Par-dessus la gravure très contrastée intitulée « L’argent » qui servait de fond au titre de sa conférence aux amis du musée, Gilbert Croué avait inscrit :
« Félix Vallotton, peintre graveur, misanthrope ».
Il nous a présenté de nombreuses vues d’une œuvre qui compte
près de 2000 réalisations dont une centaine sont présentées au Grand Palais à
Paris sous le titre
« le feu sous la glace ».
« le feu sous la glace ».
Vallotton, l’enfant suisse, a observé un graveur qui loge au
dessus de chez ses parents chocolatiers.
Il entre dans le métier de peintre à 16 ans, se plaçant dans
la lignée d’un Ingres avec des portraits simples de personnages portant une
certaine fatigue, ou retranscrivant, efficacement au fusain, les lumières d’un
intérieur.
Vivant chichement de quelques articles pour la « Gazette
de Lausanne », depuis Paris, il produit pour la presse, des gravures qui
vont lui assurer une certaine notoriété et marquer son style jusque dans ses
toiles. Ses traits sont efficaces.
La commune de Paris n’est pas si lointaine et ses
compositions énergiques mettent en scène l’arrestation de « L’anarchiste », une « Manifestation » mouvementée, « La charge » de la police. Je
pense alors aux affiches de mai 68.
Les masses noires s’opposent aux blancs creusés dans le bois
avec « Les cygnes »
élégants et des femmes chez « La
modiste » où les rayures rythment une scène cadrée d’une façon
singulière.
La photographie qu’il a pratiquée lui permet de retravailler
ses sujets en atelier et d’aborder d’autres façons de cadrer.
Son « bain d’été »
aux volumes simplifiés fit scandale au salon, alors que les Nabis l’invitent
depuis son sinueux « Clair de lune »
qui rejoint les principes du groupe signifiant « les
prophètes » pour qui la nature est un prétexte décoratif, aux lignes
marquées, aux couleurs affirmées.
Les contrastes de lumière sont dynamiques avec l’enfant en
vue plongeante qui joue au « Ballon » dans le jardin des Natanson qui animèrent la « Revue
blanche ». Leur égérie Misia au bain, à la coiffure, se détache parmi les
ombres tranchées.
Un chat blanc ajoute une ondulation à une gravure de « La
paresse » rythmée efficacement, et un petit chien noir au milieu d’un groupe de
femmes du « Bain turc » doit
apprécier les poitrines abondantes.
Sa série intitulée « Intimités »
est allusive et permet toutes les interprétations : qui ment dans « Le mensonge » ? « L’irréparable » vient après « La raison probante » et « Le triomphe » : il
adore les femmes mais ne leur fait pas confiance.
Bien des mises en scènes d’intérieur évoquent la peinture
hollandaise, voire Rothko pour les aplats de couleur aux teintes montées,
Hopper pour la mélancolie, Delvaux pour les nus...
En 1899 il épouse une Bernheim de la famille des riches
marchands de tableaux, jeune veuve mère de trois enfants. L’anar s’embourgeoise.
Il habite près du bois de Boulogne, possède une villégiature en Normandie.
A l’extérieur en été ; il accroche les rayons du soleil
à son coucher, les clartés nacrées de la brume au dessus des toits et la
légèreté d’un matin d’été derrière « La
charrette à Honfleur ».
Il va à l’essentiel, citant la nature, la recréant.
A l’intérieur en
hiver, ses nus, sont originaux avec la « Femme
au chapeau violet », celui-ci se portait en fin d’après midi (de 5 à 7), ou « La blanche et la noire »
ambigües qui pourraient résumer une œuvre riche soulignant les contrastes, tout
en nous laissant un espace pour interpréter.
En 1917, en "mission artistique auprès des armées, il
produit les gravures de la série « C'est la guerre », et saisit aussi
sur la toile des « Tirailleurs sénégalais », dont beaucoup moururent de
froid, en attente de monter au front.
Il a obtenu la nationalité française, mais trop vieux pour
combattre, il produira quelques tableaux qui rendent compte de la violence du
conflit tout en écrivant qu’il ne parvient pas à traduire l’intensité de
l’horreur.
Il meurt en 1925, et n’aura pas le temps d’emménager sur la Côte d’Azur où il peint un « vieil olivier » auquel sont
adossés des canisses, des rues de Cagnes et du Canet, la baie de Cannes.
Ses paysages autour de « La Loire à Nevers », « Soir sur la
Loire », aux lumières fluides, aux harmonies
raffinées, aux rapports de couleur audacieux, sont comme le miroir d’un monde à contempler, les
hommes vus de loin donnent un rapport d’échelle, leurs actions ont pu parfois
lui donner envie de s’éloigner.