mardi 31 janvier 2012

Du sable dans le maillot. Florence Cestac.

Ou bien « on est arrivés, il fait beau et les gens sont sympas ».
 Sur le thème des vacances, l’auteure membre éminent de la confrérie des gros nez, repasse par les cases colo, chez pépé mémé à la campagne, la villa avec une bande de chouettes copains, la montagne, les ados, les voisins envahissants au camping, et la meilleure amie au Club…
Bien des situations pourraient figurer dans quelque navet à succès mais Franck Dubosc n’est pas là, les gags ne s’étirent pas, ils durent le temps d’une bulle et passent à un autre régressif, donc délicieux.
 Anne Charlotte, Marie Sophie, Charles Henri, Jean Guillaume, Marie Hortense, Jean Bernard, Jean Etienne, Louis Gérard prennent leur mois de juillet sur l’île de Ré.
 Il y a des personnages odieux - puisqu’ils - payent, des « pigeons » aux Canaries mais aussi de la tendresse dans le rappel des souvenirs d’enfance sur l’île aux oiseaux quand l’oncle Henry raconte ses souvenirs.
Les trouvailles sur la plage proviendraient alors du Titanic, du Nautilus ou de Barbe Rouge.

lundi 30 janvier 2012

Polisse. Maïwenn.

Je ne m’étais pas précipité sur ce film au casting tapageur et à la thématique rebattue.
Et j’ai été agréablement surpris : Karin Viard en colère n’est vraiment pas nunuche et Joey Starr campe un personnage crédible et profond.
Le film est riche comme sont diverses les personnalités composant cette brigade des mineurs.
La réalisatrice à la biographie bien garnie joue une photographe qui suit la vie des flics.Cette position lui permet d’interroger son propre regard documentaire agrémenté de dialogues vifs, avec quelques scènes ciselées, poignantes, drôles.
Les policiers hommes et femmes s’impliquent dans leur métier dans des conditions difficiles pour traiter de tellement d’affaires délicates, leurs vies privées sont pour le moins bousculées.
Les enfants maltraités sont bien traités par la cinéaste, sans mièvrerie, avec tendresse et pourtant les situations qu’ils subissent révèlent bien des noirceurs.
Le problème des moyens mis en œuvre pour les protéger est posé clairement dans toute son épaisseur humaine et politique.

dimanche 29 janvier 2012

Le suicidé. Comédie russe. N. Erdman. P. Pineau.

« À l’époque où nous sommes, ce qu’un vivant peut penser, seul un mort peut le dire. »
 En appréciant la charge explosive intacte de la pièce écrite dans les années 30, on peut comprendre que la censure ait duré jusqu’en 1987. La farce est ravageuse. Celui qui menace de se suicider depuis qu’un saucisson a été confondu avec un révolver, a trouvé enfin un sens à sa vie. Il apparaît aux yeux des autres au moment où il veut disparaître.
Désormais : « à n’importe quelle réunion, camarades, à n’importe laquelle, je peux tirer la langue au président ».
 Une flopée de personnages, tous excessifs comme il convient, verraient bien ce suicide annoncé servir leur cause, ainsi en est-il avec toutes les récupérations qui martyrisent tant de désespérés.
Le titre de comédie n’est vraiment pas usurpé, et un rythme endiablé est tenu pendant 2h 20.
Le dispositif scénique sans être envahissant rappelle le constructivisme russe, il est au service d’un déroulement limpide de l’intrigue où les acteurs excellents communiquent leur plaisir de jouer.
Le burlesque est attaché au tragique : il est question de dignité et rien moins que de la mort et du sens de la vie. Pièce éminemment politique sans lourdeur où le commissaire politique annonce la fin des hommes et la disparition des dames.
 Ne subsisterait qu’« une masse immense de masses. »

samedi 28 janvier 2012

Le passage obligé. Michel Tremblay.

L’auteur prolifique, que l’on aime retrouver, parle avec tendresse d’une période rude au début du XX°siècle.
La langue du Québec va bien avec la chaleur humaine et la vérité d’une vie qui s’achève pour la grand-mère. A Saskatchewan, l’enfance finit pour Nana.
Maria, sa mère, vit à Montréal pour assurer un meilleur avenir à ses enfants mais elle se tient loin d’eux. Chacune, se sont surtout les femmes qui sont mises en valeur, se démène pour mieux respirer dans une société corsetée par la religion où il est bien difficile d’infléchir les destins.
 « …les hommes, eux ne détestaient pas promener leurs effluves de travailleurs à la dure et répétaient à qui voulait l’entendre qu’un mâle qui sent la femme n’est pas un vrai mâle, ce à quoi Joséphine leur répondait qu’un mâle qui sent le bouc est juste un animal comme les autres. » 
 Aucun mélo, même quand Nana, l’ainée, grandie trop vite, doit renoncer à l’école pour s’occuper du plus petit.
Elle trouvera du réconfort dans le cahier de contes laissé par Josaphat- le- violon.
Plaisir partagé par le lecteur dans trois récits insérés dans les 250 pages avec des lutins, les spunkies, et une pie grièche qui vont éclairer le réel.

vendredi 27 janvier 2012

Quelle place pour la culture dans la vie sociale ?

