jeudi 24 avril 2014

Affiches en France. #1. Toulouse Lautrec et les autres.

" Affichomanie et avant-garde 1880-1939 " était le sous titre de la conférence de Benoit Buquet, débutant un cycle, aux amis du musée de Grenoble.
Avec les premières affiches vont naître les premiers collectionneurs si bien que les sociétés d’affichage font surveiller leurs placards et que des timbres comminatoires y sont apposés ; des catalogues, des revues spécialisées accompagnent un engouement des affichomaniaques de la première heure.
Dans un tableau de Picasso, période bleue, l’accablement du modèle est mis en évidence vis à vis d’une affiche représentant la danseuse May Milton, désinvolte, dont le succès au cours d’une vague anglomane fut plus éphémère que la renommée de Lautrec qui la croqua.
Les affiches visent à communiquer une information dans l’espace public et bien malin qui peut dater la première des premières : peut être celle vantant les cures thermales à Salisbury en 1477 (l’imprimerie date de 1440). Depuis François 1° les avis officiels sont en noir sur blanc ; en 1791, Le Chapelier inscrit cette exclusivité dans la loi.
Avec la lithographie les affiches combinent textes et images. Manet, Daumier réalisent une affiche, Bonnard quelques unes, dites de librairie, Lautrec 30, Jules Chéret 1500.
Sa belle femme devient un archétype : la " chérette " séduit déjà le public.
Le goût de l’époque est à l’estampe, mais le caractère commercial indissociable de la publicité marque dès le début l’affiche qui doit « tirer l’œil ».
Lautrec sert  Bruant et s’en sert, l’écharpe rouge du chansonnier devient une marque comme les gants d’Yvette Guilbert dont la tête disparait, ses gants formant un « Y » comme Yvette suffisent.
Les affiches apposées sur des carrioles sont mouvantes, leur répétition joue un rôle essentiel, Loïe Fuller prend le badaud dans les volutes de sa danse serpentine.
« En des allégories emportées, chatoyantes d'éclat, de lumière, radieuses de jeunesse et d'humour, un symboliste moderne a synthétisé la vie de Paris, s'est complu à la figuration de ses spectacles, à la représentation de ses élégances, au tableau de ses modes. L'étonnante magie, cette apothéose du Plaisir et de la Grâce installant au détour des carrefours, sur les crépis lézardés, contre les clôtures plâtreuses des bâtisses son flamboiement de féerie, et d'où vient pourtant notre illusion? D’une lithographie en deux ou trois tons, d'une image délavée par la pluie, déchirée par la bise, demain recouverte, anéantie d'une affiche de Chéret. »
Huysmans écrivait ainsi à propos du « Watteau des rues ».

Mucha, figure majeure de l’art nouveau,  épouse le format des colonnes Morris et sort des salons, ses affiches raffinées, serties, font contraster la profusion et le vide.
Sarah Bernhardt calligraphie sur l’une d’entre elles :
« Je ne trouve rien de meilleur qu'un Petit LU, oh si ! Deux petits LU. »
Dans sa période américaine Mucha eut un savon à son nom.
La femme fait vendre alcool et cigarette, Jane Atché, dans sa publicité pour JOB, lui apporte l’élégance.
Chéret comme Seurat utilisait peu le noir, Cappiello en fait ses fonds, le style bascule, les couleurs sonnent et dissonent.  Avec lui : OXO, le bouillon, a des allures de smiley, et il faut oser une horde de rats se cassant les dents sur des pneus, le thermogène rappelle lui les charlatans de l’époque victorienne.
Carlu plutôt art déco s’inspire du cubisme voire des constructivistes russes en intégrant des photographies dans une affiche pour le désarmement.
Loupot présente les voitures Voisin dans une forêt Cézanienne et également dans une épure expressionniste.
Cassandre, c’est lui « Dubo, Dubon, Dubonnet »,  le Le Corbusier de l’affiche, installe «  le tumulte dans les rues ». Son navire Le Normandie occupait tout l’espace, il a été reproduit en très grand dans le palais de la publicité en 1937, un monument. Il magnifiait les objets et le graphisme était au premier plan.
Alors que Nectar, personnage de Dransy, symbole des vins Nicolas a traversé les années et sera réinterprété encore plus de fois que ses mains pouvaient porter de bouteilles (32).

mercredi 23 avril 2014

L’Alpe. Printemps 2014.

