mardi 25 juin 2013

Le démon du soir ou la ménopause héroïque. Florence Cestac.



Dès la première page : « Tumeur bénigne, microkystes calcifiés, opacité tumorale, biopsie mastopathie, tumorectomie », même en bulles, ce vocabulaire n’est pas vraiment hilarant.
Alors quand la sexagénaire, qui a dépassé « le démon de midi » et « d’après midi » depuis deux BD, va se tirer d’affaire après quelques angoisses,et  refaire sa vie avec une énergie décuplée.
Elle quitte son travail, d’autant plus qu’elle elle se sent poussée vers la sortie.
« Je vous rippe les visuels dans le CTP ou je vous les switche ?
Ok ! je vous fais une sortie papier comme d’hab…»
Elle divorce d’un mari éteignoir, se libère de sa fille donneuse de leçons dont elle verra moins mais mieux les enfants. Sa mère qui se prend pour Brigitte Bardot ne la reconnait plus. 
Elle émigre dans les Pyrénées dans une maison qu’elle retape avec des artisans tels qu’ils s’appliquent à se caricaturer, quoique l’un deux est honnête et prévenant, et finit dans les délais…
La mamie boomeur va vivre ses utopies hédonistes qui firent florès dans les années 60, ici ramenées à des bains au soleil et des repas sous les arbres. Les générations suivantes peuvent « prendre les boules » devant ces privilégiés qui ne manquent pas de se poser tellement intelligemment en modèles tellement rigolos.
Elle a cultivé les copines, et « cougard chez les ploucs » se sent heureuse comme un papillon.  
Cet album se lit le temps d’un sourire.
Il va faire un malheur pour les départs à la retraite. Son optimisme passe sans niaiserie avec une dose de vacheries, de dévoilements qui lui font visiblement du bien ; à nous aussi.

lundi 24 juin 2013

Effets secondaires. Steven Sorderbergh.



Nous sommes à New York au pays du roi pognon, dans le milieu des psys, des labos pharmaceutiques, où tout le monde prend ses pilules pour se dessiner un sourire. Mais il y a du sang sur le parquet et les cuisines recèlent des armes de destruction efficaces pour vous faire sursauter, les médias s’emballent et les histoires d’amour, « les histoires d’amour finissent… »
Tout l’intérêt du dernier  film du réalisateur de « Sex mensonges et vidéo » de 1989, est dans les faux semblants que nous nous attendons à gober : alors comme il se doit il ne convient pas de révéler l’issue de ces manipulations dont nous sommes les complices consentants même si la conclusion s’étire pourtant un peu au bout d’une heure quarante. L’actrice Rooney Mara, mystérieuse, fragile, porte le film, l’emmène au-delà d’un divertissement qui ne laissera pourtant aucun souvenir impérissable.

dimanche 23 juin 2013

Un homme. Albin de la Simone.



La poésie ne niche pas seulement dans les éditions confidentielles autoéditées, elle est dans le dernier CD de celui qui a pris le nom de la rivière de son village de Picardie, et dans la pochette élégante qui l’accompagne.
Cette dernière production agréable, permet de patienter en attendant le prochain Souchon, si l’on aime la légèreté, la modestie, les hommes complexes, l’allégresse qui côtoie la gravité, et l’amour qui n’en finit pas des s’inventer.
Sa sensibilité nous réveille bien plus que des  exhortations péremptoires.
« Et toc un coup du ciel, à nouveau la vie est belle
Pour un oui pour un non, tout va bien pour de bon
C'est la crise, c'est la crise qui m'épuise, rien à faire
C'est la crise, c'est la crise, qui s'éternise, on va s'y faire »
Des chansons d’avril prometteuses mais qui se souviennent d’une fin d’hiver incertaine.
« Le poids de mon nom ridicule,
Ce fantôme à particule,
Qui avance quand je recule
J'espère que tout cela va tenir sur mes épaules,
Pas bien gaulées, pas baraquées»
Le nouveau papa parle de son enfant récemment venu au monde.
Sa voix est douce, et l’éloignement des fracas contemporains ne nous fait pas de mal, tout en nous rappelant qu’on peut mourir en plein air.

samedi 22 juin 2013

Mon traître. Sorj Chalandon.