Un de mes lecteurs, que je connus - lui aussi- plus politique, trouve que mon blog est trop branché culture.
Sous les murs écroulés de la politique, nulle plage. Je vais vers les délices cultureux paresseux qui font rosir nos petits cœurs à coup de pigments, de zooms, de flow, de rimes à l’arôme sucré.
Sur la toile, c’est bien vrai que la consommation de spectacles, expositions, livres… n’échappe pas au copié /collé, mais le débat politique me semble lui aussi bien conformiste.
Je suis frappé que les premières pages qui s’ouvrent dans les moteurs de recherche reprennent bien souvent, d’un site à l’autre, les mêmes textes sans regard critique. De nombreuses personnes prenaient des notes aux journées de la République des idées, mais je n’en ai pas trouvé trace sur le web.
J'ai saisi quelques mots:
La culture doit énoncer le monde, le questionner et nous permettre aussi de nous en échapper.
La culture peut mettre au présent, commenter le social, mais ne peut servir de pompier puisqu’il ne s’agit plus non plus pour l’agit prop de mettre le feu à la plaine.
 « Sa promesse excède ce que l‘on peut vivre », elle nous rend meilleur parfois - une heure, rien qu’une heure seulement - elle peut émanciper dans la filiation sépia du conseil de la résistance quand le théâtre était service public, la culture associée au travail.
Pris dans le caléidoscope publicitaire des représentations, la multiplication des spectacles devient une fin en soi devant le spectacle lui-même, des mots peuvent nous apaiser :
  « Le cinéma conserve à contretemps, parce que le temps cinématographique n'est pas ce qui coule, mais ce qui dure et coexiste. » Deleuze.
 Nasser Djemaï l’auteur de « Invisibles » dans le débat animé par Arnaud Laporte à la MC2 faisait part des difficultés d’avoir un espace critique situé et non plus global, la politique se tenant dans le sujet et non la forme. Me revint alors une réflexion entendue dans un autre débat :
 « au moment de la commune, bien des impressionnistes étaient à la campagne ».
....
Dans le Canard de la semaine:

jeudi 26 janvier 2012

Les sources de l’art nouveau en Europe : le temps des précurseurs. 1865-1890.

Emile Gallé, après des études littéraires remplace son père, maître de l’émail et des faïences.  Au début du XX° siècle, il est  encore reconnaissant  envers le duc de Lorraine Stanislas sous le règne duquel, en plein XVIII°, le développement économique, fut aussi artistique et urbain. Sur ces terres, les ouvriers qualifiés ne manquaient pas. La défaite de 1870 va amener le Dreyfusard de la première heure à insister sur les racines locales de son art floral influencé par les rocailles, dans un répertoire assez rococo et historiciste.
L’art nouveau est associé aux revendications nationalistes du côté de la Catalogne, de la Finlande ou chez les magyars. Il utilise des matériaux rares et ses 14 meubles pour l’exposition de Paris sont des productions de luxe avec lesquelles il espère édifier les acheteurs. Ce style s’enracine dans l’histoire, et les expositions universelles raccourcissent les espaces : le Japon est à la mode jusqu’au « japonisme » dont on trouve des marques sur des pendules, des chandeliers.
Auguste Majorelle, inspiré par l’Orient, sera avant tout un créateur de meubles et améliorera les performances du Vernis Martin qui remplaçait les laques chinoises. Son fils Louis travailla plutôt la faïence qu’il mêle aux bois. Un piano spectaculaire témoigne d’un travail original. C’est le temps de Loti et des arabesques mauresques qui vont si bien aux arrondis de l’art nouveau.
Les anglais regardent, eux, surtout du côté du moyen âge.
Augustus Pugin réactualise le style néo gothique lors de la reconstruction du parlement de Londres achevé en 1860. Et le critique John Ruskin défend les préraphaélites (re)renaissants et le travail artisanal : la main contre la machine. En architecture il est pour exhiber les structures en fonte ou en fer, ne pas cacher les matériaux.
Eugène Viollet Le Duc qui a réhabilité notre patrimoine médiéval n’était pas une sorte de promoteur d’un Disneyland XIX°, suivant le mot de Gilles Genty aux amis du musée : par ses écrits théoriques, il a inspiré par exemple Hector Guimard. Il est question de libellules, très présentes sur les vases de Gallé, leurs ailes se retrouvent dans le dessin des verrières qui surplombent les volutes en fonte de stations de métro parisiennes. Certains ont trouvé quelque peu « nouille » ce style moderne

mercredi 25 janvier 2012

Hospices de Beaune.

Avant la visite nous patientons dans la cour, le nombre de visiteurs étant important. Nous prenons le temps de contempler les fameux toits aux tuiles en terre cuite émaillées. Cette polychromie qui identifie le style bourguignon viendrait d’Europe centrale. La Grande salle des « Pôvres », au plafond magnifique, mesure 50 m de long. Les malades couchaient à deux dans les lits disposés de part et d’autre de la partie centrale qui accueillait des tables pour les repas. Le choix de ne percer que de rares fenêtres inaccessibles pour protéger des miasmes extérieurs a joué à l’encontre des intentions hygiéniques.
Dans une salle attenante au cœur de l’Hôtel Dieu, nous pouvons voir la rivière la Bouzaise qui passait sous l’hôpital, elle emportait les déchets.
Au sortir de la guerre de cent ans alors que les « écorcheurs » mercenaires désœuvrés écumaient la région, en 1443, Nicolas Rolin a décidé de construire les hospices: « Je mets de côté toutes sollicitudes humaines et ne pense qu’à mon salut. Désirant par une heureuse transaction échanger contre les biens célestes ceux de la terre qui m’ont été accordés par la bienveillance de Dieu, et de transitoires les rendre éternels, dès maintenant, à perpétuité et irrévocablement je fonde, érige, construis et dote dans la ville de Beaune au diocèse d’Autun un hôpital pour la réception, l’usage et la demeure des pauvres malades » Les locaux garderont cette destination jusqu’en 1971. Sa compagne Guigone de Salins est associée à l’entreprise. Des carreaux portent la trace des liens forts qui les unissaient, le mot « seule » suivi d’une étoile y est inscrit. Ceci peut-il se lire «vous êtes ma seule étoile » ?
Une chapelle, des cuisines, une pharmacie ou plutôt une apothicairerie sont intéressantes : les plantes qui poussaient sur place dans le jardin des « simples » étaient réduites dans les mortiers, distillés dans les alambics. Des pots de verre portent sur leurs étiquettes: « poudre de cloportes, yeux d’écrevisses ». Le jugement dernier de Van der Weyden se déploie sur un polyptyque haut de 2,50 m, long de plus de 5 m dont on peut voir également l’envers. Ces dimensions importantes s’expliquent par la volonté de rappeler aux malades, leur destinée. Les damnés sont toujours les plus expressifs et l’ensemble est impressionnant, un système de loupe permet d’apprécier encore plus finement le travail du maître flamand.

mardi 24 janvier 2012

Le Petit Prince. Joann Sfar, Saint-Exupéry.

