samedi 30 mai 2020

L’effet papillon. Jussi Adler Olsen.

Je récidive dans le polar avec délices. Il était temps.
Celui là est Danois mais commence au Cameroun et met en action, un clan de gitans qui ne le sont pas vraiment, un trio de flics poussifs quoique pittoresques, des enfants soldats impitoyables, des habitués des paradis fiscaux… Et flambent bateau et maison.
 « Ce garçon était le battement d’aile du papillon en Amérique du sud qui pouvait provoquer une tornade au Japon. Il était celui qui renverse le premier domino et provoque la chute de tous les autres. »
730 pages avec ce qu’il faut d’allusion aux problèmes contemporains, une trame dramatique bien menée où quelques coupables sont connus d’avance, mais pas tous, et de l’humour :
« celui qui pique le cul d’un dromadaire doit accepter de prendre un coup de sabot dans les couilles. C’est la loi. » Les métaphores chamelières ne manquent pas.
Quelques séquences de traque sont vraiment angoissantes, car au départ ce fut un vrai carnage chez les personnages qui nous sont présentés, avant de devenir quelque peu répétitives.
« Quand Rose déboula au sous-sol, son visage était écrevisse. Avec son maquillage charbonneux, ses cheveux noirs hirsutes et son foulard jaune, la ressemblance avec un drapeau allemand en plein vent était saisissante. »
La virtuosité du narrateur l’entraine à prêter son regard décapant à chacun de ses personnages, ce qui leur enlève de leur singularité tout en permettant une lecture agréable qui va au-delà des coups de pelle, cet accessoire polyvalent se montrant très utile.
« La dernière descente de police avait fait un peu de ménage, mais comme chacun sait, les mauvaises herbes poussent deux fois mieux quand on vient de nettoyer les plates-bandes. »

vendredi 29 mai 2020

Mon vieux.