S’il ne m’avait pas été recommandé je serai passé à côté de ce livre important qui va bien au-delà de la guerre en Irlande.
L’ancien journaliste de Libération qui revient en romancier sait de quoi il parle et il nous interroge : depuis le temps des engagements qu’avons nous laissé en chemin ?
Au pays où il trouve « la bière amère, noire, lourde comme un repas d’hiver »
A Belfast : « Ici encore, tout était en dimanche. Avec cet air épais de tourbe et de charbon. L'odeur de Belfast. En hiver, en automne, en été même, lorsque la pluie glace, je ferme les yeux et j'écoute l'odeur de cette ville. Un mélange d'âtre brûlant, de lait pour enfant, de terre, de friture et d'humide. »
Le luthier parisien dont il décrit avec finesse le travail minutieux découvre l’amitié virile dans les pubs et il apporte son aide à la cause des opprimés catholiques :
«  J’avais un goût de briques, un goût de guerre, un goût de tristesse et de colère aussi. J’ai quitté les musiques inutiles pour ne plus jouer que celles de mon nouveau pays. »
Bien que nous sachions d’emblée de quoi il retourne, nous allons au bout des 216 pages avec avidité tant la construction simple est habile et l’écriture acérée sans froideur, délicate et forte.
L’émotion  alimente une réflexion qui ne nous livre pas tous les secrets pour nous laisser face à des interrogations essentielles sur la culpabilité, le mensonge, l’amitié, l’identité, la trahison…

vendredi 21 juin 2013

Fin de l'Occident, naissance du monde. Hervé Kempf.



L’animateur du site Reporterre " le forum de tous ceux qui imaginent le nouveau monde où l’on arrêtera de détruire l’environnement et qui retrouvera l’idéal de la justice", chroniqueur au journal « Le Monde » était invité par la librairie du Square.
Les titres de ses livres dont certains  furent recommandés par Chavez :
« L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie », « Pour sauver la planète, sortez du capitalisme », « Comment les riches détruisent la planète », « La Guerre secrète des OGM », sont évocateurs.
Face aux questions simplistes du président de la Maison de la nature, il devait se montrer plus nuancé que ne l’annoncent ses propres titres en reconnaissant la force de séduction du commerce et récusant la notion de « faute » toujours présente chez les prêcheurs écolos.
Cependant ses appels à des convergences politiques pour aller vers « une décroissance heureuse » sont pollués par des réflexes durables qui sacrifient aux plaisirs de « bons » mots : «  les boas constrictors que doivent avaler les verts comme autant de saucisses de Francfort ».
Le renvoi de Cohn Bendit comme commentateur de foot sur Canal+ parlent peut être à un public de convaincus mais stigmatise un produit qui fut séduisant.
La dénonciation de Rosanvallon pour cause de défunt club Saint Simon peut paraitre anecdotique mais réduit encore le nombre des accessibles à la convergence ; quant au PS n’en parlons pas : reste le PC dont il semble être le seul à ne pas avoir aperçu l’évanouissement.
Visiblement peu au fait des évolutions ni de l’apport de l’auteur de « La société des égaux » qu’il renvoie à une pensée datant de la guerre froide, il n’en maintient pas moins une condamnation hors d’âge. Il fait douter de la dynamique d’un groupe, devant impulser des changements vitaux , qui risque plutôt la régression comme banquise.
Pourtant le regard est renouvelé sur des constats incontestables : 
les disparités existent bien autant à l’intérieur des pays qu’entre la zone Nord et le Sud.
Dans un monde peuplé et riche de ses capacités techniques, les ressources primaires vont se tarir : qui ne le sait ?
Revisitant des cycles historiques longs jusqu’à la révolution industrielle qui a entamé « la grande divergence » après des millénaires de relative égalité énergétique, l’essayiste explique la suprématie occidentale d’alors par le charbon anglais et le coton américain venant après le lin et la laine de proximité.
Il estime que la technique n’existe pas en soi mais dans un rapport social: la science jadis gouvernée par l’état est entrée dans la logique de la libre entreprise (les OGM).
Les remarques concernant des réalités minorées par les médias, bras armés de l’oligarchie économique et politique, illustrées par les 2 millions de manifestants portugais disparaissant derrière Rigide Fardeau, alimentent un optimisme dans l’issue des luttes sociales qui me semble démesuré.
Les manifestations en Turquie amorcées autour d’un parc menacé de destruction ou au Chili autour des droits d’inscription à la fac ne visent pas uniquement à réorienter la croissance au même titre que les opposants à l’aéroport de Notre Dame des Landes.
Bien que depuis quelques jours le pays de Neymar  secoue les cocotiers.
……………
Dans le Canard de cette semaine :

jeudi 20 juin 2013

Une passion française : la collection Hays.