Le monument de notre littérature (134 millions d’exemplaires dans le monde) qui relie les générations plus sûrement que Les Misérables de Josée Dayan d’après V. H., french book des républiques antérieures, a été mis en bande dessinée.
J’ai eu le privilège de faire découvrir le petit bonhomme qui jamais ne renonce à une question, une bonne trentaine de fois à mes élèves. Il fournissait un prétexte formidable à leurs inventions en matière de dialogue à ambition – philosophique - comme on ne disait pas. Je demandais après le récit des voyages dans un univers peuplé de personnages féconds :« Invente la planète suivante ».
Sfar, touche à tout de la BD est totalement fidèle à l’esprit, à la poésie, à la tendresse, à la sagesse de l’original. Il apporte sa touche avec subtilité : sa rose avec ses rondeurs féminines met au jour ce qui n’était divulgué que récemment des amours de Saint Ex, tout en restant respectueux de l’auteur. L’aviateur apparaît au cours des dialogues avec un Petit Prince aux grands yeux qui s’embuent souvent comme les nôtres en relisant la fin d’une histoire mélancolique où l’idée de la mort comme dans tant de contes pour enfants est très présente.
Le Prince n’a pas été épargné par la marchandisation, ce travail de Sfar n’entre pas du tout dans la sarabande des trousses, drap et autres produits dérivés, il est comme le Forestier interprétant Brassens, fidèle tout en restant lui-même : un enfant qui s’étonne.

lundi 23 janvier 2012

Les nouveaux chiens de garde. Gilles Balbastre Yannick Kergoat.

Entre marchands de canons, de béton et celui des Rafales, je croyais tout savoir sur la faible indépendance des médias ; hé bien, l’effet d’accumulation concernant les connivences, l’omniprésence des mêmes « experts » éditorialistes, donne le vertige. Les responsables de journaux dans les tournantes de la « chefferie » sont ridicules.
Il y a de quoi rire, mais aussi d’être accablé quand Julliard dont j’apprécie pourtant les éditoriaux se montre tellement d’accord avec Ferry (Luc).
Joffrin fait peine dans une question tellement déférente à Chirac, et comme pour Duhamel, cible très prévisible, ses cumuls nuisent à la profondeur de ses analyses.
Pujadas demandant aux Conti de ne pas embêter les patrons, se faisant envoyer sur les roses, c’est vraiment plaisant.
Giordano et ses « ménages » parmi tant d’autres : Sinclair, Ockrent, belles illustrations du mélange des genres, qui se réjouissent de la fin de l’époque Peyrefitte lorsque le ministre de l’information venait expliquer à Zitrone les nouvelles formes de l’information : au moins il y avait moins d’hypocrisies et Val chantait : « rien n’est plus beau que l’autogestion ».
Dans un secteur en crise grave avec des journaux « aux jarrets coupés », des évolutions ont eu lieu, depuis le livre d’Halimi , « les chiens de garde », illustré dans ce montage plaisant. Plenel par exemple ne tient plus tribune commune avec Minc et Colombani. Avec Médiapart, il a ouvert un espace alternatif sur le web, lieu essentiel d’infos, dont il n’est aucunement question dans le film.
Tout bouge rapidement, les têtes de marionnettes devraient se renouveler, pourtant la longévité est la caractéristique dans ces cercles là : Elkabbach et Drucker prêchent la mobilité et Attali les vertus du nomadisme : ils n’ont guère bougé des studios où ils campent.
Le titre est inspiré du livre de Paul Nizan « Les chiens de garde »:
« Que font les penseurs de métier au milieu de ces ébranlements ? Ils gardent encore leur silence. Ils n'avertissent pas. Ils ne dénoncent pas. Ils ne sont pas transformés. Ils ne sont pas retournés. L'écart entre leur pensée et l'univers en proie aux catastrophes grandit chaque semaine, chaque jour, et ils ne sont pas alertés. Et ils n'alertent pas. L'écart entre leurs promesses et la situation des hommes est plus scandaleux qu'il ne fut jamais. Et ils ne bougent point. Ils restent du même côté de la barricade. Ils tiennent les mêmes assemblées, publient les mêmes livres. Tous ceux qui avaient la simplicité d'attendre leurs paroles commencent à se révolter, ou à rire. »

dimanche 22 janvier 2012

L’histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge.

Je savais que Mnouchkine avait monté la pièce d’Hélène Cixous il y a bien des années déjà (26 ans), alors j’avais pris des billets à la MC2, les yeux fermés.
Mais il s’agit d’une nouvelle version en Khmer surtitrée de trois heures vingt. Après l’entracte, je ne suis pas revenu. J’avais cependant rencontré une autre admiratrice du Théâtre du Soleil qui avait été enthousiasmée par la création de deux fois quatre heures, elle reconnaissait que cette interprétation était un peu raide et didactique. Quant aux anciens élèves que ma femme connaissait qui n’avaient pas d’éléments historiques à leur disposition ils étaient face à une énigme, tant les détours de l’histoire là bas sont compliqués.
La vraie vie du Roi « père du Cambodge » et par ailleurs correspondant du Canard Enchaîné était faite pour être portée au théâtre même avant d’être mise en lumière par des acteurs pour beaucoup orphelins depuis les années rouges. C’est une jeune fille qui interprétait en hurlant le rôle de Norodom.
La démarche de faire jouer cette pièce par les Cambodgiens eux-mêmes est bien sûr sympathique, mais leur jeu m’a paru appuyé, frontal, peu approprié pour évoquer les ambigüités, les finesses du personnage principal surnommé « l’insubmersible ». Celui-ci considérait que la monogamie était monotone, il avait eu sept épouses et quatorze enfants dont cinq ont péri sous le régime khmer rouge.
Ces 25 acteurs et 5 musiciens sur leurs tréteaux ont présenté un travail indispensable pour leur pays dont les habitants à la mémoire ravagée m’avaient semblé si fragiles. Mais pour moi, spectateurs de la MC 2, la barrière de la langue, la complexité des sujets abordés, la longueur de la représentation ont dominé ma bonne volonté.

