mercredi 10 mars 2021

Reims # 1

A la canicule d’hier succède la fraîcheur.
Nous demandons au GPS de nous mener au parking Erlon.
Comme nous avons pris l’habitude de le faire dans chaque nouvelle ville, nous glanons à l’Office du tourisme, cartes/plans et prospectus. De là nous voulons retenir une visite commentée de la cathédrale mais celle de 14h affiche déjà complet. 
La chapelle Fujita, elle, ferme ses portes le mardi : pas de chance  aujourd’hui …
Donc nous nous débrouillerons seuls pour découvrir la Cathédrale Notre dame
Nous franchissons le portail, et nous nous fions aux grands panneaux explicatifs bienvenus qui facilitent la visite de l’intérieur.
Ils nous rafraichissent la mémoire tout en complétant nos connaissances :
- Ce haut lieu de l’histoire achevé au XIV° siècle a été choisi pour le sacre des rois de France  dès le XI° siècle.
Lors de la 1ère guerre mondiale, il a été ravagé par les bombardements allemands.
- La cathédrale s’inscrit dans le style gothique (certains préfèrent le mot ogival), il s’en dégage une sensation de hauteur impressionnante. 
Les murs sont  percés de fenêtres rémoises, constituées de deux lancettes surmontées d’une rosace.
Plusieurs styles de vitraux filtrent la lumière.
Marc Chagall en a dessiné trois: l’arbre de Jessé, les deux testaments et les grandes heures de Reims. La dominance des bleus est en liaison avec une technique, spécificité rémoise remontant au Moyen âge.
Imi Knoebel  apporte lui aussi une touche de modernité à la vieille dame. Ses vitraux montrent des fragments géométriques très colorés, dans l’esprit d’un pardon, d’une compensation pour les dégâts provoqués par les Allemands.
Les vitraux contemporains de Brigitte Simon contrastent par leurs couleurs gris/bleu et adoucissent la lumière.
Outre des vitraux d'artistes confirmés, il a ceux qui sont offerts par des corporations. Celui des vignerons date des années 1950. Figuratif, il met en scène le travail de la vigne, les paysans qui piétinent le raisin, les moines qui retournent les bouteilles, les noces de Cana… dans une lecture facile des images. J’apprends aussi que Saint Jean Baptiste est le saint patron des cavistes.
- La cathédrale s’enorgueillit d’un orgue monumental équipé de plus de 6600 tuyaux, mais l’instrument reste délabré suite à un incendie. Une horloge suspendue à côté sonne les heures de sa petite clochette aigrelette.
Nous ressortons afin de prendre du temps pour admirer la façade extérieure, seulement entrevue hier. 
Nous avons déjà repéré l’ange au sourire situé près du portail gauche, nous constatons aussi l’absence de tympans au-dessus des 3 portails remplacés par des vitraux. 
Nous remarquons les gâbles avec le couronnement de la Vierge surmontant le portail central,
et la crucifixion surmontant celui de gauche. 
Mais nous manquons d’informations concernant les nombreuses statues alignées ou  prisonnières dans des tourelles terminées en pinacle.
Nous retournons au parking récupérer un gilet avant de nous rendre au restau 
« Copain comme cochon »  rue du temple, recommandé par notre logeur. 
Il est situé près du marché couvert, les halles Boulingrin, curieux de forme et fermé.
A cause de la fraicheur, nous nous installons à l’intérieur plutôt que sous les chauffages à gaz proposés et commandons : un tartare d’avocats sauce Thaï, une cuisse de canard et purée nappée d’une sauce originale et un tiramisu avec biscuit rose de Reims. Un peu d’humour aux toilettes : « Usage limité à 5 minutes, lecture tolérée ». 
Nous sommes indécis et  interrogeons Internet  sur le Palais du Tau. Devant des avis très favorables, nous y allons et nous ne le regretterons pas.  
Mais en chemin,  nous découvrons par hasard la bibliothèque Carnegie, du nom de son donateur, pur bijou de l’art déco ;
son style s’exprime dans les lustres, fenêtres et vitraux, les formes rondes du bâtiment, les petites scènes décoratives en mosaïque du hall, la rampe enroulée de fer forgé de l’escalier.
Dans la salle silencieuse et feutrée de la bibliothèque où règne une lumière douce filtrée par les vitraux, les rayonnages en  bois comportent des rangées de livres sur plusieurs étages.
La salle du catalogue de l’autre côté renferme les fiches classées dans des casiers en bois  étiquetés alphabétiquement.

mardi 9 mars 2021

Les petites distances. Camille Benyamina Véro Cazot.

