lundi 28 mars 2016
A perfect day. Fernando Leon de Aranoa.
Une équipe d’humanitaires dans les Balkans
affrontant l’absurde, nous fait partager un humour qui les sauve du désespoir.
Dans deux véhicules, deux vieux baroudeurs et la petite dernière à initier,
assurent sous des dehors forcément désinvoltes, une mission dont l’efficacité
ne tient qu’à une corde. Les paysages sont magnifiques, les filles jolies, les
puits maléfiques, les vaches piégeuses, un innocent ballon devient un objet de
pouvoir révélateur des incompréhensions. Excellent, on peut penser
à « M.A.S.H. ». Avec Benicio Del
Toro, Tim Robbins, Olga Kurylenko, Mélanie Thierry.
dimanche 27 mars 2016
Les insoumises. Isabelle Lafon.
Un tel titre a beau devenir anodin au pays des « mutins
de Panurge » comme disait Philippe Muray, c’est pourtant un moment intense
que nous avons partagé dans le Petit Théâtre de la MC2. Il est justement
question de la recherche des mots justes et de la violence de cette quête dans
les trois séquences proposées, du temps de Staline en Russie, avec Virginia
Wolf à Londres et dans un hôpital psychiatrique.
Deux entractes d’une demi-heure entre trois séquences d’une
heure dix laissent le temps de prendre une bière et une soupe à La Cantine de
« La maison de la culture » qui commence à s’organiser plus
efficacement.
D’abord « Deux ampoules sur cinq » : depuis
un appartement communautaire à l’époque de Staline, la poétesse Anna Akhmatova
et la journaliste Lydia Tchoukovskaia, femmes de lettres, comme on disait dans
ces années 30, ont des raisons de se
méfier des mots. Un fils emprisonné, un mari arrêté, l’une apprend les créations
de l’autre pour en conserver la mémoire plus sûrement que sur un support papier.
A la lumière de lampes torches, elles se confient et surmontant l’urgence, la
poésie les sauve.
« Let Me Try » s’inspire du journal de Virginia Woolf.
Trois actrices mettent en forme les différentes personnalités de celle qui
voulait « saisir les choses avant qu’elles ne se transforment en œuvre d’art ».
Elles sont drôles et tragiques, légères et brûlantes, iconoclastes, enluminant
le moindre feuillage. L’écriture se cherchant, enrichit, colore la langue,
élargit la pensée.
Dans la troisième partie « Nous demeurons »,
peut-on parler d’ « insoumises à la raison » à propos de femmes
qui viennent exposer leurs délires poignants rassemblés dans des revues de
psychiatrie ? Elles sont submergées par des voix intérieures, leur souffrance
est exposée avec conviction par les comédiennes qui nous rendent proches ces aliénées
de la fin du XIX° siècle.
Si les démarches en Russie ou à Londres étaient une
recherche de liberté, malgré leur vigueur commune, elles ne peuvent se
confondre avec l’expression des diverses folies. « Expression » comme
on dit d’un linge tordu ou comme on
presse un fruit, elle se rapproche parfois de nos expériences, quand les mots
résistent. Mais je me méfie d’une vision candide de termes aux allures chatoyantes
qui sont pour ces femmes seules autant de cris dans le désert, aux désarrois
irréductibles.
samedi 26 mars 2016
L’amour humain. Andreï Makine.
Le titre situe l’ambition du roman qui embrasse l’histoire
de la décolonisation en Afrique.
« une vie qui
nait quand l’Histoire, ayant épuisé ses atrocités et ses promesses, nous laisse
nus sous le ciel, face au seul regard de l’être qu’on aime »
Elias, l’africain héroïque, un révolutionnaire professionnel
formé par les russes, connaitra Cuba et les exaltations, les désillusions de la
guerre froide en pays chauds.
Le côté « Un Angolais en Sibérie » invite à la
comparaison avec une bande dessinée qui serait magnifiquement dessinée: le
style est coloré, mais le scénario conventionnel n’évite pas les facilités,
avec contrastes entre champagne des colloques et eau des marigots, sur fond d’ apparitions
de belles qui ne font que passer.
