vendredi 18 avril 2014

Ecrans à cran.

Parmi toutes les images utilisées pour décrire la déroute du PS aux dernières élections le mot « claque » est le moins adapté à mon goût. Il est certes dans le ton de notre époque énervée mais ne rend pas compte d’un mouvement venu de bien plus loin et plus durable que le temps d’une paire de dimanches en avril 14.
Touchés au cœur d’une légitimité qui maillait le territoire, les élus locaux sont concernés en première ligne et responsables. Les cumulards de fonctions à vocation sénatoriale entourés d’une camarilla d’obligés ont remplacé le projet par la stratégie, les idées par la magouille, le courage se dissolvant vite à la veille d’une élection, et c’est toujours la veille.
Le réflexe habituel de reporter l’échec sur les autres, place Hollande sur le devant puisque sous la V° tout procède d’un seul homme, normal.
Mais je crois que son impopularité présente ne tient pas tant en la teneur des mesures annoncées que d’avoir minimisé leur urgence : retraites, dette.
L’élection de démagogues, la reconduction de voyous, l’indifférence ou les colères dévoyées de citoyens révèlent la difficulté de transmettre des valeurs humanistes quand l’exemplarité se débine.
Et retour sempiternel à l’école : dans cet univers à tendance hystérique, si les enfants rois  tournent à la caricature c’est qu’ils descendent d’une génération reine, celle qui fait la moue face à chaque décision, quelque soit son sens. Alors vous reprendrez bien un petit référendum pour que rien ne change.
L’école, où le moindre effort est banni, a parfois bien du mal à cultiver la curiosité, à amener vers des découvertes de ce qui est étranger à des individus formatés par les familles sur la défensive et les modes remplissant les vides. La relation prof /élève peut s’apaiser dans la relation individuelle mais se voit perturbée dans le brouhaha ambiant jusqu’au mutisme : restent les machines.
«L’écran, qui envahit tout, est lui-même envahi par une nouvelle caste dominante qui se croit libérée des préjugés bourgeois, alors qu’elle s’est affranchie de tout scrupule et dont les goûts, la langue, la connivence régressive, l’hilarité perpétuelle, l’obscénité tranquille et le barbotement dans la bassesse témoignent d’un mépris souverain pour l’expérience des belles choses que les professeurs ont la charge de transmettre. Il est toujours difficile de résister à ce déferlement» A. Finkielkraut.
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Dans le « Canard » de cette semaine :

jeudi 17 avril 2014

« La Pointe et l'ombre ». Musée de Grenoble.

A la suite du professeur Etienne Brunet, nous nous approchons des dessins nordiques présentés jusqu’au 9 juin au Musée de Grenoble.
Une pause bienvenue parmi les installations parfois tapageuses, les monumentales exhibitions, les  sollicitations tonitruantes.
Ici les personnages sont si petits, les papiers si fragiles, les touches à la sanguine si légères, les rehauts de blanc si décisifs, les choix si subtils que nous sommes aussi dépaysés que si nous avions suivi les rails vers quelque café d’Amsterdam aux effluves rieurs.
J’aime ces taches, ces plis, où la maturité des artistes se mesure dans un trait suspendu alors que le débutant appuie.
A la plume les rythmes forment une écriture, une pointe de lavis nous fait fondre.
Avant le Musée place Verdun, à l’emplacement du lycée Stendhal, il y avait  déjà un fond de dessins dont certains sont ressuscités à l’occasion de cette troisième présentation, ils en retrouvent d’autres dont nous apprécions la mise au jour.
Nous passons du genre enluminure moyenâgeuse, où s'ordonnent d'apaisants équilibres entre eau/ terre/ ciel, à des trouées qui permettent d’aller au-delà du premier plan, avec des arbres présentés frontalement ou amenés à la lumière pas des compositions habiles.
Sur l’un des dessins, l’étudiant Cornélius  ouvrira-t-il les yeux après que sa passion d’un soir lui eut présenté dans ses bras de jeune maman le fruit de ses abandons ? Sur un autre, Achille déguisé en fille au milieu des filles de Lycomède se trahit, il choisit une épée au milieu des tissus : c’est son genre.  De quoi réviser ou découvrir des épisodes de la mythologie ou de la bible :  la représentation du sulfureux Jéroboam n’est pas anecdotique dans ces contrées qui connurent bien des affrontements entre catholiques des Flandres et réformés de Hollande où des artistes même devenus protestants continuèrent à travailler pour ceux qui chérissaient les images. 
Au sortir de ces années furieuses, la fierté de vivre dans un pays où règne calme et harmonie transparait : vues typographiques, panoramas,  marines et forêts, paysages idylliques, commerce sur le Rhin, scènes du quotidien, animaux …
On se rend compte que finalement les ruines italiennes ne datent pas toutes de l’antiquité et que « ce que n'ont pas fait les barbares, les Barberini l'ont fait »  bien plus tard ; les vieilleries écroulées ont  parfois du charme. Par ailleurs si un trait est appuyé cette fois c’est que le dessin a du se faire à la lueur d’une bougie, notre guide nous rappelle tout ce que les couleurs des cubistes devaient à l’éclairage au gaz.
Avant d’arriver à l’autoportrait au chevalet de Rembrandt, un parmi les 40 peintures, les 30 eaux fortes qu’il fit de lui-même, nous traversons la salle consacrée à ses disciples virtuoses, rapides où  souvent se pressent un événement à venir.   
Cet acharnement à se représenter s’affronte à la difficulté majeure de la description du corps et ses « touches beurrées » nous parlent comme lorsque Courbet fumant sa pipe et fermant les yeux veut se montrer en « homme désillusionné des sottises qui ont servi à son éducation et qui cherche à s’asseoir dans ses principes », comme il le dit lui-même.
Lors d’un relevé de biens  lors d’une faillite, chez Rembrandt Harmenszoon van Rijn, un christ « d’après nature » fut répertorié.
Nous pouvons continuer à chercher la figure de l’homme et de ses fils.