La première page du trimestriel est caractéristique de l’esprit de la belle revue des éditions Glénat rédigée par l’équipe du Musée Dauphinois : un montage photographique présente un coureur à pied contemporain  et sa frontale lors d’une de ces courses nocturnes désormais à la mode encadré sous un dessin du porche de l’église de Saint Antoine L’Abbaye.
Comme l’écrit un de ses lecteurs lors du 15° anniversaire de cette publication :
 « Ici la montagne n’est plus considérée seulement comme un cirque avec ses acrobates, mais comme un lieu de vie, d’histoire et de patrimoine à protéger dans l’intérêt de tous. »  
Ce numéro s’ouvre sur un article concernant l’atelier de restauration ARC nucléart : l’atome est au service du patrimoine. Le dossier principal de cette livraison est consacré aux paysages et aux hommes : Prévost et le Vercors, Berlioz et les collines de la Côte, Lesdiguières en son palais de Vizille, Vienne, Saint Antoine l’Abbaye, Rose Vallant, les peintres autour de Morestel…
Comme chroniqué auparavant http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/02/planete-grenoble-lalpe-n-55.html des rubriques pratiques mettent élégamment en lumière les publications, les expositions, mais aussi les débats concernant le développement économique de la région. Celui qui a inventé le ski n’est peut être pas celui qui le dit, et que devons nous à Bergès quand l’agglo vient d’être classée au 5° rang des villes les plus innovantes au monde ?
Après le magnifique portfolio consacré aux premiers autochromes de l’Oisans, on pourra se souvenir que les premières lampes frontales venues de chez les Petzl, entreprise familiale bien de chez nous étaient retenues par des jarretières achetées marché Saint Bruno. 

mardi 22 avril 2014

Le génie des alpages. F’murr.

Quel plaisir de redécouvrir le premier album monument de la bande dessinée, 40 ans après sa parution ! Absurde et délires, références littéraires et jeux de mots à deux balles qui ouvrent des portes surréalistes.
Alors que cet humour m’avait laissé de marbre en 73, j’ai vraiment apprécié l’univers loufoque de Richard Peyzaret. Dès la première page une brebis  à l’allure d’un Marx Brother donne le ton avec ses comparses  qui s’ appellent Einstein mais aussi Clopinette, Marionnette, Trottinette, Trompette, Gigolette, Moulinette, Minoudrouette, Raquette, Claquette, La Villette, Savonnette, Pochette et surprise… il y en a 150, que salue une par une un touriste qui a échappé au sort funeste qui guette l’aventurier qui se risque dans ces montagnes.
Pourtant un lion en mal de petit Liré est embauché pour garder le troupeau, bien plus cool que le sphinx auxiliaire d’un chien de berger qui préfère jouer aux échecs avec son maître que surveiller ses brebis quelque peu fantasques.
L’une d’elle revenue des Shetland sera jalousée mais prendra sa revanche au bag pipe. 
Le petit prince débarque aussi et si un aigle se retrouve au sol, qui se serait méfié d’un ange prédateur ?

lundi 21 avril 2014

My Sweet Pepper Land. Hiner Saleem

Le Bon, la belle et le potentat.
Western en territoire kurde avec la belle Golshifteh Farahani
Nous faisons connaissance avec un pays où la loi a du mal à s’installer quand les kalachnikovs sont plus nombreuses que les livres de lecture. Les codes du western sont adaptés pour traiter de grands sentiments entre l’intègre et courageux commandant nouvellement nommé et une institutrice qui ne compte pas obéir à la coutume en ces terres où règne un seigneur de guerre corrupteur.
Sans tomber dans la parodie d’un genre traitant de sempiternelles histoires passées, cette promenade dans des paysages bien filmés comporte des moments drôles et actualise les dilemmes éternels où il est question d’honneur et de liberté.
« Peper Land » est le nom d’un bar dans ce village aux confins de l’Irak, aussi surprenant que des musiques américaines qui accompagnent l’action, quoique. Il n’y avait pas de quoi s’exciter sur l’hégémonie des titres en anglais comme je m’y suis risqué à priori.

dimanche 20 avril 2014

Deux rives, un rêve. Idir.

