mercredi 6 octobre 2010

J 5. Harlem : religion et musique.

Pour préparer le jour du seigneur, nous allons dans une église du quartier où l’on nous demande si nous parlons portugais
Puis nous prenons le métro vers Harlem, nous trouvons aisément une place assise pour chacun : tranquillité d’un dimanche matin. Nous repérons sans hâte l’église « United House of Prayer for all people » à l’angle de l’avenue Frederick Douglas et West 124 street. Nous sommes un peu en avance. Alors que nos trois femmes attendent à l’intérieur, nous partons en maraude de quelques photos. Au bout d’un moment, un monsieur conduit les français informés par le Routard jusqu’à l’église accessible par un ascenseur après un petit cheminement parmi des bureaux. Ce lieu de culte moderne ne présente pas d’intérêt architectural : grande salle éclairée par une verrière à deux pans, à travers laquelle se détache une croix sur fond de ciel encore bleu. Des miroirs, placés derrière quelques fauteuils confortables, agrandissent l’espace, faisant face au public. Nous ne sommes pas autorisés à photographier, il y aurait pourtant de quoi à faire avec les arbres généalogiques des donateurs ou le portrait distingué des différents prêcheurs de l’église crée en 1919.
L’office commence avec deux orateurs. Ce n’est qu’au bout d’une 1/2 heure que la salle se remplit de fidèles et de participants prêcheurs-chanteurs avec orchestre de cuivres composé de trombones, hélicon, tuba, percussions, mené par une joueuse de cymbales métronomique. Le temps s’écoule sans qu’on s’en aperçoive, avec l’alternance des paroles en parlé /chanté, morceau de musique en fanfare, chants, quête en grande pompe et applaudissements « God is good ! ». Certaines femmes noires portent des vêtements blancs, comme leurs chaussures, et leurs bas et coiffe. D’autres ont enfilé une robe couvrante en tissu soyeux, d’autres encore de coquets tailleurs rose ou mauve. Les touristes s’éclipsent progressivement au bout d’une heure trente, deux heures.
Nous pensons aussi partir, mais un trio (2 hommes et une femme) exprime une gamme de nuances différente de tout ce que nous avons entendu jusque là. Vont alterner encore avec la fanfare, un solo de femme qui nous rappelle « Bagdad Café », un quatuor de jeunes mamans, et une quête style loterie pour réunir la somme de 200 $ à laquelle participent même les musiciens.
Nous finissons par quitter l’église, contents de cette deuxième mi-temps plus authentique et plus vécue à travers les gens du quartier. Il est déjà 14h 30 et nous souhaitons manger rapidement. En longeant la rue de l’Apollo, la mythique salle de spectacle de James Brown et de Michael Jackson, où les petits marchands se sont installés, Dany nous offre des cabas à l’effigie d’Obama, vendus par un nigérien et négociés en français avec un compère « cousin » sénégalais.Nous trouvons un peu plus loin un Burger King. Une jeune femme nous propose son assistance pour la commande, pour nous éviter d’être escroqués et nous tuyaute pour un concert de gospels ce soir. Dans le restaurant, des dames endimanchées osent des chapeaux incroyables et des habits des mille et une nuits en tissu doré. Leurs tailleurs gris perle très chics tranchent dans cet univers où tous les lieux ne sont pas dans leurs atours du dimanche.
Nous partons nous promener dans Harlem, vers le Nord. La cathédrale a ses chapiteaux sculptés de scènes contemporaines. L’intérieur très vaste révèle de beaux vitraux dans les bleus. Il y a un office mais la chorale est muette.
Sur les rives de l’Hudson, nous remontons vers le mémorial de Grant, le général nordiste. Nous entrons dans l’église de l’université privée de Columbia, le temps que des musiciens évacuent leur matériel après un concert. C’est une belle église de style gothique, avec dans le chœur comme des flèches finement sculptées. Derrière les bancs des livres de psaumes en différentes langues et des enveloppes pour des donations sont à disposition. Nous pénétrons ensuite dans un des bâtiments de l’Université, celle d’Obama, construite dans un style moyenâgeux Dans la chapelle revêtue de bois, so british, répètent une jeune chanteuse et un pianiste, dans les bibliothèques travaillent à l’ordinateur des étudiants studieux. Dans les couloirs quelques photos en noir et blanc ajoutent un air de tradition à ces lieux. Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons devant une salle de gym pour enfants visible de la rue et devant un parking de voitures de police près d’une fresque vantant les mérites des agents protégeant la population.
Nous trouvons sans problème le « Greater Refuge Temple », 2081 Adam Clayton Powell Jr Beva recommandé à midi au burger King.
Nous sommes placés par un homme dans des fauteuils de cinéma face à une scène, loin des images que nous avons d’un lieu de culte. Des chanteurs se produisent déjà devant un public qui s’installe et s’affaire s’accommodant d’une sono à la limite de la saturation. Nous sommes réellement les seuls blancs à assister au spectacle, ou plutôt nous sommes au centre du spectacle qui se déroule dans la salle. Les gens dans leurs vêtements du dimanche, dansent debout bras levés vers le seigneur, claquant des mains avec frénésie ou frappant sur des tambourins amenés à cet effet. Deux grosse dames devant nous ondulent avec la grâce que peuvent souvent dégager des personnes fortes, avec parfois un minimum de gestes ou dans une transe aidée par une orgie de décibels. Ça monte, ça chauffe, ça chante sur scène et dans la salle, et les formations vocales différentes se succèdent, accompagnées par une batterie et une guitare basse poussée à fond, un orgue électrique, un sax et une trompette. Une belle vieille dame très digne dans son élégant costume bleu-mauve et son chapeau assorti se déplace pour nous serrer la main. L’accueil est chaleureux, le public exprime sa ferveur. Nos voisines de devant n’hésitent pas à consulter leurs messages sur leur téléphone portable ou à photographier la scène, les gens entrent et sortent, parlent, s’embrassent dans une ambiance bon enfant vraiment pas guindée. « C’est une tranche ».
Mais il est déjà 20h 15, il faut être raisonnables et penser au chemin du retour en métro de Harlem à Brooklyn. Nous avons la chance de trouver un « Delly shop » ouvert dans le quartier pour acheter du pain et un journal pour nous tenir au courant de l’évolution du volcan islandais. Service minimum en cuisine : légumes surgelés, jambon, salade. Les partisans de la bière sont partagés entre Corona et Budweiser. Il est déjà onze heures.

