jeudi 13 octobre 2022

Surréalisme et mythologie moderne. Didier Ottinger.

Le surréalisme est à l’ordre du jour à la biennale de Venise et au centre Pompidou pour le 100° anniversaire du manifeste rédigé par André Breton. Le directeur adjoint de Beaubourg devant les amis du musée de Grenoble dont le catalogue présente « Gradiva » d’André Masson pour illustrer la première conférence de la saison 22/23, souligne le dessein d’un mouvement fondé par des poètes, de produire un récit fédérateur.
Contrairement aux autres groupes d’avant-garde menés par des artistes, ils se voient emblématiques comme Homère avec les grecs, Virgile vis-à-vis de la civilisation romaine ou Dante pour la Renaissance, tous trois réunis dans
« Le Parnasse» de Raphaël.
« Oedipe explique l'énigme du sphinx »
Ingres. Assez aveugles au départ vis-à-vis des images, l’invention d’une nouvelle mythologie pourrait « refonder une culture ». Elle prendrait  comme base les théories de Freud lorsqu'il associe l’inconscient et des manifestations de la psyché humaine à des figures allégoriques.
« Le départ des Argonautes »
. Giorgio de Chirico, né à Vólos d’où partirent les chercheurs  de la toison d’or, avait trouvé refuge chez l’inévitable Apollinaire.  Le poète inventa le mot « Surréalisme » pour les adeptes de la beauté selon Lautréamont « rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ».
Chirico
« L'après-midi d'Ariane »
. Le fil de la belle permit à Thésée de sortir du labyrinthe tracé par Dédale pour l’archaïque Minos. Sur une île où le promis l’abandonna, elle trouvera Dionysos qui s’engagea selon une version à être son « labyrinthe » risquant la complexité, loin de toute rationalité. La nuit romantique s’oppose aux « Lumières ».
« Paris la nuit »
Brassaï
Aragon
, dans « Le paysan de Paris », fait l’éloge des passages dont celui de l’Opéra où se situait
« Le café Certa » La lumière ne se comprend que par l'ombre, et la vérité suppose l'erreur. Ce sont ces contraires mêlés qui peuplent notre vie, qui lui donnent la saveur et l'enivrement »

L
es surréalistes vénèrent Fantômas, figure populaire de la ville mystérieuse 
ainsi Magritte pose à coté de son tableau « Le Barbare ».
« Le Minotaure »
 de Picasso a intégré
« Le Labyrinthe » d’André Masson et donné son nom à la revue que celui-ci fonda avec Georges Bataille.
Le titre « Acéphale » qui prit la succession signifiait clairement leur affranchissement des règles de la raison. Le corps social s’exprime, débarrassé de toute instance supérieure.
La mère du Minotaure, « Pasiphaé » par Masson
ou par Pollock , fait écho au marquis de Sade,
comme la « Femme égorgée » d'Alberto Giacometti.
L’indienne représentée dans « La femme-lune coupe le cercle » de Jackson Pollock marque l’indépendance des américains par rapport à la mythologie antique.
L'Âge d'or »  film de Luis
Buñuel et Salvador Dali , recherche un paradis perdu d’avant le cinéma réaliste.
« L’inspiration »
d’Yves Tanguy peut évoquer un monde originel embryonnaire,
comme les compositions de Jean Arp.
Jean Painlevé
aux films scientifiques remarquables eut des liens avec les littéraires, de même que des ethnologues publiant dans leurs diverses revues dont
« Documents » illustrée par Eli Lotar: « Les abattoirs de la Villette ».
Alfred Rosenberg
théoricien du fascisme dans son ouvrage « Le mythe du XX° siècle » soutenait qu’une société tient par ses mythes, revenant aux paganismes pimentés de lutte des races.
En 1938, Marcel Duchamp  a mis en scène sous des sacs de charbon, des œuvres de Chirico, Arp, Ernst, Klee, Man Ray, Masson, Miró, Picasso.
En 1942 à New York pour l’exposition « First papers of surrealism » il a utilisé des ficelles.
Loin d’Ariane ou Oedipe, dans les années 50, Roland Barthes cite le Tour de France, Minou Drouet, le plastique, le catch… comme les nouvelles « Mythologies » consommables.
Andy Warholl « 32 boîtes de soupe Campbell » 
« Si je parcours les campagnes, je ne vois que des oratoires déserts, des calvaires renversés.  […] Ô Texaco motor oil, Eco, Shell, grandes inscriptions du potentiel humain! Bientôt nous nous signerons devant vos fontaines, et les plus jeunes d'entre nous périront d'avoir considéré leurs nymphes dans le naphte » Aragon