Je viens d’écouter ce CD qui date de plus de 10 ans, d’un artiste dont  je découvre qu’il était le créateur de la berceuse kabyle « Vava Inouva » http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=OMUFzzcKLgA
Le titre ne me disait rien mais la mélodie célébrissime ne s’oublie pas depuis 30 ans qu’elle parcourt le monde.
Deux rives : il est de la génération qui a pu passer au-delà des rivalités, non sans lutte au sein d’une minorité devant jouer des ouds pour être entendue.
« Elle est survolée par des « aéroplanes »
Qui transportent ses enfants
Chassés par la rocaille, les ravins
Et les ronces… »
Il a collaboré récemment avec Akhenaton, Grand corps malade, cette fois là, c’était avec Goldman et  Alan Stivell, il chante Tizi Ouzou sur la musique de « La maison bleue » de Le Forestier et sa reprise des « Trompettes de la renommée » de Brassens vaut son pesant de pistaches.
«  Je ne creuserai pas ma tombe
En jouant de ma langue
Flûte alors »
Quelqu’un qui  a dit  récemment:
« Imam, prêtre, rabbin se serrent la main autour d’un Dieu unique, puis se querellent sur le Prophète. Trois livres pour un seul Dieu, c’est trop » est courageux, alors que c’était assez banal il y a peu. Et il ne peut être mauvais.
Avec lui, en précurseur, la « world music » dépasse le concept marketing, et devient un engagement humaniste qui ne manque ni de douceur, ni de ferveur.

samedi 19 avril 2014

Raconter la vie. Maylis de Kerangal Pierre Rosanvallon Robert McLiam Wilson

Au dou­zième Printemps du livre à Grenoble intitulé « Seul et ensemble », l’historien Pierre Rosanvallon http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/11/la-societe-des-egaux-pierre-rosanvallon.html  qui vient de lancer une collection dénommée « Raconter  la vie » était tout à fait à sa place, ainsi que ses comparses. Il a présenté cette entreprise « porte-voix ».
Le trou est béant entre le peuple et les politiques, qui ne l’a pas constaté ? Alors cette initiative éditoriale qui se veut lieu de lien social, vise à donner la parole aux « invisibles », invisibles d’abord à eux-mêmes.
En face quelle expression portent nos représentants, de qui sont-ils les porte-paroles ? Chez eux la parité a progressé, mais la diversité des groupes sociaux a régressé. D’avantage de femmes mais pas d’ouvriers, même au comité central du PC. Et ce n’est pas nouveau : des brochures sur « la malreprésentation » étaient écrites dès 1789. A l’âge de l’hyper visibilité factice (réseaux sociaux, téléréalité…), la société est opaque aux yeux d’une caste politique et médiatique dans l’entre soi, qui ne cherche même pas à savoir. 
« Raconter la vie veut contribuer à rendre plus lisible la société d’aujourd’hui et à aider les individus qui la composent à s’insérer dans une histoire collective. »
Quand un tiers des français vit dans l’année un moment fort : rencontre, séparation, perte d’emploi, réussite ou échec à un examen, comment rester sur des catégorisations sans dynamique, des généralités qui ne disent plus rien ?
« Pour « raconter la vie » dans toute la diversité des expériences, la collection accueille des écritures et des approches multiples - celles du témoignage, de l’analyse sociologique, de l’enquête journalistique et ethnographique, de la littérature »
Parce qu’ « écrire agrandit le regard », ces livres et ce site web appelés à se multiplier, visent à faire vivre une « démocratie narrative ».
Il s’agit de regagner de la confiance face aux stéréotypes: opposer le réel à des visions fantasmées, agressives. Le récit de la vie quotidienne autour d’une mosquée  peut contrer bien des appréciations globalisantes.
Par exemple dans un livre de la collection à 5, 90 €, «  Les courses ou la ville », on demande au livreur de capsules « Nespresso » de ne croiser le regard de personne car cela dévaloriserait la marque !
L’irlandais Robert McLiam Wilson nous apporte un air venu hors de l’hexagone, en regrettant la faveur du mot anglais « chav » qui signifie « racaille beauf » avec un mépris, y compris de la gauche, qu’elle ne se serait pas permis avec des minorités ethniques, mais là il s’agit de blancs. Il jette un regard sans concession sur le 6°arrondissement de Paris, quartier de la classe médiatique, monocolore comme certains quartiers de Johannesburg au temps de l’apartheid et nous rappelle une émission «Benefits Street» (la rue des allocations familiales) retransmission de téléréalité aux effets ravageurs.
Maylis de Kerangal, la romancière, écrira à propos d’un cuisinier, après Annie Ernaux sur les Supermarchés http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/04/regarde-les-lumieres-mon-amour-annie.html . Elle qui travaille plutôt dans la fiction « polyphonique, omnivore », ne souhaitant pas que la littérature se soumette au réel, est pourtant investie dans cette entreprise. Attachée à traduire des trajectoires individuelles, elle signale l’importance de sa présence à une opération d’implantation d’organe qui a pu infuser dans tout son dernier ouvrage.
Dans la lignée de tentatives du XIX° siècle autour de Balzac, l’auteur de « la comédie humaine », avec des brochures  de 8 pages qui traitaient aussi bien des rentiers que de la condition carcérale, Rosanvallon & compagnie comptent bien multiplier les styles pour capter les mouvements, sortir des pétrifications, livrer des représentations sensibles plutôt que des discours sur la tolérance, quand on ne sait pas grand chose du travail de ceux qui nous apercevons sur le quai d’une gare, où au fond d’un abattoir. 