Depuis sa naissance, je dis « ma grande » à ma petite fille et chaque jour offre l’occasion de m’émerveiller de cette vie qui pousse. Dans la ronde des adjectifs, je m’amusais aussi lorsque je disais sans y penser «  ma vieille » à une copine et qu’elle s’en offusquait. Je croyais prolonger encore longtemps cette familière indifférence envers le temps qui passe, quand un virus couronné est venu plomber l’atmosphère en surlignant le fait que la vieillesse conduisait à la mort : quelle nouvelle !
Dans l’échéancier des risques, une place nous est assignée qu’aucune distanciation ne pourrait abolir. Mes jeunes voisins plus insouciants des barrières, moins nés confits, accusent mon âge.
J’ai beau rire à répéter cette scénette vécue devant une supérette, je crains d’avoir été dans le même panier que la vieille. Une espèce de Tatie Danielle qui n’arrivait pas à se dépêtrer de son Caddie, rembarra la dame venue obligeamment l’aider : «  je vous ai rien demandé ! » 
Et quand elle se mit à poursuivre ses rouspétances dans la file d’attente à l’extérieur, un monsieur amusé a recueilli quelques sourires complices, quoique sous cape, lorsqu’il remarquait : « madame vous pourriez au moins être polie, c’est pour les gens de votre âge que l’on prend toutes ces précautions ».
C’est vrai : je suis de ces personnes à risques et pas toujours commode de surcroit.  Essayant de me désengluer du sentimentalisme qui envahit les antennes, me prend l’envie de raccourcir : nous avons mis mémé loin de chez nous, nous prendrons la suite. Qui alimente les EHPAD sur lesquels on se lamente ?
Dans la période, des bébés aux pépés qui ne savent plus compter après septante, tout le monde a eu le temps de calculer, de s’ennuyer, voire de se reposer.     
Dans les catégories sportives on était sénior à 19 ans et depuis belle lurette  j’ai doublé le cap des vétérans qui fut à 35 ans. Les dénominations concernant l’âge m’indiffèrent et je mets dans le même sac à hystéries les palinodies à cet égard et les pétages de plomb lors d’un confinement qui se passa essentiellement sur canapé loin du Chemin des Dames. Si je fais le mariole à ce sujet c'est que  le cacochyme n'est pas complètement valétudinaire.
Pivot et Comte Sponville ont beau bougonner ou faire les beaux, refusant le terme «  vieux »  ou le valorisant, ils font du feston autour du napperon qui supporte la « vanité », comme on disait du crâne figurant sur des « natures mortes » (« still life » en anglais).
Rares sont aujourd’hui les ancêtres à vivre sous le même toit que leurs petits enfants. Au XIX° siècle, cachés dans l’âtre, ils aidaient la maîtresse de maison à équeuter les haricots. Les deux parents ne reviennent plus à midi, l’école garde les petits, et les EHPAD les impétrants de « l’âge d’or ». L’asile où l’on meurt n’est pas forcément indigne à l’écart des actifs ardents, des laborieux affairés, la vie dure. 
Pour l’heure : cédant à la facilité on peut dire que ça a fait Boum chez les boomers et les masques tombés ont laissé des marques. Les contraintes budgétaires se sont desserrées, des prisonniers ont été élargis, et même pas un merci. Chaque jour qui passe, des oubliés de l’open bar budgétaire se signalent : les restaurateurs corses après les restaurateurs, les écrivains et les professionnelles du foot, et dans les lucarnes : les porteurs sains et les faux négatifs, les asymptomatiques et les râleurs automatiques… Les inspecteurs des travaux finis, les faut qu’on, tous ceux qui ne risquaient pas leur peau ne mettent pas de gants pour taper sur ceux qui ont pris leurs responsabilités.   
Si l’on n’a pas vu tant que ça d’écoles en détresse, c’est que le passage du présentiel à la présence ne s’est pas mal passé, alors personne n’en parle. 500 milliards lâchés par l’Europe avaient fait 19 secondes au JT, depuis c’est 750, mais une amende abusive à Trifouilli a occupé des millions de gazouilleurs. Et toujours les jamais contents ont priorité au crachoir contre un système qui a payé 35 millions de français pendant deux mois. Nous sommes empêchés de voir les inégalités, les plus criantes, mais qui ne sont pas celles qui gueulent le plus : le cheminot n’est plus le chemineau.
« Comme le disait un vieux fakir de mes amis : place au jeûne. » Frédéric Dard 
...................
Le dessin d'un cubain est pris dans "Courrier international"
Le tableau à la fondation Calderara à Vacciago 
.................
Bonus: Le film d'animation de mes petits enfants réalisé avec leur papa pendant le confinement: https://youtu.be/gQO8ljNJYjE