mercredi 12 octobre 2022

Les Sables d’Olonne # 2

Nous reprenons le chemin des découvertes sous un soleil estival ; 
du coup, mon parapluie mon  pull et mon blouson emportés par précaution m’encombrent inutilement.
Nous nous orientons vers le bac (passeur A) qui  traverse le bras de mer entre les sables  d’Olonne et  la Chaume.
Nous payons à bord  2.20 € par personne pour le court  trajet en compagnie d’autres touristes, autochtones et cyclistes.
Puis une fois débarqués, nous flânons jusqu’au phare à tête rouge.
Nous avançons jusqu’au bout du ponton, 
parmi les flaques et les bites d’amarrage roussies par la rouille, travaillées par les vagues submersives.
Côté Sables d’O., un autre phare, vert,  moins enfoncé dans l’océan penche tout autant que la tour de Pise.
Un chemin bombé à travers des rochers et des conduites recouvertes de ciment, nous ramène vers le prieuré Saint Nicolas de style roman, désaffecté, désacralisé mais restauré. Reconverti en salle de concerts et d’expositions actuellement closes pour la saison,  il n’est pas ouvert à la visite.
La Chaume, quartier de marins-pêcheurs, s’organise en un dédale de petites rues.
Les maisons basses et soignées où les tags sont absents témoignent de la présence d'une population plutôt modeste.
Comme herbes folles au pied des murs, s’invitent de graciles roses trémières, à l’image des îles océaniques. 
La tranquillité plane dans ces rues résidentielles loin des voitures et des commerces, nous sommes seuls.
Après avoir repris le bac, nous poursuivons parmi les bars et restaurants, abrités et bien placés pour profiter de l’ambiance maritime.
Nous repiquons vers la rue du palais, et entre le MASC et le musée du Blockhaus Hôpital, nous optons pour le Blockhaus.
En introduction, cet intéressant musée  diffuse un petit film d’un quart d’heure, un peu redondant avec les nombreuses affiches exposées, mais bienvenu pour remettre en tête les faits historiques.
Puis nous pénétrons dans le blockhaus appartenant au mur de l'Atlantique, autrefois dissimulé sous une villa. Comme dans les bunkers souterrains de la ligne Maginot, tout est ingénieusement pensé pour optimiser un espace restreint : ventilation, chauffage, groupes électrogènes remplissent de petites pièces fermées par de lourdes portes blindées.
Nous accédons à une vingtaine de salles répondant à un plan géométrique, organisées en enfilade de trois en profondeur  et de 6 en largeur. Un périscope  et des antennes en parapluie maintenaient un lien avec l’extérieur, pour voir et entendre sous les 3 mètres de béton armé.
Nous traversons les blocs opératoires, passons dans  les cellules de repos des infirmiers et des médecins  rendus réels  par la présence  de mannequins en situation  et de matériel médical d’époque.
De vieilles  vitrines contiennent encore  des outils chirurgicaux, des pansements, des médicaments. Tout était prêt pour l’accueil des blessés allemands. Lorsqu’ ils débarquaient, un infirmier constatait leur état et les orientait en fonction de leur pathologie grâce à un système de couleurs. Enfin, des WC étroits garantissaient un minimum d’hygiène pour un lieu aussi clos.
Des objets appartenant à la vie quotidienne sous l’occupation replacent encore un peu plus  les visiteurs dans l’époque, comme les affiches proposées au départ.
Il n’est plus temps de s’engouffrer dans le MASC ( art contemporain) voisin. De toutes les façons, sortis d’un monde souterrain aveugle, nous aspirons plutôt  à profiter de la lumière vespérale. Nous récupérons la voiture  et prenons la promenade JF Kennedy.
Elle longe les plages de sable équipées de parkings payants, devient boulevard du Maréchal Delattre de Tassigny avant d’atteindre le puits d’enfer.
Cette curiosité géologique se présente comme une longue faille étroite entre deux rochers battus par la mer se terminant par une petite grotte rongée par l’eau.
Nous la surplombons, des restes de la marée stagnent  encore dans les pierres trouées que nous foulons alors que les vagues propulsées viennent se casser avec fracas en gerbes mousseuses sous nos pieds.
« Un fait divers des années 40 raconte que l’on a trouvé dans cette faille une malle sanglante contenant le corps d’un homme assassiné par son employée de maison ». 
Nous nous mettons en quête d’un restaurant en dehors des Sables d’O.
En effet, ce soir les Sablais fêtent les marins du Vendée Globe : récompenses parades et feux d’artifice ont été programmés attirant une foule de passionnés et de fêtards. Nos tentatives à Olonne sur mer échouent, entre fausses adresses du GPS et fermetures sans explication.
Nous finissons dans une zone industrielle pimpante, à l’étage du restaurant Angoni. Il s’intègre dans un complexe commercial regroupant un Leclerc, des boutiques de grandes enseignes, un escape game… organisé autour d’une petite cour avec jets d’eau telle celle du village des marques à Villefontaine. Au menu : spritz, raie et petits légumes, ou rizotto aux asperges et desserts. Il fait encore jour lors de notre retour au airB&B, et suffisamment tôt pour voir le match de foot Danemark/France à la télé.

mardi 11 octobre 2022

Piscine Molitor. Cailleaux/ Bourhis.

