jeudi 13 octobre 2011

Jean Léon Gérôme. L’orientalisme.

Pour être à la mode au XXI° siècle, il convient de revenir vers ceux qui tenaient le haut des cimaises au XIX° siècle et connurent l’opprobre au XX° siècle. Aux « Amis du musée », Gilbert Croué, le conférencier, nous met dans le coût. Les valeurs changent : un tableau de Gérôme se négocie désormais aux Etats-Unis, un million de dollars.
De Verdi (Aïda) à Hugo, Nerval, Byron, l’engouement pour l’ailleurs, l’infini des déserts et les femmes rassemblées dans un harem (qui signifie : interdit) toucha toutes les formes d’expression. Chercher la nudité derrière les murs les plus épais, la liberté au cœur des sociétés les plus corsetées. Dès le XVII°, « être ottoman, c’était être autre », alors le regard d’un persan éclaira notre monde sous la plume de Montesquieu, et des « Enlèvements au sérail » depuis « la Sublime Porte » se jouaient près de chez nous. Constantinople sur les rives du Bosphore était pittoresque quand l’Orient commençait en Grèce. L’expédition en Egypte de Bonaparte embarqua bien des scientifiques, elle annonçait des emprises futures. Le mobilier empire emprunta amplement à l’esthétique du pays des pharaons. Puis vint la conquête de l’Algérie : le tableau représentant « La prise de la smala d’Abd el Kader »par Horace Vernet mesure 21m de long. Désormais à portée de bateau à vapeur, des gens fortunés purent réchauffer leurs images de l’antiquité: femmes à la fontaine et sages bergers. Delacroix, Ingres, Matisse remplirent leurs carnets de croquis et leurs palettes prirent le soleil.  
Gérôme Jean Léon (1824-1904), originaire de Vesoul, bachelier à 16 ans, devint l’élève de Paul Delaroche (« Le supplice de Jane Grey ») à Paris. Devenu académicien, chef de file du courant orientaliste, il s’opposa aux impressionnistes bien qu’il fût le condisciple de Renoir à l’époque de ses apprentissages. Ses casques de gladiateurs brillants lui valurent de figurer comme membre éminent parmi les peintres « pompiers », après avoir été étiqueté comme "pompéiste". A ses débuts à l’école dite des « néo grecs » il fait valoir sa maîtrise de peintre animalier avec sa représentation d’un « Combat de coqs ». Bien que le portrait de « Mademoiselle Durand » qu’il rêvait de tenir dans ses bras lui restât sur les bras, pendant soixante ans ses talents vont être sollicités. La précision de son dessin, ses recherches documentaires scrupuleuses, son mariage avec la fille d’un marchand d’art lui valurent les honneurs de fin de siècle jusqu’au regain d’intérêt en 2010 quand Orsay lui consacra une rétrospective. Dans les vieux dictionnaires il était à l’honneur pour représenter des moments historiques, et de scènes antiques, sans poils sous les bras. Il utilisa la photogravure pour une diffusion large de ses productions.
Le dévoilement de « Phryné devant l’aréopage » dans sa théâtralité annonce dit-on les péplums à venir. Sous le baiser de Pygmalion, Galathée ne reste pas de marbre. Egalement sculpteur méticuleux, il se représenta sur ses toiles où sont rendues avec une précision impressionnante, les nuances des matières, des textures, les harmonies subtiles des couleurs. Nourri par les photographies de Bartholdi avec qui il partit en expédition, ses témoignages sont aimables : celui qui « foule la paille » ou qui achète « une bride », « le marchand de peaux », et ceux qui font commerce de « chevaux », « L’allumeuse de narguilé », et forte « La mort d’un cheval »
Les carreaux brillent dans les bains maures, les moucharabiehs découpent la lumière comme des dentelles et les lumières sommitales inhabituelles des hammams rendent plus évidentes ses réussites quand elles proviennent d’au-delà de la Méditerranée.

mercredi 12 octobre 2011

Porto le matin, Lisbonne le soir.