mardi 5 octobre 2010

Blast. Larcenet

Le gentil dessinateur de BD à barbiche qui mettait en cases ses premières expériences de papa était craquant. Quand il avait évoqué son père, sa ligne claire s’était assombrie. Avec ce premier volume, « Grasse carcasse » d’une série à venir, il nous trempe dans la noirceur totale.
Un interrogatoire policier fait remonter aux sources de son malheur, un personnage accablé par le poids de son corps, fuyant la société dans une nature sans ruisselets chantants où se réfugient quelques miséreux. La nuit et la boue sont sur le chemin de Polza Mancini qui n’atteindra pas, pour de vrai, les statues de l’île de Pâques qu’il voudrait rencontrer. Les seules couleurs dans cet univers ténébreux sont des crayonnages d’enfants pour traduire un moment exceptionnel de soulagement intense (le blast), délire halluciné, qu’à pu vivre cet écrivain clochard dont on s’en veut de le trouver sympathique alors qu’il a commis quelque chose de grave dont on ne sait rien : troublant.
Beau et fort jusque dans ses silences.

lundi 4 octobre 2010

Benda Bilili. Renaud Barret Florent de La Tullaye

Du fin fond d’une misère noire viennent des étoiles. Sur leurs fauteuils roulants le « staff » des musiciens atteints de la polio, dans les rues de Kinshasa, où vivent 40 000 enfants, nous enchante. Le tempo de leurs chants, de leur musique venue de cordes élémentaires, cet optimisme qui renverse les montagnes nous font partager un conte rude mais vrai. La « cour des miracles » n’a jamais si bien porté son nom avec deux réalisateurs qui concrétisent cet éternel mirage : le cinéma peut servir. Un CD est sorti qui prolonge le plaisir et une tournée européenne a été organisée. Sans déférence, à bénéfice réciproque : de grands bonhommes se révèlent. La fraternité autour de la musique nous fait sortir de la salle avec des larmes d’émotion et un sourire qui a pu naître de situations rigolotes mais aussi d’une foi dans la vie qui économisera bien des cachets. Nous nous levons de nos fauteuils. Même si le mythe de l’Europe comme Eldorado ne risque pas d’être ébranlé. « Très très fort ».

