lundi 8 janvier 2024

Past lives - Nos vies d’avant. Celine Song.

Ce premier film apporte un regard neuf d’autant plus précieux que la trame de deux amis d’enfance se retrouvant est assez classique comme est familière l’interrogation sur le hasard des rencontres. 
Les personnages se cherchent atténuant par leur honnêteté l’usure opérée par le temps et l’éloignement entre la Corée native et une nouvelle vie américaine.
Loin de toute violence, le dépaysement est bienvenu, même si la gentillesse, l’humanité de chacun n’évitent pas les larmes.
Dans un format tranquille de 1h 50, des acteurs à l’émouvante sobriété, expriment toute la délicatesse du propos.
L’amorce est féconde quand une voix off se demande quels sont les rapports des trois protagonistes présents dans un bar à une heure tardive de la nuit. 
D’autres séquences pudiques, magnifiques, enrichissent la complexité des rapports amoureux traités avec une sincérité non dénuée de nostalgie.   

samedi 6 janvier 2024

Se croiser sans se voir. Jean-Laurent Caillaud.

A partir d’un mot glissé sous une plaque commémorative telle qu’on ne sait plus les voir, 
des lettres s’échangent : 
« Vous qui passez devant cet immeuble, ayez une pensée pour Frédéric.
Il est mort pour vous. Le 21 août 1943. Il avait 19 ans.
C'était mon meilleur ami.
Il voulait faire le tour du monde après la guerre.Il n'a pas pu. » 
De brefs échanges rassemblés en 126 pages témoignent d’une mémoire réinvestie par les passants avec des évocations de personnages qui laissent à leur tour une trace respectable.
Ne sont pas ignorés quelques messages témoignant d’autres préoccupations : 
«S’il vous plaît, qu’est-ce que je fais de toutes ces fleurs, moi maintenant ?
Et bravo pour les bougies, ça dégouline de partout.
La gardienne du 149. » 

vendredi 5 janvier 2024

Guère.

En appréciant à l’écran des combats bien chorégraphiés du temps des mousquetaires, je pensais à d’autres batailles terriblement actuelles :  
« depuis le temps, décidément les hommes… » 
Je suis l’un d’eux, violent ou manquant de courage, ajoutant une banalité à une autre : 
« Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui » Sartre
Les canons de Gaza ou d’Ukraine, apparaissant aussi sur écran, nourrissent nos scrolls.
Là bas les hommes s’attachent à tout détruire, l’affirmation de leurs empires sans innovation sinon pour tuer, les mène vers le néant.
Derrière nos climatiseurs ronronnants, peut s’affirmer le sentiment que toute contribution aux débats politiques équivaut à une dilution homéopathique de 5 CH (10–10 = 0,0000000001 soit un dix-milliardième). 
Certains croient à la goutte d'eau du colibri, à l’homéopathie, d’autres pas.
D’ailleurs que dire de plus après Angus Deaton, prix Nobel d’économie en période de paix ? 
« La mondialisation est devenue une source de mécontentement. 
Qu’elle ait contribué à une réduction sans précédent de la pauvreté n’a pas apaisé les colères dans les pays riches, attisées au contraire par ce succès » 
Avant qu’une nouvelle chasse une autre nouvelle: nous avons été contemporains de Jacques Delors quand l’histoire soufflait par là et nous effleurait. Mais un sourire indécent en temps de funérailles pourrait naitre à entendre louer la rigueur du défunt par ceux qui ont manqué tellement de courage.
Malgré la prophétie médiatique auto-réalisée de la fin du « en même temps », je ne sais voir que si nous sommes là où nous sommes, ce n’est que le résultat de nos passions, de nos actions paradoxales, faites par les hommes de tous bords propulsant la roue de l’histoire à coups de contradictions.
C’est le moment de ressortir Clémenceau :
« la Révolution française est un bloc dont on ne peut rien distraire ».
Les raisons généreuses apportées par les scientifiques jouent sur les décisions des états, des banques, des publicitaires, ceux-ci ont à prendre en compte aussi les peurs de leurs électeurs, l’avidité de certains clients, la surdité des autres.
Les bilans étaient au programme de fin d’année, mais s’oublient au moment des résolutions du début de la période nouvelle. Les rapports finissent dans les tiroirs pas seulement dans les ministères mais aussi dans la zone de mon propre magistère.
En choisissant de grandes sphères voire en m’en tenant à la forme hexagonale, je risque de partager le maillot tricolore avec des compatriotes qui taisent des conditions personnelles satisfaisantes, se pardonnent des décisions contestables, mais pointent sans cesse le négatif autour ou au dessus d’eux, vilipendent les autres et tout ce qui bouge. Jamais responsables de rien, ils sont quelques uns à distribuer sans retenue l’infamante étiquette de nazi au moindre contradicteur banalisant l’extrême droite, tout en soulignant leur propre faiblesse argumentaire. 
« J’essaie de ne pas vivre en contradiction avec les idées que je ne défends pas. »
Pierre Desproges

 

jeudi 4 janvier 2024

Les martyrs de l’art. Serge Legat.