samedi 21 janvier 2012

Assommons les pauvres. Shumona Sinha

L’auteure Bengalie sait de quoi elle parle ; interprète auprès des demandeurs d’asile, placée entre deux mondes, elle n’y va pas avec le dos de la cuillère et son style poétique ne brode pas la métaphore mais révèle les faux semblants, les mensonges, et crie la misère du monde.
« Les enfants soldats protègent leur foyer avec leurs bras d’allumettes. Ils remplissent leur cage d’os d’un grand souffle et se plongent dans la piscine sale de la pluie, dans les larges trous des trottoirs. Le fleuve déborde et noie la ville. » 
Un fois encore c’est une étrangère qui régénère notre langue comme Makine le fit.
Sa colère qui éclate d’une façon fortuite se développe comme dans un ralenti, en ménageant les flous.
L’écriture précieuse n’atténue pas la brutalité des faits. La romancière ne se place pas en surplomb avec pourtant une expression, une précision qui nous séduisent sans tomber dans le formalisme. Sa sincérité est un garde fou.
« Dès l’entrée ces hommes rappelaient l’arrière des boutiques et des restaurants faussement chics de la ville. Ils me rappelaient la crasse, l’eau sale et le tintement mélancolique des vaisselles bon marché, le parfum âpre des tissus exotiques. Ils étaient le revers de la broderie, ils étaient le dos noir des poêles trop usées, ils étaient la face cachée de la mascarade. Les officiers les interrogeaient, ils répondaient, je traduisais, je faisais le trait d’union entre eux. »

vendredi 20 janvier 2012

Comment aimer l’impôt ?

« Les riches se sont considérablement enrichis, mais ils rendent moins à la société qu’autrefois. »T Pech
L’affaire Bettencourt a eu un effet de dévoilement du Bouclier fiscal, révélateur des pratiques où Woerth était un des acteurs des plus emblématiques. Le ministre du Budget garant de l’état conseillait ainsi publiquement une association de guides chamoniards pour payer moins à la collectivité (août 2010. Dauphiné Libéré). C’était du temps où ce pilier de la Sarkosie réservait l’honneur des médailles aux gestionnaires de fortune. Tellement ordinaire, que cela me choque presque plus que ses abus, magouilles, (conflits d'intérêts, financement de l'UMP, cession de l'hippodrome de Compiègne…) auxquels nous nous étions familiarisés.
Puisqu’il était question en ce mois de novembre de « refaire société », une fois encore j’ai choisi de suivre un débat sur la réhabilitation de l’impôt lors des journées de la République des idées. Etaient invités un historien, un syndicaliste et l’économiste Camille Landais qui a écrit avec Thomas Piketty et Emmanuel Saez le livre faisant désormais référence « Pour une révolution fiscale ». Quand il s'agit de simplifier la fiscalité et la rendre plus équitable, la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu, individualisé et progressif est une des mesures les plus marquantes.
Le terme contribution a remplacé le mot impôt qui se trouva affublé par Franklin lui-même de la même certitude que la mort.
Et pourtant sans impôt pas de société et il est loin le temps où le citoyen s’honorait en payant ses taxes. C’est que l’opacité, la complexité sont devenues des données structurelles. Et l’érosion de la morale publique le bruit de fond de nos feuilletons.
Alors améliorer l’information avec un accès aux statistiques comme dans les pays nordiques serait logique avec bien sûr, évidemment, nécessairement, l’accroissement de la pression fiscale sur les plus aisés :  
« prendre le superflu, plutôt que le nécessaire »
Un référendum en Californie où s’était exprimé un refus de l’augmentation de la fiscalité a mis en évidence une explosion des coûts pour les individus quand la mutualisation n’est plus là. Pour rendre l’impôt plus aimable, l’aborder par la contre partie : le coût d’un élève…
La retenue à la source demande une gestion plus fine et n’abaisserait pas forcément le coût de la collecte, là les experts ne sont pas forcément d’accord.
La crise va accélérer les mutations et les délais seront peut être raccourcis par rapport à l’impôt sur le revenu conçu en 1848 et appliqué en 1914. La France affiche souvent des intentions plus égalitaires, mais à force d’abattements et des niches fiscales, le niveau de l’impôt à payer est bien faible pour les plus riches des riches, même s’ils ne pourront à eux seuls combler tous nos déficits.

jeudi 19 janvier 2012

L’art change-t-il le monde ?


« L'art ne vient pas se coucher dans les lits qu'on a faits pour lui. Il se sauve aussitôt qu'on prononce son nom. Ce qu'il aime c'est l'incognito ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s'appelle » Dubuffet .
Avec ce sujet style baccalauréat, le débat de la République des idées électrisa pourtant la salle et mit à mal nos bonnes volontés tolérantes quand une artiste présenta son travail à coup de Power point et de langage branchouille qui touille les absconseries de l’art contemporain et les mots du management.
Un artiviste travaillant au service du mouvement social, plus séducteur lui succéda, mais lui aussi n’échappait pas aux contradictions. Les portes de la Tate se sont ouvertes pour lui mais n'a pas pas supporté ses postillons dans la soupe, les portes ne se sont plus ouvertes: victoire! Mettre des nez rouges dans les manifs entre aussi dans une production d’images qui s’autodétruiront quand le sens aura été raboté par les machines déchiqueteuses d’informations.
V. Hugo fit avancer la cause de l’abolition de la peine de mort, et avec « Halte aux démolisseurs » préserva le patrimoine, A. Londres fit fermer les bagnes et un T. Roosevelt prit des idées chez des romanciers.
Le film « Indigènes » fut un succès et J. Chirac remit à niveau les pensions qui attendaient depuis belle lurette « un acte de justice et de reconnaissance envers tous ceux qui sont venus de l’ex-empire français combattre sous notre drapeau ».
« L’art contemporain a toujours été un accessoire de la très grande richesse » et la bulle spéculative a beau être teintée de poésie, dans le monde arty règne une compétition impitoyable, avec ses réseaux, sa précarité : tous les traits du capitalisme dans ses féroces pratiques.
Le monde a changé l’art.

mercredi 18 janvier 2012

Chatillon sur Seine.

