mercredi 30 septembre 2020

Queyras. Pierre Witt. Marianne Boilève.

Ces 144 pages composent bien plus qu’un joli livre de syndicat d’initiative, car le texte n’est pas qu’un accompagnement aux photos en noir et blanc, mais une occasion de réfléchir au progrès, à la tradition.
Le propos n’est pas nostalgique et si la sympathie envers les habitants de haute montagne est évidente, les contradictions sont évoquées, l’entre soi pointé.
Une écriture poétique anime les pierres polies des étables jusqu’aux roches inaccessibles. 
«  Le Queyras, une île frangée d’immenses vagues pétrifiées, infinies… Assauts successifs, écume de neige, obliques de pierre, lancés en tous sens par un vent nerveux. » 
La métaphore de l’île est particulièrement efficace et l’évolution des hommes vis-à-vis de la nature finement exprimée : 
«  … d’alliée nourricière, la nature a été promue attraction de choix dans un cirque de montagnes à la magnificence estampillée. »« Maintenant les forêts peuvent manger le bas des terres arables, le loup peut revenir : les visiteurs apprécient. Les paysans moins, mais qu’importe, il y a en a si peu. »
La couverture un peu terne n’est pas significative des portraits photographiques dynamiques ni des paysages d’ombres noires et de lumière blanche forts, beaux. 
« Et comme on fredonne un refrain réveillé de l’enfance, ils caressent avec nostalgie ces « sept mois d’hiver, cinq mois d’enfer », label livresque accordé au temps passé. »

 

 

mardi 29 septembre 2020

Michel et le grand schisme. Pierre Maurel.

« Tous ces flics et ceux qui les soutiennent, qu’ils soient politiques ou de simples citoyens, qui soutiennent cette violence gratuite, ils ont cassé la mayonnaise. Définitivement. Ils ont déclenché une sécession invisible. »
 
La quatrième de couverture annonce lourdement la couleur : jaune comme les gilets, avec en face parmi les citoyens cités dont je suis, ceux qui ne voient pas seulement la violence policière. 
Pourtant les 80 planchettes aux petits dessins vite expédiés ne sont pas aussi irrévocablement manichéennes.
Michel, qui traine son micro dans les manifs, tient des propos radicaux mais sa naïveté, ses rondeurs et ses maladresses le rendent émouvant. Obligé de faire des petits boulots pour subsister, il doit subir bien des humiliations comme sa copine qui travaille dans la grande distribution. 
A l’imitation de quelques manifestants qu’il avait rencontrés, il va quitter la ville pour vivre à la campagne, pas trop loin quand même d’un restaurant à couscous, d’un marchand de pizzas et des amis. Mais comment a-t-il financé cette maison de rêve à une heure de la capitale ?
Le chroniqueur, un verre à la main, voit les trottinettes accumulées, les Smartphones multipliés, les SDF entassés au pied des grandes affiches des grands magasins où les pères Noël font peur aux enfants. 
Il est édité par «  L’employé du moi ».
Je préférais « Monsieur Jean », le bobo, plus léger, avant que les barrières de toutes tailles et de tous périmètres se dressent :

 

lundi 28 septembre 2020

Dans un jardin qu’on dirait éternel. Tatsushi Ômori.

Avec ce film, l’art de préparer le thé révèle les secrets d’une sagesse permettant d’enrichir une condition humaine exigeante et bienveillante.
Le moindre geste doit être élégant. A force d’être réfléchi il permet à l’âme d’être attentive au monde, aux saisons, à la pluie, aux saveurs, au silence, aux autres.
« Chaque  jour est un bon jour ».  
Un bol pour l’année du chien ne servira que tous les 12 ans.
La maîtresse du thé est l’actrice des « Délices de Tokyo » 
Tant de simplicité permet d’accéder à la complexité en prenant la mesure du temps.
Délicatesse, méditation, attention, poésie, beauté, bonté, respect, sérénité, répétition.
Le titre dit bien : « qu’on dirait éternel », on voit le jardin par les portes coulissantes à franchir en faisant attention. La nature dicte le récit et les femmes mettent de la grâce dans chaque mouvement. « Oui ».  
On en oublie les clameurs du présent et cette œuvre conçue avec l’amour du travail bien fait, en accord avec son sujet, se déguste comme les gâteaux originaux qui se prennent avant la boisson attentivement préparée, accordée aux  circonstances.
Les traditions les plus codées permettent à une jeune fille de ce siècle, de surmonter les obstacles en évitant de tomber dans une zénitude niaise, pour devenir maître de sa vie.

dimanche 27 septembre 2020

Juliette Gréco.