En étant en avance d’une heure au petit déjeuner, nous apprenons que le Portugal ne vit pas à l’heure d’été. Nous allons faire un tour dans le fog de Porto. Nous remarquons des petites coupoles sur les toits, certaines très jolies et pittoresques, aspirant la lumière dans les maisons et de nombreuses façades traditionnelles recouvertes d’azulejos variés, représentant parfois des saynètes du XVIII° siècle, mais aussi un nombre impressionnant de verres et bouteilles de bières abandonnés dans les caniveaux et sur les trottoirs par les fêtards du vendredi soir. 
Nous traversons des quartiers assez délabrés, avec des boutiques attestant d’une histoire qui a connu de meilleurs jours. Le cordonnier, le coiffeur attendent dans un décor charmant d’autrefois pour offrir des services qui se perdent.
La pluie s’installe, nous accompagne lorsque nous traversons le pont du métro qui a mis à mal les maisons de vieux quartiers aux escaliers pleins de charme conduisant au fleuve. Sur l’autre rive, le modernisme s’inscrit dans le paysage avec son téléphérique. Le long des quais bien aménagés s’alignent des caves à vin, des barques anciennes de démonstration remplies de barriques semblent attendre le marinier chargé de manier l’énorme rame à l’arrière depuis une estrade en hauteur. Nous quittons Porto vers 11h30 heure locale et prenons la direction de Lisboa sous la pluie. Il y a 320 km à effectuer sur autoroute, sous des nuages noirs gris blancs puis des portions de ciel bleu qui s’agrandissent au fur et à mesure. Le soleil brille lorsque nous tournicotons dans Lisboa jusqu’à la Place aux fleurs au croisement de la rue Marco Portugal. Heureusement notre logeuse Ana est connue dans le quartier car nous ne disposions pas de numéro de rue pour notre gite. Une musique éclatante s’échappe d’un rez-de-chaussée, fenêtre et porte ouvertes sur la rue. Notre avenante propriétaire fait baisser le son dont profitait tout le quartier et nous pénétrons dans une maison rénovée située juste en face des fêtards. « Sinon le quartier est calme ». Nous garons la voiture pour la semaine dans la maison, et la porte se referme automatiquement derrière nous. Ana nous fait visiter les trois niveaux de l’appartement abrité du soleil par des volets intérieurs en bois blanc assortis aux murs. Il n’est que 18h, le ciel bleu nous invite à une première visite de la capitale, ou du moins du quartier. Nous empruntons nos premières rues en pente aux jolis noms : rua des Palmiers, rua do Jasmin pour déboucher ensuite sur une place ombragée par d’énormes caoutchoucs, la Praça do Principe Real, occupée au centre par un bassin et un restaurant abrité sous une véranda dont l’ambiance rappelle celle de jardins parisiens, du Luxembourg ou des Tuileries.
Nous nous dirigeons vers le jardin botanique situé dans les murs de la faculté des sciences, point de départ de la révolution des œillets. Nous nous acquittons du droit d’entrée d’un euro par personne auprès du gardien. La flore est luxuriante, les arbres se disputent le droit à la lumière. Le parc dégage un charme d’autrefois, où les bâtiments astronomiques style début du XXème siècle se délitent peu à peu, voués à l’abandon. Nous sommes seuls à déambuler parmi les essences rapportées et amassées par des jardiniers aventureux célébrés par des statues. Nous ressortons de la faculté par une allée de palmiers royaux et reprenons le chemin montant et descendant vers notre nouvelle maison. La fête des voisins bat son plein, débordant dans la rue. Une jeunesse métissée, danse, boit, crie, s’embrasse sur fond de musique retentissante: c’est l’été.

mardi 11 octobre 2011

La vie est belle malgré tout. Seth.