Après un tour du côté du cimetière de Montparnasse où subsistent des souvenirs de l’universalité artistique de la capitale, il est intéressant, même rétrospectivement, de voir à Orsay les tableaux d’un couple américain qui aimait tant Paris.  
Ces témoignages de « la belle époque » sont mieux mis en valeur que dans leurs appartements du « nouveau monde ».
Les nabis nous enchantent : Bonnard,  Denis, Vuillard.
Leurs compositions originales contribuent à la chaleur de l’intimité des scènes.
Nous découvrons de nouveaux pastels de Degas  déjà très présent dans les collections permanentes.
Les saltimbanques mélancoliques de Fernand Pelez sont très forts.
La princesse de ligne de Paul Helleu a bien du charme.
Les fauves Derain, Marquet rougissent.
Pour des amateurs, au départ, le couple texan a su s’éclairer et reconnaitre aussi Matisse et Modigliani, les impressionnistes étaient trop chers.
« Les Nabis peignent la famille, les amis, la vie quotidienne. Et c'est ce que nous apprécions »a dit M. Hays qui avait commencé sa carrière en vendant des livres au porte à porte, quand il a été décoré par Aurélie Filipetti.

mercredi 19 juin 2013

Art brut. Lausanne.



La Mecque de l’art brut est située au château Beaulieu à Lausanne depuis 1976 avec au départ la donation du pape du mouvement : Dubuffet.   
« Une chanson que braille une fille en brossant l’escalier me bouleverse plus qu’une savante cantate. Chacun son goût. J’aime le peu. J’aime aussi l’embryonnaire, le mal façonné, l’imparfait, le mêlé. J’aime mieux les diamants bruts, dans leur gangue. Et avec crapauds »
Ma première visite avait été un choc, qui m’avait fait placer cette forme artistique au sommet de l’intensité émotionnelle, je viens d’y retourner et retrouver quelques œuvres singulières, magiques, magnifiques :
les lambris de Clément Fraisse sculptés à l’aide d’une cuiller,
la robe de mariée de  Marguerite Sir, réalisée à l’aiguille à coudre avec du fil tiré de draps usagés,
un retable de Verbena en bois flotté,
et ces fleurs étonnantes, si fines, qu’elles en creusent le papier d’application  
Je ne me souvenais pas de Teuscher mais ses traits ondoyants au café m’ont impressionné, comme celui qui prenait ses cheveux pour confectionner un pinceau et d’autres du suc de fleurs comme couleurs, ou leurs excréments.
Cette nécessité impérieuse de s’exprimer, le caractère élémentaire des moyens sont émouvants, et le résultat appelle souvent les adjectifs les plus étonnés.
Ce lieu nécessiterait des heures d’exploration tant sont nombreuses les œuvres présentées (700), tant sont incroyables les destins des auteurs, souvent  placés enfants comme valets de ferme, dont l’origine s’est diversifiée avec l’enrichissement des collections.
Aloïse après avoir été gouvernante, tellement enflammée en religion qu’elle sera internée, coud ses cartons pour présenter un univers foisonnant de princesses.
Ratier anime des sculptures inventives, Krüsi commence à dessiner ses vaches à l’âge de cinquante-cinq ans…
En ce moment, une exposition temporaire consacrée à Deeds aux dessins délicats est plus saisissante que celle consacrée aux mises en scène des personnages de comics américains de Daniel Johnston.
Une vidéo consacrée à Paul Amar qui compose des tableaux de coquillages aux vives couleurs nous fournit un contre-point joyeux bienvenu dans un ensemble où se manifestent surtout des souffrances.