Les mots de Mauriac, exhumés au moment de la disparition de celle qui mis en valeur tant de grands auteurs, rendent bien fade toute autre appréciation :
« Gréco, ce beau poisson maigre et noir, n’a pas besoin de sauce pour passer. Gréco fournit elle-même les câpres ! Noire et blanche, c’est la reine de la nuit. Son personnage est composé avec une science qui ne doit rien au hasard. Qu’elle est belle ! Et peut-être était-elle laide au départ. C’est une statue d’ivoire et de jais. Même les pommettes, on dirait qu’elle les a elle-même modelées. Beaucoup de chanteuses sont interchangeables. Gréco est le chef-d’œuvre unique de Gréco. Elle ne sera jamais prise pour une autre et aucune ne pourra jamais l’imiter. »
Et moi qui croyais qu’on ne voyait que Sartre dans les caves de Saint-Germain-des-Prés, je goûte l’ironie de la conclusion de l’article du « Monde » extrait du Bloc Notes de celui qui fut un pilier du « Figaro ».
Dans notre mémoire, le Saint-Germain-des-Prés d’antan est plus présent que l’actuel et si j’ai connu davantage de prés à vaches que La Rhumerie et autre Magot, j’ai plus de tendresses pour le pont des Arts que pour celui de Catane. La réalité virtuelle avec ses apprêts a bien des attraits, même si comme disait Béart: « Il n’y a plus d’après… ».
Ce quartier chic du 6° arrondissement nous appartient comme Versailles ou « la grande route de Marchiennes à Montsou » * mais je ne sais dire à la manière d’une jeune chroniqueuse télé: « La » Gréco, comme si  elle était une familière de l’artiste et de cette époque. J’avais trouvé ce bref hommage entre deux brèves enjouées aussi prévisible que les RIP (Requiescat In Pace) expéditifs des réseaux sociaux.
La « dame en noir » - il y en avait d’autres- Piaf et Barbara, était suffisamment appliquée, jusqu’à en apparaître mécanique à la manière d’un Montand toujours très professionnel.
Mais l’insistance sur le trac qui l’accompagnait à tout coup parle plus de notre époque burnoutée que de l’angoisse qui accompagne naturellement ceux qui veulent satisfaire leur public, soucieux simplement de bien faire leur boulot.  
Sa liaison avec Miles Davis a été plus commentée que la pérennité d’autres relations, entrant dans les thématiques à la mode, alors qu’elle avait, elle, dérogé courageusement aux usages d’alors. 
On a moins parlé de l’hôtel Lutécia où l'interprète de "Sous le ciel de Paris" donnait ses rendez-vous depuis qu'elle avait retrouvé, là, sa mère et sa sœur après leur libération du camp de Ravensbrück.
Les retours vers le passé n’échappent pas aux effets de l’actualité, aux manières actuelles, aux évolutions de nos sensibilités. 
Si dans ma jeunesse, «  J’arrive »  de Brel ne me plaisait guère, alors que j’adulais le fort en gueule, le rappel que Gréco la chanta, rendent ces paroles adaptées aux circonstances. 
« De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Nos amitiés sont en partance
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
La mort potence nos dulcinées
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les autres fleurs font ce qu'elles peuvent
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les hommes pleurent, les femmes pleuvent
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois traîner mes os
Jusqu'au soleil jusqu'à l'été
Jusqu'au printemps, jusqu'à demain
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois voir si le fleuve
Est encore fleuve, voir si le port
Est encore port, m'y voir encore
J'arrive, j'arrive
Mais pourquoi moi, pourquoi maintenant
Pourquoi déjà et où aller?
J'arrive bien sûr, j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver?
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
A chaque fois plus solitaire
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
A chaque fois surnuméraire
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois prendre un amour
Comme on prend le train pour plus être seul
Pour être ailleurs pour être bien
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois remplir d'étoiles
Un corps qui tremble et tomber mort
Brûlé d'amour le cœur en cendres
J'arrive, j'arrive
C'est même pas toi qui es en avance
C'est déjà moi qui suis en retard
J'arrive, bien sûr j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver? »
………………..
 * au début de Germinal : « Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres. »

 

samedi 26 septembre 2020

Anne-Marie la Beauté. Yasmina Reza.

