mardi 27 avril 2021

La revue dessinée # 31. Printemps 2021.

Même avec des couleurs vives, ces 228 pages de reportages en dessins développés avec vigueur et un sens pédagogique certain ne donnent pas une idée très positive d'un monde apaisé.
- Un « campus » installé à Commercy sur un site de l’armée française reconverti, sert des causes très contestables en offrant un service après vente d’armes aux Saoudiens.
- Les propos des opposants à la vidéo surveillance est plus valorisé que l’avis des maires ridiculisés ou de leurs administrés qui en demandent toujours plus, « partout et tout le temps ».
- De « grands flics » qui ont commencé leur carrière dans le service public mettent leurs compétences au service d’entreprises privées : ce « pantouflage » peut poser problème.
- « Les mauvaises aires » sont les emplacements réservés aux « gens du voyage » ou plutôt aux « collectifs romani et voyageurs » jouxtant stations d’épuration, déchetteries, centrales à béton : elles sont bien peu accueillantes voire dangereuses.
- Si l’essor des fake news peut se dater des attentats du 11septembre 2001, la mise en évidence des mécanismes qui ont permis leur propagation est intéressante.
- Les pages de « Siméoni à Siméoni » reviennent sur la lutte pour l’autonomie de la Corse.
Quelques rubriques habituelles permettent de respirer : 
 « Face B » (musique) : pour mieux connaître Enio Morricone, auteur de musiques de films mais pas seulement.
« Mi-temps » ( sports) : le roller derby n’est pas qu’un sport de glisse, il est devenu un lieu d’émancipation pour lesbiennes.
« La sémantique c’est élastique » (langage) : revient sur le terme « logiciel » dont abusent commentateurs et politiques.  
« Instantané » (photo) : première rencontre depuis 65 ans entre les deux chefs d’état du Nord et du Sud de la Corée.
«  La revue des cinés » (cinéma) : remarquable révision de « La Prisonnière du désert ». 
«  Inconsciences » (découvertes) : Le DDT a permis de lutter contre le paludisme et le typhus mais sa nocivité persiste.

lundi 26 avril 2021

La valse des pantins. Martin Scorsese.

J’avais oublié le titre de ce film de 1983,  à ne pas confondre avec «  La ronde des pantins » avec Clark Gable, voire «  la vie des marionnettes » de Bergman. Il s’agit de « The King of Comedy » et je l’ai retrouvé en tapant Scorsese/Jerry Lewis, me dispensant de De Niro/ Scorsese car l’ordinateur aurait alors pu proposer 9 films où ils se retrouvent.
L’excellent De Niro en comique voulant accéder à la notoriété s’appelle Pupkin (like a pupett+a king), il va harceler et prendre en otage un animateur télé qu’il voulait comme ami, Jerry Langford (Jerry Lewis).
J’ai apprécié le pitre dont les grimaces me laissaient indifférent jusque là, émouvant dans un rôle proche de sa situation d’alors.
Nous sommes au-delà de la description acerbe du show business avec un scénario où apparait la tyrannie du public, le cynisme de tous ceux qui se soignent dans ce milieu. Violent.
Pour avoir vénéré « Les clowns » de Fellini, j’ai retrouvé des dimensions essentielles de la vie révélées par le rire, quand le pathétique en devient encore plus évident, le tragique plus affirmé.

dimanche 25 avril 2021

Chansons au bord du zinc.

Faisant la poussière sur mes étagères à CD, j’ai retrouvé 16 chansons, millésimées 2000 autrement dit « vintage », mot branché dont l’étymologie  remonterait à « vendanges ».
Les Têtes raides en entrainant les spectateurs complices à coup d’« allez « Ginette » ! m’ont paru forcer la pauvre fille à monter sur les tables. 
« Et là y a la Ginette qui valse en guinguette
Qu'a toujours un verre d'avance »
 
Mano Solo avant de mourir du SIDA à 46 ans avait quelque ambition: 
« Tant que quelqu'un écoutera ma voix je serai vivant dans votre monde à la con! »
 Miossec est vraiment dans le thème alcoolisé :« Non, non, non, non, non
Je ne suis plus saoul
Un peu à bout, c'est rien
Moi je veux que toi »
 
Et Casse-pipe suit « La trace » d’une expressivité marquée : 
« ll pleut des cordes de guitare et l'on entend geindre les gares
Où vont dans le jour incertain les mains rouges les assassins »
Arthur H  n’oubliera pas « Marouchka », 
« Marouchka ma lumière de minuit
Marouchka s’est enfuie dans la nuit »
Il me faudra retrouver Desjardin un de ces jours avec sa voix et d’autres textes aussi forts que celui là pour dire le colonialisme, « Les  Yankee »: 
« Alors je compte jusqu´à trois
et toutes vos filles pour nos soldats
Le grain, le chien et l´uranium,
l´opium et le chant de l´ancien,
tout désormais nous appartient »
 