A la recherche d’un obscur auteur de BD, le narrateur nous promène à la recherche de lui-même.
Le monde de la B.D. est un univers bienveillant pour les tempéraments mélancoliques avec sa part irrésistiblement liée à l’enfance.
La ligne est claire pour un propos qui s’interroge sur le sens de la vie :
la famille, les femmes, l’intransigeance, l’amitié, la mémoire, la trace que nous laissons…
Les dialogues qui cherchent l’authenticité respirent avec des plages de silence très graphiques.  
- Ma leçon de la vie, c’est qu’il y a deux sortes de gens. Les bons enfoirés et les mauvais enfoirés. Ce que je veux dire, c’est que nous devons tous vivre avec nos traumatismes. Certaines personnes s‘enfoncent elles mêmes à cause de ça, mais d’autres y puisent des forces. 
- Ben... 
J’avais beaucoup aimé son bel album: « George Sprott, 1894-1975 » et une fois encore le dessinateur canadien, dont le vrai nom est Gregory Gallant, touche au cœur.

lundi 10 octobre 2011

The social network. David Fincher

Comment est né « Facebook » ?
De la notation des filles les plus canons, vieille comme la frustration des potaches ; l’attractivité du jeu est démultipliée par Internet.
Le film est consacré essentiellement à la controverse par avocats interposés pour savoir qui est propriétaire de l’idée au service désormais de 500 millions d’utilisateurs. Ces jeunes surdoués des écrans ne cessent de viser la réussite.
Si la vitesse donne l’illusion de l’intensité, cette quête me semble payée par la désinvolture, des rapports humains impitoyables, des trahisons, la solitude. Le fric, l’ivresse, le froid.
J’ai eu du mal à suivre le débit des paroles du jeune Zuckerberg, et les réactions des protagonistes m’ont semblées étranges.
Comment peut-on se faire autant d’argent avec ce type d’invention ?
Je m’applique, et je me suis accroché pendant deux heures : la presse unanime avait aimé, alors il fallait bien voir ce film pour essayer de ne pas décrocher tout à fait d’un monde qui va si vite ; mais je me suis senti d’un autre pays, d’un autre temps.
Bon allez, je vais voir où en est mon mur sur « Facebook ».

dimanche 9 octobre 2011

Ivanov. Tchekhov. Osinski.

C’était écrit dans le dépliant explicatif de la MC2 qu’il s’agissait de la première mouture du texte du dramaturge russe: la version comédie.
A vrai dire, les rires sont rares dans la salle.
L’histoire de ce veuf pour le moins mélancolique, on dirait dépressif aujourd’hui, qui meurt le jour de son remariage, n’impose pas vraiment une couleur différente du gris du décor, par ailleurs très élégant.
La distance entre les hautes aspirations grandiloquentes des uns et des autres et leurs impuissances affolées peuvent prêter à sourire celui qui ne se reconnaitrait pas dans ces pantins plus pathétiques que drolatiques.
La phtisie frappe et les souffrances ne sont pas seulement physiques, les problèmes d’argent brouillent toute relation, la culpabilité et l’impuissance règnent malgré l’intelligence et la lucidité des personnages, l’antisémitisme est naturel chez ces gens là.
Tout s’effondre, les feux bien nommés étaient d’artifice.
Ne sommes nous pas en pleine tragédie qui est une soumission au destin ?  
« A quoi bon expliquer quoi que ce soit au public? Il faut l'effrayer et c'est tout. Il sera alors intéressé et se mettra à réfléchir. » Tchekhov
Et un toast à la vodka pour les auteurs russes !
Nos avis étaient partagés sur les performances des acteurs, mais si un personnage apparaît comme antipathique ce peut bien être une réussite ; en tous cas nos avons plébiscité celui qui joue Pavel, le vieux beau père soumis.

samedi 8 octobre 2011

Grands reporters. Prix Albert Londres de 1950 à aujourd’hui.