La vieille actrice qui se confie pendant 88 pages a de la gouaille et celle qui la met en scène a toujours la même efficacité 
« …et je me suis mise à pleurer à cause de l’orgue qui te flanque le bourdon, on n’y peut rien, j’ai revu la loge et la clope, et les cheveux, les lettres d’amoureux, la Kikine sur le sofa à fleurs qui était devenue l’autre raidasse avec sa jupe-culotte. » 
Pourtant elle n’est pas du genre à s’apitoyer, quand elle résume ainsi une vie :
«  Tu fais la bédouine et quand tu es veuve tu finis dans un cagibi avec un réchaud et tes breloques empilées » 
Ce monologue est un recueil d’observations banales dont l’humour rehausse la finesse:
« Je ne supportais pas de la voir faire ça et je fais pareil. Il parait que c’est courant. » 
« Moins de bagnoles, moins de laque à cheveux. Quand l’homme s’extermine, la nature va mieux »

vendredi 25 septembre 2020

Le genre : s’enrager ou s’arranger ?

Pour avancer en des eaux quelque peu agitées du « genre », je livre sans vergogne quelques éléments biographiques pour m’autoriser à écrire : élevé dans les années où le mot « sauvagine » était inclus dans « l’éducation sentimentale » de Le Forestier, l’éducation de mes enfants fut paparitaire ; grand papa, j’assure toujours aux casseroles et à l’aspirateur.
Je modère bien volontiers ma position de jadis, concernant les cours  de récré « non-genrées » censées remettre en cause la domination masculine en témoignant, oublieux journalistes, que la réflexion est entamée depuis un moment 
Puisque l’influence des caïds des bacs à sable a besoin d’être contenue, la question de l’espace dévolu à chacun mérite d’être posée, le football au féminin ne semblant pas forcément une activité pour toutes.
Mâle parmi les maîtresses, j’appréciais, dans le rituel des parties que disputaient les petits frères de Zizou, une occasion de valorisation de quelques bancals du calcul mental.Y aura-t-il de la place pour les imitateurs de Mbappé, avec cages et filets et pas forcément des parcours fléchés?
Personne ne verra d’inconvénients à davantage de jardins, plus d’ombre et des sentiers pour les amis.
Et pourquoi pas des coins tranquilles, puisqu’à côté des principes de précaution paralysants, l’autonomie reprendrait vraisemblablement du poil de la bête. 
Au-delà d’une végétalisation forcément cosmétique dans des lieux encastrés dans le béton, quand le goudron aura sauté, prévoir des chaussons pour le retour en classe où comme à la mosquée on pénètrera dans le temple du savoir en laissant la poussière dehors.
Les garçons ont plus de mal que leurs sœurs dans leur scolarité, les images masculines se faisant rares dans les familles monoparentales et dans les écoles où une pincée d’hommes pourrait équilibrer les effectifs des personnels d’encadrement : vive l’école paternelle !
Si quelques traces libertaires subsistent dans mes appréciations ci-dessus, en ce qui concerne les « crops tops » ci-dessous, je ne vois aucun inconvénient à ce que la décence soit la règle dans les établissements scolaires.
Je peux aimer la saison des robes légères et comprendre l’interdiction de tenues distrayantes à l’école, autant pour celles qui les portent que pour ceux qui sont portés à les voir.
Il doit y avoir une place pour une décence élégante loin du voile, miroir d’une érotisation de tous les instants avec une tenue, on dit tenue, différente pour assister à un cours de grammaire ou à une rave party.
Des féministes demandent aux hommes de changer de regard vis-à-vis d’elles.
Pour avoir trop souvent minimisé la responsabilité des violeurs face à leur victime, faut-il imaginer de demander aux passants de ne plus voir les filles, voire les considérer par exemple comme de quelconques chèvres, quitte à être démenti par quelque légionnaire ?
Que deviendront les printemps si un jeune homme mime l’indifférence aux suggestions de l’une ou de l’un découvrant leur « lune » ? L’expression désuète est plus seyante que «  montrer son cul » et vise à insister qu’il ne suffit pas de se nourrir pour vivre, mais entre affranchi(e)s il s'agit de cultiver le plaisir, le désir, même si ce fond de gastronomie d’antan parait réchauffé.
Quand un ministre parle de  « tenues normales » certains font les étonnés. Ceux là ont du mal avec les  des propositions subordonnées dans une définition, arrêtant celle de la liberté à : faire ce que je veux…et ferme ta gueule ! Les louches de goudron se multiplient dans la marmite des réseaux sociaux où les simplistes agressifs s’agglutinent aux menteurs croyant en leurs mensonges
Et la liste des postures inquiétantes s’allonge avec le « woke » jouant du racisme anti-blancs, avec « safe spaces » pour communautés sourdes à d’autres opinions que les leurs. Et gare à la « cancel culture » mettant à l’index les impudents qui auraient pu «  s’approprier » une autre culture que la leur.
D’accord une hollandaise en dreadlocks c’est pas terrible, mais pourquoi faut-il être Palestinien pour avoir le droit de porter un keffieh ? 
Un sourire conviendrait mieux qu’une colère, pourtant tant d’aveuglement venu des campus américains nourrit Trump et fait froid dans le dos.
Allez, tout n’est pas perdu, avec une réflexion bien de chez nous :« Que Charlie Hebdo continue d'écrire, de dessiner, d'user de son art et surtout de vivre […] Dans notre pays, seule la loi fixe les limites. » Hafiz Chems-eddine Recteur de la Grande Mosquée de Paris.

