lundi 5 juillet 2021

143 rue du désert. Hassen Ferhani.

Une vieille femme encombrée dans un corps opulent propose thé et omelette dans sa cabane au bord de la route menant à Tamanrasset, au milieu de nulle part, au centre de l’humanité.
Le titre est parfait avec la numérotation qui rattache au monde dans un espace pas du tout idéalisé, à mille mille d’un Saint Ex métaphysique. 
Le vent de sable brouille parfois le regard et les plastiques ont volé jusque là bas. 
Dans un encadrement de porte en fer, Malika face à son chat, offre un plan magnifique - séquence cuistre - dans le style d’Hammershoi, aux couleurs de Morandi.
Ce film aux fortes allures documentaires d’une heure quarante prend son temps et les rencontres se succèdent où ne se discerne pas toujours le vrai du faux : imans, routiers, motards et motarde, habitués, alors qu’en face se construit une station service. 
La fine mouche qui accueille tout ce monde dévoile petit à petit une personnalité indépendante dans un environnement où la religion est omniprésente. L'islam apparaît essentiellement comme l’instrument du renoncement, de l’obéissance et je ne saurai dire si cette femme arrive à ne pas laisser entamer sa liberté, mot trop absolu, alors que face à des espaces infinis, elle ne peut s’éloigner de sa pauvre cabane. Elle ne perd pas en tous cas, ni son humour ni de sa dignité.
Je me décolle de cet écran d'ordinateur pendant plus de deux mois, pour aller mieux me repaître de plus grands formats à Cannes, puis de paysages nouveaux, pour alimenter ce blog où je reprendrai les articles en octobre.

dimanche 4 juillet 2021

C’est gentil chez vous. L’arrière boutique.

Belle surprise différée pendant des années avec cet album de 2005 oublié dans mon coin à CD et si peu documenté sur Internet que le temps semble s’être arrêté aux années 60 avec choucroute, rouge à lèvres et corsages pointus telles que la pochette orange l’annonce.
Cela permet d’apprécier que le groupe ait anticipé la mode :  
«  Un autre genre » avertit de ne pas se fier aux apparences, 
et pourrait servir d’intitulé aux douze chansons : 
«  Au balcon la gorge qui pigeonne
Du genre de celle qui a croqué la pomme »[…] 
« Oui mais derrière le décorum…
Se cachait bel et bien un homme ! » 
Le ton narquois et les « musiques de guinguette » font passer des textes bien tournés qui s’attaquent à des sujets difficiles.
Il est question d’un enfant « mongolien », comme on disait alors, 
dans « Huitième merveille » :
« Quand tu râles, que tu grondes,
J’ai trop honte d’avoir peur,
Je te déteste d’avoir honte » 
«  La main de Fatma », c’est la main du menuisier à laquelle manquent deux doigts : 
« D’une main il comptait jusqu’à trois
Au mieux quatre, la belle affaire. »
 Les allitérations  de « Mâles en colique » enrobent la solitude d’immigrés : 
« Les sous amassés si chichement qu’il en chiale
Les sous hommes cassés slalomant en slips sales »
Celle qui  cherche un emploi accepterait haltérophile ou « Reine des Belges »
quant à la Rom « Febronia » : 
« Mieux vaut, c’est vrai, qu’elle ramène des lovés
Pour éviter la volée, qu’elle n’aura pas volée »
 La mort n’a pas la majesté qu’elle avait chez Brassens, pour le « Champ du signe » 
«  Je suis mal à l’aise dans mon alaise
Et même mes larmes sont rouillées » 
L’humour noir permet de voir la réalité en face et parait si léger quand il est question de « Petites rides » : 
« Elles te piétinent le coin des yeux,
S’y accumulent, à qui mieux mieux ? » 
Le temps passe, alors même «  A leurs guises » :
« Réveiller mon corps
Avec des jeteurs de sort » 
Voire prendre le temps d’être « Indécis »alors que sages,  
« Les vaches » nous ressemblent : 
« Et toute leur vie se taisent et mâchent
Un seul même foin et elles sourient » 
Jusque dans leurs rêves : 
«  Je sais que Gavroche m’aguiche
On me croit mioche, pas chiche de clash ! »
 Mais : « Les vaches… on les lynche ! »

samedi 3 juillet 2021

Condorcet. Elisabeth Robert Badinter.

