jeudi 8 septembre 2022

Les rencontres de la photographie. Arles 2022.

Depuis 14 ans que j’alimente ce blog
, je m'aperçois j'ai été plutôt économe de mes enthousiasmes concernant la fête des photographes dans une des plus belles villes que je connaisse, malgré les antivax qui en ont souillé les murs.
Mais nous y revenons chaque année.
Je recharge là mes envies de photographier, bien qu’ayant abandonné mon cher Reflex comme beaucoup d’autres amateurs croisés dans la Mecque du clic clac, désormais débarrassés de leurs objectifs.
J’ai enfin pénétré dans la tour Luma autour de laquelle je tournais depuis son édification.
Plusieurs œuvres sont installées dans cet écrin magnifique où un toboggan géant croise des escaliers monumentaux. 
La vue depuis le 9° étage est superbe et la réhabilitation des alentours complètement réussie.
La magnificence de ce bâtiment ambitieux et original témoigne d’une vitalité revigorante en ces temps où toute construction est critiquée. Nous en restons bouche bée. Pourtant trop de mots accompagnent quelques propositions artistiques absconses que la tour abrite.
La force de la mise en scène de « Live Devil » peut se dispenser des verbiages avec une vidéo de rochers sombres s’entrechoquant au dessus d’une mer de lave inquiétante, pour une évocation de la culture noire américaine.
Le ghanéen Barnor ouvre son portfolio et sa modestie nous le rend tout de suite familier.
« Les ateliers
» attenants ne sont plus le pôle essentiel des « Rencontres »au moment où je m'y suis rendu,
mais la ville toute entière est photogénique dans de nombreuses galeries et autres lieux dédiés, où même des affiches en fin de vie tapent à l’œil.
Dans la ville de Van Gogh, le regard des animaux d’Anouk Grinberg, l’actrice peintre, nous suivent un moment après notre visite . 
L’évocation des luttes des Mapuches au Chili est plus subtile que le reportage sur « les gardiens de l’eau », Sioux opposés à un projet de pipe-line.
Au musée Réattu au bord du Rhône, la profusion des périzoniums de Jacqueline Salmon ressemble trop à un exercice de style
https://blog-de-guy.blogspot.com/2014/04/de-la-parure-la-nudite.html
Les photos depuis 1850 de la Croix Rouge sont elles aussi trop nombreuses pour qu’on  s’y attarde, pas plus qu'ailleurs le recours à la réalité augmentée dans une « Hantologie suburbaine » n’a accru notre intérêt.
Lorsque l’intention porte sur «  Capter le mouvement dans l’espace » comme si ce n’était pas le projet de tout photographe, on pourrait s’attendre à une célébration de la beauté d'autant plus qu’il s’agit de danse : ça devient un exploit que de figer ces corps de si terne façon dans des lieux de répétitions sans âme.
Par contre à la fondation Ortiz la diversité des artistes rend compte brillamment de la variété des « Dress code » du monde.
J’ai aimé choix du noir par le slovène Klavdij Sluban pour évoquer la neige.
Lee Miller a été mannequin, photographe de mode et reporter de guerre un peu comme Sabine Weiss 
Dans une exposition, où sont cités ses maîtres, l’humanisme du Luxembourgeois Romain Urhausen ressort d’autant plus que son style familier rend insignifiantes tant de photographies contemporaines étouffées par la prétention des textes les accompagnant surtout quand on proclame par exemple « Une attention particulière ».
Mitch Epstein rend bien la vitalité des habitants de l’Inde
et Wang Yimo de la place des travailleurs dans l'industrie.
Si je n’ai pas saisi, à Monoprix, les subtilités des technologies du cloud, j’ai vu des nuages.