« En rasant les murs » de Tue loup a une musique bien lente à mettre sur ses paroles, par contre la chanson « Louise » par Les hurlements de Léo me parait trop rapide, alors que « Dans la salle du bar tabac de la Rue des Martyrs » de Pigalle envoie de l’accordéon rock pour un sommet d’un réalisme qui déchire. 
« Le patron a un flingue pour l'ingénu qu'en voudrait à la tirelire » 
Accentué par le thème qui lorgne davantage du côté « bistrot » rétro que « bar à vins » bobo, les évocations réalistes sont restées dans ce jus, voire figées dans quelques clichés auxquels n’échappe même pas Juliette qui a été bien meilleure que dans « La belle Abbesse ». http://blog-de-guy.blogspot.com/2018/10/jaime-pas-la-chanson-juliette.html 
« C´est vrai, c´ matin, je m´ suis même pas lavée
Je m´ suis juste remis un peu d´ bleu et d´ rose
Juste pour maquiller quelques ecchymoses
Qu´ la nuit dernière un salaud m´a gravées »
 
« Les mots » de La Tordue portent et vont bien sur la portée musicale.
« Y'a des mots comme te quiero
Y'a des mots c'est des couteaux
Que te matan en silencio
Mais pour c'qu'y'a entre sa peau et ma peau
Y'a pas d'mots y'a pas d'mots
Qui tiennent ni même celui-là »
 
« Le printemps » des Ogres de Barback commençait bien parmi des « champs verts et fleuris », mais le genre appelle d’autres senteurs : 
« Ça sent la bâche crade et pourrie
D'un pauvre chapiteau en fête
Qui d'un dernier souffle refleurit
Pour quelques lascars qui s'entêtent »
 
« La chatte de Monsieur Clock » par Les Elles est tragique, bien que maniérée, mais avec un autre chat  « Belzebuth » des Colocs  pendant 10 minutes, la conclusion peut sembler s’éterniser. D’autant plus que La chasse aux abeilles par Le Garage Rigaud se situe aussi loin du zinc où le Viandox s’est éventé, le distributeur de cacahuètes ne trouvant plus preneur.

 

samedi 24 avril 2021

Serge. Yasmina Reza.

Entre Serge son ainé qu’il a toujours suivi et sa sœur Nana, le narrateur Jean est sans qualité. 
La dramaturge qui les met en scène a toutes les qualités :
humour et tragique, légèreté et profondeur mettent à nu les liens d’une famille juive et mesurent le temps qui passe : 
« Chez ma mère, sur sa table de chevet, il y avait une photo de nous trois rigolant enchevêtrés l’un sur l’autre dans une brouette. C’est comme si on nous avait poussés dedans à une vitesse vertigineuse et qu’on nous avait versés dans le temps. » 
Les enfants de la fratrie devenus adultes se retrouvent lors d'une visite à Auschwitz : 
« Mon frère et ma sœur je nous vois sur cette route bordée de cheminée et de pierres mortes et je me demande ce qui nous a fait tomber fortuitement dans le même nid, pour ne pas dire dans la vie même. » 
où l’omniprésence de selfies pourrait donner lieu à des images faciles, la subtilité au service de la force, va au cœur du mystère humain, sans grandiloquence. 
« Elles vont dire terrible, indicible, etc, à tout bout de champ ? me suis-je demandé. J’ai décidé de ne pas me laisser énerver trop vite par elles. » 
Il se rappelle un reportage sur Verdun : 
« On leur avait dit quinze mille morts sous vos pieds, les boyaux à l’air ! Les touristes extasiés. Ils viennent avec leurs gosses: grand-papa s’est battu pour toi. Pour moi ? Et comment il me connaît, dit le gamin. » 
Avec tant de sincérité, les moments les plus ténus de la vie, prennent une acuité terrible : la tendresse succède à la violence, la lucidité la plus tranchante à l’oubli. 
« Dans le rétroviseur, il m’a semblé un peu content ; le soleil rentrait dans la voiture. Tout était bien. Ou alors tout était triste. Allez savoir comment sont les choses. »

vendredi 23 avril 2021

Le Postillon. N° 59. Hiver 2021.

