lundi 4 avril 2016

Sleeping giant. Andrew Cividino.


L’été de toutes les découvertes s’ouvre pour un gentil garçon de bonne famille acoquiné à deux cousins dans le défi permanent.
Le jeu de la vérité peut s’avérer meurtrier : la nature n’est pas qu’un décor pour saines activités estivales en milieu occidental. Ce n’est pas elle la plus sauvage, nous sommes pourtant au Canada. L’adolescence découvrant les failles des adultes et les distances sociales est touchante et douloureuse. Le bruit des feux d’artifices résonne dans le vide des espérances mortes avant même d’avoir pu germer.

dimanche 3 avril 2016

Sainte Jeanne des abattoirs. Brecht. Lamachère.

Berthold Brecht, le maître des plateaux post soixante-huitards, en ses leçons magistrales, n’est finalement pas si dépassé
et les 3h 15 de spectacle mis en scène par Marie Lamachère nous en persuadent.
La fameuse distanciation est déjouée, surjouée par des acteurs excellents, en une série de tableaux efficaces ponctués de chœurs à cœur et à cris.
L’introduction qui voit des acteurs commenter différemment une séquence filmée des années 30 nous met dans le bain de ces années, sans nous noyer, ce qui était le but de l’exigeant dramaturge qui voulait des spectateurs critiques : nous ne nous sommes pas assoupis.
Chicago et ses monstrueux abattoirs  avec spéculateurs dont les calculs auraient pu être plus concis où travaillent des dizaines de milliers d’ouvriers aux vies de peu de prix : la maltraitance ne fut pas qu’animale.
Et Jeanne Dark, la soucieuse héroïne, sous son chapeau noir de l’armée du salut, parmi ce chaos organisé, passa de la soupe claire des chanteurs pas toujours nunuches, à la harangue communiste. Aujourd’hui, elle parcourrait  le chemin inverse de la révolution sociale à la génuflexion religieuse.
Spangherro, Doux, éleveurs étranglés, ouvriers exploités, animaux martyrisés, les  rapprochements avec notre situation et le siècle précédent ne manquent pas, en évitant de revenir sur le parallèle trop souvent invoqué de la montée des fascismes en regard de nos démons qui ne sont passés ni à dache* ni à chaille*.
Si la remarque ci dessous parait depuis tant de temps d’une ingénuité coupable :
« Il est pour nous mystérieux,
Ce phénomène du chômage.
En outre, il cause des dommages.
Il serait temps d’intervenir ! »
Le dernier cri de Jeanne qui a jeté son chapeau par-dessus les moulins à paroles est d’une actualité audacieuse :
 « C’est pourquoi celui qui dit en bas
 Qu’il y a un Dieu
Toujours lisible
Mais qui peut malgré tout vous aider
Il faut lui fracasser la tête contre le pavé
Jusqu’à ce qu’il en en crève ».
……….
* « Les sous que tu lui as prêtés, tu les reverras peut-être à dache » Dache : Loin (dans le temps ou dans l'espace). Autrement dit : « à St-Profond des Creux »
* « J'ai été obligé d'aller à chaille pour trouver cette pièce. » Chaille : très loin. A ne pas confondre avec « avoir mal aux chailles », aux dents.

samedi 2 avril 2016

Georges, si tu savais… Maryse Wolinski.

La jeune fille blonde qui tomba amoureuse de Wolinski décrit, sans abuser de son nom, sa vie de femme avec un des acteurs qui a mis un sourire aux lèvres de tant de gars.
« J’ai eu mille raisons de le quitter, mais comme je vis toujours auprès de lui, il y en a une mille et unième qui me fait continuer et réussir cette aventure sentimentale au long cours »
 L’histoire d’un amour pas toujours aussi léger que le disent les dessins mais dont l’humour a favorisé la construction d’un attachement auquel n’ont pas mis fin les balles du 7 janvier.
« - Mais que peut craindre un humoriste comme toi ?
- La vérité, parce qu’elle est terrible. C’est la mort, la maladie. Les gens en général arrivent à s’en sortir parce qu’ils vivent dans le mensonge. Je préfère plaisanter avec et rester dans la vérité. »
Les sourires de tous les degrés qui ont accompagné nos vies persistantes d’adolescents venaient d’un homme à l’existence dramatique : Georges, veuf à 25 ans, était orphelin d’un père tué par un de ses employés.
Maryse dont on comprend bien l’engagement expose avec vigueur ses contradictions de féministe. Sa sincérité va au cœur des trajectoires, dont l’exhibitionnisme est exclu.
175 pages sans prétention disent bien des vérités.
« Nous n’étions pas faits l’un pour l’autre, mais nous nous sommes faits l’un à l’autre »

vendredi 1 avril 2016

Clients-rois.