Qui mieux que la féministe et le ministre qui a aboli la peine de mort pour mettre en évidence le rôle majeur de l’intellectuel héritier des « Lumières » pendant la révolution française ? 
« Cet orphelin trouva les plus prestigieux pères spirituels. D’Alembert, Turgot et Voltaire l’adoptèrent comme leur fils et chacun transmit ce qu’il possédait de meilleur. Le premier lui légua l’amour de la vérité ; le second, la passion du bien public ; le troisième, le refus de l’injustice. »
Mathématicien, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences à 32 ans : 
« Dans cet univers d’idées et de chiffres, il n’y a nulle autre déception à redouter que ses propres erreurs. La violence, le péché, le ridicule n’ont pas leur place dans la réflexion scientifique. » 
Rationaliste :
« L’originalité de Condorcet consiste notamment à bâtir une science de l’homme comme une science appliquée, c'est-à-dire désacraliser l’idée de l’homme, démarche en tout point contraire à celle du christianisme. »  
« Pour lui, les seuls obstacles au bonheur de l’homme s‘appellent préjugés, intolérance, superstition. Il suffit donc d’instruire le peuple et de développer la raison de chacun pour mettre un terme au malheur public. »
Ces termes sont encore tellement d’actualité qu’on est amené à douter de leur force, alors qu’à cette époque : 
« La torture, le servage sont en voie de disparition ; la médecine progresse […] et l’ignorance recule »
Il a posé les bases de l’école républicaine : 
« Il est possible de faire en sorte que tous les hommes, étant instruits de ce qu’ils doivent savoir… soient à l’abri des prestiges de la charlatanerie » 
La philosophe et l’avocat écrivent avec une limpidité remarquable qui rend agréables ces 670 pages instructives. 
Le tranquille natif de Ribemont dans l’Aisne devenu révolutionnaire, qu’admirent ses biographes était un piètre orateur et a pu justifier parfois son sobriquet de «  mouton enragé ». Ses silences après les massacres de septembre (1792) sont dénoncés. Et son appel aux autres peuples n’a pas suscité leur adhésion quand à l’intention des allemands il évoque « un peuple serf, des bourgeois avides, des nobles esclaves et tyrans. »   
Son rôle est éminent dans la rédaction de la constitution: 
«  Les institutions ne valent  qu’autant qu’elles garantissent le respect des Droits de l’homme : c’est l’exigence de la liberté ; une société ne vaut qu’autant que chaque homme y jouit de la plénitude de ses droits : c’est l’exigence de l’égalité ; comment se résigner en effet à une société où les femmes, les pauvres, les protestants, les juifs se voient à des degrés divers, dénier la jouissance des Droits de l’homme ? Et pis encore, où les Noirs se voient refuser jusqu’à la qualité d’hommes. » 
Dans un ensemble très documenté, factuel, qui rend parfaitement l’intensité, l’imprévisibilité des évènements fondateurs de notre République, 
« détaché de ses amis Girondins sans pour autant rallier les Montagnards »,
le destin du mari de la belle et brillante Sophie de Grouchy est poignant en ses derniers instants. Le mystère des causes de sa mort à 51 ans n'est pas levé, s'est-il suicidé? 
« Lui, le proscrit, le traqué, annonce la venue inévitable du jour où la dignité de l’homme sera partout reconnue, où la Raison répandue par l’instruction mettra fin sur tous les continents à l’insupportable servitude de l’homme. »

vendredi 2 juillet 2021

Le Postillon. N°61. Eté 2021.