jeudi 28 mai 2020

Lacs italiens 2019 # 15 : Orta. Miasimo. Ameno

Pas de précipitation ce matin, nous avons prévu d’aller à pied à la fondation Calderara tout à côté de notre Airbnb. Mais contrairement à ce qui est affiché sur la porte, nous apprenons via une communication au téléphone que le musée n’ouvre ses portes que l’après-midi.
Nous modifions donc notre programme et consacrons la fin de matinée  à quelques emplettes pour les amis à Orta.   
Nous apprécions toujours autant la vielle ville aux toits de lauze et ses rues pavées, ses fresques passées, il ne manque que le soleil. 
Par amusement nous vérifions la présence du boulanger dans son magasin, qu’il avait déserté le laissant grand ouvert dimanche dernier.
Nous remontons vers l’église, attirés par une exposition de peintures sans grand intérêt si ce n’est  la possibilité de pénétrer dans le Palazzo Penotti Ubertini : nous pouvons y admirer les belles pièces en enfilade aux couleurs pastels, leurs planchers constitués de carrés d’une jolie teinte miel/rouge, et les plafonds à caissons peints dans un état de conservation variable.
Les fenêtres,  grandes, laissent bien pénétrer la lumière  pourtant chiche aujourd’hui, et donnent sur la rue, en vis-à-vis  d’autres belles demeures anciennes.
Nous regagnons la voiture  utile pour rejoindre le restaurant  « La genzianella » recommandé par Lucas. (via per Armeno 10 28010 Miasino).
C’est une albergo en plein champ fréquentée par des travailleurs. La serveuse nous installe à une table ronde recouverte d’une nappe blanche assortie aux serviettes en tissu. Au menu  nous avons droit à des ravioli avec de la truite, du poisson pané aux haricots verts ou du poulet aux pommes de terre au four. D. se laisse séduire par la tarte Tatin à la pêche et boule de glace. Avec les boissons eau minérale et un ½ litre de vin rouge, le café,  nous nous en sortons pour 60 € tout compris et pour quatre. Le personnel est agréable, quant à la patronne, elle entame une petite discussion bon enfant.
Il est encore un peu trop tôt pour la fondation Calderara ouvrant à 15 h. En tapotant sur mon smartphone, je tombe sur la photo du Palazzo Nigra,  commune de Miasino. Pourquoi pas ? Le GPS nous dirige vers une petite place à l’arrière du palais, dotée de trois ou quatre places de stationnement et d’où l’on peut voir :
- une petite église assez modeste à l’intérieur en comparaison à toutes celles visitées logeant une petite tribune de bois peint adorable au-dessus de la porte d’entrée
- un coiffeur exposant d’antiques fauteuils, blaireaux, fer à friser, sèche- cheveux  qui voisinent avec des livres à vendre
- et le dos du palais Nigra
Nous déambulons, faisons le tour des  hauts murs du palazzo  qui  ne possède qu’une lourde porte fermée côté place. Nous finissons par trouver son entrée  par le parc aujourd’hui municipal, c’est un monument accolé à un restaurant assez discret. Nous sommes seuls face à ce bâtiment du XVI°  fait de deux corps en angle couvert de fresques, de balcons en fer forgé et comprenant une loggia à colonnes dont les voûtes se remarquent par la couleur bleue, inexistante sur la façade. L’intérieur ne se visite pas et par les fenêtres, aucune richesse  décoration ou meuble particuliers n’apparaissent.
A côté, un 2ème palais aux façades moins riches sert de Municipio et aurait bien besoin d’entretien  voire de restauration. De même dans le quartier, beaucoup de belles vieilles portes  dissimulent d’ancestrales demeures au regard des passants.
Nous montons vers la cathédrale San Rocco écrasante et surdimensionnée,  affichant une façade XVII° sans surprise. Elle est fermée. Un vieil homme nous aborde  en français et nous renseigne sur la ville autrefois moins boisée aux alentours car très exploitée avec les cultures de maïs, seigle, pommes de terre. Il nous désigne un bâtiment qui s’effondre et nous raconte son histoire : cet ancien séminaire qu’il a connu en tant que tel petit garçon, procurait de l’instruction à quelques  quatre-vingt-dix élèves parmi lesquels seulement trois ou quatre finissaient prêtres ; puis le séminaire devint maison de retraite avant d’être revendu à une entreprise qui ne parvint jamais à transformer l’édifice pour des raisons de protection du patrimoine. Résultat, la maison s’effondre.  Le vieil homme de 86 ans  parle des jeunes de son époque  partis travailler dans l’hôtellerie en Angleterre ou à Genève. Mais aujourd’hui l’usine de robinetterie donne de l’emploi, il n’est plus nécessaire de s’exiler. Il connait Grenoble où vivent des cousins qui ont réussi dans la lunetterie et ont pignon sur rue, la famille Tassera vous connaissez ?
Pendant notre discussion, des ados encadrés par des adultes se défoncent sur un parcours athlétique, bicyclette à l’épaule dans la montée de San Rocco en escalier.
Nous reprenons puis déposons la voiture et J. via Bardelli derrière le portail automatique qui fonctionne à peu près. L’entrée de la fondation Calderara, implantée dans une maison traditionnelle,  n’incite guère à pénétrer à l’intérieur et à franchir  la grille fermée qui sonne dès qu’on la pousse. Nous poursuivons le chemin dans un couloir sombre,  nous  montons l’escalier et  débouchons dans la cour /jardin. Là enfin,  un homme nous apostrophe. Il  nous donne les renseignements nécessaires à la visite gratuite bien qu’un don soit le bienvenu. Il nous montre les interrupteurs pour que nous allumions et éteignons nous-mêmes  la lumière au fur et à mesure de notre progression dans les différentes pièces.
La façade de la maison donnant sur la cour/jardin  présente  trois galeries couvertes  superposées badigeonnées de blanc et le patio recueille quelques sculptures.
Nous apprécions  tous les trois les peintures de la 1ère époque de Calderara, simples et figuratives.  Des œuvres d’artistes de renom couvrent les murs de petites pièces modestes ainsi on peut y voir du Fontana, un Vasarely, quelques Delaunay, des avant-gardistes des années 50/60, du style abstrait géométrique ou de l’art cinétique ;  les quelques sculptures ne soulèvent pas notre enthousiasme. Seuls dans la maison, nous manipulons les interrupteurs comme demandé, comme chez nous.
Il n’est que 17h lorsque nous sortons. Nous récupérons J. et la voiture pour une petite virée en voisins à Ameno. Le parc néogothique doit son nom au trompe l’œil d’une cathédrale reproduite sur les murs de l’enceinte et au bâtiment reposant sur des voûtes moyenâgeuses.
Plus loin la villa Pastori ne semble plus exister, du moins nous ne la trouvons  pas une fois passée la lourde grille ouverte menant à d’autres habitations certaines anciennes avec jardins et serres derrière des hauts murs, d’autres plus récentes et courantes. Nous aurons au moins profité  d’une petite promenade dans un cadre tranquille.
Il est temps de rentrer, de nous soucier du repas, de nos bagages et de notre retour  de demain.