dimanche 3 octobre 2010

Concert à Courchevel avec Lodéon

La FACIM, fondation qui valorise le patrimoine savoyard, conviait gratuitement à un concert présenté par Frédéric Lodéon dans son auditorium haut perché à Courchevel. Le pédagogue bavard nous a fait découvrir Jean Cras et Joseph Suk. Le premier, breton, est resté toute sa vie officier de marine, le second, tchèque, a gagné sa vie comme violoniste. Le programme était de qualité et il n’était nul besoin de titrer « Star académie classique ». Un quintet ouvrait sur des évocations maritimes. Si la harpe souffre à mes oreilles de ses connotations cristallines tellement aquatiques, j’ai apprécié cette fois les cordes. Au dire des mélomanes, que j’accompagnais, Suk avait des airs de Brahms, et là encore le dialogue entre piano et violon plus perceptible en vrai, a soulevé la salle pleine de jeunes et de coréens. L’accessible Lodéon auprès de qui je m’étonnais de cette forte présence asiatique m’a rappelé qu’il y a trois ans, il y avait 50 millions de pianistes chinois, et là bas les choses vont très vite. Deux pianos face à face ont joué West Side story de Bernstein clôturant cette belle soirée après trois romances de Schumann. Nous ne nous souvenions plus du nom du réalisateur de la comédie musicale, mais le compositeur avait marqué les mémoires. Ses harmonies en constante rupture nous ont embarqués avec leurs rythmes énergiques, mais la réconciliation entre les deux bandes rivales, les Jets et les Sharks, est apparue plus que jamais du domaine du rêve.

samedi 2 octobre 2010

Le chemin des âmes. Joseph Boyden

Mon amie Dany a beaucoup aimé ce livre :
« L’horreur de la guerre des tranchées vécue par deux volontaires, indiens canadiens Cree, en parallèle avec les souffrances de la dure vie traditionnelle de leur vieille tante Niska.
Double découverte : une nouvelle approche des conditions de survie des soldats - et Xavier et Elyah ont un rôle particulier de « chasseurs ». Un récit magistral et sombre
d‘une force rare, et l’exotisme des traditions indiennes lorsque Niska a la parole.
Remarquablement agencé, de France en Grand Nord, on est emporté par un souffle irrésistible servi par une écriture nerveuse et précise. »

C’est encore plus fort d’être transporté par ces 470 pages parce qu’elles traitent une nouvelle fois de la guerre de 14/18, sujet rebattu. Deux indiens du Canada dans l’enfer des tranchées. A aucun moment n’apparaît la recherche formelle d’un angle original, une posture vendeuse. Ces deux hommes avec leur formation au plus près de la nature rencontrent l’inhumanité à son sommet. L’alternance des récits en forêt et sur les rivières constituent une respiration-quoique- après les déchaînements furieux sur la ligne de front. La narratrice restée au pays recueille un des rescapés ; son récit alterne avec celui du neveu devenu guetteur et tireur d’élite. Les changements de voix se font subtilement et posent, au cœur du chaos, le problème de l’identité.
Au cours d’un incendie en forêt :
« Les deux jours suivants, rien ne change. C’est à croire que la rivière nous a conduits sous terre. La fumée ne veut pas s’en aller ; pas un souffle de vent ; on se sent suffoquer. Il n’y a plus un oiseau qui chante ; plus un arbre dont le feuillage pourrait bruire… »
Difficile de lâcher ces destins palpitants même si je n’ai pas saisi ce qui amène ces coureurs des bois en mocassin à s’engager dans l’armée. Je ne peux que me joindre au concert de louanges entourant cette œuvre que je vais m’empresser d’offrir à quelques vieux potes qui pourront vérifier que l’excellent titre est à la hauteur de ce qu’il annonce.

vendredi 1 octobre 2010

Retraites à la Woerth.

