mercredi 15 juin 2022

Mamélie Patras

Cette grande dame était mon amie. J'ai lu ce texte à la cérémonie qui nous a réunis vendredi dernier: 
« Quand j’ai transmis la nouvelle du décès de Mamélie à une de ses anciennes élèves devenue professeur, celle-ci m’a répondu qu’elle avait le souvenir d’une « femme forte et d’une super institutrice ». 
J’avais ajouté dans la conversation les termes: travailleuse, fiable, disponible, malgré ou à cause des épreuves surmontées dans sa vie. 
Un camarade m’a suggéré « Consciencieuse, Fiable, Disponible, Tolérante » comme CFDT.
C’est que l’ayant rencontrée dans le Syndicat Général de l’Education Nationale, le SGEN, appartenant à la CFDT, je voulais dire mon admiration et l’honneur de compter parmi ses amis.
- Travailleuse : elle avait gagné le respect de l’administration et de nos concurrents syndicaux, en tant que responsable de la carte scolaire, par sa connaissance exhaustive de toutes les écoles de l’Isère qu’elle avait méticuleusement mises en fiches, bien avant les bases de données informatiques.
- Tolérante, en employant ce terme qui frôle l’obsolescence, j’ai conscience d’être un regretteur d’hier, que jamais Mamélie ne fut.
Depuis les classes uniques auvergnates, elle arrivait à Grenoble au moment où le turbulent secteur expérimental prenait son essor à la Villeneuve. 
Elle retrouvait dans des réunions enfumées, anarchistes estampillés comme tels, trotskistes ne plaçant pas tous leurs œufs de coucou dans le même panier (selon les mots d’Edmond Maire), des cathos de gauche, sociaux-démocrates, démocrates chrétiens, anciens du PSU, ensemenceurs de la deuxième gauche … et chacun un peu de tout ça.
Ces engagements renforcés de choix pédagogiques contrastés auraient pu susciter pourtant quelques bannissements ; ce n’était pas l’esprit du temps.
Les instituteurs Freinet donnaient le ton par une démarche théorique issue d’une pratique quotidienne de la classe où la coopération n’était pas un vain mot.
Son ami Michel Pellissier, nous manque tellement.
-  Les qualités de fiabilité de Mamélie, sa fidélité se remarquaient dans une construction collective suscitant des enthousiasmes souvent éphémères.
Dans notre organisation tenant plus du hors bord que du vaisseau amiral, elle n’a jamais sollicité de poste de permanent, pourtant notre « mère » comme on dirait chez les compagnons du tour de France, fut un pilier des plus tenaces qui permit l’émergence de talents parfois fugaces.
- Disponible : avec toutes les fonctions que je ne saurai énumérer, la militante - bien que ce mot sacrificiel ne dise pas la chaleur de la table ouverte dans la vaste maison rue Thiers - était toujours partante, avec le sourire.
- Généreuse, sincère, authentique, accueillante, droite, de gauche.
Bien au-delà de la convivialité, j’ai trouvé chez les Patras - Mériaux, au moment d’un cataclysme personnel, un lieu pour savoir comme dit Pagnol à la fin du « Château de ma mère » :  
« Telle est la vie des hommes.Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. » 
L’écrivain qui parlait si bien de la campagne et de l’école ajoutait :  
«  Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants. » 
Je pense que les enfants savent. 
« Le temps passe, et il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins. » »

mardi 14 juin 2022

Apprendre à tomber. Michaël Ross.

« Apprendre à tomber » figure comme une des bases du judo, discipline qui a bien aidé une pensionnaire d’’un village accueillant des handicapés mentaux en Allemagne. 
Nous suivons le parcours de Noël, nouvel arrivant parmi cette communauté violente et tendre, rassurante et déstabilisante : vivante.
Après que sa mère a été hospitalisée, le jeune garçon a été conduit dans cette institution religieuse remarquable par la liberté dont jouissent les malades. 
Le passionnant récit servi par un graphisme clair nous fait découvrir un univers particulier avec une réelle empathie débarrassée de toute condescendance.
La fantaisie des personnages rend poétique et drôle ce documentaire tout en nous interrogeant sans didactisme sur la notion de normalité.
Alors que d’ordinaire je suis bien peu attentif à la traduction, j’ai apprécié les distorsions des mots qui nous renseignent sur les univers singuliers des protagonistes et nous font partager leur façon d’envisager leur rapport au réel, aux autres, à eux même. 
Emouvant et "cacasse" : une réussite !

lundi 13 juin 2022

Hit the road. Panah Panahi.