mercredi 27 mai 2020

6 mois. N°19. Printemps / été 2020.

Cette fois  je suis dans les temps pour faire part d'une parution toute fraîche sortie du confinement http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/05/6-mois-n18-automne-hiver-1920.html
mais rien sur la Covid : c’est que le volume de plus de 300 pages de photographies paraissant deux fois par an privilégie les reportages au long cours.
L’actualité la plus brûlante est pourtant là avec un dossier Brésil accablant,
- chez les éleveurs de bovins (essentiellement des zébus) du Mato Grosso haut lieu des BBB (Bible, Balles, Bœuf),
- dans la forêt qui brûle avec les indigènes,
- ou dans un squat à Sao Paulo où vivent 400 personnes depuis 2012.
Quand un évènement comme le Brexit est traité par un photographe qui a l’espace pour préciser sa démarche, ce sujet intime devient universel. Et les images prises lors d’un mariage à Haïti quand tout le monde s’est fait beau n’évacuent pas les représentations de catastrophe liées à cette île mais font croire à la vitalité d’un peuple.
Le travail mené par des moines pour retrouver des manuscrits bibliques et conserver des documents millénaires est aussi digne de respect que ceux qui accompagnent les sept enfants d’une famille afghane, estropiés. La guerre en Tchétchénie c’était en 1995.
Chez les Ouigours le pouvoir chinois cartographie chaque visage,
à Sun City en Arizona, l’ainée des pompoms girls a 82 ans et il n’y a pas d’enfants dans cette banlieue de Phoenix en Arizona.
Pour alerter sur la submersion prochaine des Maldives les habitants apparaissent sur fond d’images sous marines et si les pages consacrées aux instantanés sont toujours aussi attractives, un retour sur l’impuissance des soignants au Congo alors que le virus Ebola revient pour la dixième fois, relativise bien des contrariétés occidentales.
AOC sera-t-elle le prochain JFK ? Alexandria Ocasio Cortez n’a pas 35 ans, minimum requis pour se présenter à la présidentielle aux Etats-Unis, mais à parcourir sa photobiographie qui met en valeur un parcours incroyable, tous les espoirs pour ce soutien de Sanders sont permis.
Bien qu’elle ait passé sa vie « hors cadre », un photographe chinois, déjà remarqué à Arles, redonne toute sa place à sa nounou qui n’était pas du genre commode :
« Un jour j’ai remplacé sa commode qui était cassée. Le lendemain elle l’a rapportée au magasin et m’a rendu l’argent. »
http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/09/rencontres-photographiques-darles-2019.html

mardi 26 mai 2020

6 mois. N°18. Automne / Hiver 19/20.