Ce samedi 2 octobre à 14h 30, nous remettrons nos pas dans nos pas pour la manif.
Mes Jiminy Crickets, bien qu’ils aient pris de l’embonpoint, m’ont tiré par la manche pour que j’aille marcher avec eux en prenant toute la largeur du cours Jean Jaurès.
Certes, il vaut mieux « anticiper en réformant avant d’y être contraint comme en Grèce », pour reprendre les termes de Xavier Bertrand au forum de Libé à Lyon samedi dernier. Il donnait ainsi raison à Bernard Thibault qui insistait sur le poids de la crise dans les mesures avancées.
La citation d’un certain président, qui sait que lorsque « la CGC se retrouve avec la CGT », c’est bien qu’il y a un problème politique, par le secrétaire de la CGT en conclusion d’un débat, a contrarié le modérateur bien partial, Gérard Leclerc qui ne savait même plus le prénom du syndicaliste. Mais débat il y a eu, pourtant quelle pauvreté dévoile notre démocratie en constatant l’originalité d’une telle rencontre !
Dans les assemblées, c’est verrouillé, et la dépréciation des opposants, alors que la manif parisienne n’était même pas partie, relevait une fois encore de la méthode de l’enfumage médiatique, qui vous met les nerfs en vrille.
Parce qu’ils se savent impopulaires ils se disent courageux; le courage serait de mettre à contribution leur électorat : les riches et les vieux riches!
La droite entonne aujourd’hui la main sur le cœur que la réforme est engagée pour maintenir la retraite par répartitions, alors qu’ils rêvaient de capitalisation il y a vraiment peu. Réforme qui n’aurait pas eu à être engagée puisque l’éternel candidat l’a dit lui-même en mai 2008 : il « n'a pas de mandat » pour reporter l'âge de départ en retraite, puisqu'il n'en a «pas parlé» pendant sa campagne. Et à gauche la pusillanimité a été de mise jusqu’à présent !
L’argument de l’égalité de traitement entre public et privé pourrait ne pas paraître comme un dérivatif si cette équité balbutiée était la règle dans tous les actes du gouvernement.
Alors que c’est l’aggravation des écarts entre riches et pauvres qui saute aux yeux.
Quand le chômage des jeunes et celui des séniors sont au plus haut, « passer la main » me semble constituer un acte de solidarité. Une société se tient si sa jeunesse à une place sur le quai de l’avenir. Ce n’est pas l’épaisseur des boucliers sécuritaires en bas des HLM qui fera le ciment. Et les autres boucliers fiscaux destinés aux méritants à la déchéance de la nationalité, qui ne cherchent qu’à gruger la France, se fissurent.
Le vent a tourné : j’ai gardé mes gênes cédétistes et depuis la prudence de 2003, je retrouve avec eux les accents d’une lutte des classes que l’arrogance des ceux qui nous ponctionnent et leurs mensonges, ne font que redonner couleur : rouge.
L’apparition de débats sur la pénibilité qui se réduit à la constatation des handicaps, la double peine aggravée pour les femmes, posent le problème des conditions de travail en amont, en Hamon.
La gauche doit reprendre le travail.
« La retraite, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas »

jeudi 30 septembre 2010

Grandeurs et misères de la peinture de femmes#1

Il faudra bien un cycle de trois conférences pour traiter le sujet devant les amis du musée même si le conférencier Serge Legat n’ira pas jusqu’à Frida Khalo.
Certes très tôt la femme est présente nue sur les toiles sous des prétextes mythologiques et bibliques, jusqu’à « L’origine du monde » dont on ne s’est pas privé récemment, après les croupes des odalisques de Boucher.
Mais du côté du pinceau, ces femmes soumises au regard de l’homme, qui sont elles dans les temps premiers ?
De l’antiquité au monde baroque.
Pline l’ancien raconte que la peinture naquit d’une jeune fille vierge qui traça le contour de l’ombre de son bien aimé. Mais si l’antiquité mentionne quelques femmes peintres du temps où Sapho livrait des poèmes, aucune œuvre n’est restée même si l’on voit sur des vases ou des fresques à Pompéi, des femmes en train de peindre.
A la période médiévale, des enluminures sont aussi réalisées par des religieuses telle Herrade de Landsberg dont les originaux d’un jardin des délices ont disparu dans l’incendie de la bibliothèque de Strasbourg durant la guerre de 1870.
Les frères Van Eck eurent une sœur qui eut sa part dans l’atelier. Les pionnières furent liées aux hommes, femme, fille ou sœur de.
Pendant la renaissance, La Tintoretta, acquit une certaine renommée mais son père ne la laissa point s’éloigner de lui.
Lavinia Fontana, apprendra aussi de son père mais elle gagna son autonomie jusqu’à être reçue à l'Académie romaine, une première dans le seizième des siècles, bien avant Marguerite Yourcenar à l'Académie Française (1980). Femme de peintre, celui ci deviendra son manager.
Sofonisba Anguissola, vécut 96 ans et à la fin de sa vie Van Dyck fit son portrait c’est dire quelle était sa notoriété. Elle a laissé une belle série d’autoportraits
Artemisia Gentileschi violée par un élève de son père peignit des tableaux tellement forts que l’un d’eux fut attribué au Caravage. Alors que la peinture de portraits avait fini à être acceptée de la part du sexe faible, après les natures mortes et les fleufleurs, elle est la première à peindre des scènes d’histoire et de religion. Sa série sur la décapitation d’Holopherne par Judith traduit une belle énergie ainsi qu’une Suzanne au bain convaincante.