mercredi 7 septembre 2022

Blois #1

Lors de notre arrivée dans le chef-lieu du Loir-et-Cher nous ne commençons pas par l’incontournable château.
Après nous être rendus à l’Office du tourisme (au pied du magnifique bâtiment), nous nous dirigeons vers l’escalier Denis Papin.
Construit dans le prolongement  d’une artère donnant sur le pont J. Gabriel, il en impose avec ses 120 marches et offre une vue dégagée sur la basse ville et les environs.
Depuis quelques temps, des artistes le personnalisent en tapissant les contremarches afin d’obtenir une œuvre visible de loin.
Ainsi, après une reproduction de la Joconde qui eut beaucoup de succès, cette année, des mots « musique » ou « arts »s’étalent en créant une illusion d’optique en fonction de l’emplacement du spectateur.
Ils rendent hommage à la Fondation du doute (musée d’art contemporain multimédia). Une statue de Denis Papin, inventeur de la machine à vapeur, contemple du sommet les gens qui s’activent.
Une fois les marches gravies,
nous poursuivons vers la Cathédrale Saint Louis
et la roseraie de l’évêché d’où nous jouissons d’une belle vue.
La Mairie avec ses plantations aromatiques accolées marque l’entrée d’une esplanade ombragée au-dessus du jardin aux roses en fin de floraison. Nous arrivons trop tard pour y déambuler mais pouvons l’apprécier de l’esplanade.
Nous redescendons vers la place Louis XII, le quartier des arts.
Puis nous marchons sur la rive le long de la Loire jusqu’au pont Jacques Gabriel.
Cet ouvrage a subi depuis sa création en 1716 les aléas de l’histoire de Blois. Plusieurs fois détruit, plusieurs fois reconstruit, il reste le dernier pont à dos d’âne à chevaucher la Loire.
Après avoir dîné dans une brasserie  (Les Arcades) place Louis XII, nous revenons flâner sur les berges tranquilles où trainent quelques hommes esseulés ou en petits groupes.
La lumière est douce, l’air léger, le fleuve s’écoule doucement.
D’un pas nonchalant nous remontons vers le château assister au son et  lumière.
Il est projeté sur quatre bâtiments d’époques différentes dans une magnifique cour intérieure.
Le public positionné  au centre bénéficie
d’une représentation à 360°.
Tout d’abord l’emblème de François 1er,  une salamandre, parcourt les murs, apparaissant, disparaissant se jouant des fenêtres et des reliefs des façades. 
Et quand enfin la nuit enveloppe suffisamment les lieux, le spectacle débute. Il nous raconte l’histoire du château depuis son 1er seigneur en passant par Jeanne d’Arc,
Louis XII (emblème : le hérisson) et Anne de Bretagne, 
François 1er, Henri III, Catherine de Médicis, l’assassinat du Duc de Guise, Louis XIII sans oublier Ronsard et Villon emprisonné dans les parages dont Wikisource nous dit:
"Dont les dens a plus longues que rasteaux.
Après pain sec, non pas après gasteaux,
En ses boyaux verse eau a gros bouillon ;
Bas en terre, table n’a ne tresteaux :
Le laisserez la, le povre Villon ?"
 
Bien que prisonnier de l’évêque, il bénéficie de la grâce du roi Charles VII, pour lequel il souhaite le bonheur de Jacob, la gloire de Salomon, la longévité de Mathusalem.
Comme si les murs nous parlaient de ce qu’ils avaient vu…
Notre chaumière plus modeste nous attend à Saint Gervais La forêt, bien situé et confortable.

 

mardi 6 septembre 2022

Moi, ce que j’aime, c’est les monstres. Emil Ferris.

Il serait temps, à mon âge, que je fasse connaissance avec les monstres ; le graphisme de ce volume mis en évidence à la bibliothèque Barnave m’a permis d’approcher cet univers.
A lire la biographie de l’auteure, devenue un « monstre sacré de la BD », je ne sais qui de la réalité ou de la fiction est le plus hors du commun.
Les dessins au stylo bille sont extraordinaires dans le style de Crumb pour le rendu des volumes, Sendak pour l’atmosphère familière qui met à distance l’horreur. Celle-ci se trouve moins dans les grimaces des fantômes et autres zombies que dans les sourires des gardiens des camps de concentration pour rassurer les enfants séparés de leurs parents.
Une petite fille raconte dans son journal intime sa vie avec sa mère et de son frère au sous-sol d’un immeuble de Chicago, au moment des assassinats de Kennedy et Luther King.
Comme elle entretient des relations difficiles avec ses camarades de classe, elle s’invente un univers foisonnant qui la détourne de la violence qui l’entoure. Elle découvre quelques vérités et se construit une identité à travers un rôle de détective. Les films d’épouvante et les magazines qui font peur l’inspirent comme les tableaux du musée fournissant au lecteur des points de vue originaux. 
La virtuosité du trait permet de surmonter les difficultés d’une lecture pas toujours facile pour dépeindre une réalité féroce. Cet épais roman graphique est étonnant.