Que montrer de notre monde? Le semestre de retard en regard de sa parution pour causer de cette revue intemporelle de photographies et complètement dans l’époque ne compte pas.  
Le titre en couverture plus que jamais d’actualité donne le ton juste : « Avec nous le déluge » avant 300 pages de photographies où s’oublient les cadrages esthétiques et les couleurs chatoyantes.
L’heure est à la gravité, sans en rajouter dans le catastrophisme, tout en montrant des solutions, des adaptations.
Le tourisme qui persiste autour d’une Mer Morte rétrécissant sans cesse est absurde,
alors que La Louisiane disparaît sous les eaux.
En Ecosse, une communauté a rendu une île autosuffisante.
Aux Pays Bas, les cultures sous serres et sans terre sont-elles des réponses pertinentes pour nourrir le monde ?
La variété des photographes est riche:
- quand l’un parvient à donner son point de vue depuis la Corée du Nord où les accompagnateurs sont plutôt dirigistes,
- et qu’un autre livre de forts portraits de travailleurs à proximité de chez lui,
- ou que des photos de famille d’un tonton fantaisiste nous accrochent.
Les scènes de contes composées par Daphne Rocou sont d’une grande poésie.
«  Le ciel est une métaphore du savoir. Connaître le nom des étoiles ne sert à rien, dans la vie… Et c’est cela qui est beau. »
- Des reportages nous emmènent en Syrie à la suite d’un grand-père suédois parti rechercher ses petits enfants nés en zone Islamiste,
- ou en Colombie avec des mamans des FARC qui ont déposé les armes. 
- Pour mémoire, les chinois, pendant la Grande guerre  furent  qualifiés d’« éboueurs de guerre ».
- La photobiographie est consacrée à Imran Khan joueur de cricket devenu premier ministre du Pakistan.
« Quand nous lisons une histoire, nous l’habitons. Les couvertures d’un livre sont comme un toit et quatre murs. Ce qui va suivre va se produire entre les quatre murs de l’histoire. »
John Berger.

lundi 25 mai 2020

Films du patrimoine.