Je m’applique à lire des publications avec lesquelles je ne suis pas d’accord
mais avec ce numéro du bimestriel grenoblois, je fatigue, et n’arrive à sourire qu'à une demi page consacrée à « l’e-cureuil » destiné à remplacer les drones, clin d’œil aux familiers des opposants ricaneurs envers les technologies nouvelles.
Si le journalisme consiste à traiter de l’actualité et ses nouveautés, cette intention n’est pas à l’ordre du jour pour des rédacteurs militants revenant sempiternellement sur leurs marottes « technophobes ».
Bien sûr les courses connectées, comme la Foulée blanche en virtuel, sont des inepties, mais titrer « on ne lâche rien » à propos de cabines téléphoniques à maintenir, minimise d’autres causes méritantes. Et leur choix de préférer vivre en zone blanche, hors connection,  les situe si loin des bruits du monde qu'ils ne peuvent prétendre décrire notre société, quand pour cela il faudrait en outre que les publicistes anonymes abandonnent quelques  œillères.
Il est cocasse de les voir surenchérir sur leur cher maire de Gre - « c’est la faute des autres » - en remettant en cause des caméras de vidéo surveillance nouvellement implantées pour « lutter contre les incivilités routières » mais surtout pas contre l’insécurité invention de l’extrême drouate. Par ailleurs les supporters des squatteurs de l’Abbaye ne sont guère reconnaissants envers les membres éminents de « l’arc humaniste ».
Il est de bon ton comme dans la presse traditionnelle de vanter le livre du rédacteur en chef d’autant plus que le titre est une trouvaille : « Le vide à moitié vert » où il est question de Piolle. Mais est-ce cohérent de remettre en cause les tics de langage type « start up nation » et reprendre les termes de « low tech » pour souhaiter une « high récup » et voir des « big bro vert » partout ?
Alors oui remettre les ATSEM (agent territorial spécialisé des écoles maternelles) à l’honneur, est tout à fait légitime bien que de retenir seulement les voix de la CNT et de SUD restreigne le panorama.
Mais ce qui me navre le plus, c’est leur position démagogique par rapport à la pandémie avec une conception bien rudimentaire de la liberté lorsqu’elle s’exerce au mépris des autres. Ils reviennent sur les incidents occasionnés par le vaccin contre le H1N1 et sont solidaires des raveurs de Saint Marcellin et de Saint Martin d’Hères, des gérants de la discothèque de Grenay et d’un patron de restaurant d’Echirolles qui avaient contrevenu à la loi. Il y a d’autres urgences ! 
Outre les nouvelles régulières par leurs indics au CHUGA (Centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes), ils adressent un coup de pied de l’âne à l’ancien directeur de la MC2 alors qu’ils n’avaient pas tellement mis le doigt sur sa gestion problématique au moment où il était aux manettes. Il est vrai qu’ils sont plutôt sensibles à la culture des salades des jardins de Saint Martin-Le-Vinoux laissant la place à des logements, mais surtout pas à des parcs proposés à la place de friches jouxtant la Casamaures.

jeudi 22 avril 2021

Le dernier enfant. Philippe Besson.

Mon enthousiasme pour ces 200 pages contredit les avis mitigés que j’avais pu porter sur deux des ouvrages précédents de Philippe Besson, à ne pas confondre avec Patrick Besson, ni avec les Tesson
L’émotion élémentaire qui vient avec ce récit retraçant le départ hors du nid du petit dernier de la famille, tient à la clarté de l’écriture, à l’évidence de ces heures, à la sobriété de l’histoire. 
«  Anne- Marie a toujours aimé les déjeuners au restaurant avec ses enfants, sans doute parce qu’ils étaient rares. Ils n’avaient jamais vraiment le temps et ils n’avaient pas vraiment les moyens. Et puis Anne-Marie est une excellente cuisinière : à quoi bon aller jeter l’argent par les fenêtres pour manger moins bien qu’à la maison. »
 La situation est banale et les sentiments universels sont d’autant plus forts qu’ils sont retenus. Les plus petits détails ont leur beauté, non telles les images que Delerm encadre, mais s’inscrivant dans un quotidien terriblement ordinaire où le tragique n’est jamais loin. Et l’amour aussi.  
« Certes le départ de Théo l’affecte beaucoup, elle l’admettrait sans difficulté, si son mari ou qui que ce soit lui posait la question, elle répondrait oui, oui bien sûr, comment il pourrait en aller autrement, il faudrait être insensible, ne pas avoir de cœur pour se comporter comme si rien n’était, et d’ailleurs, il n’y a pas de honte à ça, personne ne lui ferait le reproche, tout le monde sait que c’est douloureux le jour où les enfants s’en vont… »