Depuis le temps que le gouvernement s’inscrit dans une politique de « l’offre » qui vise à favoriser l’entreprise, l’expression «  client roi » serait-elle juste bonne à être glissée dans la pile de nos cartes de fidélité en voie de péremption ?
Ecole:
Dès la conception, l’unique enfant est « king » : parents pressés, grands-parents empressés, le gâtent. L’école qui n’émeut plus, n’émet plus, attend que le jeune qui ne s’attable plus, lève le nez de ses tablettes. Il n’a pas l’intention de devenir charpentier au bout d’un parcours paresseux balisé de bienveillance. Tant qu’il y aura des culpabilités, Tanguy plantera sa tente chez ses vieux où son autonomie louée dès la maternelle s’assoupit.
Etable:
Tout s’achète et nos campagnes s’achèvent, les gestionnaires de la ruralité mettent la clef sous la porte, la corde sur la poutre. Les vaches n’ont plus de nom et les prix du lait sont plus bas que terre, Leclerc est le roi des caddies. Folles bardèles*.
Elus:
Le clientélisme est devenu le moyen assurant les réélections, mais ça c’était avant.
Ce n’est plus le militant qui choisit mais le supporter au guichet, aguiché primaire.
Les plans de carrière s’ossifient devant l’électeur en majesté, à coiffer d’un bonnet civique pour sa contribution à ne pas vouloir de nouveaux immeubles s’installer devant le sien :
vous ai-je bien consulté pour ne rien changer ?
Et ceux qui prétendaient incarner plus de vertus en politique m’agacent bien plus que les vieux cyniques à qui on n’apprend plus à faire la grimace : Placé & Cosse cumulent, Piolle pipeaute.
L’électeur souverain ne s‘intéresse plus guère à ces comédies. Politique ment.
Europe:
Turquie et Liban reçoivent leurs voisins, la Méditerranée engloutit quelques surnuméraires, Banksy ramène sa fresque à Calais. La France isolée essaye de contenir le mal au Mali et se dispense de penser le problème des réfugiés. L’Europe a-t-elle existé ?
…………
Quand il y a de l'orage, la bardèle devient mauvaise. Une vache en patois dauphinois.
« Taaa bardèles »: pour les rassembler.
…………
Dessin de Pessin sur le site de « Slate »

jeudi 31 mars 2016

Georges de La Tour et les caravagesques français. Jean Serroy.

« Saint Jérôme pénitent dit aussi Saint Jérôme à l'auréole » peint par De La Tour aurait pu servir d’écran d’attente au conférencier, dans son exposé devant les amis du musée.  Appartenant au musée de Grenoble, il est actuellement à Madrid, échangé contre un Le Gréco.
Le maître des ombres et des lumières a été cité déjà dans ce blog :
Au moment où Le Caravage meurt, Rome, religieuse et diplomatique, est très influente ; pour ses relations avec l’Espagne, Paris passe par la ville éternelle. La cité de 100 000 habitants est pourtant moins peuplée que Venise, Milan ou Naples. Mais la contre réforme dans ces années 1620 y bat son plein, les architectes rendent les façades des églises séduisantes et les peintres ont des commandes au-delà des religieux. 
Les visiteurs emportent des souvenirs, souvent des « bambochades » : scènes de la vie quotidienne, des rues et des auberges, au format des sacoches des chevaux.
Les artistes Caravagesques sont allés plus loin que leur maître : après les dieux antiques détrônés et détournés, le naturalisme s’impose, les sujets les plus humbles prennent la lumière, le spirituel doit toucher les sensibilités. Les jésuites s’engagent à donner les clefs d’une rhétorique propre à exciter les cœurs, alors que les jansénistes voient la spiritualité dans l’ascèse.
Jacques Callot, fera le voyage à Rome comme de nombreux collègues. Le graveur évoque ici avec vigueur les « Grandes misères de la guerre » de 30 ans.
Lorrain comme lui, De La Tour, Le ténébriste français le plus fameux, resté à Lunéville n’aura pu prendre connaissance des travaux du Caravage que par des peintres flamands ou hollandais de passage.
«  Les mangeurs de pois », éclairés par la gauche, cadrés à mi-corps, loin des bergers d’Arcadie, ne sont pas idéalisés, l’une est méfiante, l’autre absorbé, leurs gestes dans la continuité, essentiels.