jeudi 24 septembre 2020

L’art du sport. Centre du graphisme Echirolles.

L’exposition à Echirolles jusqu’au 31 décembre dément l’à priori d’un journaliste présentant l’évènement :« le sport et l’art ne sont pas forcément des domaines que l’on associerait ».
Quelques mots de Nicolas de Staël adressés à René Char permettent la contradiction que ses toiles ont porté à l’incandescence :« Entre ciel et terre sur l'herbe rouge ou bleue, une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance.
Quelle joie ! René, quelle joie ! Alors j'ai mis en chantier toute l'équipe de France, de Suède et cela commence à se mouvoir un temps soit peu, si je trouvais un local grand comme la rue Gauchet, je mettrai 200 petits tableaux en route pour que la couleur sonne comme les affiches sur la nationale au départ de Paris... »
A l’heure des installations, des performances, il n’est pas besoin de remonter au discobole de Myron pour faire valoir la beauté des corps.
Quelques pas dans le sous-bois s’inscrivent dans le Land Art alors qu’une volte de Maradona a valu bien plus qu’un pas de deux à l’Opéra.
Mais celui que j’aurais volontiers renvoyé à la rubrique des petites annonces balançait son propos en reconnaissant les liens qu’entretiennent terrain de jeux et galeries.
Une salle réservée au Mondial de 82 en Espagne met côte à côte Miro et Tàpies et je choisirai Antonio Saura pour illustrer le paragraphe puisque sa noirceur était prémonitoire d’un drame: Séville est le lieu où Battiston fut agressé par Schumacher.

Les tragédies sont en jeu comme au théâtre, mais l’ironie de Phil Galloway pastichant les tableaux du ténébreux Caravage souligne l’humour peut être plus souvent présent dans les tribunes
que sous les cimaises où l’esprit de sérieux
des professionnels de la critique étouffe bien souvent les amateurs de nouveauté.
La puissance du foot redonne de la joie à des joueurs de Sierra Léone qui ont été 10 000 à être amputés durant la guerre civile qui débuta en 1991 et dura 10 ans.
Les collages d’un graphiste mexicain associant des demi-dieux du ballon rond avec les icônes de l’art sont peut être faciles mais elles sont efficaces et vraiment dans le thème.
J’ai appris à l’occasion de la mise en valeur de la revue « Desport » à la typographie soignée  que celle-ci avait cessé de paraître, alors qu’« Entorse » consacrée au basket se lance. 
http://blog-de-guy.blogspot.com/2013/05/desports-numero-1.html
J’essaye de réserver mes partis pris au royaume des manchots en appréciant davantage l’élégance de l’identité visuelle de la Juventus de Turin que le logo du PSG.
« La petite reine » est présente avec un hommage à Raymond Poulidor et au Tour de France.
Les jeux olympiques d’hiver donnent l’occasion de réviser une part de l’histoire de l’art.
A l’occasion du tournoi de Roland Garros, les champions de l’affiche se succèdent : Aleschinski, Adami, Follon, Arman… Ernest Pignon Ernest me séduit plus facilement au fusain qu’en couleurs, pourtant une main qui met en jeu ouvre vers tous les possibles : «  la lutte contre la pesanteur et le dépassement de soi. »  Je saisis plutôt la balle au bond de l’énergique Fabienne Verdier.