lundi 5 septembre 2022

La nuit du 12. Dominik Moll.

Sur 800 enquêtes menées chaque année par la police, 20 % n’aboutissent pas (cold case).
Que ce récit policier soit tiré d’une histoire réelle n’importe pas vraiment, tant le propos amène à des considérations plus générales avec une efficacité dépassant la déploration evidente concernant les féminicides.
Le fait de ne pas trouver le coupable parmi tant de suspects interroge sur la responsabilité collective des mâles tout en montrant combien les hommes sont fragiles y compris parmi l’institution policière essentiellement masculine percutée par la violence faite aux femmes.
Le scénario nous tient en haleine, le casting vraiment au point nous fait croire à une immersion en milieu PJ sans superman, ni exclusivement « bourrin » : de quoi passer un bon moment de cinéma sans laisser au fond du sachet à pop corn toute sa tête. 
« Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.»

dimanche 4 septembre 2022

« Au bonheur des Mômes » 2022.

Le festival international du Grand Bornand consacré au jeune public fêtait ses 30 ans.
Familière de cet évènement depuis 2014, ma petite fille m’accompagne cette année de ses comptes rendus. 
Revenue de vacances en Bretagne, « Un Océan d’amour » ne pouvait la dépayser. Même si aucun mot n’est prononcé comme dans la BD dont la compagnie de la Salamandre s’est inspirée, le récit maritime farci de bruitages est limpide. 
Deux hommes plient des bateaux en papier et racontent l’histoire d’un couple qui vit en Bretagne. Le mari est pêcheur et un jour il ne rentre pas, donc sa femme commence à s’inquiéter, elle part à sa recherche vers Cuba… 
Ces petites embarcations fragiles mènent loin quand l’amour est là et se frayent leur chemin parmi les trainées sanguinolentes laissées par la pêche industrielle et les traces noires des porte-conteneurs.
« L’île au trésor ». Jim tient une petite auberge et rencontre un pirate qui a un coffre. Finalement celui-ci meurt à cause du rhum. Le moussaillon prend le coffre et là : Surprise ! Une carte au trésor ! Donc il part à l’aventure avec un équipage dont il est le mousse et il y a de nombreux périls, des trahisons etc… 
Un comédien et un violoncelliste font revivre à eux seuls l’épopée de Stevenson, pleine de bruit et de fureur, à hauteur d’enfant : quelques paires de bottes et une jambe de bois suffisent avec une gaillarde inventivité pour évoquer des aventures pourtant réputées compliquées.
«  Sage comme un orage ». La mère d’une enfant handicapée est morte. Un jour son père rencontre une nouvelle femme qui a un fils, et du coup la fille doit partager sa chambre avec son demi frère qu’elle n’a pas choisi… et finalement elle l’aime bien. 
Il faut du temps pour que deux êtres s’apprivoisent surtout que l’une attachée à sa lune, son handicap, semble tenir à sa solitude. Les mots, l’imagination, la bienveillance, vont permettre de surmonter les colères, les incompréhensions.
« Né quelque part »
Un jeune garçon Syrien vivait tranquille et là, PAF ! La guerre, la terrible guerre a éclaté, donc il a dû fuir son pays, traverser la mer en tout petit radeau à 30... et toutes sortes d’atrocités. 
Le garçon et sa famille arrivent sains et saufs dans un foyer à Paris ... 
Un contrebassiste met en scène des enfants avec leurs blagues, leurs souffrances et leur vitalité avec la chanson de Le Forestier comme fil conducteur. Le sujet dramatique est présenté simplement, clairement, sans pathos, sa représentation a obtenu un succès mérité.
«  Mines de rien » 
