mardi 5 avril 2022

Pucelle. Florence Dupré La Tour.

Autobiographie à l’époque de l’enfance et de l’adolescence dans une famille bourgeoise expatriée en Argentine revenue en France puis repartie en Guadeloupe.
Une conscience féministe s’éveille parmi les mystères de l’église, la violence d’un père absent, l’omniprésence masculine des héros historiques, de la littérature, à l’exception de La « Pucelle d’Orléans » et de la vierge Marie. 
« La chose qu’on ne dit pas » devient le premier sujet de curiosité, de doute, de douleur, quand déboulent les premières règles et que sa jumelle attire les garçons.
Une anecdote familiale annonce habilement le sujet : une grand’ tante s’était enfuie de la chambre nuptiale en criant : « Il veut m’enlever ma culotte ». Tout le monde en rit ou s’applique à rire : l’ignorance, les pudeurs, les maladresses sont héréditaires. 
La vigueur, l’honnêteté, la clarté du scénario sont compromises par un dessin qui m’a semblé  artificiellement maladroit. Le négligé dans le trait est devenu un style, mais les personnages trop éloignés de la forme humaine y perdent de leur humanité. Pourtant il est d’émouvants vilains petits canards.

lundi 4 avril 2022

Entre les vagues. Anaïs Volpé.

Balloté de haut en bas, j’ai aimé l’énergie, l’humour des deux amies et le renouvellement de la question du « mentir vrai » posée par les deux virevoltantes comédiennes débutantes.
La hardiesse du duo échappant aux habituelles connotations homosexuelles, bouscule tout sans nuances, y compris les soignants quand la comédie passe au drame.
Les expressions telles « on lâche rien » fleurissent peut être un peu trop, avant un pathos final qui n’échappe pas à « je suis dans la chambre d’à côté » incontournable des kits funéraires. 
Les excès dans le rire comme dans les larmes des deux épatantes artistes Souheila Yacoub et Déborah Lukumuena participent au plaisir de leur découverte.

dimanche 3 avril 2022

IvanOff. Galin Stoev.

Je suis resté « off » face à cette représentation d’après l’Ivanov de Tchekhov. Elle a bien le droit de ne pas ressembler à l’œuvre montée en 1887. Mais pourquoi la défigurer au point de la rendre incompréhensible en abusant de séquences répétitives, de vulgarités inutiles, obscurcissant la comédie initiale. 
Et même si d’autres toilettages ont pu dérouter
cette version froide « m’a gonflé » pour emprunter au vocabulaire de cette triste expérimentation de 1h 45.
Pourtant le décor immaculé nous introduit bien dans l’univers mental désolé de celui qui « ne veut même plus vouloir », inapte à s’occuper de sa femme et de son domaine. 
Mais très vite des procédés tape à l’œil vont repousser toute intériorité, toute subtilité. 
Des avatars vidéo forniquent mécaniquement avant qu’Ivanov se couche dans sa tente sur Sacha débarrassée de sa culotte. 
Les protagonistes sont étrangers les uns aux autres. Et ce n’est pas le système parodiant nos boites mails, à base de boulettes de papier débouchant de tuyaux après le bip : « vous avez reçu un message », qui va arranger la communication.
Seule la présence étrange de l’actrice Millaray Lobos García permet de ne pas regretter d’avoir choisi ce spectacle, alors que j’ai manqué dans la période à la MC 2, les ballets de Marseille dont mes amis m’ont dit le plus grand bien.

samedi 2 avril 2022

Le cas Sneijder. Jean-Paul Dubois.

« C’est un cas » disait sans plus de commentaire une maîtresse d’avant les euphémismes, 
«  il est grave » comme on l’exprimait il y a peu, pour tous les singuliers avec « un grain » ! 
«… il faut que tu voies quelqu’un ». Il y avait quelque chose de magique dans cette adjuration. Invoquer ce « quelqu’un » qui quelque part au-delà de nous, possédait la clef de l’énigme revenait, pour elle, à énoncer un acte de foi. Elle était certaine qu’il suffisait de « voir » ce chaman-là pour que les soucis et les plaies cautérisent. » 
Dans ce livre épatant comme d’habitude,
https://blog-de-guy.blogspot.com/2020/05/tous-les-hommes-nhabitent-pas-le-monde.html l'écriture légère exprime avec plus d’acuité le tragique de la vie et ses quelques (rares) bons moments. 
« Les faillites aiment les week-ends. Et la vie est pleine de dimanches. »  
La lucidité peut amener à l’enfermement après accident d’ascenseur, deuil, couples problématiques et boulot spécial.
« Je pense à la mémoire, à son emprise accablante, à ces lests écrasants qu'elle dépose en nous avec une constance désarmante. Parfois lorsque je suis en haut, à ma table, ou dans mon lit, à attendre le sommeil, je la sens se glisser à mon côté, serpent à l'épiderme glacial, afin de m'infliger les films de ses archives, tout ce que je n'aurais pas dû voir… »  
Ces 218 pages émouvantes décrivent une solitude fragile et courageuse échappant à la marchandisation des liens : une vie sauvée par l’humour- pas de celui qui fait  ouaf ouaf ! Encore que…

vendredi 1 avril 2022

Le Postillon. N° 64. Hiver- printemps 2022.