Le « Vieillard » et la  «  Vieille Femme », endimanchés dans leurs  habits colorés, tranchent sur un fond éclairé encore par le jour. Ils viennent du musée De Young à San Francisco, et si bien des musées français exposent De La Tour, sa renommée, importante déjà de son vivant, a repris vigueur dans la deuxième partie du XX° siècle. Sorti de l’ombre.
L’œil ne se perd plus dans le fond devenu noir. Autour du  « Tricheur à l'as de trèfle » éclairé violemment, les regards et les mains jouent.
Il existe plusieurs versions de « Madeleine » réfléchie, dont l’éclairage venu de l’intérieur, fait franchir les portes de la nuit. Celle-ci, « La Madeleine au miroir »,  est intitulée aussi La Madeleine pénitente ou Madeleine Fabius. Le père de Laurent F. l'a vendue à la National Gallery of Art de Washington.
Des enfants paraissent : « le souffleur à la lampe » est éclairé par la lumière qu’il vient de faire naître. 
Le seul petit qui avait été représenté jusque là, Jésus, éclaire magnifiquement « Saint Joseph charpentier », aux manches retroussées, le pied sur une poutre pour qu’elle ne bouge pas ; est-ce la croix ?
« Le nouveau né » est le « Chef-d'œuvre d'entre les chefs-d'œuvre » d’après le critique Thuillier.
La flamme cachée par la main d'une femme découpe la scène en traits simples et aplats quasiment cubistes. Les courbes enveloppant l’évènement célèbrent le mystère universel de la venue au monde d’un bébé, encore dans son cocon.
Alors qu’il aurait été possible de juxtaposer plusieurs « David et Goliath », interprétés par des caravagesques français, je choisirai plutôt  quelque « Diseuse de bonne aventure » de Valentin de Boulogne mort à Rome,
celle de Nicolas Régnier, appelé aussi Niccolò Renieri,
ou  l’égyptienne de Simon Vouet qui  fait les poches, en faisant l’impasse sur celle de De La Tour, 
mais pas sur « La Femme à la puce » moderne de forme,  massive de corps, dans un calme propice à la méditation : de l’intimité la plus prosaïque à la profondeur de l’âme humaine.
« Loth et ses filles » évoquera le baroque Claude Vignon, l'un des peintres français les plus célèbres de l'époque de Louis XIII, contemporain de Poussin qui lui refusa l’héritage du Caravage. 
Quant à Trophime Bigot, son « homme criant » ouvrant sa bouche d’ombre, nous saisit.    
 « On peint ce qui est en nous, ce qui n’a pas de bords, ce qui est noir à l’intérieur » Walter.

mercredi 30 mars 2016

Cinéma et fantastique. Andrevon.