Lire par petites goulées ces 100 reportages qui tiennent 640 pages auxquelles ont contribué Lartéguy, Guillebaud, Chabalier, Kravetz, Chalandon, Rollin, Guetta, Cojean, Saint Exupéry et Armand Gatti entre autres. Des pointures à l’écriture intense.
Révision utile de temps révolus quand la guerre était en Corée où un camp du drap d’or se dressait en Iran, mais une civilisation qui disparaissait dans le Nord de la Russie en préfigurait tant d’autres.
Et tant de plaies perdurent : Amouroux titrait en ce qui concerne Israël :
« La paix n’est pas pour demain ».
De Luang Prabang à New York, Belfast, Bali, Caracas, Grozny… En tous sens.
Chez Mugabe ou « El Chapo », narco mexicain qui figure derrière Bill Gates comme personne influente du monde mais devant Sarkozy.
Barricades à Alger dans les années 60, rizières sanglantes et chars à Prague,
en 70 on savait que le Tibesti était au Tchad,
en 80 : Liban, Afghanistan, Kurdes en 90 avec le Rwanda, la Bosnie, et le FN,
2000 à Karachi et des jeunes Moldaves en Italie, l’Irak et le modèle Finlandais.
La description d’un hospice à Lille dans les années 80 traverse le temps, et une plongée chez les fous nous étreint.
Le récit d’un rescapé du goulag me restera en mémoire : « un jour, dans la toundra glacée, marchant dans une colonne de prisonniers, il aperçoit un corps mutilé qui gît. C’est « une vache ».Le terme désigne, dans le jargon du Goulag, un jeune détenu naïf, entrainé dans une évasion par un groupe d’anciens qui le tuent ensuite pour s’alimenter. Le cadavre sert de réserve de nourriture. »

vendredi 7 octobre 2011

Pierre Rhabi au CRDP

 
Cinéduc a invité en lever de rideau de sa prochaine biennale consacrée aux utopies le paysan « philosophe » auteur de "l'insurrection des consciences". Il était vraiment à sa place. 
Et les 400 places du CRDP n’ont pas suffi pour asseoir tous ceux qui attendaient les paroles du pape de la sobriété heureuse. J’ai préféré aller écouter ce précurseur de la décroissance plutôt que suivre le spectacle télé de la primaire, car le pionnier du bio touche à la fois au cœur des enjeux pour la planète et des pratiques individuelles, le global et le local. Les péripéties politiciennes tombent alors en poussière. 
Mais pourquoi dire : « il est sur un autre terrain » quand il s’agit de se changer soi même pour prétendre changer le monde. 
Comment ne pas être d’accord avec le conférencier ? 
Tant les portes qu’il franchit sont déjà largement ouvertes. 
Comment pousser encore à une croissance infinie dans un monde limité, perçu non comme une offrande mais comme un gisement où s’installent champ de batailles, casinos et hypermarchés ?
L’homme a des aptitudes qui ne le sauvent pas de l’imbécillité et il ne sait pas toujours « qu’il ne sait pas ».
De surcroit : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » 
L’argent qui permet l’échange, est devenu la valeur absolue, il participe à une économie du pillage. 
Les excès des richesses extérieures s’installent au détriment de la recherche intérieure pourtant l’insatiabilité permanente ne peut engendrer de satisfaction. Et la consommation ne remplit pas le vide des vies. 
Dans la conscience de faire partie d’une même famille à l’échelle du monde, il convient donc de cultiver son jardin. Oui. 
Humus, humidité, humanité. 
La fable du colibri qui apporte une goutte d’eau pour lutter contre l’incendie de la forêt est belle et juste, surtout quand le petit oiseau répond au tatou qui se moque de lui : 
« je fais ma part ». 
Et si l’Ardéchois, depuis son oasis, exhorte les religieux à être au premier rang pour défendre la beauté du monde, il sait bien que les hommes verront plus une promesse de bûches dans l’arbre qui se découpe magnifiquement sur fond de soleil couchant qu’une chance inestimable de goûter à ce moment sublime. 
Le souci constant de rapprocher les actes des paroles m’est familier, mais j’ai les canines qui s’agacent quand des louches de miel viennent accroitre le taux de sucre d’une vision du monde quelque peu simpliste.
La vie c’est mieux que la mort. 
Les disparités sont abyssales. 
Nous passons du bahut à la boîte en roulant dans nos caisses : le rappel de cette chanson mignonne des années 60 « sont des boites, petites boites » est bien agréable mais j’ai beau trop abuser des jeux avec les mots, je me lasse parfois des vieilles marmites, quand la terre est appelée mère trop souvent. 
…. 
Dans Libération d’hier : 
« Il y a crise quand l’ancien monde ne veut pas mourir et que le nouveau monde ne peut pas naître » Gramsci 
« L’urgence n’est pas de changer le pansement mais de penser le changement » Eva Joly 
Dans Le Canard de la semaine