Le 20 pages à 3 € reprendra ses « parutions à l’improviste » mais je ne sais pas si j’irai à nouveau à sa rencontre. Mon appétit de connaître des points de vue différents décline devant leurs répétitifs partis pris.
Une tournée des bars pour confirmer le peu de zèle des serveurs à vérifier le Pass sanitaire des clients les rassure alors que me désolent des manquements au civisme.
Leur « technophobie » systématique alimente chacune des brèves : ironique quand le village de Sarcenas est privé de réseau, sarcastiques au sujet de la vidéoverbalisation envisagée par la municipalité de Grenoble, allant jusqu’à fêter en grande pompe l’installation d’une cabine téléphonique à l’ancienne. C'est leur côté "réac" aux rigolos écolos fondamentaux,  les amish de mes amis, quand je me morfonds face à l'érosion de la conscience professionnelle et à la perte de confiance envers son prochain.
Si leur première page est excessive : «  Greenioble : capitale verdâtre », le commentaire d’une partie du discours de Piolle à l’ouverture de Grenoble capitale verte est charpenté :  
«  On veut bien que les montagnes rappellent le pompeux « émerveillement de la nature » mais par contre on ne voit pas le rapport entre les sommets et le « désir de justice sociale ». 
La comparaison avec les jeux olympiques les excite, la présence d’entreprises les contrarie, et toute référence à l’apport des sciences les échauffe, alors que les bruits de couloirs des querelles d’associations peuvent sembler anecdotiques.
Leurs pérégrinations autour des cours d’eau de la cuvette se tarissent et en dehors du rappel historique, le Draquet est perdu : restent des plaques de rue évoquant des îles, le nom d’un quartier : « Les Eaux Claires ».
Le test comparatif concernant l’étanchéité de l’ancien musée de peinture, du « Magasin », ou le prestigieux Musée de la Place La Valette, révèle de sérieux problèmes non traités.
Les reporters anonymes font aussi leur boulot quand ils vont voir de plus près comment se met en place la « ZFE » Zone à faibles émissions » pour les utilitaires et poids lourds ou lorsqu’ils dénoncent les conditions de travail à « Métrovélo ».
Le compte-rendu des comparutions immédiates au palais de justice est toujours révélateur des désarrois, des misères humaines.
Ils savent bien évoquer leur visite en bande dessinée du côté de la PDG, place des géants à la Villeneuve ou un rendez vous manqué avec un ancien SDF.
Lorsqu’Hubert raconte  l’extension du domaine de la méfiance avec portails, badges et caméra apparus dans l’immeuble de son enfance à Pont de Claix, on ne peut que partager ses regrets se gardant cependant d’idéaliser le passé.
Par contre leur invitation à dévisser des panneaux «  Ici la région agit » eux qui n’hésitent pas à coller leur publicité en dehors des emplacements réservés à cet usage est plus problématique comme la divulgation du mode d’emploi pour dégonfler les pneus des 4X4.

jeudi 31 mars 2022

Gustave Courbet. Thomas Schlesser.