Dans la série des artistes maudits, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble nous présente Hugo Van Der Goes dont Erwin Panovsky auteur de l’ouvrage « Les primitifs flamands » écrivait qu’il « est peut-être le premier artiste qui incarne un concept inconnu au Moyen Âge, mais en haute faveur depuis lors dans l’esprit des Européens, celui de l’homme de génie à la fois béni et maudit par le destin, parce qu’il est différent du commun des mortels». « Portrait d'un jeune homme ».
Cet artiste du XV° siècle dont seulement nous sont parvenus 13 peintures et 2 dessins a été reconnu à la cour de Bourgogne. Plus tard sombrant dans la mélancolie, il est entré comme novice au prieuré du Rouge-Cloître où il continue à peindre. « L'adoration des Mages »
Le goût du détail, la personnalité de chaque personnage bien distinguée, les couleurs vives constituent sa signature. 
Le chagrin des apôtres est expressif autour de la mère pétrifiée « La Mort de la Vierge ».
En 1872, Emile Wauters retiendra : « The Madness of Hugo van der Goes ».
Le Greco
(Domínikos Theotokópoulos), né en Crète en 1541, d’abord peintre d’icônes puis formé près du Titien, se révèle à Tolède où il meurt  en 1614, avant d’être remis au goût du jour au XIX° siècle.
 
« Le Martyre de saint Maurice » aux lignes étirées dont les plans se télescopent, ne laisse pas de vide. Sa peinture étrange a nourri des légendes concernant l’homme.  
Le peintre maniériste est expressif dans une originale « Vue de Tolède sous l’orage » 
à l’éclairage fulgurant.
L’« Enterrement de Casagenas » de Picasso dialoguera
avec « L’enterrement du comte d’Orgaz » du Gréco.
Pontormo
dont l’« Autoportrait »  apparaît un peu fané appartient lui à l’école maniériste florentine. Mais beaucoup de ses œuvres ont été détruites, et ses travaux monumentaux inachevés. Il finira dans le désespoir, après avoir été porté aux nues.
« La déposition du Christ »
accentue les expressions et les couleurs, idéalisant la scène.
Felix Nussbaum
, peintre de la nouvelle objectivité a réussi à s’échapper du camp de Saint Cyprien « Le réfugié ». Il  meurt en 1944 à Auschwitz avec sa femme Felka Platek. 
« Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes ».
« Le triomphe de la mort (les squelettes jouent une danse) » 
dont l’intitulé rappelle Bruegel fait penser aussi à Bosch.
Son « Autoportrait au Passeport Juif » est devenu un symbole de la shoah.
Géricault
né dans une famille royaliste en 1791, auteur du très républicain « Radeau de la Méduse » qui dénonçait l’incurie monarchiste fut pourtant félicité par Louis XVIII. 
« Monsieur, vous venez de faire là un naufrage qui n'en est pas un pour son auteur.»
 https://blog-de-guy.blogspot.com/2017/06/gericault-f-giroud-g-mezzomo.html
« Etude de bras et de jambes »
et « Têtes de suppliciés décapités » préparaient la retentissante toile qui fut mieux reçue en Angleterre qu’en France.
Il fréquente l’hôpital de la Salpêtrière. « La Monomane de l’envie » 
Devenu l’incarnation de l’artiste romantique, il excelle à représenter les chevaux et à monter les plus fougueux, l’un d’eux va le faire chuter. 
Il entre dans une longue agonie, miné par la tuberculose des os et la syphilis. 
« N’est-il pas triste de mourir à 33 ans avec le regret de n’avoir encore rien fait 
de ce que l’on a senti ! »
Ary Scheffer «  La mort de Géricault »

mercredi 3 janvier 2024

Chantons sous la pluie. Candide orchestra Ars Lyrica.

La troupe belge nous a servi, sur un plateau bien garni de 15 danseurs-chanteurs-comédiens, 
la reprise de la très célèbre comédie musicale des années 20,
avec un orchestre de 20 musiciens : les fêtes de Noël avaient pris de l’avance.
Les imperméables sont dorés, la pluie est une bruine et même si les voies sur berge étaient submergées par une eau tellement attendue, nous avons gouté la métaphore, quand pour nous ce n’est que de l’eau qui tombe des cintres et non des bombes et qu’il fait bon depuis l’enfance de danser dans les flaques.
La compagnie a la politesse de sur titrer les chansons et de jouer en français, la musicalité de la langue anglaise est respectée. La dynamique de la chorégraphie, l’optimisme des mélodies, l’impulsion donnée par les claquettes constituent un langage universel. 
Ce monument du music hall de Gene Kelly et Stanley Donen situé au moment du passage du cinéma muet au parlant sous se airs enjoués, nous parle aussi du vrai et du faux depuis Hollywood. 
L’illusion est préférable parfois à une réalité dont nous sommes amenés à douter quand trop de  fake news se mettent au balcon. 
« Let’s sing in the rain »

mardi 2 janvier 2024

Le jour où la nuit s’est levée. Beka Marko Maéla.