mercredi 21 avril 2021

Lens # 2

Nous sommes prêts de bonne heure pour accéder au but de notre voyage : 
Le Louvre Lens, le musée.
Pris par le temps, nous bâclons quelque peu la fin de l’exposition très complète pour ne pas manquer notre rendez-vous au comptoir de l’Office du Tourisme. 
Un petit groupe s’y forme autour du guide.
Il doit nous faire découvrir la mine autour du Louvre.
Le musée est construit sur l’ancien puits n° 5, rasé puis comblé avec les gravats de démolition, et de ce fait, il est un peu plus élevé que la rue et le stade proche.
La végétation actuelle « sauvage » rassemble essentiellement  des essences  méditerranéennes.
En effet, les bois d’étayage en pin avaient des écorces  imprégnées de pollens qui se sont implantés dans les sols de la mine alors qu’ils n’arrivaient pas à s’adapter dans les jardins.
Il ne reste des corons d’origine que quelques exemples tronqués.
C’était une grande barre horizontale cloisonnée en maisons identiques mais ses fondations reposaient sur un terrain fragile et instable, au- dessus de galeries minières.
Un autre style d’habitat apparait alors dans la rue d’en face, composé de pavillons plus vastes prolongés par un jardin à l’avant et un potager à l’arrière. Un agent surveillait l’entretien côté rue qui devait jouer le rôle de vitrine. Au début de la rue, près de la mine une maison bourgeoise, au loyer plus cher, était dévolue à l’ingénieur. En face, l’autre maison cossue était réservée au médecin, située au plus près de la mine en cas d’urgence. Des religieuses tenaient le dispensaire mitoyen.
Une  école  recevait tous les enfants  divisée en partie ménagère pour les  filles  et une partie plus scolaire pour les garçons.
Enfin une église de style campagnard complète ce quartier ouvrier ; clocher hollandais, porte de grange, absence de décoration et de statue, toiture percée d’ouvertures triangulaires la caractérisent et la rapprochent plus d’un temple que d’une paroisse catholique. Le paternalisme des patrons s’affirmait jusque dans l’absence d’estaminet  près et dans  la mine, où il était interdit d’emporter de l’alcool, on favorisait  plutôt la chicorée. L’unité de tous les bâtiments est accentuée par l’usage de la briquette rouge.
Nous ne nous éternisons pas à la fin, pressés encore par le temps et contents de nous éloigner de deux dames très envahissantes, retardant  le groupe par des commentaires sans intérêt ou répétant ce qui venait d’être dit, «  faisant leur prof ».
D’un coup de voiture, nous rejoignons  le centre-ville pour notre 2ème visite guidée autour de l’art déco à Lens. Les 2 employés de l’Office du tourisme nous offrent un verre d’eau fraiche  bienvenu avant de repartir sans autres touristes  avec Aloïs, le même accompagnateur que pour la mine.
Quand Lens est libéré par les Anglais, plus  aucun bâtiment ne tient debout, la destruction est totale. Cependant les gens reviennent s’installer dans leur cave ou dans des abris en demi-lunes recouverts de tôle. Le 1er édifice reconstruit est l’église, le reste nécessitera beaucoup plus de temps. Dans les années 20, le choix des maisons et des façades est proposé par des  catalogues. Nous commençons notre circuit par l’immeuble occupé aujourd’hui par l’office du tourisme, lui même. 
Cet ancien magasin de porcelaine art déco« A la ville de Limoges » porte encore son nom au sol à l’entrée  et sur le fronton sous fond de mosaïques colorées. A côté, une façade se distingue  par des pignons à redents de caractère plus nordique.
Beaucoup de maisons sont dotées de garde corps significatifs ainsi que de bow-windows, d’ornements végétaux, de cannelures ou de tourelles, éléments prisés à cette époque.
L’architecture s’inspire parfois des grands magasins en adoptant de baies vitrées juxtaposées favorables à l’entrée de la lumière.
Quant à la gare, elle ne manque pas d’originalité : elle prend la forme d’une locomotive dont l’horloge constituerait la cheminée.
Divisée en  cinq modules portés par un terrain troué comme du gruyère, elle est équipée de vérins hydrauliques permettant de hausser l’une des parties en cas de nécessité.
Les ferronneries et une frise de losanges, rouges, sont les seuls éléments décoratifs concédés car les fondations engloutirent tout le budget.
L’intérieur possède un plafond voûté  fait de pavés de verre sertis dans du béton, apportant de la lumière. Des mosaïques horizontales de style cubiste courent  le long des murs ; elles célèbrent d’une part  la mine et les mineurs coiffés de leurs barrettes (casques) allant et revenant du travail.
D’autre part, elles mettent en valeur l’ère industrielle, les machines et les  transports (bateaux, camions,) qui ont un  besoin impératif du charbon.
Nous traversons la rue pour faire face à l’emplacement de l’Apollo. La façade art déco de cette ancienne salle de cinéma et de spectacle réputée, trop vétuste, a dû être abattue. Mais l’entrepreneur  chargé des travaux pour un  hôtel de luxe  s’est engagé à restituer à l’identique ce bien patrimonial.
Aloïs n’a pas compté son temps et son énergie devant pourtant un public réduit, avec une prestation de qualité et une passion bien transmise.