La commune bourguignonne, au nom qui chante, située dans les courbes d’une Seine à ses débuts, recèle aussi la source de la Douix dont une résurgence était un sanctuaire guérisseur.
L’église pré romane abrita des pillages normands, les reliques de Saint Vorle à qui on prète le don de l’ubiquité.
Datant de l’an mil, elle comporte une mise au tombeau dans le style champenois aux drapés qui valent le détour. A ses pieds la vieille ville avec des maisons remarquables tel cet hôtel renaissance d’un bourgeois qui se ruina dans cette construction et une allée d’arbres financée par les amendes qu’ont dû acquitter des boulangers réticents aux taxes au XVII° siècle.
La ville est calme mais pas sans histoire, Napoléon y passa et Garibaldi s’y battit, Joffre lança la bataille de la Marne depuis là.
La bourgade essentiellement agricole conserve des activités métallurgiques qui remontent à fort loin.
Dans une ancienne abbaye est installé le musée du Chatillonais dont la pièce maîtresse est le cratère de Vix. Trouvé dans une tombe, ce service à boire de 200 kg pouvant contenir 1000 litres de vin aromatisé, il accompagnait sous un tumulus depuis 2500 ans une princesse gauloise. Fabriqué en Italie par des grecs, il est le vase antique en bronze le plus vaste jamais découvert. La dame de Vix dont le corps reposait sur un char dont les roues avaient été démontées, était richement parée en particulier avec un collier (torque) en or. A cette époque, fin de l’âge du fer, la communauté celte qui était établie autour du mont Lassois faisait commerce de l’étain indispensable pour la fabrication du bronze.

mardi 17 janvier 2012

Bandonéon. Jorge Gonzalez.

Très beaux dessins dans un carnet de croquis.
L' histoire n’est pas linéaire et nous oblige à sortir du divertissement pour essayer de saisir un peu du mystère du destin d’un enfant prodige musical.
Buenos Aires : le bordel, l’exil, les reniements, la mélancolie, le tango.
Les cartes postales ont des couleurs sépia.
« L’argentine, le meilleur endroit au monde que personne n’arrangera »
Lire l’utile avant-propos du traducteur qui éclairera 200 pages d’un récit parfois un peu elliptique mais qui séduit par la variété et l’énergie du graphisme.

Cathédrales


Hubert Dal Molin, dont les travaux ont été présentés sur ce blog, habituellement concepteur de mandala, a plus d’une flèche à son arc (boutant).
Il présente une maquette de cathédrale impressionnante dans la cathédrale Notre Dame de Grenoble pour l’exposition intitulée « Des pierres qui parlent ».
Les maquettes attendent les visiteurs également à la Source et au Musée de l’Ancien Evêché jusqu’au 20 février 2012.

lundi 16 janvier 2012

Las acacias. Pablo Giorgelli.

Comme ce n'est pas un film américain du nord, cette fois les distributeurs ont  exceptionnellement traduit le titre : "les acacias" pour "las acacias".
Papa roule.
Une heure et demie dans un camion lourdement chargé de bois où une jeune femme et son bébé ont été pris en charge par un conducteur peu bavard. Il effectuera un parcours personnel allant bien au-delà des 1500 km entre le Paraguay et Buenos Aires.
Une connivence avec la toute petite fille va entrouvrir sa cuirasse de père sans nouvelles de son propre fils qu’il a conçu jadis. Ses premiers mots en Guarani vont être le véhicule d’une relation qui s’amorce.
Bébé fait renaître papa.
Très fort, ce film sobre et délicat.

dimanche 15 janvier 2012

Un point c’est tout. Adrien Mondot Claire Bardainne.

L’Hexagone de Meylan capitonne sa niche à l’enseigne de la rencontre de la science et de la culture: ce soir c’était jonglage et art numérique.
Joli spectacle convenant parfaitement à des collégiens souvent captifs de spectacles difficiles, à des enfants, aux vieux geeks ou pas.
Bien entendu le protocole des magiciens est respecté : c’est encore plus époustouflant quand on vous explique les tours.
Le propos accompagnant les danses est parfois un peu bavard et ne fait pas assez confiance au spectateur : on verra par nous même si c’est sensible ou décousu.
En tous cas beaucoup de fraîcheur, de la poésie, dans ces tourbillons de points lumineux entrecroisés de séquences de jonglage traditionnelles. Les mots mouvement et émotion ont la même origine et le synthétique peut être un véhicule léger pour l’imagination.
Des points comme des étoiles, des mots comme des plumes, une grille comme un paysage : magique. Aérien comme virgule.

samedi 14 janvier 2012

Une année chez les français. Fouad Laroui.

Une façon légère d’aborder la rencontre
de deux cultures : la marocaine et la française,
de deux univers : l’enfance et les adultes se cotoyant dans le microcosme d’un internat,
à la fin des années 60 au Lycée Lyautey à Casablanca.
La décolonisation n’est pas vraiment achevée, les ambigüités n’en sont que plus porteuses de questionnements, sans acrimonie.
Du bled à la ville, des découvertes, des malentendus, les mots jouent pendant 300 pages.
Un autre siècle où la littérature pouvait enchanter le réel, où les vacheries, les incompréhensions ne mutilaient pas, mais permettaient de grandir.
Un humour bienveillant, donc daté, parfois un peu bavard, mais au charme certain peut rappeler le Petit Nicolas.
Mehdi le petit boursier consulte un album où sont représentées les chaussures de Van Gogh dans une famille qui l’accueille en fin de semaine :
« - Dis moi, Mehdi, ça fait bien dix minutes que tu regardes ces vieux godillots en rêvassant. 
A quoi penses-tu ? 
L’enfant chuchota : 
- Je pense à mon père. 
Mme Berger se méprit sur le sens de ses paroles.
Elle caressa le front de Mehdi en murmurant, d’une voix pleine de pitié : 
- Il en portait de semblables ? 
Mehdi sentit une bouffée de honte et de colère monter en lui.
- Non mon père ne portait jamais de chaussures pareilles ! [...] 
- Il n’y a pas de honte, tu sais, reprit la mère de Denis. Je t’assure, j’admire ton père, de si humble extraction, d’avoir réussi à mettre son fils au lycée français. Au moins tu n’auras jamais à porter de godillots aussi pourris. 
Elle prit la voix la un peu précieuse qu’elle utilisait lorsqu’elle voulait annoncer à Denis(son fils) qu’il y avait un mot ou une expression à apprendre dans la phrase qui venait.
- C’est ce qu’on appelle l’ascension sociale. Répète Denis. » 
Les épisodes cocasses ne manquent pas : ainsi à l’occasion d’un mariage à la campagne qui dégénère, le jeune garçon place des vers de Corneille pour décrire le chaos.
Le récit optimiste, est donc vieillot : Mehdi réussira sa scolarité et comprendra mieux ses origines.