mercredi 16 avril 2014

6 mois. Printemps été 2014.

" En Irak le problème, ce n’est pas que nous n’ayons pas fait une grande image comme au Viet Nam, c’est que nous en avons fait trop. "  La réflexion est du reporter M. Kamber dont on retrouve un entretien consacré à la guerre et des clichés au cœur de ce numéro 7 de la revue bisannuelle consacrée aux photographies sur 300 pages.
La diversité est  toujours là, depuis les reportages autour de l’appel du Nord en Russie
- dans une ville où des pionniers exploitent le pétrole et le gaz
- ou dans une autre colonie parmi les endroits les plus pollués au monde qui se souvient du goulag,
- en suivant des chasseurs de défenses de mammouth  plus accessibles maintenant avec la fonte du permafrost.
Au Viet Nam, l’hôtel président devenu vétuste reçoit les dignitaires du régime qui ont succédé aux américains,
- en Italie le théâtre permet aux esprits de s’évader de la prison
- et en Espagne une famille s’occupe avec amour de ses trois adolescents autistes,
- dans des collines du Rwanda nous rencontrons des rescapés des massacres.
La série de photographies ensoleillées des Maramures en Roumanie au moment des foins réveille des odeurs d’enfance, seront-elles regardées un jour comme un sujet d’exploitation comme dans les archives américaines où les enfants travaillaient très tôt dans les filatures et les champs ?
L’album de famille vient cette fois de Corée et la photobiographie est consacrée à Bruce Springsteen.

mardi 15 avril 2014

Les gosses 9. Carabal.

Cet album  intitulé« Mais pourquoi tu t’énerves ? » vient après «  C’est qui qu’a prouté ? » : humour familier à tous ceux qui vivent avec des enfants ou des petits enfants : c’est gentil, vite lu.
Déjà chroniqué sur ce blog http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/12/les-gosses-carabal.html, il fait bon retrouver les parents et leurs deux garçons complices et drôles. Rien d’exagéré quand pour remplacer l’expression : « tu vas te les peler » qui ne convient pas à maman, l’un d’eux sait bien que « ça fait nul de dire tu vas avoir froid aux testicules ».
Les enfants sont dessinés dans le style Bretécher, ils auraient gagné en tendresse à ne pas posséder un nez aussi porcin, mais les situations bien observées sont traduites efficacement avec le vocabulaire approprié à chaque génération où les anciens n’oublient pas leurs prérogatives et où les enfants sont des enfants.

lundi 14 avril 2014

La cour de Babel. Julie Bertucelli.