« Et ce soir là, en 1967, sur une plage
cuivrée par le couchant, il apprit la fin d’Ernesto.
Cette mort resta ainsi
à jamais liée, dans son souvenir, au saignement vif des nuages, à la somnolence
des vagues, au visage éploré de cette jeune cubaine qui lui annonça la
nouvelle. Une chevelure raidie par le sel, des lèvres dont il effaça, d’un
baiser, un gémissement un peu trop artistique »
Entre un amour absolu et irrésolu et les pauvresses violées,
la place est réduite pour que des personnages hésitent, vivent, s’approchent,
se connaissent.
La fresque de 295 pages peut s’envisager comme un poème avec
reprise au refrain de quelques motifs : une
femme dont les soldats vont fouiller la bouche pour en extirper quelques granules de diamants, un enfant enterré avec
son masque, le creux du coude de la mère, une maison en bois au perron enneigé…
« A Luanda un
couple parle de la graisse restée dans une poêle, à Lusaka une femme dort à
côté de son mari diplomate qu’elle n’a jamais aimé, à Paris une intellectuelle
rédige un texte sur les révolutions trahies … »
vendredi 25 mars 2016
Vivre ensemble.
Il n'y a pas que des faux plafonds qui se
sont affaissés à Bruxelles. Le virus instillé par les assassins, se
disséminant encore plus facilement que des clous, a franchi mes barrières
immunitaires installées par des décennies d’éducation républicaine et depuis
dupliquées en versions diverses.
Je ne peux plus entendre l’expression « vivre
ensemble » dont j’ai pourtant tant usé, sans être sur la défensive.
Ensemble avec qui ? Les assassins ont même renoncé à
vivre pour nous empêcher de respirer, de laisser nos cheveux aller dans le
vent, de rire, de penser.
Je ne supporte plus les « même pas peur », les
dessins de Tintin qui pleure, du capitaine Haddock jurant pour souligner nos
impuissances et le Manneken-Pis, qui n’a qu’à
arroser les bombes pour qu’elles s’éteignent : ça n’a rien éteint ! Non je n'ai pas la frite et la bière ne passe pas.
Les enfants de Molenbeek de nos écoles bienveillantes ont massacré nos enfances nunuches dessinées à la ligne claire,
après avoir saigné nos adolescences Grand Duduche.
Ah les sages, sur les réseaux sociaux qui s’expriment tout
de suite pour dire de ne pas parler trop vite sur les réseaux sociaux !
Regardons ailleurs : n’y aurait-il pas un intellectuel
pas correct qui se serait exprimé pas comme il faut , pas où il faut?
Oui la déchéance de nationalité est bien dérisoire et elle
existait déjà, mais les critiques à son égard sont du même niveau :
politicard.
Qui a contesté l’état d’urgence ? Qui gène-t-il ?
Cependant son inscription dans une constitution tombée entre de sales mains,
peut craindre.
Quelques pétitionnaires ne veulent pas que la victoire contre les
ennemis de la démocratie se paye par une altération de celle-ci, mais ne
voient-ils pas que dans le paysage s’accumulent tant de cadavres ?
Ils nient l’état de guerre en ignorant qu’ils sont désignés
comme ennemis par toutes les branches de Daechis. Ce ne sont pas les
protestations de gentillesse du parti du Bien qui amenuiseront la jouissance des barbares quand sont
paralysées l’Europe et ses institutions.
Pas de conclusion: pas de conclusion; pas de solution: pas de solutions.
Pas de conclusion: pas de conclusion; pas de solution: pas de solutions.
......
Le dessin du "Canard" de la semaine est en tête d'article.
jeudi 24 mars 2016
Le Caravage et les caravagesques italiens. Jean Serroy.
« La terre était
informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de
Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la
lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des
ténèbres. »
et les lamentations de Jérémie :
« Il me fait
habiter dans les ténèbres,
Comme ceux qui sont
morts dès longtemps »
Du néant, de la mort, depuis les zones noires et les mises
en scènes dramatiques, la force lumineuse, détachant les volumes, va jaillir du
« ténébrisme ».
La modernité pointe son nez au XVII° siècle, au milieu
d’un bouleversement culturel et spirituel décisif pour notre civilisation.