En milieu jeunes urbains, la copine de Max ne sait plus qu’elle vivait avec lui depuis 4 ans, celui-ci est tellement effacé que sa psy ne fait, elle non plus, pas attention à lui et ses parents l’ont oublié.
Il est transparent, et se permet sans tapage d’exister dans l’intimité des autres. 
Il trouvera une certaine place chez une belle rouquine : son fantôme chassera les démons imaginaires de la jeune fantasque.
Bien que les relations plus sexuelles qu’amoureuses soient abondamment et délicatement traitées, l’évanescence du personnage principal ne fournit pas prétexte à des inventions torrides comme celles du « Déclic » de Manara.   
On finit par se montrer indifférent aux aléas de la relation du discret Max avec Léonie bien que le premier chapitre s’intitulant: «  le parfum imaginaire des fleurs artificielles » laisse espérer quelque poésie. Celle-ci est présente, mais trop étirée en 176 pages, elle devient elle aussi trop discrète, parmi de douces couleurs au cours d’un tendre scénario.

lundi 8 mars 2021

Un cœur en hiver. Claude Sautet.

Avant dernier film datant de 1991 du réalisateur qui mit en valeur Romy Schneider et Patrick Dewaere dans d’autres étapes de sa carrière.
Sur des musiques de Ravel, un trio accompagne les énigmes d’un trio amoureux jouées avec délicatesse par Dussolier et Auteuil, avec passion par Emmanuelle Béart au sommet de sa beauté.
Subtils comme les réglages d’un violon, les jeux de l’amitié, les non-dits et les confidences réservent des surprises. Les spectateurs ont la liberté de juger au-delà des postures extraverties ou des pudeurs, ce qui relève de la sincérité ou du sacrifice. 
Amour, solitude : ces mystères toujours remis en scène restent d’actualité.
Les bons films se reconnaissent lorsqu’ils traversent le temps au-delà des formes depuis un autre siècle aux luthiers cravatés, aux brasseries enfumées jusqu’aux terrasses vides. 
Ces ambiances, de notre jeunesse, se rapprochent désormais de la catégorie « films en costumes », mais apprécier l’harmonie d’une musique, la justesse des dialogues, la précision d’un jeu, l’approche de la complexité de personnages, nous immunise de l’indifférence.   

dimanche 7 mars 2021

Tous les marins sont des chanteurs. François Morel.

J’ai tant aimé le chroniqueur du vendredi, et bien que je ne sois plus guère fidèle au poste, je gardais le chanteur en haute estime
alors je mes suis précipité sur ce CD d’autant plus qu’il s’agit de chants de marins susceptibles de me rappeler de bons moments de classe de mer.
A cette occasion, j’aimais bien jouer sur les mythologies bretonnes avec trésors engloutis, bateaux à voiles, forêts à druides et embruns. Alors pourquoi je n’ai pas adhéré au récit, repris dans les mêmes termes par les commentateurs, d’une découverte dans un vide-grenier d’un auteur oublié : Yves Marie Le Guilvinec, dreyfusard, marié à une métisse, mort en mer à trente ans en 1900, imbibé d’alcool ?
La veine parodique habillée en Kway, multipliant les clichés, se parfume à l’air de notre temps, la chanson « La Cancalaise » imitant « La Paimpolaise » de Botrel qui lui était antidreyfusard. 
« Elle est toujours ma Cancalaise
Celle que je croisais le soir
A la pointe des Roches noires
J’avais quinze ans peut être seize »
 L’hommage à la Bretagne sur des musiques poignantes de nostalgie, n’est pas si évident avec en première chanson « A l’Espérance », du nom d’un bistrot où matelot rime avec poivrot. 
Lavilliers participe au morceau « Tous les marins sont des chanteurs » 
«  Pour espérer un jour revoir
Toutes les filles de La Rochelle » 
« Le petit moussaillon » travaille sous les ordres d’un capitaine pourri et d’une andouille de chef d’escadre, lui est « mignon comme un chaton », heureusement le dernier couplet réserve une surprise.
Les valeurs des hommes de mer sont célébrées «  Quand un homme » tombe à la mer : 
« Tu lui donnes la main »
Les ports sont les lieux des départs : « Adieu Brest ».
Pourtant il n’est pas question d’aller à « La pêche à la morue »  
« Sans avoir courtisé Lulu. » 
La famille de « Fanche de Pontivy » a connu bien des malheurs avec l’alcool jouant encore son rôle mais aussi la météo incertaine comme il se doit :  
« On sait plus comment s’habiller ». 
Et même dans « Le ventre de la baleine » le solitaire qui n’avait  
« Comme maîtresse qu’une sirène au fond d’un verre »« épousé  une bouteille ».
Le duo « Mer et fils » est délectable, entre Juliette grandiloquente :
«  A terre tu peux trouver du taff
Paraît qu’ils embauchent chez Henaff »
et son fils séraphique :
« Maman
Moi j’aime les navires
Le vent
Qui souffle et qu’on respire » 
« La petite Edith » prend à contre-pied les images des femmes de marins attendant sur la digue, elle prend son pied :   
« Mais en attendant allez viens
Elle est si courte la vie » 
Avant la locale chorale finale « Kenavo Brest » 
le rappel qu’« Un jour il n’y aura plus un poisson » « Plus rien que le sel » aurait pu être nuancé, car la situation des réserves halieutiques est en voie d’être améliorée : 
« En dix ans, la part des poissons jugés « en bon état écologique » est passée de 18 % à 43 % et la proportion de poissons en situation de surpêche a fortement diminué, passant de 33 % à 23 % sur une décennie. »