En 1959, Boris Vian se remémore sa vie dans cette piscine parisienne branchée, longtemps fermée pour vétusté et rouverte à présent pour quelques privilégiés.
La vie brève mais trépidante de l’ingénieur, poète, musicien, critique, traducteur … d’une des personnalités marquantes de la littérature française, ne peut tenir en 70 pages.
« Cette histoire est totalement vraie, puisque je l’ai imaginée de bout en bout. »
 Les flashbacks brefs, les crayonnés rythmés
décrivent une solitude mais n’abordent pas en profondeur les mystères du génial créateur.
Ses parents, ses femmes, ses enfants, Sartre et Saint Germain des Prés sont forcément vus de loin. 
« Le cœur de Boris Vian a fini par lâcher, quelques minutes après le début de la projection du film tiré de son livre « j’irai cracher sur vos tombes». Le jour de son enterrement, au cimetière de ville d’Avray, les pompes funèbres étaient en grève. Ses amis ont du mettre eux mêmes le cercueil en terre. »

lundi 10 octobre 2022

Un beau matin. Mia Hansen-Løve.

Le père prof de philo est atteint de dégénérescence, sa fille traductrice entreprend une nouvelle relation amoureuse. Nous sommes à Paris, c’est un film français.
Pascal Grégory nous renseigne sur le temps qui a passé, Léa Seydoux a de belles formes, mais «  The Father » sur le thème souvent traité du grand âge en territoire vieillissant est plus profond 
Les dilemmes entre régulière et maîtresse, le lit ou une visite au musée, trouvent parfois le ton juste mais ne révolutionnent pas le genre pas plus qu’un précédent oubliable de l’ancienne compagne d’Olivier Assayas qui met beaucoup de sa vie sur écran.

dimanche 9 octobre 2022

Dark was the night. Emmanuel Meirieu.

Pour la première de la saison à la MC2, nous sommes invités à entrer dans l’album en couleurs présenté par Emmanuel Meirieu dont les spectacles précédents nous avaient bouleversés.
Inspiré par des faits réels, un puissant récit pose des questions essentielles sur notre condition humaine quand sont évoquées des distances incroyables et des années incalculables.
Le décor magnifiquement éclairé représente une décharge où un homme recherche la tombe de Blind Willie Johnson mort misérablement après que l’hôpital ait refusé de le soigner car il était noir. Et pourtant sur le disque embarqué sur la sonde spatiale Voyager en 1977, parmi les salutations en 55 langues et des photographies représentant notre planète, une des chansons du bluesman « Dark was the Night, Cold Was the Ground » (Sombre était la nuit, froide était la terre) synthétise notre humanité à côté de Bach et Mozart.
A côté d'un infatigable chercheur des traces du passé, l’enfant ayant prêté sa voix pour saluer les extra-terrestres susceptibles de lire ce disque, arrivé à la fin de sa vie, veille sur ses abeilles.
Les images envoyées dans l’espace intersidéral par les terriens peuvent paraître bien naïves et la tentative de décrire notre humanité en un disque semble vaine, bien que l’idée soit stimulante.
Que restera-t-il de nos cendres depuis notre grain de poussière, la terre?
La déploration face à des sépultures anonymes, négligées, se révèle dérisoire quand s’en creusent de nouvelles sous nos yeux. 
Si tant de messages humanistes délivrés par des conteurs à la belle voix font chaud au cœur, ils peuvent perdre de leur force par leur accumulation, similaires aux omniprésentes recommandations pour préserver la planète.
 

samedi 8 octobre 2022

Mo. Marie Hélène Lafon.

Lorsque j’ai lu la critique de Colombe Schneck évoquant Flaubert à propos de l'écrivaine d'Aurillac, je trouvais la comparaison un peu gonflée, et puis en me relisant, j’ai vu que j’avais fait pareil. 
Dans ces 144 pages, M. H. Lafon bouscule la ponctuation, bannit toute fioriture et nous trouble pour mieux retrouver son univers nu.
Peu importe le cadre - cette fois un centre commercial - nous sommes invités au cœur de la solitude, avec un homme de 33 ans dont la pauvre existence est décrite en quatorze stations commencée par une puissante et tendre scène d’ablution.
Mo pour Mohamed, prénom que portait déjà un frère mort, vit chez sa mère, et sa sensibilité contredit une douce indifférence au monde. 
Un certain malaise peut nous étreindre, signe de l’efficacité de l’auteure, tant le mystère de ce pauvre type reste entier même après le cri final, glaçant. 
A travers la description d’un morne quotidien, Mo enfermé sur lui-même tout en se montrant accessible à ce qui nous échappe le plus souvent, nous est proche. A chaque mot s’attache son contraire, ainsi la banalité va avec l’originalité, comme l’étrangeté avec la platitude, la douceur et la violence.  
Une fois encore avec une de mes romancières préférées je me retrouve en difficulté pour extraire des morceaux de ses tableaux épurés, tant je ne saurai choisir entre chair et minéral, pour dire l’amour et la haine, l’indifférence et le dépassement, les contradictions : la littérature, la vie.