Il faut bien quatre heures de théâtre pour apprécier ce
maelström où nous sommes invités à réfléchir, nous émouvoir, sourire, depuis
l’infime spirale génétique aux espaces infinis, de la taille de notre bite aux
fœtus en sandwichs (secte satanique), de la multiplication des discothèques
corrélée à la consommation d’anxiolytiques.
Shakespeare, Nietzche, Baudelaire :
« Sois sage, ô ma
Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci. »
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci. »
La poésie est là, tout du long, amère, avec les remords
d’une humanité de douceur rêvée qui fait reproche. D’une radio sort :
« tout au long de la vie qui pique, On prend
des beignes » de Souchon et « Night in white
satin » nous en rappelle de belles.
La transposition sur scène de notre écrivain le plus
contemporain http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/04/la-carte-et-le-territoire-michel.html
est vraiment réussie.
Nous rions pendant cette tragédie, avec en
particulier une séquence de yoga du genre « Les Bronzés ».
Michel, chercheur en biologie
moléculaire se noie, son demi-frère, Bruno, professeur obsédé par le sexe, deviendra fou. Annabelle
après deux avortements ne pourra avoir d’enfant de celui qu’elle aime, à cause
d’un cancer, et Christiane finira mal après une vie de recherche désespérée du
plaisir.
« Cette pièce est
avant tout l’histoire d’un homme, qui vécut la plus grande partie de sa vie en
Europe occidentale, durant la seconde moitié du XXe siècle. Généralement seul,
il fut cependant, de loin en loin, en relation avec d’autres hommes. Il vécut
en des temps malheureux et troublés. […] Les sentiments d’amour, de tendresse
et de fraternité humaines avaient dans une large mesure disparu ; dans
leurs rapports mutuels ses contemporains faisaient le plus souvent preuve
d’indifférence voire de cruauté. »
Le spectacle est musical, physique, les
acteurs aux talents multiples, excellents, les procédés vidéo ne font pas
procédés et leur diversité s’accorde au foisonnement qui balaie trente ans de
nos vies.
« Ils
se sentiraient de plus en plus vieux et ils en auraient honte. Leur époque
allait bientôt réussir cette transformation inédite : noyer le sentiment
tragique de la mort dans la sensation plus générale et plus flasque du
vieillissement. »
Est-ce que la liberté des années soixante a
fait de nous des cannibales ?
Nos années soixante dix utopiques, se
disait-on à l’entracte, se sont dissoutes dans l’acide des années 80. Années où
Kerouac passait sous le Tapie, Mite’rrand tenait la balayette et nous n’avions
rien vu.
«Pourtant, nous ne
méprisons pas ces hommes
Nous savons ce que nous devons à leurs rêves
Nous savons que nous ne serions rien sans
l’entrelacement de douleur et de joie qui a constitué leur histoire.»
Ce spectacle a
beau être « dédié à l’homme », on peut en ressortir glacé, tout en
étant ravi d’avoir assisté à un grand
moment de théâtre.
La compagnie s’intitule « Si vous pouviez lécher mon
cœur » car le professeur du prometteur metteur en scène « répétait souvent cette phrase
extraite de Shoah, le film de Claude Lanzmann : « Si vous pouviez lécher mon
cœur, vous mourriez empoisonné ».
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