Sophie Bernard, commissaire de l’exposition qui se tient
jusqu’au 29 janvier 2017 a
présenté devant une salle comble des amis du musée de Grenoble, la prolifique
dernière décennie de Kandinsky, né en Russie, ayant travaillé en Allemagne et
mort en 1944 à Paris à l’âge de 78 ans.
Cet article abordera les éléments non mentionnés dans le
compte rendu de la visite archivé sur ce blog, consacré à ce parcours tellement
couru présentant une centaine d’œuvres venues de New York, Stockholm, Madrid,
Paris, Vézelay...
Né dans la haute bourgeoisie moscovite, Kandinsky commence sa
vie d’artiste autour de sa trentième année, après avoir suivi des études
d’économie et de droit.
Dès 1911, il peint «
Tableau avec cercle », première toile abstraite, en même temps que
ses premiers écrits théoriques « Du spirituel dans l’art et dans la
peinture en particulier » avant « Point et ligne sur plan ».
Au bout de ses exils russes et allemands, il choisit, avec
Nina son épouse, un ancrage à Paris où la critique est pourtant réfractaire à
l’abstraction. La capitale des arts est alors un label. Il parvient à dépasser la
qualification qui lui est attribuée de peintre « oriental », tant
chacun de ses tableaux est unique, vif, vibrionnant, vivifiant. Les galeristes Christian Zervos et Jeanne Bucher vont l’aider.
Il « raconte ses rêves », invente sans cesse, ne
s’interdit rien.
L’incontournable « Développement en brun » ouvre
l’exposition, mais « Trübe Lage, Situation morose » peint en 33 est
encore plus sombre et mélancolique.
Après le collectif du Bauhaus, c’est « Chacun pour soi »,
embryon, nuage, cellule, signe d’un renouveau ; les titres sont désormais
en français.
Devenu rapidement « un vrai parisien », dans ces
périodes douloureuses, il s’exprime très peu en politique, et se trouve en
porte à faux entre l’abstraction géométrique orthogonale et les surréalistes
dont les jeux avec le hasard lui sont étrangers.
Ainsi parmi d’autres dilemmes, « Le nœud rouge » sépare
deux formes architecturées, loufoques, enfantines entre statique et mouvement.
Et l’identité trouble
de la « figure verte » aurait pu éclaircir son ambiguïté entre
abstraction et figuration en regard de « L’acrobate bleu » de
Picasso.
Il adopte l’expression « art concret » qu’Hans Arp
avait exprimé :
« Je trouve
qu'un tableau ou une sculpture qui n'ont pas eu d'objet pour modèle sont tout
aussi concrets et sensuels qu'une feuille ou une pierre. »
Le polyphonique
« Rayé » énergique et
bariolé comme un feu d’artifice est dans le prolongement de ses différentes
compositions, sans
toutefois constituer une
série.
Dans le genre de « Trente » où le multiple se présente
sous forme d’inventaire,
« Bagatelles douces » rappelle les cartouches de
l’art égyptien, les arts extra-européens,
les « Morphologies » de
Brauner ou la « Composition universelle » de Torrès-Garcia.
Après son « âge d’or » en 39-40, bien qu’il refuse
de voir la guerre, il met ses œuvres à
l’abri. Dans ce contexte, le « Bleu de ciel », « pur
conte pictural » parait encore plus émouvant.
Il manque de matériel, mais son fantaisiste « Sans
titre » de 1940 sait jouer sur les équilibres.
Comme « Une fête intime », solaire,
qui peut évoquer les mobiles de Calder
ou les machines de Tinguely.
La ligne est reine dans « Le filet »
labyrinthique.
Exposé avec De Staël, le tableau « Communauté » au
titre idéaliste présente des tableaux à l’intérieur du tableau.
Le cavalier bleu de ses débuts apparaît dans «
Elan tempéré » pirouette humoristique de sa dernière œuvre achevée.
Faut-il aller jusqu’à y voir un autoportrait palette en main ?
Alors qu’une courbe domine une aquarelle et encre de chine
encore sur son support, « Sans titre » de 44, résume les tendances
fortes de ces années parisiennes où l’infiniment petit rencontre l’infiniment
grand, la musique et l’enfance, « … La
synthèse de nombreuses expériences des sens » Will Grohmann.
Ses toiles « Mouvement I » et « Accord
réciproque », vivants jalons, veillent sur le corps exposé dans son
atelier de celui qui « a voulu exprimer le mystérieux par le mystérieux ».
La vie présente a retrouvé, dans la mort, la vie future.
André Breton lui avait écrit en 36 :
« Je n’ai pas eu
le temps de vous dire vendredi à quel point je restais sous le charme des
œuvres exposées chez Madame Bucher et qui sont faites de la poussière des temps
où l’on a été ou où l’on sera encore heureux. »