: Un jeune gars muet. Ses parents trouvent ça tellement étrange qu’ils l’envoient chez de  nombreux médecins mais : RIEN ! Ils l’emmènent donc dans un centre pour les enfants handicapés et leur enfant adore les livres. A la fin, ils découvrent qu’il n’y a rien à faire pour leur fils, qu’il suffit de l’aimer. 
La thématique du handicap est très présente dans ce festival. « La fabrique des petites utopies » aux talentueuses actrices avec marionnettes, masques, livres qui se déplient, belles inventions, raconte comment un enfant s’échappe du malheur, établissant un éloge des éducateurs bienvenu après tant de détresse, d’épreuves, de preuves d’amour pas gagnées d’avance. 
 « Comme une étincelle »
C'est un spectacle de magie en vidéo. Il y a plusieurs tours différents avec des ombres chinoises (fausses): homme canon, acrobates, danseuse, etc... et des tours réels , les cartes, les mouchoirs, les lumières...🎪
Pour « Le cirque des étoiles », la précision du soliste permet de faire jouer toute une ribambelle de circassiens de rêve. Il offre une pause parmi tant de problèmes abordés  par beaucoup de compagnies. Sa poésie entre réel et imaginaire n’est pas sans enjeu. Maintenant que le cirque et ses figures traditionnelles sont remis en cause, que la taille des équipes de comédiens se réduit, il est réjouissant de voir se perpétuer la virtuosité des funambules et l’inventivité des montreurs d’ombres.
Au fil des années le public enfantin de ce festival m’a semblé mûrir,  accessible d’emblée aux symboliques, répondant aux rites théâtraux, pressentant les silences, les ruptures, les conclusions. Si je me lance dans un éloge général des attitudes des enfants, je regrette que quelques  parents se fassent remarquer par leur exclusivité alors que d’autres regardent en l’air en cas de conflit.
Le succès de ce festival tient à la diversité des propositions des 87 compagnies assurant 588 représentations mais il n’est pas utile au créateur de ce rendez- vous proclamé « le plus tendre de l’été » de rabâcher des propos bien peu tendres envers ceux dont il ne respecte pas « la différence ». Des rassemblements, avec une telle densité nous étourdissent de bruits et de sollicitations. Ils n’échappent pas aux travers d’une modernité zappeuse où les éclats d’une fanfare peuvent perturber des moments ténus de grâce approchés par d’autres représentations où s’apprennent le silence et la lenteur.
«  Quels enfants laisserons-nous à la planète ? » est le joli titre du colloque tenu pendant ce temps par la psychanalyste Sophie Marinopoulos qui alerte sur « la malnutrition culturelle et le manque de liens qui menacent les plus jeunes ». La réponse à ces questions fondamentales, se gagne justement sous les chapiteaux multiples qui ont poussé là cette semaine, où s'activent les acteurs dont l'appellation tombe à pic. Une plus grande confiance en soi et en l’autre adviendra peut être depuis ces spectacles vivants, ces occasions d'activités ludiques. 
Cependant ces diagnostics pertinents risquent de se perdre sous quelques verbiages : « relation d’aimance à tout ce qui vit ». Et l'on peut se demander si les enfants du numérique seront détournés de leurs écrans, au-delà de ce séjour estival enchanté. 
Pour savoir que « le monde n’est pas à posséder mais à habiter », j’ai constaté aussi que des années d’éducation civique n’ont pas éradiqué les violences. Depuis que le mot « liberté » est brandi par ceux qui l’ont compris comme «  tout pour ma gueule », le catéchisme laïque que je me suis efforcé de servir connaît les dévoiements de ses ambitions quand il tourne à l’abandon avec « chacun fait ce qui lui plait ». Égoïsme et indifférence. L’éclosion d’une «  génération capable de colorer autrement notre avenir et le rendre enviable » ne se fera pas sans contradictions.