Alors après l’affirmation de la personnalité( « faire classe1 ») pour assurer de bonnes heures devant les élèves, revenons sur le collectif , les liens, les équipes.
Nous ne sommes pas condamnés à la solitude. La complexité du travail oblige à la coopération. Et il est bon d’être « tous ensemble -tous ensemble », pour résister parfois aux collectivités locales et autres profs manqués déguisés en parents d’élèves qui auraient tendance à se mêler des choix pédagogiques des enseignants, voire à leur dicter la loi. Les complaisances ne manquent pas dans la place. Les difficultés des politiques de peser sur le réel les amènent eux et leurs communicants à l’école et son public captif pour lutter contre le tabac et l’obésité, prévenir l’usager de la route et des transports en commun, pour promouvoir le développement durable ; tout cela joue au détriment d’une éducation qui durerait. Chaque jour s’annonce la semaine du handicap, du goût, de la femme, de l’Internet, de la presse, de l’Europe, de la bicyclette, du loup et de la buse, de l’emploi, de la fraich’attitude, du livre, du timbre pour les vacances, de la poésie : tout ce qui nous manque. Difficile de rester maître chez soi. Les appels médiatiques incessants en direction de l’école trahissent une paresse, une fausse reconnaissance qui accélère l’amoindrissement des ambitions originelles : lire, écrire, compter. Comment donner confiance aux élèves si l’adulte devant les enfants n’est pas sûr de son coup ? Mes intuitions allumèrent parfois chez les enfants les curiosités, les rires, mais aussi soulevèrent des incompréhensions. Les coups de gueule, les moments inspirés perdent de leur vérité, refroidissent quand ils sont mis en lignes. Pour la jouer tangible, restent les objets, des mécaniques pour vide-greniers.
Des recettes pratiques concernant le bon usage du papier calque ou du bristol ne répondront évidemment pas aux enjeux de l’école, mais se nourrir de spéculations générales contraires à la nécessité de la transmission éloigne d’un engagement intime.
« Prof un jour, prof toujours ».
« Donneur de leçons soixante-huitard, continue même tard. »
L’enfant n’est pas jeté au monde fini, terminé, où serait notre rôle d’éducateur, d’éleveur ? L’adulte se construit, se fait, fait, est refait parfois, s’exerce à la liberté. Nous sommes tous édifiés, à travers le regard des autres, à travers les mots des autres.
Une pédagogie personnalisée qui cultive ses singularités ne contredit pas la cohérence nécessaire à l’intérieur d’une école. Nous pouvons éviter collectivement par exemple les redites thématiques, mais le chemin est long pour acquérir une sincérité qui sait avouer ses faiblesses. La santé psychique qui se joue chaque matin au petit théâtre pédagogique ne peut s’endurcir qu’avec des hommes et des femmes authentiques. La responsabilité personnelle de l’enseignant peut être mise en péril quand le recours au collectif devient incantatoire.
Le travail en équipe pédagogique s’accomplira comme une noble entreprise si elle résulte d’engagements volontaires ; l’approbation par le silence ouvre les portes aux tyrannies à la petite semaine.
La concertation est indispensable afin de trouver des solutions pour les enfants en difficulté au plus tôt sans que la masse horaire des réunions ne vienne amputer du temps de préparation de la classe. Que de temps perdu, parfois, parce qu’une aide souhaitable n’avait pas été proposée à temps ! Qu’il n’y ait pas de silence au sujet des enfants en difficulté ! Alors la mauvaise foi de parents qui affirment : « c’est la première fois que l’on me dit que mon fils a des problèmes » pourra être démasquée.
Dans l’acte pédagogique reste la vérité du pédagogue, ce qu’il est, ce qu’il aime, ce à quoi il croit. Cela n’interdit pas les évolutions, les adaptations.
Mais les mesures autoritaires génèrent les freins les plus sournois, les plus efficaces. Rester sincère, être fort pour préserver la capacité à entraîner un groupe d’élèves, à recevoir ses attentes, continuer à faire vivre une idée de l’école de la république pour que sa devise ne devienne ni un jingle publicitaire ni une épitaphe.
A trop avoir crié « Ubu » n’a-t-on pas vu qu’il était à la barre dans ce qui devrait demeurer- sans hésiter sur l’image - « le temple des savoirs » ?
A mes débuts je me suis empressé de mépriser la première recommandation d’un collègue concernant les assurances, les accidents. Dans ces années l’insouciance s’adossait à d’autres certitudes en béton. Début de ce siècle, fin de ma carrière, les angoisses obscures pensent s’exorciser par les paperasses. «L’assurance » si mal nommée puisqu’ en compagnie, elle, affole les compteurs, et met à mal un minimum de liberté, d’audace de celui qui est en tête du rang. Beaucoup de centres aérés, de classe de mer ont fermé leurs portes faute de candidats qui ne pouvaient plus s’épuiser à affronter le judiciarisme vétilleux envahissant une société où l’insécurité se la joue.
L’imparfait conviendra pour ces billets où des préfabriqués ont pu s’inventer des ferveurs de chapelle où les tombes ne font pas silence quand il convient d’envisager l’avenir. Allons enfants !
« …nous n’habitons plus l’histoire de la même façon : la nouveauté fait preuve, la tradition est à charge. La jeunesse n’est plus un âge, c’est une valeur en soi… » R. Debray
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