Sous l’autoportrait  dit « Le désespéré » devenu célèbre après que les usagers du Métro parisien l’aient vu sur l’affiche d’une exposition de 2007 en le confondant avec Johnny Depp dans le pirate des Caraïbes, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble présentait le natif de Franche-Comté (1819) : « De la révolte pour nature ». 
A cette époque, 1840, il se représente  aussi en « Homme à la pipe » alors qu’il quitte Ornans  pour la bohème parisienne muni de la devise du grand-père : « parle fort et marche droit ».
Du romantisme qui règne alors il gardera au-delà d’une subjectivité exacerbée, le sentiment de son individualité. « L'Après-dînée à Ornans » témoigne de son attachement à ses racines et de son engagement socialiste avec ce violoniste distrayant une assemblée indolente sous des lumières cendrées à l’heure où les banquets républicains vont à l’encontre d’une restriction des libertés.
Il dessine un « 
Révolutionnaire sur une barricade » pour le journal « Le salut public » lors de la chute de Louis Philippe en 1848, mais il passe à côté de ces journées révolutionnaires :
« Je ne me bats pas d'abord parce que je n'ai pas foi dans la guerre au fusil et au canon et que ce n'est pas dans mes principes » 
Bien que plus tard  il déclare à Jules Vallès  
« En 1848, il n'y avait que deux hommes de prêts, moi et Proudhon ».
« L’enterrement à Ornans » est-il celui du romantisme, de la République, d’une de ses sœurs ? Il fit scandale en faisant entrer dans le format de la peinture d’histoire les humbles aux trognes colorées par le grand air.
Son ami Champfleury étudie l’art de la caricature, 
 celle qui exprime le « cri du citoyen ».
Le dessinateur Cham ne l’épargne guère, son acharnement étant même révélateur de la force du peintre réaliste : «  Le chef de l’école du laid ». 
Delacroix devant « Les baigneuses » a beau dire « La vulgarité des formes ne ferait rien ; c’est la vulgarité et l’inutilité de la pensée qui sont abominables » fond et formes font fort.
L
e conférencier nous amène à penser que cet éloignement de l’idéalisation des chairs ouvre des significations nouvelles bien qu’inspirées de la tradition « Le massacre des innocents » de Cornelis van Haarlem.
La transgression se manifeste dans  « Le Sommeil »
, aussi intitulé « Les Deux Amies » ou « Paresse et Luxure », l’une d’elle Joanna Hiffernan, la rousse, eut une liaison avec l’artiste mais ne serait pas le modèle de « L’Origine du Monde »
à rechercher plutôt du côté des photographies d’Auguste Belloc.
« La cribleuse de blé »
, malgré son énergie, fut qualifiée de peinture « sale » ainsi que
 « les casseurs de pierres » anonymes au point d’être devenus emblématiques.
Baudelaire qui figure dans un coin du tableau « L’atelier » avait demandé l’effacement du portrait de sa maîtresse Jeanne Duval qui se trouvait à côté de lui, elle ressurgit avec le temps comme un fantôme.
« Le ruisseau du puits noir »
se rapproche d'une radiographie  
comme « Le coup de vent, forêt de Fontainebleau » 
et ses nombreux tableaux de paysages, proches de l’école de Barbizon.
Juan Miro dira sentir « La vague » dans son dos. 
« Son grand apport, c'est l'entrée lyrique de la nature, de l'odeur des feuilles mouillées, des parois moussues de la forêt, dans la peinture du dix-neuvième siècle » Cézanne.
Le chasseur connaît intimement les animaux, « La Remise des chevreuils en hiver »,
il compatit avec « La Curée »  pour laquelle Edmond About 
voit une proclamation de: « l'égalité de tous les corps visibles ».  
Du «  Retour de la conférence » il ne reste qu’une esquisse puisque le tableau a été acheté pour être détruit. L’artiste qui avait cherché la censure.
Le prudent de 1848 devient audacieux sous la commune et bien qu’il défende le patrimoine malmené par ses camarades, il meurt en exil (1877) veillé par son père, ses biens séquestrés, « otage de la colonne » Vendôme qu’il  a contribué à faire abattre. 
« A quoi sert la vie si les enfants n'en font pas plus que leurs pères ? »