Film en voiture dans la tradition du cinéma iranien 
alors que le réalisateur, fils de Jafar, en est à son premier film. 
L’humour vache qui règne parmi les membres d’une famille délivre à peine son mystère au moment d’une conclusion énigmatique, à l’image de ce pays dont on ne peut avoir de nouvelles, laissant la part belle à notre interprétation. 
Faut-il y voir une parabole de la société où les certitudes sont inaccessibles, couvertes par les bavardages ? Un portable est enterré, le handicap du père est-il réel ? 
La mère rit et pleure, le petit dernier est insupportable, le chien qui devait recevoir une piqure fatale est toujours là, le conducteur se tait.

mercredi 8 juin 2022

Copenhague. Benoît Dusart.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble nous a présenté la capitale du Danemark, pour lui, une des plus belles villes d’Europe.
Située sur la voie maritime qui empruntait le détroit de l’Øresund entre la mer Baltique et la mer du Nord, son nom signifie «  port des marchands ».
Un viaduc de 16 km et un tunnel relient la riche citée à l’ancien ennemi héréditaire, la Suède. La population après la chute du mur de Berlin a augmenté rapidement 
pour atteindre 625 000 habitants.
Au moyen-âge la fortune venait du hareng.
Absalon
construisit un château et depuis,  
Stotsholmen, désigne « l’île du pouvoir »
L'église du Saint-Esprit demeure l’édifice le plus ancien.
Depuis 1962, la très ancienne rue Strøget fut la première rue rendue aux piétons.
Le roi Christian IV, contemporain de notre Henri IV, se voulait architecte : La bourse
et sa flèche en forme de spirale, où s'enroulent les queues de quatre dragons, en sont le témoignage
comme le Château de Rosenborg qui recèle de précieuses collections historiques.
La Tour ronde de la même époque, 
destinée à l’observation des astres s'ouvre désormais aux amateurs.
Le personnel de l’arsenal occupaient initialement les maisons parfaitement alignées du quartier de Nyboder
où se remarque le clocher hélicoïdal de L’église de Notre Sauveur.
La maison d’Andersen créateur de La petite sirène se situe 
sur les quais du canal Nyhavn aux photogéniques couleurs.
La célèbre statue fut financée au début du XX° siècle
par l’entreprise Carlsberg sur le site duquel les bâtiments anciens subsistent dans un quartier requalifié.
Amalienborg
au style néoclassique donnant sur une place octogonale bordée de plusieurs palais se distingue par sa garde royale.
La ville avait connu plusieurs incendies et alors qu’elle se voulait neutre lors des guerres napoléoniennes, elle fut bombardée par la Grande Bretagne.
2-5 septembre 1807.
Le XIX° siècle va voir l’effacement des glacis, des fossés, 
des fortifications laissant place à des boulevards arborés, des lieux de distraction : Tivoli.
L’Hôtel de ville récapitule l’histoire de l’architecture
comme l'église de Grundtvig synthèse expressionniste de l'architecture danoise.
Plus près de nous, La station-service de Jacobsen illustre un esprit tourné vers l’innovation.

