Pour conduire les amis du musée de Grenoble sur les sentiers
du « Land art », le conférencier part du mot « tourisme »
dont l’origine est à chercher du côté du « Grand tour » que
pratiquaient les aristocrates, les artistes, au XVII° siècle. Ceux-ci devaient ainsi conforter
leurs connaissances livresques à la vue des plus beaux monuments de l’antiquité
et des plus beaux paysages aux alentours de la Méditerranée.
Le jeune professeur à l’école polytechnique, auteur de
« L’univers sans l’homme », va procurer une dimension épique aux
artistes en les peignant en aventuriers.
Dans le domaine des livres, Jules Verne qui donna de
l’ampleur à bien des fantasmes techniques, exprima les paradoxes de l’explorateur
avide de lointains pour lequel un tour de 80 jours ce n’est finalement pas si
long.
Dumas traita de l’ampleur historique, alors que Conrad était plus
mélancolique.
« La vitesse a
supprimé jusqu’aux aventures ; tout est plus simple, plus direct, pas du
tout fabuleux et beaucoup moins charmant. La science a détrôné la
poésie ; l’homme a substitué sa propre force aux dieux jaloux, et nous
voyageons orgueilleusement, mais assez tristement, dans la prose. »
C’est d’ Eugène Fromentin qui a écrit « un été
dans le Sahara », il était aussi un peintre orientaliste qui alla au désert,
renouvelant ainsi les pratiques de son art. Dans « Le pays de la soif »
l’aventure a terrassé les membres de l’expédition : le monde est décidément
indifférent aux humains.
Le « Naufrage » de Joseph Vernet
intensifie aussi la « modicité » de la place de l’être humain. A son propos, comme pour Turner, la même anecdote fut
contée : épris de sincérité, ils se seraient fait attacher au mât d’un
bateau pour vivre les tempêtes de plus près.
« Le naufrage en grande tempête » de Philippe-Jacques
de Loutherbourg est cataclysmique.
Au XVIII° siècle, au moment où la géologie se
constitue en sciences et que le mont Blanc vient d’être gravi,Caspar Wolf en peignant
« Les
montagnes du Lauteraar », peut évoquer la présence récente de l’homme sur la terre.
Au XIX °, Thomas Morand de l’Hudson River School accompagne les
pionniers et contribue à la topographie du « Nouveau monde ». Face aux
« Jupiter
Terrace » à Yellowstone, des
silhouettes humaines sont tout juste mentionnées pour donner l’échelle, parmi ces roches dépositaires d’un passé immémorial.
Alors que le paysage était à l’arrière plan
dans les peintures de la Renaissance, les personnages n’ont plus que la portion
congrue.
Si l’on peut voir dans l’arc-en-ciel, une alliance
de Dieu et des hommes, « Les chutes du Niagara »
de Frederic
Edwin Church, célèbrent la nature sauvage dans un pays qui a préservé très tôt quelques sites grandioses alors que dans son expansion il a détruit, avec frénésie.
Au siècle dernier, Michael Heizer de la génération - on n’hésite
pas avec les grands mots- « héroïque » du « land art »,
fait creuser des ravins rectilignes dans le désert du Nevada comme autant de
sculptures gigantesques en négatif : « Double négative »
Sa
« City » n’est pas achevée,
cette colossale construction est un artefact surdimensionné
(«
Objet
fabriqué
par l’être humain découvert lors de
fouilles »),
à destination des archéologues des siècles à venir, après la grande
déflagration.
Robert Smithson est mort dans un accident
d'avion tandis qu'il repérait un nouveau site après s’être affronté à la nature
en une spirale difficile d’accès et parfois recouverte par les eaux du grand lac salé : « Spiral Jetty ».
C’est par ses
marches que Richard
Long a marqué sa singularité. Ses traces fugaces « Walking
a Line in Peru » sont
conservées par la photographie pour les galeries, ou
inscrites dans des protocoles. Sans témoin, il frappe 1000 fois deux roches, lance plus de 3000 fois une pierre qu’il
reprend, ou revient plusieurs années après disperser des galets qu’il avait
disposés en cercle.
Hamish Fulton ne déplace pas une brindille et
ne laisse pas de trace.
Bas Jan Ader, artiste conceptuel, parti pour
traverser l’Atlantique sans expérience de la navigation avec le plus petit
bateau possible, disparut en mer.
Pour déplacer les montagnes,
Francis Alÿs, fait appel à des
centaines de personnes munies de pelles pour remuer dix centimètres de terre
sur une ligne de 500 m.
Il court après les tornades pour se placer en leur vortex.
Ses performances souvent à visée politique sont poétiques,
mais le sourire se crispe parfois lorsque Abraham Poincheval se met en danger en passant sept jours et sept nuits en haut
d’un mât à 20 m
du sol.
Baudelaire me convient mieux, et n’est-ce pas un de nos
problèmes contemporains de tout prendre au
pied de la lettre ? « Marcher dans les nuages » ne demande pas
forcément de cramer du kérosène, ni de se faire du mal en mettant son body
(art) en jeu dans la lande.
Un enfant qui s’applique à marcher sur le bord d’un
trottoir, évoqué par un auditeur, échappe heureusement aux galeristes et
commentateurs patentés. Je me souviens aussi de la créativité d’élèves appelés
à assembler brindilles et feuilles dans un projet qui avait de l’allure, mais
aussi de jeux avec marrons et feuilles qui n’avaient pas eu besoin de
formulaires, ni de service de presse, pour prendre du plaisir et en donner, sans
protocole.
« Pour l'enfant, amoureux de cartes et
d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! Que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! »
Et la version intégrale, de ce monument grandiose de la
poésie, se conclut :
« Ô Mort, vieux
capitaine, il est temps ! Levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !
Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ! »