mercredi 30 mars 2022

Strasbourg #2

Nous n’avons pas l’intention de circuler en voiture aujourd’hui. 
Manque de chance, la station de tram proche de la maison est fermée. 
Nous suivons alors les rails jusqu’à la station importante la Rotonde. 
Toujours pas de tram mais une bus navette conduit les passagers  jusqu’aux Halles, d’où ils peuvent récupérer la ligne. Comme nous n’avons pas de billets, le chauffeur nous embarque  quand même à charge de payer nos tickets au terminus du car  pour la poursuite en tram. Mais il s’avère inutile pour nous de continuer en transport collectif.
A pied, nous traversons la place de l’homme de fer fréquentée par de nombreux passants car elle se situe au croisement des lignes principales de trams. Elle doit son nom à une statue d’un hallebardier plaqué  contre un mur ; ce vestige d’un ancien magasin d’armurerie servait d’enseigne.
Puis nous débouchons Place Kleber. Nous découvrons une très large esplanade piétonne et dallée sur laquelle s’élève une statue du grand homme. Un caveau en dessous de la sculpture  contient ses cendres.
An niveau architecture, la place comprend 2 bâtiments  marquants qui se font face : l’Aubette est un édifice néoclassique du XVIII° siècle  tout en longueur destiné au corps de garde, elle appartenait à un projet plus vaste mais non réalisé, quant à la maison de l’orfèvre, elle  montre un exemple typique du style rococo strasbourgeois.
La place Gutemberg possède elle aussi sa statue, trônant avec noblesse devant la chambre de commerce. Ce magnifique bâtiment construit au XVI° n’utilise pas de colombage mais de la pierre de taille réservée en principe aux églises et châteaux.
Des dizaines de lucarnes avec des frontons à volutes percent son toit imposant .A l’intérieur,  une  voûte gothique à l’entrée donne un aperçu des plafonds de la bâtisse.
Lorsque nous nous retournons, deux ruelles étroites sont  obscurcies et dominées par la façade écrasante de la cathédrale.
Le vent froid qui s’y engouffre confirme la légende bien fondée du diable persistant en vain à pénétrer dans le lieu saint.
Saisis par la grandeur du bâtiment enserré dans le lacis de rues, nous nous intéressons  d’abord à l’extérieur.
Le portail central expose un tympan  dépeignant la crucifixion. La croix repose sur le squelette d’Adam et sur les côtés de la passion figurent personnifiées l’église chrétienne d’une part et une synagogue d’autre part représentée les yeux bandés.
Nous identifions sur le tympan de droite la parabole des vierges sages porteuses de lampes à huile et des vierges folles qui renversent leurs lampes, la lumière des cieux ne les éclaire plus. Pour les détourner de Dieu, un tentateur leur fait face, tenant une pomme, affublé dans son dos de crapauds et de serpents accrochés, symboles irréfutables du vice.
Nous franchissons le porche.
La lumière parvient à travers des vitraux parfois très anciens.
Datant de la période romane, une série de portraits de rois s’invitent dans ceux du bas-côté nord de la nef, représentés dans une position figée et un style proche de Byzance. D’autres comme Salomon et la Reine de Saba se réfèrent  plus aux mythes religieux.
La rosace avec ses épis de blé se déploie en majesté dans un diamètre exceptionnel, elle  contribua  beaucoup à la renommée de la cathédrale. Pour le chœur, il  est de style roman et byzantin.
Privé d’un vitrail après un bombardement américain en 1944, il arbore aujourd’hui  une verrière avec le drapeau européen.
Mobilier incontournable d’une église, la chaire finement sculptée, est constituée d’une multitude de statuettes. Elles se découpent dans un réseau de dentelle en pierre caractéristique du gothique flamboyant. L’orgue en « nid d’hirondelle », autre élément lié aux offices,  prend place côté gauche de la nef et s’envole au-dessus des fidèles. Samson chevauchant un lion décore la clé centrale pendante.
De chaque côté deux statues peintes  se détachent en suspens du buffet, sans référence biblique particulière : elles nous montrent un héraut de la ville à gauche, et à droite un vendeur de bretzel nommé Rohraffe (marchand des rues).
Il nous faut attendre 11h30 pour nous joindre à la visite spéciale consacrée à l’attraction vedette du lieu : l’horloge astronomique. Les gardiens se chargent alors de vider momentanément  la cathédrale au profit des gens munis d’un billet de 3€.
Ce sésame  donne droit à un film explicatif en « petit comité » et à l’animation de l’horloge la plus importante de la journée (12h30) dont voici la description et le déroulement :
Toutes les 15 minutes, un ange  frappe la cloche et passe devant le Christ. 
Les  quatre âges de la vie (enfant, adolescent, l’adulte, le vieillard) défilent devant la mort
Toutes les heures, la mort sonne et tourne son sablier
En bas, un calendrier affiche les fêtes religieuses de l’année calculées chaque fin décembre
Les jours sont personnifiés  par des automates à l’apparence de dieux de  l’antiquité.
Ainsi, aujourd’hui, jeudi, c’est au tour de Jupiter d’apparaitre au 1er plan
Les astres et la rotation de la terre par rapport à Strasbourg sont représentés.
A 12h30, le spectacle au complet s’ébranle :
un ange percute  la cloche, la mort lui répond puis bis repetita.
L’ange renverse le sablier : la mort frappe les douze coups ; les douze apôtres passent devant le Christ au-dessus des automates de la mort et des quatre âges.
Pendant le passage des apôtres, à intervalles réguliers, un coq en métal juché sur la   tour qui cache les poids de l’horloge bat des ailes et lance par 3 fois un cocorico rouillé, grotesque.

Ce chef d’œuvre de la Renaissance résume les recherches tant scientifiques, astrologiques, astronomiques, qu’artistiques des hommes de cette époque. 
Il demanda la contribution de nombreux et divers artisans avec parfois des déconvenues quant à son fonctionnement. Mais aujourd’hui, le charme et la magie opèrent encore, jusque dans le bruit des mécanismes.
Le pilier des Anges, voisin, attire lui aussi les regards et l’admiration. Il supporte 12 statues, soit les 4 quatre évangélistes et leurs attributs, 4 anges avec trompettes et 3 anges chargés des instruments de la passion du Christ, enfin le Christ sur un trône et les ressuscités à ses pieds. Sous le poids de la voute depuis le XIII° siècle, il a résisté et contredit les sceptiques qui le jugeaient à sa construction trop audacieux et fragile.