Accro des journaux en papier, je ne manque pas de guetter chaque apparition du bimestriel satirique de la cuvette grenobloise 
Invariablement, je m’agace de leur prétention à faire la leçon à tout le monde et parfois de leur grossièreté qui amenuise une crédibilité pas forcément recherchée, comme avec l’illustration du récit d’un émouvant accident du travail. 
Ces militants de l’écrit ne feraient ils pas confiance en l’éloquence de leur clavier en surlignant leurs propos de crades gribouillis ?
Leur violence m’inquiète :  
«  …on apprendra qu’Emmanuel Macron sera testé positif au Covid 19, et on se mettra presque tous à espérer que le variant présidentiel soit l’un des plus sévères de la planète. » 
Leur irresponsabilité quant au port du masque ou à propos du Pass sanitaire m’attriste. 
Je suis imperméable à une poésie de pacotille qui leur fait souhaiter une submersion de l’autoroute par le Drac: la « déambulation » de l’eau plutôt que des flux humains.
La parole est donnée aussi bien à ceux qui se plaignent du bruit qu'à d’autres gênés par un mur anti- bruit : pourvu qu’ils soient contre !
Leur nostalgie des cabines téléphoniques qui court sur plusieurs numéros n’est pas que rigolote, plus ils sont moins nombreux, plus ils se sentent du bon côté!
Bien que peu ouverts à l’autocritique, quelques remarques concernant un article précédent sur le CHAI apportent des compléments utiles. Dans le même domaine, l’article à charge «  Les autistes entre de mauvaises mains » offrira peut être l’occasion, avec un certain sens du « teasing », d’entendre d’autres voix au prochain numéro.
J’apprécie cette fois la mise en évidence des dilemmes de ceux qui travaillent dans la technologie infrarouge destinée en particulier au guidage de missiles. Bien entendu cette « dissonance cognitive » est vue principalement à travers Emilie Chalas, une de leur cible récurrente, qui dénonce les exactions commises par la Turquie tout en sachant que l’entreprise high tech de Veurey ne fait pas qu’offrir à ses salariés un atelier jardinage pour déstresser. Le sujet est sérieux. 
Et d’autres contradictions, sont bien exposées dans le supplément consacré à la montagne qui rend plus convaincante leur opposition aux canons à neige car dans ce domaine la caricature s’oublie de temps en temps. A Gresse-en-Vercors, le débat sur les enneigeurs donne la parole à tous les protagonistes. 
J’aime leurs angles originaux quand ils font des tests comparatifs de différents lieux pour soulager sa vessie quand on est une femme, ou lorsqu’ils décrivent les usages de sites de rencontre à destination des amoureux de la montagne. 
La bonne idée de séparer les articles par des mots laissés dans les livres d’or de cabanes autour de Grenoble est gâchée par la mauvaise définition des photographies et leur goût de la transgression les amène à être indulgents avec un chercheur de cristaux  inquiété par la justice car il y allait quand même à la dynamite. Il est vrai qu’il s’agit du fils de Roger Canac figure intouchable de l’Oisans. 
Leur vigilance envers les communicants est toujours affutée : 
- vis à vis de ceux de la Métro pour leurs installations nécessitant des flash codes pour « marcher sur les pas des bergers de Chamechaude » dans le cadre d’un projet « art culture et transitions »  qui vise«  à faciliter l’accès du citoyen à la culture en tant que facteur d’intégration sociale et contribuer à renforcer le sentiment d’appartenance au territoire » 
- ou en relevant les propos de la directrice de la clinique mutualiste où E. Piolle a tourné un face book live : «  L’écologie et les naissances ne font qu’un, la sage-femme protège la terre-mère, fait de la santé environnementale, elle éduque les familles, elle leur explique ce qu’il faut manger »
A donneur de leçons, donneur de leçons et demie.

jeudi 1 juillet 2021

Schnock. N°36.