vendredi 18 avril 2014

Ecrans à cran.

Parmi toutes les images utilisées pour décrire la déroute du PS aux dernières élections le mot « claque » est le moins adapté à mon goût. Il est certes dans le ton de notre époque énervée mais ne rend pas compte d’un mouvement venu de bien plus loin et plus durable que le temps d’une paire de dimanches en avril 14.
Touchés au cœur d’une légitimité qui maillait le territoire, les élus locaux sont concernés en première ligne et responsables. Les cumulards de fonctions à vocation sénatoriale entourés d’une camarilla d’obligés ont remplacé le projet par la stratégie, les idées par la magouille, le courage se dissolvant vite à la veille d’une élection, et c’est toujours la veille.
Le réflexe habituel de reporter l’échec sur les autres, place Hollande sur le devant puisque sous la V° tout procède d’un seul homme, normal.
Mais je crois que son impopularité présente ne tient pas tant en la teneur des mesures annoncées que d’avoir minimisé leur urgence : retraites, dette.
L’élection de démagogues, la reconduction de voyous, l’indifférence ou les colères dévoyées de citoyens révèlent la difficulté de transmettre des valeurs humanistes quand l’exemplarité se débine.
Et retour sempiternel à l’école : dans cet univers à tendance hystérique, si les enfants rois  tournent à la caricature c’est qu’ils descendent d’une génération reine, celle qui fait la moue face à chaque décision, quelque soit son sens. Alors vous reprendrez bien un petit référendum pour que rien ne change.
L’école, où le moindre effort est banni, a parfois bien du mal à cultiver la curiosité, à amener vers des découvertes de ce qui est étranger à des individus formatés par les familles sur la défensive et les modes remplissant les vides. La relation prof /élève peut s’apaiser dans la relation individuelle mais se voit perturbée dans le brouhaha ambiant jusqu’au mutisme : restent les machines.
«L’écran, qui envahit tout, est lui-même envahi par une nouvelle caste dominante qui se croit libérée des préjugés bourgeois, alors qu’elle s’est affranchie de tout scrupule et dont les goûts, la langue, la connivence régressive, l’hilarité perpétuelle, l’obscénité tranquille et le barbotement dans la bassesse témoignent d’un mépris souverain pour l’expérience des belles choses que les professeurs ont la charge de transmettre. Il est toujours difficile de résister à ce déferlement» A. Finkielkraut.
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Dans le « Canard » de cette semaine :