 

samedi 6 mars 2021

Le pays des autres. Leïla Slimani.

Un marocain qui était dans l’armée française revient marié à une jeune alsacienne pour mettre en valeur la ferme de son père du côté de Meknès. Le titre exprime bien les difficultés, les contradictions de cette famille destinée à s’agrandir au début des années 50, veille de l’indépendance. 
«  N’avaient-ils pas une vraie existence, tous ceux qui travaillaient dans les champs de son père ? Ça ne comptait pas, cette façon qu’ils avaient de chanter, cette tendresse avec laquelle ils accueillaient Aïcha pour leur pique-nique à l’ombre des oliviers ? » 
A deux reprises, la fête de Noël, en des scènes marquantes, apparaît comme un moment de vérité.
La belle autrice, inspirée par l’histoire de ses grands-parents, fait évoluer ses personnages : la jeune mère a perdu de sa légèreté et le père de sa confiance. 
La limpidité de l’écriture ne donne jamais dans la caricature, sa ligne claire a déjà convenu à la bande dessinée. 
La tension monte au cours des 360 pages, sur fond d’une misère évoquée sans insistance à l’image de Mathilde préservée par son innocence, traversant des moments d’ennui et de solitude n’abandonnant pas. Pas de burn out sous le burnou.
Après des plaisirs lumineux exceptionnels au bord de l’océan, les flammes : 
« ...nos ennemis ou ceux qui devraient l’être, nous vivons avec eux depuis longtemps. Certains sont nos amis, nos voisins, notre famille. Ils ont grandi avec nous et quand je les regarde, je ne vois pas un ennemi à abattre, non je vois un enfant. »

vendredi 5 mars 2021

Déconstruire dit-elle.