vendredi 13 janvier 2012

La question sociale aujourd’hui. République des idées.

L’intitulé évoquait jadis l’usine et le travail, aujourd’hui, les quartiers difficiles occupent l’espace médiatique, mais bien peu les décideurs. Les patrons se sont éloignés des lieux de production et la police vient au premier rang.
Le lieu des inégalités se situe dans la ville et non plus à l’usine.
Depuis les années 50 jusqu’en 70, le progrès social a accompagné le développement économique : « demain était meilleur » même si à la sortie de la seconde guerre, les guerres coloniales furent peu glorieuses.
L’idée de progrès était alors partagée, la confiance en la science évidente, les protections autour du travail étaient solides, et la trajectoire professionnelle meilleure pour les enfants.
Désormais la confiance en la classe ouvrière s’est troublée avec le rejet des immigrés. Les ancestrales classes dangereuses reviennent à la lueur des incendies de voitures. Et l’explosion sociale touche à l’intimité des familles où les séparations sont bien plus difficiles dans les classes défavorisées.
Le mot « crise » est trompeur car il sous entend qu’il s’agit seulement d’un mauvais moment à passer alors que la précarité, la désaffiliation, le décervelage sont bien installées par la mondialisation capitaliste débridée. La dérégulation qui affecte le salariat interroge les syndicats qui envisagent une sécurité sociale professionnelle, une sécurisation des trajectoires professionnelles pour attacher des droits aux transitions, associer des garanties au travail mobile.
Mais Sofitel et Carlton occupent nos yeux.  
« Si les diagnostics ne soignent pas », j’ai retenu aussi ce bon mot de François Dubet : « le décrochage scolaire est la maladie nosocomiale de l’école » au bout de son dialogue avec son vieux compère Robert Castel au forum de la République des idées à la MC2 de Grenoble.
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Dessin De Lefred-Thouron dans "Coloscopie de la France du XXI°siècle"

jeudi 12 janvier 2012

L’idée et la ligne.

Le musée de Grenoble met de l’ordre dans ses dessins : des œuvres à part entière et des préparations pour des peintures plus imposantes.
Le dessin est- il supérieur à la peinture ?
Ingres ou Delacroix ?
Cette série de 125 feuilles choisies parmi 3000, exposée jusqu’en février, vient après la période italienne « De chair et d’esprit ». Cette fois c’est la mesure et le goût français pour l’intellectualisme qui prévalent. Dans des dessins au carreau les visages sont anonymes et quelques batailles abolissent des représentations classiques. J’ai appris d’ailleurs de notre guide Etienne Brunet qui réussit à rendre attractive une exposition qui ne se donne pas facilement, qu’il fallait distinguer les représentations du christ en jardinier par exemple de son image sacrée d’où une notation cocasse d’un Rembrandt où le christ est qualifié « d’après nature ».
Le Brun, De Champaigne, Boucher, David sont les artistes présentés les plus fameux de la renaissance à l’empire, mais bien d’autres illustreront la période maniériste, lyrique, classique ou romantique. Sous les rehauts blancs, les repentir rendent vivants des recherches vibrantes où une carnation pourra être rendue avec une grande économie de moyens où la grande histoire s’accommode des petites histoires. La découverte de Pompéi influencera les artistes au-delà des décors d’une antiquité rêvée qui se dépouilleront avant de s’encombrer à nouveau. Bientôt les dessinateurs vont aller voir sur place les paysages et ils pourront aussi proposer leurs visions de jardins à installer. La période antique continuera à influencer jusqu’aux représentations religieuses ; la ligne claire, celle des BD, s’inscrivait déjà sur les vases grecs.

mercredi 11 janvier 2012

Troyes.

La dénomination AAAAA remise au goût du jour concerne l’« Association Amicale des Amateurs d’Andouillette Authentique » sise en ce lieu natif de la célèbre charcuterie. La vieille ville restaurée dont le plan ressemble à un bouchon de champagne est bien mignonne avec ses maisons à colombages qui ont retrouvé leurs couleurs semblables à celles de 1530 après avoir été recouvertes de crépis divers. Les bâtisses à encorbellements se touchent quasiment dans la Ruelle des Chats. L’espace médiéval est vaste et les sculptures, les cariatides, offrent des surprises à tous les regards. 
Les églises ne manquent pas :
« Que fait-on à Troyes ? 
On y sonne » d’après un dicton.
Saint Pantaléon en particulier comporte des statues polychromes remarquables avec deux juifs à la tribune particulièrement vivants. Lieux de grandes foires depuis le moyen âge, sa fortune liée au textile (la bonneterie) perdure avec les magasins d’usines dont les galeries maintenant baptisées « village de marques » attirent les fashion victims et aspirantes. Nous avons goûté à l’andouillette et déambulé devant quelques boutiques, mais le voyage valait surtout le détour pour sa Maison de l’outil et de la pensée ouvrière située dans un bel hôtel particulier où 8000 outils y sont exposés agréablement.
La muséographie contemporaine joue avec la multiplicité et également sur l’originalité car chaque apprenti concevait son outil marqué ainsi par la personnalité de son propriétaire. Les travailleurs du cuir, du bois, du fer, de la terre, de la pierre ont laissé quelques chefs d’œuvre de leur période de compagnonnage, et leurs instruments à portée de main portent la charge des années de labeur et de fierté de ces artisans. 
Le syndicat d’initiative parle du « Louvre de l’ouvrier » : cela me semble juste. 
La ville où l’ordre des templiers a vu le jour est aujourd’hui celle de Baroin, Bigard et récemment du docteur Coué de la célèbre méthode. 
Attila a été arrêté à ses portes en 451 aux champs catalauniques ; l’Antiquité se finissait là et le Moyen-âge débutait.

mardi 10 janvier 2012

Journal d’un journal. Mathieu Sapin.

