. Par opposition au système capitaliste et patriarcal, il cherche à inventer des espaces inclusifs, sensibles et ouverts, qui célèbrent la diversité du vivant et la variété des émotions. »
Un petit texte suffit pour accompagner les photographies de trousseaux de clefs de maisons détruites à Gaza présentés par Taysir Batniji pour ramener les drames entre nos murs lisses. Il a aussi par frottis relevé des empreintes de chaussure.
Il faut se déchausser pour entrer dans « The Blue Room » de Grace Ndiritu où un côté tape à l’œil contredit une invitation à la méditation.

mercredi 13 novembre 2024

Good road to follow. Quatuor Béla.

 
L’intitulé de départ: « Les clochards célestes » a changé pour un habituel titre en anglais justifié par l’évocation d’un voyage dans les musiques novatrices venues du Nouveau monde. L’allusion initiale à l’ouvrage de Kérouac exprimait cette recherche d’absolu qu’un des compositeurs joué ce dimanche matin, Moon Dog ou le « viking de New York » de son vrai nom, Louis Hardin, incarnait parfaitement.
Les trois violonistes et l’expressive violoncelliste tirent les sonorités les plus diverses de leurs instruments sur des partitions inventives, surprenantes, drôles. 
Dans les morceaux choisis aux notes parfois ténues, aux emballements réjouissants, la précision des pizzicati ne contredit pas la fantaisie des propositions. 
Classique, ou d’avant-garde, jazz ou pour cartoon, ce moment musical permet d’avoir une idée de la perfection quand est palpable le plaisir de jouer au bout d’un travail admirable. 
Nous oublions alors, pour un moment,  d’autres énergies humaines consacrées au malheur de leurs semblables.

mardi 12 novembre 2024

Le souffle des femmes. Franck Manguin Cecile Becq.

Plongée dans le monde  des « Ama » (« femme de la mer »)
, qui capturent des ormeaux en apnée. 
« Rappelez-vous ce que les anciennes disaient, si nous pêchons nues c'est pour s'adapter à la nature et lui prendre ce qu'elle peut nous donner. » 
Nous sommes au Japon dans les années soixante quand ces femmes cultivaient les traditions, tout en conservant pudeur des sentiments et affirmation d’une forte personnalité forgée dans la pénibilité de leur profession.
L’arrivée sur l’île de la nièce d’une plongeuse permet de suivre son initiation. 
C’est la fin d’une époque lorsque la ressource se fait rare et que l’isolement, la rudesse du labeur compromettent la transmission de ce savoir-faire.
Le dessin lisse ne traduit guère la difficulté de la tâche bien qu’il rende familières ces étonnantes coutumes. 
Les dialogues dans une langue très contemporaine (« Chuis naze, je vais piquer un petit somme » ) nous éloignent de l’île d’Egura aux coutumes singulières alors que le conflit entre tradition et modernité  concerne tout le monde : 
 «  Tu veux savoir si je suis heureuse d’être Ama ? 
A vrai dire, je me suis jamais posé la question… ! 
Ce que je peux te dire, c’est que c’est dur de vivre de la pêche, ça l’a même toujours  été quoiqu’on en dise…
Mais en même temps je n’ai jamais voulu arrêter… »