Comment ne pas prendre un air sombre quand on constate que tant d’agriculteurs quittent leur territoire, quand ce n’est pas le monde tout court, en bout de corde ?
Pourtant il conviendrait d'esquisser un sourire quand des médias s’extasient devant ceux qu‘ils croisent, partant de la ville pour aller à l’herbe.
En déplorant semaine après semaine les pertes de considération de bien des métiers, je persiste dans le registre passéiste où hier on aurait payé pour devenir instit’, alors qu’aujourd’hui le discours dominant porte sur l’insuffisance des salaires des profs des écoles.
La perplexité à l’égard des scientifiques et la défiance envers toute connaissance forment la partie bruyante d’une société dont les savoir-faire de ses ingénieurs sont en voie de disparition, avec une relève pas très allante.
La sous-traitance a été la réponse aux corporations ne voulant plus se salir les mains à nettoyer les fonds de cuves nucléaires. Les employés de mairie de leur côté ne montant plus sur les escabeaux pour laver les vitres ont été remplacés par quelques précaires tout heureux. Qui met encore la main à la pâte quand des livreurs, pourvu qu’ils soient en vélo, font l’affaire ? Les bobos, dont je suis un spécimen lessivé, jugent de tout pour chacun et se rapprochent parfois de zozos inconséquents.
Les querelles dérisoires étouffent les grandes souffrances et les insistances à propos d’affaires subalternes supplantent les questions de fond.  D'ailleurs pour échapper aux redites de l'actualité et aux angoisses qui les accompagnent, je m'intéresse parfois davantage à la destinée d’Arkadiusz Milic qu’aux mérites de l’ARN.
Une main sur l’épaule d’une élève en pleurs de la part d’un prof compatissant peut agiter une communauté éducative, lorsqu’une des camarades de la collégienne y a vu un moyen de participer à une actualité scandaleuse, minimisant par là d’autres graves agressions.
L’insignifiant tient toute la place alors que « Pas-de-vague » submerge tous ceux se dispensant de lancer des alertes.
Mon antienne de la conscience professionnelle en voie de perdition gagne une strophe avec l’envahissement dans les colonnes des journaux du terme « déconstruction », aux airs plus ordonnés que « destruction », alors qu’il s’agit de la même énergie fourvoyée. Les rageux préfèrent salir les murs plutôt que les construire,  s’adosser au lieu d’oser, s’opposer plutôt que proposer. Les « toujours contre » vont participer à la remise en cause des belles intentions de cultiver l’esprit critique, voire contraindre à imposer des conditions à l’exercice de la liberté. Les délinquants ont beaucoup a œuvré pour l’industrie de la sécurité.
Je date l’apparition du mot « déconstruction » du  démontage du Macdo de Millau tout en ne sachant pas son étendue en philosophie. Mais à fréquenter surtout des journalistes  promoteurs de la mode « intersectionnelle » et autre «  inclusive » manière, je ne sais voir qu’une humanité qui après avoir exterminé des peuples à tire larigot, affectionne les lieux dévastés, et préfère dégager les acteurs que promouvoir des bâtisseurs. 
« Les châteaux en Espagne qui ne coûtent rien à construire sont ruineux à démolir.» Mauriac

jeudi 4 mars 2021

Ici pour aller ailleurs. Geoff Dyer.

« Humour anglais » : l’auteur contesterait ce lieu commun, lui qui s’applique à démentir les clichés depuis la Norvège et ses aurores boréales pas forcément au rendez-vous, jusqu’à la tombe de « Naopua A Puufaifiau, soldat : mort pour la France 1914-1918 » se révélant bien plus riche de sens que celle de Gauguin qu’il était venu voir à Tahiti.
Depuis qu’une de ses tantes lui avait envoyé des cartes postales de lieux prestigieux,  « l’escogriffe ­anglais », comme le surnomme Emmanuel Carrère, était partant pour voyager : 
« Tous ces paysages, je les avais entraperçus dans des westerns, mais le fait que quelqu’un que je connaissais y soit allé - ait prouvé qu’ils étaient réels - me fit prendre conscience pour la première fois qu’il existait un ailleurs : un ailleurs qui semblait le contraire de partout et de tout ce que je connaissais » 
La Cité Interdite est plus décevante pour lui que l’amie de sa guide, mais d’autres sites décrits d’une façon souvent primesautière comme « Le champ des orages » au Nouveau Mexique, ou « La jetée en spirale » dans l’Utah, lieux de land art, peuvent lui permettre de glisser des citations plus solennelles : 
«  Quand le grand empire romain n’a  plus été que ruines fumantes […] ceux dont l’âme était encore vivante se retirèrent et peu à peu construisirent des monastères, et ces monastères et ces couvents, ces petites communautés du courage et du travail paisible, isolées, dénuées de tout mais pour autant jamais défaites en un monde soumis à la dévastation, ces communautés furent seules à préserver l’esprit humain de la désagrégation, de la noirceur de ces temps obscurs. D.H. Lawrence » 
Son regard décalé est révélateur, et original comme celui du « photographe retardataire », Antoine Wilson « prenant en photo divers endroits où les stars de cinéma se sont assises, sont restées un moment ou sont passées quelques minutes après qu’elles aient quitté les lieux. » 
Ce recueil d’articles de 200 pages est agréable à lire : que ce soit le récit de ses déboires de santé, sa vie à Los Angeles bien que ses pèlerinages soient souvent décevants, et même la rencontre avec un auto-stoppeur où il ne se montre pas à son avantage. Sa sincérité permettra le pardon.
 Les photographies sont de Martin Parr.