Depuis un moment je n’avais pas chroniqué la revue des Vieux de 27 à 87 ans, mais la brochure ne vieillit pas 
Le grand dossier de 90 pages consacré à « Canal + » m’a incité à remettre 15,5 € dans le bastringue.
On disait tout simplement « Canal » dans les années 80, le + comptant une barre en moins que le 4 qui devait initialement qualifier la chaîne, lieu éminent de la modernité, et appelé donc à vieillir et à alimenter la boite à nostalgie. 
Comme disait De Greff à Farrugia à la sortie d’un enterrement : 
« Tu vois, ça va être ça maintenant les fêtes Canal » 
Articles de Lescure et de Chalumeau, interview de Caroline De Greff et de Benoit Delépine, de Michel Thoulouse, « le troisième homme », top 10 des meilleurs moments où Jacquie Berroyer croise De Caunes mais aussi le Flop 10 avec en tête le Top 50 confirmant avec cet avis un certain mépris du populaire que je percevais aussi chez Les Deschiens. Les coulisses d’une opérette de Choron révèlent les audaces d’une époque, et un dico de A à X  aborde le contexte politique d’alors, le foot et le cinéma, la musique ou comment gérer Coluche, à la recherche d’un « esprit Canal » évanoui. Les Guignols qu’on ne voulait jamais manquer s’en sont allés dans l’indifférence. 
Annie Girardot, « la femelle mec », entre dans la galerie des légendes avec revalorisation de « Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause » alors que « Rocco et ses frères » ou «  Mourir d’aimer » ce n’était pas rien non plus.
Il est bon de se souvenir de Max Meynier, l’animateur radio de l’émission « Les routiers sont sympas»  
L’évocation du studio du château d’Hérouville où séjournèrent Elton John, Higelin, Bowie est aussi intéressante.
Les rubriques habituelles permettent aux rédacteurs de faire valoir leur style ainsi :  
«Top 15 des chats schnocks», ode à ces ministres des intérieurs, parfois matous de gouttière, parfois princes des sofas, du Chat botté (1697) à Groucha (1983) en passant par Grosminet (1945).
Nous pouvons goûter les piques des célébrités entre elles où Kofi Yamgmane vis-à-vis d’Omar Sy est moins attendu que Guy Bedos vis-à-vis d’Enrico Macias et de tant d’autres.
Il est de bonne hygiène d’apprendre :
- comment les « Maos spontex » avaient perturbé un concert des Stones,
- de redécouvrir  un disque d’Yves Duteil qui comportait « La tarentelle » « Prendre un enfant par la main » et « Le petit pont de bois » dans la même livraison,
- de découvrir Francis de Miomandre dont le livre « Ecrit sur l’eau » lui avait valu le Goncourt en 1908 face à Henri Barbusse qui attendra 1916.
Une citation du film « La tête du client » de Jacques Poitrenaud mérite la postérité:
«  La prison, il y a tellement de monde maintenant…et puis, on y rencontre tous les gens qu’on connaît, alors ma famille et moi, on va plutôt en Bretagne, voyez-vous. »

mercredi 30 juin 2021

Chartres # 4.

Nous plions bagages et buvons notre thé.
Au moment de partir, on frappe à la porte. 
Un peu surpris, nous ouvrons à deux préposés de l’électricité, un en costume et un autre en bleu de travail. Ils nous annoncent que suite à un impayé, ils vont procéder à la réduction d’accès au courant. Il ne sera plus possible  d’utiliser plusieurs machines simultanément. Nous ne pouvons que leur conseiller d’avertir le propriétaire actuellement à Paris afin qu’il ne soit pas pris au dépourvu lors de son retour. Nous glissons les clés dans la boîte aux lettres et allons nous garer à Chartres près du parking d’hier.
Nous nous autorisons un petit café en terrasse tandis que la ville s’ébroue doucement et que les habitués se retrouvent à échanger sur l’actualité à côté de nous.
Vers 10 h nous nous secouons et avec la voiture, nous partons pour la maison Picassiette, curieux de voir cette construction réputée de l’art brut.
L’entrée est gratuite, et nous sommes accueillis et renseignés par un jeune homme et un employé passionné, désolé de la pénurie de dépliants. Qu’importe ! Nous sommes vite  immergés dans un monde à part.
Tessons de verre, tesselles et débris de porcelaine ou d’assiettes, morceaux de figurines ébréchées ou brisées, ont servi de matière première à Raymond Isidore pour réaliser les mosaïques de sa résidence.
Cet homme original commence en tant que cantonnier puis est chargé de l’entretien du cimetière, il élit alors domicile à proximité, en témoigne l’adresse:
22, rue du repos.
Il commence dans les années 30 par l’intérieur de sa petite maison avant que son obsessionnelle envie de tout recouvrir ne s’étende à la totalité de son domaine. 
Inspiré par des cartes postales, il a  peint dans sa cuisine une fresque du mont Saint Michel au-dessus du fourneau, entourée d’éclats d’assiettes et de verres colorées qui tapissent le moindre espace,
tout comme dans le  salon et la chambre, sur les sols  les murs les meubles et même la machine à coudre.
A l’extérieur, la cour d’entrée et différentes parois sont revêtues de mosaïques figuratives représentant  d’innombrables églises mosquées ou cathédrales.
Une chapelle jouxte son habitation, dans le même style de tesselles issues de restes de vaisselle bouteille ou faïence sélectionnées pour  leur  couleur bleue.
Une cour noire, elle aussi décorée, la sépare de la maison d’été, composée d’une pièce dans les bleus et d’une douche équipée de 2 becs de bouilloires en guise de pommeau.
Dans le prolongement, un porche s’ouvre sur le jardin, il est enduit de fresques qui s’effacent peu à peu.
Quant au jardin, il se différencie par un parterre plus  végétal contrairement au reste de la propriété entièrement carrelée de mosaïques.
Outre les plantes, il englobe une « statueraie », une grotte de Lourdes en miniature, le parvis de Jérusalem, le tombeau de l’esprit  et le verger, l’ensemble toujours décoré selon les mêmes procédés jusqu’aux arrosoirs et aux pots de fleurs.
A chaque fois, les morceaux recyclés sont choisis en fonction de leur couleur pour donner vie à des images concrètes, animalières, humaines, ou à des bâtiments inspirés par des cartes postales d’orient notamment. Ils participent aussi à former des fonds colorés, ils chantent et brillent sous le soleil avec beaucoup de délicatesse et de finesse.
L’imaginaire de Mr Raymond est émouvant, comme son acharnement à le mettre en forme. 
Et contrairement au facteur Cheval avec son Palais Idéal, il a vécu dedans.
Nous aurions été déçus de quitter Chartres sans avoir pu visiter la maison Picassiette, expression de la fantaisie, de la lumière, d’innocente folie douce. Nous abandonnons les lieux à quelques touristes souriants et partons vers notre prochaine destination, Bourges.
Pour nous y rendre, nous faisons le choix de la route plutôt que de l’autoroute. Nous traversons des paysages plats où des machines agricoles soulèvent des nuages de poussières sur fond d’éoliennes.
Nous nous étonnons même d’un vieux moulin à vent perdu au milieu d’un champ moissonné.
Puis nous abordons la Sologne.
A Chevilly  implanté à vingt kilomètres d’Orléans, nous apercevons à point nommé un relais de France, « A la gerbe de blé ». Il est tenu par un couple de personnes ayant visiblement dépassé l’âge de la retraite à la démarche claudicante et mal aisée. Ils proposent un menu à 12€ dont nous ne viendrons pas à bout : ils nous ont  servis une salade de crudités ou niçoise, six brochettes avec chipolata et 6 avec merguez, des frites et une mousse au chocolat. La télévision tourne en continu, la salle et le bar se remplissent d’habitués dans une ambiance bon enfant.