En sortant de la projection je me disais qu’un tel film pourrait être tourné dans bien des classes avec les attentes des enfants ou des ados, leurs progrès, leurs difficultés, leurs parcours singuliers, leurs contradictions, leurs rêves… Cet hymne à l’école venant après d’autres pourrait rappeler aux commentateurs culturels extatiques que cette magie de « faire classe » n’est pas si rare. C’est qu’ils collent tant aux critiques déversées quotidiennement sur l’éducation nationale, qu’il faut qu’ils soient au cinéma pour apprendre que des structures et des personnes travaillent à l’intégration, se servant des différences pour aller vers plus d’humanité. Comme il a fallu un Makine ou un Maalouf pour chanter la beauté de notre langue, l’énergie de ces jeunes étrangers, redonne le moral à ceux qui sont minés par le  je-m’en-foutisme et le mépris des savoirs.
Il y a tant de séquences justes et fortes : quand la blonde Oxana se met à chanter, les rires gênés s’effacent vite et à un autre moment la fierté du papa d’Androméda rayonne.
Les doutes de la crépue Djenabou entre l’Islam de son père et le christianisme de sa mère:«  on ne sait même pas si Dieu il existe ! » ont pu émerger dans une école où la laïcité n’a pas peur des débats. Il n’y avait pas besoin d’un discours final pour prouver la fraternité rayonnante car dans ce groupe l’Irlandais, la Chinoise, le Marocain, la Guinéenne se sont apprivoisés. 
Les dilemmes sont dynamiques : comment donner la confiance en soi sans leurrer ? La révolte de celle qui vient de recevoir les félicitations et devra rester en 4°, montre qu’elle n’est pas dupe. Mais ses promesses de travailler pendant les vacances me semblent illusoires comme lorsque se joue la cérémonie : « nous nous reverrons mes frères ».

dimanche 13 avril 2014

Le Oliver St. John Gogerty. Les Chiche Capon

Le titre de la pièce  présentée à La Vence Scène vient du nom du pub irlandais à partir duquel, après un sondage d’opinion, les trois - presque quatre- clowns vont donner leur interprétation d’une histoire de l'Humanité, genre bric à brac branque. Humour régressif et rigolade potache, seau d’eau et glissade dans les flaques, coups de gourdin en mousse et pomme empoisonnée font plier de rire la salle. Si la figure du débile à la voix perchée me fait rire moyennement, la cavalcade préhistorique avec les phénomènes de leader qu’on retrouve avec des personnages plus contemporains est bien vue. Et même l’insistance de gags à répétition passe bien tant les acteurs ne se prennent pas au sérieux  tout en faisant preuve de professionnalisme dans l’organisation du n’importe quoi. La présence d’un acteur parmi les spectateurs n’est pas d’une originalité folle ni le dévoilement sous l’imperméable d’un slip Superman mais leur plaisir de jouer comme des gosses ayant trouvé quelques  accessoires dans un grenier est communicatif : cet absurde  loufoque là nous convient. « Déjanté » est le mot qui revient inévitablement comme leur vélo qui se plie et les situations créées qui prennent des routes sinueuses, surprenantes ou tellement attendues qu’on se dit ils ne vont pas oser : si !
Ah oui, si ce nom Chiche Capon me disait quelque chose : c’est le nom d’un groupe secret de collégiens dans « Les disparus de Saint Agil ».

samedi 12 avril 2014

Regarde les lumières mon amour. Annie Ernaux

Quelle injonction peut être plus belle ? Quand il s’agit des guirlandes qui dégoulinent en décembre au supermarché Auchan de Cergy, comment discerner le pathétique, du sublime ?
Ce ne sont pas ces termes trop excessifs qu’a choisi l’ancienne fille d’épicier écrivant, en 70 pages, dans la nouvelle collection de Rosanvallon « Raconter la vie », mais ceux qui disent l’humanité dans le quotidien, sans fermer les yeux sur les stratégies marchandes.
Elle fait l’historique de ses émotions en ces lieux de découverte de la modernité depuis Londres dans les années 60  jusqu’au centre commercial gigantesque des 3 Fontaines en passant par les escalators d’un Super M des années 70.
Dans nos villes où subsistent les décorations de Noël en plein juillet, le temps et ses rites sont surlignés dans les allées marchandes.
Elle remarque l’évolution de la place du rayon « bio », ou celui du « discount » :
"Ici le langage habituel de séduction, fait de fausse bienveillance et de bonheur promis, est remplacé par celui de la menace, clairement exprimée. Sur toute la longueur du rayon self discount, en bas, un panneau avertit en rouge Consommation sur place interdite. »
Pas de regard surplombant, ni posture poétique bidon : une écriture juste ni trop au ras ni trop loin.
Avec ses descriptions, sans appuyer, de quelques clients et travailleurs, nous sommes dans la file avec elle, à installer la barrette « client suivant » après avoir déposé nos achats sur le tapis comme geste de sociabilité.
Dans ces hangars hagards les caissières remplacées par des machines vont faire les courses à la place des affairés méprisant les foules, ayant perdu désormais l’occasion de croiser une dame qui pense nouer une conversation :
« Les sardines au piment, c'est pas pour moi ! »