Ses fauteuils Œuf furent dessinés
pour le Royal SAS hôtel qui ressemble à l’Hôtel de ville de Grenoble.
Plutôt que de s’attabler au Noma, « meilleur restaurant du monde », 
une baraque à frites dans le quartier de Christiania proposera des prix plus abordables.
Dans ce quartier hippie bien d’autres substances se vendent.
La pratique de la petite reine est privilégiée avec 400 kilomètres de pistes cyclables fréquentés par les 2/3 des habitants, le serpent cyclable.
Le pertuis est métamorphosé, les friches reconstruites, les entrepôts réhabilités, où brille  
Le diamant noir extension de la Bibliothèque Royale en granite du Zimbabwe poli en Italie.
Le nouvel Opéra construit sur les anciens docks 
dans le prolongement de la place royale offre, par ses éclairages, des effets magnifiques.
Le Blox multi fonctions enveloppe la rue
et La Royal Arena accueille des évènements sportifs  ou musicaux.
Tietgen
, résidence étudiante dans le quartier Ørestad en arrive à être perturbée par les nombreux visiteurs admiratifs de cette architecture contemporaine qui préserve l’intimité tout en permettant les rencontres : une cuisine pour douze chambres.
Une étoile à huit branches abrite des locaux de l’ONU avec toutes les innovations en termes de sobriété environnementale, elle contribue à l’excellente réputation de la ville.
............. 
Je reprends mes publications lundi 13 juin.

mardi 7 juin 2022

La cage aux cons. Robin Recht & Matthieu Angotti.

Graphisme noir comme un Tardi
pour un scénario bien ficelé comme le pauvre con qui croyait être tombé chez un con. 
Il ne fait plus le malin et doit réviser ses classiques : 
« On a beau dire, un pétard, ça augmente considérablement le potentiel d'autorité d'un homme. » 
La gueule de l’atmosphère plutôt sombre est relevée de dialogues aux petits oignons : 
« - Vous êtes le remplaçant du défunt. A mon service ad libitum.
- Je ne discute jamais avec les types qui pensent en latin. Le latin, c'est un truc de droite. »
 
Le minable se disant poète de gauche se veut prédateur mais trouve pire que lui.Et nous tombons volontiers dans le piège où nous retrouvons nos congénères au bout de ces 150 pages au charme rétro égayées par une ironie bien contemporaine.

lundi 6 juin 2022

Frère et sœur. Arnaud Despléchin.

Alors que j’avais trouvé convaincant Melvil Poupault en écrivain désagréable, et intéressante Marion Cotillard à contre emploi en artiste haineuse, ma voisine de fauteuil m’a convaincu par ses arguments excédés devant tant d’artificiel conformisme. 
Ce film so french se déroule dans le sempiternel milieu tellement sûr de lui qu’aucune identification ne peut s’opérer, surtout quand une haine irréductible est née autour d’une futile querelle de notoriété. 
Les réparties brillantes ne comblent pas le vide, et l’hystérie n'ajoute ni puissance ni profondeur. 
Ces bobos méchants-méchants tiennent le haut du panier des lettres et du théâtre mais sont minables en privé. Leur égo surdimensionné, étourdi d’alcool et autres substances sonne creux. Ces enfants gâtés ne sont pas cool et la conclusion gentille-gentille sous les bougainvilliers finit de bâcler ce faux duel.

dimanche 5 juin 2022

Phèdre ! Jean Racine, François Gremaud.

L’imprimé qui accueille les spectateurs nous dit l’essentiel : le point d’exclamation s’appelait du temps de Racine « point d’admiration » que l’acteur Romain Daroles va magnifiquement illustrer pendant une heure quarante.
La passion de l’auteur pour la tragédie passe parfaitement auprès des spectateurs comme ce fut le cas au festival d’Avignon : 
« Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire ». 
Il faut bien au conférencier toute sa joviale énergie pour resituer la généalogie mythologique forcément compliquée des personnages, « Colchide dans les prés, c’est la fin de Médée », et un sens pédagogique certain pour expliquer en alexandrins la poésie du texte «  Alexandrin, Alexandrie, Alexandra… ».
L’humour qui prend ses distances avec tant de ténébreuses affaires met en valeur les tirades les plus sombres à l’émotion renouvelée : 
« C’est moi qui sur ce fils, chaste et respectueux,
Osai jeter un œil profane, incestueux.
Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste ».
 
Nous repartons avec le livret qui contient le texte intégral (!) seul accessoire sur scène ayant permis de convoquer Phèdre sous sa couronne ou Théramène derrière sa barbe, au côté de la méridionale Œnone, face au viril Thésée.
Pour avoir si souvent été rétif aux mises à jour prétentieuses du répertoire ancien,
cette revigorante conférence figure pour moi comme un des meilleurs moments de théâtre de cette saison.