samedi 20 juin 2020

L’abyssin. Jean Christophe Rufin.

« Le Roi-Soleil était défiguré. Certaine lèpre qui, dans les pays de l’Orient, corrompt les huiles, s’était introduite jusque sous le vernis et s’y étalait de jour en jour. Louis XIV avait sur la joue gauche, celle que le peintre lui faisait tendre en majesté vers le spectateur, une grosse tache noirâtre, hideuse étoile qui projetait jusqu’à l’oreille ses filaments d’un brun rouillé […] Le tableau ornait le consulat de France du Caire depuis trois ans»
La virtuosité de ces première phrases ne se démentira pas jusqu’à la 800 ième page, avec reprise subtile d’un motif essentiel entrevu au cours de ce récit haletant. Les talents de médecin du personnage principal lui ouvriront les portes des rois d’Ethiopie et de France pour l’amour d’une belle.
Etranges majestés :
« Il dispose d’un officier pour dédoubler chacun de ses organes. Il y a l’œil du Roi, qui lui rapporte tout ce qu’il voit dans la cour. L’oreille du Roi écoute pour lui. Il y a le chef de sa main droite et celui de sa main gauche, pour les armées. Et vous allez entendre le serach masery celui qui répète ses phrases à voix haute. »
L’auteur a été médecin et diplomate : « La diplomatie est un art qui requiert une si constante dignité, tant de majesté dans le maintien, tant de calme, qu’elle est fort peu compatible avec la précipitation, l’effort, bref avec le travail. M. de Maillet, en diplomate avisé, ne remplissait jamais si bien son rôle que dans ces moments où, n’ayant positivement rien à faire, il pouvait s’y consacrer tout entier. »
Roman épique où tous les rebondissements forcément heureux sont bienvenus  avec quelques portraits savoureux :
Le héros traverse la France à cheval :
«  Jean Baptiste riait, ouvrait la bouche pour mordre la pluie froide qui, dans ces années de tropique lui avait tant manqué sans qu’il le sût. »
Après tant d’épreuves, les amants se trouvent :
«  L’écart des naissances, la volonté d’un père, l’indifférence d’un Roi et la méchanceté de tant d’hommes n’encombraient pas plus leur chemin que les petits cailloux de lave éteinte qui roulaient sous leurs pieds. »

1 commentaire:

  1. Ces citations sont exquises. Nous avons ce roman à la maison. Je crois que je vais l'emporter en vacances, à côté de mon... "Marchand de Venise"...
    Jamais depuis Rufin a trouvé cette prose luxuriante...
    Jamais depuis non plus il ne l'a cherchée, je crois...
    Du bonheur en perspective.

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