Je me suis laissé séduire par le titre discrètement poétique et par les douces couleurs des dessins mais j’ai retrouvé un scénario très sommaire pour faire vivre de gentillettes psychologies quelque peu courtes. 
Hormis la dernière citation de Winnie l’ourson, les autres sont nunuches. 
« - Winnie quel jour sommes-nous ?
-  On est aujourd’hui !
-  Ah, tant mieux, c’est mon jour préféré ! »
Un groupe de jeunes est bloqué par la neige dans une librairie, chacun raconte son histoire familiale : parents trop parfaits ou immatures, père intrusif ou mère dénigrante, couple se déchirant ou trop réservé…
Le panel est varié et malgré l’hérédité qui a pesé sur chacun des protagonistes, un couple apprend qu’il attend un enfant qui saura grandir avec des parents se sachant imparfaits.

lundi 1 janvier 2024

Almanach dauphinois 2024.

La publication annuelle réceptacle du temps passé a toujours été hors du temps, elle ne peut être démodée.
Les abeilles apprécieront toujours en janvier que « Lors d’une journée ensoleillée et calme »   soient alimentées « en candi les compagnies nécessiteuses ».
La remarque de bon sens «  Seuls les riches se vantent d’avoir été pauvres » reste vraie, ainsi que le dicton : «  C’est la dose qui fait le poison. »
Même vendus au cœur des villes, les conseils concernent surtout  jardiniers, paysans, cueilleurs de champignons et ceux qui font attention à la lune : 
« épicéa : abattu et débité les jours suivant la pleine lune, la sève se fige et le bois se conserve mieux. »
L’humour de Fafois délicieusement obsolète perdure: 
 « 5 enfants avec le même prénom ! Comment faites-vous pour vous adresser à l’un d’eux ? demande madame Fafois.
- Je l’appelle par son nom. » 
La liste des événements de l'année dernière en Isère s’étend d’un juillet à l’autre: de la visite d’Emmanuel Macron à ST Microélectronique aux émeutes urbaines. 
Pour la météo il s’agit du second été le plus chaud après celui de 2003:
2,4 degrés supérieurs aux normales de la période 1991-2020.  
Le reportage à Buis-Les-Baronnies« l’on se sait dauphinois mais où on se sent provençal » se souvient qu’au XIV° siècle il y avait 1000 habitants de plus que les 3500 d’aujourd’hui. L’employeur le plus important est l’hôpital-EHPAD et l’escalade constitue l’attrait touristique principal. L’abricot, les olives (« La tanche » variété unique au monde), le tilleul ont fait la renommée de la bourgade traversée par l’Ouvèze. Les  fils Ducros y avaient installé une usine qui employait 200 personnes dans les années 60-70 alors que l‘équipe de football féminin, les « Albertines » connaissait se heures de gloire.
L’expression de chez nous « Faire beau » signifie «  se mettre en colère ».  
« Elle a fait beau quand elle a vu arriver les gamins dans le couloir avec les souliers tout pleins de boue » 
Nous apprenons tout sur « l’amer à boire », la chicorée sauvage 
et le campagnol « dont la femelle peut avoir six ou sept portées par an de quatre ou cinq petits ».
Nous n’en sommes pas rendus à revenir au gazogène auquel certains conducteurs s’étaient convertis très rapidement pendant l’occupation, pas plus qu’à « la brèle », la Peugeot 103, qui éveille des nostalgies.
Les talents du sourcier sont de plus en plus sollicités avec le réchauffement climatique. 
L’huile de foie de morue n’éveille pas de mélancolie alors que perdure le temps des vogues, des fêtes de village dont un invitation fin du XIX° siècle dans le Champsaur était charmante. 
«  nené péréu, béus amourious… »
« Venez ici beaux amoureux
Qui cherchez une femme aimable
Nous avons des filles qui ont belle chevelure »  
« un bèun plumaje ».
Le patois varie, par exemple à  Tullins on dit : « acheu de né » 
et dans le Valgaudemar : «  à tseil néo » pour « il a neigé ».
L’histoire du petit violoniste, sous forme de conte, est celle de Lully 
alors qu’un lecteur  raconte ses vacances au bord de la mer en 1964 chez un dame qui guérissait les brûlures et les piqures de vives.
La dimension régionale est toujours affirmée avec la personnalité découverte cette année: l’affichiste Achille Mauzan né dans les Hautes- Alpes, il connut la célébrité surtout en Italie et en Argentine.
Les caractéristiques sont replacées dans un contexte plus général : 
le département de l’Isère compte deux fois plus de communes (512) 
que la Suède huit fois  plus peuplée.
Parmi les biographies des centenaires, quelques anecdotes peuvent alimenter des réflexions :
« Le brave Louis, redoutable joueur de coinche se rend toujours chez des amis pour « taper le carton » tous les vendredis après midi.  
« Comment j’y vais ? En voiture pardi ! Je conduis toujours. Je dois être l’un des automobilistes les plus vieux de France. Mais je ne vais pas loin. J’ai promis à mes filles de ne pas sortir de la commune. »