mardi 29 juin 2021

La malédiction du pétrole. Pécau. Blanchard.

Le magnifique dessin très art nouveau, en plus sombre, est mis au service d’un récit palpitant pour décrire les déchirements passés de nos sociétés, au cœur des enjeux environnementaux du futur.
Le prologue se situe à Bakou où les frères Nobel installent raffinerie et tuyaux pour acheminer le noir liquide avant d’aller sur le territoire américain où Rockefeller crée son empire.
En s’alliant à Ford, sa puissance va s’accroitre d’autant plus qu’à Bakou les grèves menées par celui qui deviendra Staline ont affaibli la concurrence.
Running gag : à chaque innovation, charretiers, bateliers, acteurs des techniques anciennes protestent ; en face sont engagés des cosaques à poster tous les 200 m avec ordre de tirer à vue.
Le hasard est souvent présent lors des découvertes de cette substance malodorante qui par ailleurs sauvera les baleines aux huiles précieuses. Les anecdotes se mêlent aux événements majeurs du siècle écoulé: le cigare que Churchill  allume le met hors jeu lors de la rencontre avec le prince Saoud qui venait de passer un pacte avec Roosevelt.
La diversification des utilisations du pétrole l’élève au rang d’enjeu stratégique aux conséquences politiques décisives.
«  A la fin de la guerre, Japonais comme Allemands, sans pétrole, ne pourront même plus faire décoller leurs avions pour empêcher les bombardements massifs de leurs usines et de leurs villes ».
Formidable moteur du capitalisme, la géopolitique en est colorée d’or noir, et De Gaulle en 46 s’incline sur ce terrain, la compagnie française des pétroles CFP surnommée par les américains, «  Cannot Find Petrol » cherchera en Algérie: 
« Les Etats-Unis se font les chantres de l’anticolonialisme visant précisément les empires anglais et français. Mais en sous-main, ce qu’ils ciblent, ce sont les réserves de pétrole qui restent en dehors de leur sphère d’influence. D’où des coups d’état en Iran, en Irak, au Venezuela, en Indonésie. » 
Depuis 2019, Saudi Aramco ouvre son capital pour permettre au royaume de préparer l’après pétrole : 
«  Les grands pétroliers admettraient à la fois la fin de l’ère du pétrole et l’urgence écologique »