L'écrivain grenoblois multi cartes, auteur d’une encyclopédie du cinéma fantastique et de science-fiction nous a présenté aux amis du musée, quelques extraits de films qui ont marqué le genre dans une chronologie bousculée, comme il se devait.
La frontière entre le fantastique, irrationnel, et la science fiction, une «conjecture romanesque rationnelle » peut être mouvante, comme le temps et l’espace qui sont en jeu dans ces contes de faits, quand les fées ne sont pas innocentes.
La colonisation (américaine) peut s’étendre jusqu’aux empires galactiques.
Jules Verne avait ouvert la voie à l’anticipation et Méliès envoyé le public des boulevards dans la lune dès 1902.  
Si Asimov l’inventeur du terme « robotique » a seulement été brièvement cité, ses textes de 1964 concernant l’année 2014 sont étonnants de lucidité http://www.lexpress.fr/culture/livre/1964-2014-les-incroyables-predictions-d-isaac-asimov_1277191.html .
Les soucis politiques et écologiques nous précèdent dans le futur.
« Planète interdite » de Fred Wilcox dans lequel un monstre est créé par une machine qui s’alimente à l'inconscient d’un savant, remet en cause notre destinée d’humain-trop humain.
Datant également des années 50, « Les survivants de l’infini » de Jack Arnold,  un space opéra, transcrit avec des effets spéciaux déjà spectaculaires et en couleurs, un univers né dans les pulps (magazines imprimés sur du mauvais papier) genre Amazing Stories.
Les vaisseaux de « 2001, l'Odyssée de l'espace » de  Stanley Kubrick, sont encore clean,  alors que Le Nostromo, nommé ainsi en hommage à Conrad, prend de la rouille. Celui-ci ramène Alien, monstre invulnérable, sur terre, malgré sa dangerosité.
Dans « Contact » réalisé par Robert Zemeckis,  un travelling magnifique nous fait traverser les galaxies.
L’espace vient aussi à nous dans « La Guerre des mondes » de HG Wells de 1898, métaphore de l’empire britannique dominant le monde : ce sont les martiens  qui attaquent Londres. 
Orson Welles est entré dans l’histoire en reprenant le sujet à la radio en 1938 et 
Tim Burton nous a régalé avec une parodie en proposant  « Mars Attacks » il y a près de 20 ans déjà.
La formule « Klaatu barada nikto » prononcée à destination du robot Gort dans le film « Le jour où la terre s’arrêta » de Robert Wise est encore un sujet d’interprétations, sa reprise par de nombreux dialoguistes ravit les amateurs.
Il conviendrait peut être de se rendre maître du temps pour faire face aux menaces qui  pullulent dans ces films qui visent à impressionner.
Au pays des tremblements de terre et des tsunamis, « Godzilla »  monstre marin nourri à l’atome a rassemblé quelques traits effrayants, il détruit Tokyo. La version japonaise sera différente de l’américaine.
Dans la série des chef d’œuvre : « Métropolis » de Fritz Lang , écrit en 1927 avec sa femme qui finira chez les nazis,  présente un monde de 2026, dystopique (contraire de utopique) coupé en deux : travailleurs sous terre et oisifs dirigeants en haut. 
Le fameux « Soleil vert » de Richard Fleischer dans les années 70  est bien sombre et s’alarme de la surpopulation.
« Interstellar » de Christopher Nolan, le plus récent des films cités, va chercher une faille dans l’espace-temps  et part « à la conquête des distances astronomiques dans un voyage  interstellaire ».
La production française bien qu’inspiré par Ray Bradbury pour Truffaut dans « Farenheit 451 »
n’a guère investi ces thèmes bien qu’une « Croisière sidérale »  de Zwobada avec Bourvil en 1942, fasse quelques allusions à l’occupation : « Françoise, jeune mariée, part dans la stratosphère sans son mari, mais avec Lucien, joyeux père d'un beau bébé. Une erreur de manipulation les projette dans l'espace. Au retour, le mari de Françoise aura les cheveux gris et le bébé sera en passe de se marier. »
Godard dans « Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution » a tourné dans la toute jeune maison de la radio avec Eddie Constantine et Anna Carina qui retrouve les mots proscrits : « je vous aime »
Le metteur en scène et l’actrice se séparaient à ce moment là.

mardi 29 mars 2016

Azrayen. Lax. Giroud.

Je m’étais demandé pourquoi les noms du dessinateur et du scénariste étaient plus en évidence que le titre de l’édition intégrale.
C’est que les pères acteurs de cette guerre sans nom ont inspiré ce récit dont la préface de Benjamin Stora valide le travail minutieux des fils qui fournissent des annexes copieux.
En 1957, une section de vingt-deux hommes a disparu en Kabylie, un autre groupe de militaires part à leur recherche, en se comportant parfois de façon très brutale à l’égard des populations. 
Azrayen est le surnom du lieutenant disparu, « l'Ange de la Mort », amant d’une institutrice berbère qui participe un moment aux recherches, elle n’a pas la langue dans sa poche :
 « C'est vous qui parlez de civilisation ? Vous qui rasez des villages entiers ? Vous qui déportez leurs habitants dans des camps immondes ? Vous qui torturez les patriotes dans le secret de vos caves ? »
Mais le propos n’est pas manichéen :
« A quoi bon un pays débarrassé de l'occupant s'il y règne encore la tyrannie des coutumes et des barbaries d'un autre âge ? »
C’est l’hiver et parmi les pierres et la misère, la situation de guerre parait encore plus insensée pour les colonisés et les occupants : qu’y a-t-il à gagner ?
Violence et incertitudes : un scénario bien mis en valeur par des dessins nerveux et des couleurs au réalisme sonnant juste.