C’est le temps de la reconquête catholique, du concile de
Trente, quand des sciences remettent en cause les connaissances. L’homme
va-t-il être privé de la grâce, de la lumière ?
« Saint Jérôme » le traducteur de la bible en latin,
fait face au crâne : « memento mori ». Le « ténébrisme » se distingue du clair obscur qui
procède par degrés, il assume le face à face, le contraste.
Si la lumière de Jacopo
Bassano vient de l’intérieur du tableau, le peintre maniériste annonce
le Caravage en particulier dans « La déposition du Christ »
Michelangelo Merisi dit Caravaggio, peintre
maudit, eut les faveurs de princes de l’Eglise car il remplissait les maisons
de Dieu. Au cours de ses fuites, de la Lombardie, à Rome, Naples, à Malte, il
reçut de nombreuses commandes. Puis l’engouement passé, oublié des siècles
suivants, il est redécouvert dans la seconde partie du XX°. Il inspire de
nombreux romans dont « La Course à l'abîme » de Dominique
Fernandez et plus récemment « La mort subite » d’
Álvaro Enrigue, des films dont « Caravaggio »
de Dereck Jarman.
Mon voisin de conférence m’envoie un commentaire de Fernandez
extrait de
son dernier livre « Nous avons sauvé le monde » à propos de la phrase de Poussin : « Caravage a détruit la peinture » :
« Ce qu'a détruit
le Caravage ce n'est pas tant la peinture, mais l'illusion que la beauté, la
propreté, l'hygiène, la bienséance vestimentaire sont le bien de tous. Beauté,
propreté, hygiène, noblesse dans le maintien, dignité dans les manières,
correction dans les vêtements, de telles valeurs ne sont pas universelles,
elles sont un luxe qui n'appartient qu'à certaines classes de la
société. »
Baglione, un de ses concurrents malheureux, peut nous
éclairer, tout autant que ses nombreux laudateurs :
« Une tête de sa main
se payait plus cher qu'une grande composition de ses rivaux, tant était grande
l'importance de la ferveur publique ...ferveur publique qui ne juge pas avec
les yeux mais regarde avec les oreilles.»
« L'Arrestation du Christ » au moment du baiser de Judas montre la
proximité du bourreau et de sa victime comme dans sa dernière œuvre « le
martyre de Sainte Ursule » où brillent aussi les cuirasses.
Par contraste sa « Corbeille de fruits », œuvre
de jeunesse, inondée de lumière est originale par la vue en contre plongée et
les marques de pourrissements, de flétrissures, qui n’embellissent pas la
réalité.
Parmi sept versions, « Saint
Jean Baptiste » à la grâce alanguie, est bien vivant,
dénudé par la lumière, qui éclairait aussi le célèbre « Bacchus », jeune
homme, un peu las.
Quand celui qui est désigné par Jésus, semble
interroger : « qui ? moi ? » au moment de « La vocation de Saint Matthieu »,
une « lumière de soupirail » éclaire le bureau
du fisc comme les tavernes à venir.
Deux versions de « Saint
Mathieu et l’ange » écrivant sous la dictée sont également
fortes, mais je préfère la charmante complicité du jeune et du vieillard qui
fut refusée pour son trop grand naturel, dont ne subsiste qu’une copie, car la
toile originale fut détruite par les bombardements de Berlin à la fin de la
seconde guerre mondiale.
Les ténèbres ont couvert la terre, la
sauvagerie se déchaine lors de la flagellation du Christ, ou au moment de la
mise au tombeau, Le Caravage, qui a beaucoup vécu la nuit est sublime, son
désir de lumière éclate avec « La conversion de Saint Paul ».
Le « caravagisme », lumière et naturel, trouvera
en Bartolomeo Manfredi un disciple qui n’est pas
seulement un théoricien, voir son « Arrestation
du Christ ».
Artemisia Gentileschi et la violence de « Judith décapitant Holopherne » répond à un viol qu’elle avait subi et
n’était pas resté caché.
De Francesco Guarino, « Sainte Agathe » qui eut les seins coupés, est saisissante.
Mais pour conclure sur un bel équilibre, ce « Le
baptême du Christ » de Battistello ira bien, non ?