Mathieu Sapin pas Michel (l’ancien ministre) est le dessinateur de ce reportage de 120 pages dans les coulisses du journal Libération où il joue à l’espiègle. La ligne est enfantine, si bien que l’ambiance de la rédaction me rappelle celle que je devinais avec mes yeux d’enfant en lisant Spirou.
Je suis étonné que l’engagement des journalistes surprenne des observateurs. Ils considèrent peut être que ce travail, lui aussi, est seulement une source de revenu.
L’actualité fait carburer la rédaction entre le départ de Joffrin et l’installation de Demorand :
Fukushima, Ben Laden, DSK.
Nous suivons le malicieux chroniqueur dans les services où affleurent la nostalgie de certains anciens, l’énergie de reporters, l’exigence de Pierre Marcelle qui apparaît en conférence de rédaction, tel qu’il est dans ces prises de positions éditoriales.
La BD convient bien à ce type de reportage, foisonnant, genre croquis pris lors d’un procès, petite séquence où un rendez-vous manqué peut être signifiant, belles rencontres, bons mots.
Le vieux lecteur de Libé que je suis s’est régalé et le novice peut y trouver du plaisir tant nous sommes loin des clins d’œil entre initiés qui furent une marque de fabrique du quotidien de la rue de Lorraine maintenant installé dans un ancien garage rue Béranger. La légèreté qui rend le livre attrayant joue au détriment de la profondeur ou d’une interrogation sur l’avenir de ce média.

lundi 9 janvier 2012

Les crimes de Snowtown. Justin Kurzel.

Le cinéma des antipodes arrive rarement jusqu’à nous et à cette occasion nous apprenons avec effarement que cette histoire horrible est construite à partir d’une réalité inenvisageable (11 assassinats). Le réalisateur n’a pas lésiné sur les effets spectaculaires qui nous conduisent d’une sidération à l’autre. La barbarie n’est pas que dans les actes: de surcroit le tueur en série pervertit de pauvres bougres pour ses entreprises de la plus haute cruauté. La violence suinte à chaque pas dans ce milieu social complètement défait de la banlieue d’Adelaïde. Avec l’intransigeance de sa morale mortifère, l’ange exterminateur passe aux actes les plus déments sans état d’âme.
Un kangourou débité à la hache est déversé sur notre canapé.
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Si j'ai suspendu sans préavis la publication quotidienne de mes articles, c'est que mon ordinateur a connu une grosse fatigue. Que mes visiteurs fidèles veuillent bien m'en excuser.

jeudi 5 janvier 2012

Au Métropolitan muséum.

Lors de la visite d’un musée, je fais souvent l’impasse sur la période renaissance.
Alors, quand à la conférence des amis du musée, Damien Capellazzi nous emmène au plus près des toiles italiennes et espagnoles de cette époque, j’essaye de surmonter mes lacunes et je suis au plus près les détails que le conférencier nous montre.
Grâce aux zooms du numérique nous rentrons dans la matière d’une quarantaine de toiles parfois toutes petites mais extraordinairement précises.
L’inquiétude de la vierge de Berlinghieri est palpable, quand elle montre la voie en présentant l’enfant. Elle a donné la vie, et la mort viendra. Ailleurs, Jésus petit, joue avec le voile maternel qui peut pressentir le suaire. En avançant dans la chronologie il prendra de plus en plus un visage de bébé.
La mouche de Crivelli posée à côté de la mère et de l’enfant n’est pas anodine.
Les tableaux les plus anciens ne sont pas figés : à suivre les regards dans l’épiphanie de Giotto, le mouvement est bien présent dans un espace que rois et bergers partagent. Les rois mages sont trois comme les continents alors connus et comme les trois âges de la vie.
L’éponge imbibée de vinaigre que l’on retrouve dans le tableau de Fra Angelico, au-delà de la soif qu’elle n’étanche pas, constitue une insulte absolue puisqu’elle était destinée à la toilette intime des soldats.
Des larmes jaillissent des yeux parmi les cris étouffés de Jean et de Marie, mais la vierge de tendresse de Mantegna s‘approche de nous.
Les madones de l’école vénitienne seront brunes, tziganes, sombres et mélancoliques. Les portraits qui viennent par la suite accompagneront la réussite des marchands. Cupidon fait pipi sur Vénus dans un tableau de Lotto, et Vénus s’accroche théâtralement à son amant chez Titien.
Le Caravage a le casting plébéien et Valentin de Boulogne enregistre le réel avec subtilité. Dans un tableau, des anges montrent les stigmates ingénument pendant qu’ailleurs le christ apparaît au loin dans un paysage d’automne authentique. Murillo, Vélasquez doivent beaucoup à Venise. Zurbaran va péricliter en même temps que Séville. Les personnages malmenés du Gréco sont fragiles, incertains, Cézanne lui ressemble quand il hésite entre concave et convexe.

mercredi 4 janvier 2012

Nîmes.