Il y eut un temps aux amis du musée de Grenoble où Le Caravage
était cité presque à toutes les conférences, j’en ai retenu
quelques pages dans les archives de ce blog, quand il fut question du noir:
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/09/le-noir-damien-capelazzi.html
Et lorsqu’il fut exposé à Montpellier :
mercredi 23 mars 2016
Le goût de l’eau. Michel Rivard.
Quand, même lui, mon chonchon, mon unique, Souchon,
déçoit avec Voulzy trop en avant dans l’avant première d’un album
attendu :
«Derrière nos
voix
Est-ce que l'on voit
nos cœurs ?
Et les tourments, à
l'intérieur ?
Ou seulement la, la,
la?»
retrouver un vieux CD qui remonte à 1992 de Michel Rivard
réconforte avec sa suite de « chansons naïves » sur des mélodies
variées et séduisantes.
« Écoute mon
amour
écoute comme c’est beau
ce n’est pas le moteur
ce n’est pas la radio
ce sont des larmes d’ange
sur le toit de l’auto
oh! Le goût de l’eau »
écoute comme c’est beau
ce n’est pas le moteur
ce n’est pas la radio
ce sont des larmes d’ange
sur le toit de l’auto
oh! Le goût de l’eau »
L’enfance est confiante : « une bille de verre », et poétique « sous la lune d’automne » :
« Dans l’nord
d’la ville
d’une ville du nord
y a un ti-cul qui cherche encore
le fil de sa mémoire
et la lune d’automne
brillera ce soir
d’une ville du nord
y a un ti-cul qui cherche encore
le fil de sa mémoire
et la lune d’automne
brillera ce soir
Je n’aime pas la
nostalgie
c’est une maîtresse inassouvie
aux yeux trop bleus
mais je t’emmène en ville à pied
j’te fais présent de mon passé »
c’est une maîtresse inassouvie
aux yeux trop bleus
mais je t’emmène en ville à pied
j’te fais présent de mon passé »
Quand on est emballé, tout parait délicieux : sa
reprise de « la princesse et le
croque note » de Brassens est à la hauteur, et même le déprimant « l’oubli » est fort, pourtant
« en parlant de la paix » a
pu s’user comme « les dinosaures », mais
le charme opère toujours et on approuve l’invitation toute simple « veux-tu danser ? » ou la demande « garde-moi de la peur » de « Tout seuls en Amérique ».
Je recopie quelques mots de « tu peux dormir »
« J’voudrais m’glisser dans
tes silences
savoir enfin à quoi tu penses
quand tu souris
le temps qui passe est un méchant
papa le temps est un méchant »
savoir enfin à quoi tu penses
quand tu souris
le temps qui passe est un méchant
papa le temps est un méchant »
juste pour évoquer les jeux avec les
rencontres, le temps, l’enfance
toujours, la légèreté pour aller au cœur des auditeurs, dans cette dernière
chanson loin d’être aussi célèbre que l’immense « complainte du phoque en
Alaska » du temps où il faisait partie du groupe Beau Dommage.
mardi 22 mars 2016
A la recherche de Peter Pan. Cosey.
La préface présente le Valais dans les années 30, alors que le titre pressent un décalage entre l’exploration d’une montagne rêvée par un écrivain anglais désinvolte à la recherche de son frère et les habitants d’un village menacé par le glacier voisin.
Les images sont belles, mais les situations m’ont parues
artificielles entre les gendarmes à la recherche d’un faussaire, une jeune
fille mystérieuse qui se baigne dans un lac d’altitude et des notes de piano
qui s’entendent de nuit dans un hôtel abandonné : romantisme de pacotille
et manants pour la déco.
Sir Melvin Woodworth, tourmenté par son éditeur, a décidé de
rester malgré l’alerte avalanche. Il apprendra combien son frère a été généreux
et goûtera aux douceurs de la belle
pianiste providentielle.
« Parti à la
recherche de Peter Pan, je me trouvais dans le ravissement étonné de ramener la
fée Clochette dans mes bagages. »
La première publication date de 1985, voilà une occasion de
ne pas être nostalgique de ces temps grandiloquents.
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