Comme le dit le slogan du syndicat d’initiative, Nîmes, « la ville avec un accent », est effectivement un lieu où l’art a droit de cité. Son histoire vient de si loin : le crocodile, emblème bien connu des nostalgiques de l’équipe des années soixante de Kader Firoud, enchaîné à un palmier, date des monnaies frappées par Auguste vainqueur en Egypte.
Le pont du Gard (1° siècle) à proximité, aqueduc sur le Gardon, garde la majesté des années impériales. L’opportunité de le voir depuis la garrigue noire de nuit dans un habillage spectaculaire de lumières inédites m’a enchanté.
En face de la maison carrée temple romain rectangulaire de deux mille ans d’âge, Le Carré d’art, accueille des expositions d’art contemporain et comporte une collection permanente fort pédagogique. Depuis ce lieu lumineux, la vue est magnifique sur la ville et l’antique siège des consuls. Arroyo, de l’école de la figuration narrative, est dans la place avec un Robinson Crusoë, Villegié et ses affiches décollées, une compression de César, Sophie Calle expose sa série des dormeurs. Niki de Saint Phale et d’autres me sont devenus accessibles et je reviens volontiers en ces lieux, je révise, découvre, réévalue.
Chaque année se tient Artnim une foire d’art contemporain qui rassemble 400 artistes par l’intermédiaire d’une quarantaine de galeries, et comme mon institution préférée le MIAM (musée international des arts modestes) était invitée je me trouvais vraiment en terrain familier.
Les plus fameux, Combas, Rebeyrolle, Chaissac, étaient là. Et j’ai mis un nom sur des œuvres entrevues :
le photographe Witkin : dérangeant,
Guy Brunet : du beau travail,
Amanda Brown : dynamique,
et David Gerstein : rafraîchissant.
L’ami qui nous avait invité à cette visite nous a fait découvrir les travaux de Mohamed Lekleti. Ses corps tourmentés se figent, leur chute est suspendue, leurs lignes inattendues pourront-elles inventer d’autres issues à la fatalité ?

mardi 3 janvier 2012

Enfances. Sempé.

Le seul excès que je me suis permis lors de ces fêtes, fut d’avoir épuisé un de mes cadeaux rituel en une seule fois, après m’être promis pourtant d’en garder pour le lendemain. Et j’y reviendrai.
Où il ressort que Sempé n’a pas eu d’enfance, alors il dit :  
«Il m'est arrivé de devenir, par moments, raisonnable mais jamais adulte»,
et cite : « un animal inconsolable et gai ».
Sans rancune à l’égard de ses parents pourtant violents, il est le meilleur interprète de la douceur, de l’innocence des années d’enfance.
Nous nous en emparons avec une nostalgie sans vergogne.
Il atteint l’universel hors d’âge, parce qu’il a si bien inventé, sublimé, depuis ses expériences tragiques du genre : « Approche un peu que je te donne une gifle et le mur t’en donnera une autre. » La résilience.
Son premier dessin : un chien dort dans la casserole qu’on lui a attachée à la queue.
Dans son dialogue avec Marc Lecarpentier, il fait l’éloge de la radio, du mensonge et conte quelques histoires émouvantes. De toutes façons, il dessine un oiseau qui marche sur un fil comme un funambule et je suis ravi, c’est tellement fin.
C’est l’époque, qui était déjà démodée quand est apparu le Petit Nicolas - donc indémodable- des enfants en culottes courtes qui vont chercher les confitures en haut de l’armoire, où les garçons glissent sur les rampes d’escalier et tirent les sonnettes.
Les adultes sont si fragiles face à la nature, aux grands immeubles, à leurs rêves, alors les petits face à l’Océan gardant leur châteaux de sable, comme ils sont courageux!
Il est sévère à l’égard d’un de ses dessins, qu’il trouve trop facile, quand le petit garçon annonce, à ses parents tournés vers la télévision : « je marche ».
J’ai découvert une aquarelle que ne n’avais jamais vue et qui m’a touché : des adultes discutent autour de la table, l’enfant depuis sa chambre est le seul à voir les prémisses de l’orage d’une fin d’été qui renverse les chaises longues et fait s’envoler les feuilles d’un journal.
Pourtant bien des scènes parlent de l’insouciance, de jeux, avec des mots en voie de disparition qui viennent : espiègle, candide, heureux.
J’aime toujours ses images légères de bords de mer, de salles de danse, où les têtes dépassent à peine des herbes, éternelles, familières avec des variantes, alors je suis content.

lundi 2 janvier 2012

Shame. Steve McQueen.

Nous sommes dans un autre siècle, un autre continent que « L’homme qui aimait les femmes » de François Truffaut. Ultra moderne solitude. « Sex addict » à ce qu’on dit et « chair triste ».
Dans sa course au sexe, Michael Fassbender reste insatisfait, pourtant il ne laisse pas les femmes indifférentes, et bien qu’il se mette tout nu, il se cache. Froid pour un sujet qui pouvait être hot, filmé proprement, accompagné de musiques envoutantes, le riche jeune homme reste une énigme y compris pour lui-même. Il aura beau faire le ménage de ses images dans ses tiroirs, son ordi aura beau être nettoyé, sa sœur aura beau apporter quelques éléments à son histoire avec virulence, il ne fait qu’illustrer la vieille blague qui promettait la surdité à celui qui abusait de la masturbation.
Il se retrouve démuni jusqu’à l’impuissance lorsqu’il doit mener une relation qui passe par les sentiments, dans la scène du restaurant, où les acteurs s’en donnent « à cœur joie ».
La distance mise par le cinéaste permet les interrogations, une autre séquence de course dans les rues de New York en pleine nuit m’a parue remarquable, nous entrainant par l’énergie de sa beauté contemporaine avec Bach en fond.

dimanche 1 janvier 2012

Année nouvelle

J’extrais d’un poème d’Emile Verhaeren pris dans l’inépuisable recueil d’Albine Novarino "366 jours de poésie"
pour l’année qui s’en va :
« Dites, l’entendez- vous venir au son des glas, 
Venir du fond des infinis là-bas,
La vieille et morne destinée ? 
Celle qui jette immensément au tas 
Des siècles vieux, des siècles las, 
Comme un sac de bois mort, l’année. » 
Et de Luce Guilbaud pour l’année qui vient :
« Année nouvelle
donne-moi les fruits d’or 
dont chaque graine 
égrène les notes
qui chantent la douceur
d’aimer en arpège
jusqu’aux montagnes bleues
derrière l’horizon. »