L'Homme qui en savait trop. Alfred Hitchcock.
Cette deuxième version de 1954 d’un film déjà sorti en 1934, accuse son âge. Doris Day surjoue, James Stewart est hors sol, les motifs qui pourraient justifier les actions de ce film d’espionnage en carton sont absents, et bien des péripéties incohérentes. Les touristes américains et particulièrement le gamin en visite au Maroc sont insupportables. Dès le générique, on a compris qu’un coup de cymbales sera décisif; je ne suis pas allé jusqu’au bout, tant d’artificialité m’a assommé.  
Plein soleil. René Clément.
Film des années 60 dans lequel Marie Laforêt  restera décidément dans notre souvenir  comme une chanteuse plutôt que comme actrice, disparaissant entre Delon dont tous les critiques disent qu’il a éclaté avec ce rôle et Ronet.
Les turpitudes des protagonistes qui jouent sans compter avec les liasses de billets se feuillettent comme un magazine au papier glacé sans nous émouvoir, même si quelques scènes sont angoissantes. L’arrogance des beaux mâles manque d’ambigüité et la belle Italie des cartes postales nous invite à nous mettre à l’ombre : on voit plus de bleu que de noir dans cette histoire qui devrait être terrible mais qui reste au large.
Scènes de la vie conjugale. Ingmar Bergman.
Datant du début des années 70, le film n’a pas pris une ride alors que les interrogations sur la vie de couple s’inscrivent pleinement dans les préoccupations de cette époque. La dimension du temps est explorée parmi tant d’autres aspects avec une acuité de chirurgien qui opérerait à vif pour extraire les hypocrisies qui empoisonnent nos vies: cette douleur devrait faire du bien. La lucidité se heurte à l’indulgence, la recherche de soi se nomme amour de l’autre, la haine côtoie le désir, la routine, le désir de voyage, le regard des autres, la solitude et la mauvaise conscience. Si les parents des protagonistes comptent, les enfants très peu, c’est qu’il y a tant à saisir au sein de ce couple modèle qui se dévoile passant de la violence la plus crue à la tendresse, du plus vif égoïsme à la fusion. Essentiel. 
Lili Marleen. Rainer Werner Fassbinder.
La  puissance de la nostalgique domine avec cette rengaine qui séduisit les soldats des deux camps lors de la seconde guerre mondiale.  Mais l’histoire d’amour d’un musicien juif et d’une chanteuse allemande inspirée de faits réels et ce qu’il advint d’une chanson d’abord ignorée puis succès planétaire, tournent au mélo. Les images de la guerre paraissent aussi artificielles que les mises en scènes nazies. Nous sommes en 1981, Hanna Schygulla reprend le titre créé en 38 par Lale Andersen que Marlene Dietrich porta à son sommet en 44.
Un conte de Noël. Arnaud Desplechin.
Règlement de comptes familiaux sur fond de greffe de moelle : la cruauté de la vérité se révèle avec une mise en scène efficace et des acteurs remarquables dont la trop rare Anne Consigny et le patelin Jean-Paul Roussillon parmi tant d’autres squatteurs des écrans de ces années 2000 :  Catherine Deneuve, Melvil Poupault, Mathieu Amalric, Hippolyte Girardot, Emmanuelle Devos, Chiara Mastroianni.

samedi 23 mai 2020

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. Jean Paul Dubois.

Depuis la prison à Montréal où il est incarcéré, le narrateur, ancien régisseur d’un immeuble de luxe, alterne les souvenirs de sa vie et le récit d’un quotidien qu‘il partage avec un Hell Angels tenant une place et demie dans leur 6 m2.
 « A cette époque, la prison n'était encore pour moi qu'un concept théorique, une facétie de jeux de dés vous enjoignant de passer votre tour enfermé dans la case pénitentiaire du Monopoly. »
245 pages succulentes où l’humour adoucit les tragédies, et la poésie rachète par exemple les paysages les plus dévastés par les mines d’amiante, où avait été nommé son père.
« Et, ça et là, de grands lacs, semblant tombés du ciel, gorgés d'une sublime eau émeraude, petite mer de joaillier, quasi surnaturelle et luminescente dans ce paysage dégradé de cicatrices, de tristesse et de grisés. »
Celui là né au Danemark, après avoir exercé comme pasteur à Toulouse où il s’était marié avec la gérante d’un cinéma d’art et d’essai puis séparé, avait fini au Canada et perdu la foi.
« Autrefois, tu pouvais acheter l'âme d'un homme avec une image pieuse sans qu'il demande autre chose qu'une bénédiction. Aujourd'hui, pour obtenir ce que je suis venu chercher, il faudra accompagner ce frère, répondre à ses questions, calmer ses inquiétudes et le border avec les gestes patients d'un référent fatigué des Alcooliques Anonymes. »
Les personnages sont haut en couleurs, les dialogues délicieux.
Nous ne saurons qu’à la fin  pourquoi ce gentil Paul Hansen est puni. On aura eu le temps de le comprendre et de l’approuver, conduits habilement par le lauréat du Goncourt.
Ce roman riche est agrémenté de digressions charmantes tels les inconvénients de l’abus du point virgule dans la question référendaire relative à l’indépendance du Québec en 1979 :
 «  … l’architecture de cet empilement, au comble de son impéritie, fait en un seul texte et à trois reprises, usage du point-virgule, ponctuation de l’embarras et du doute, révélatrice d’un esprit timoré hésitant entre la tentation d’en terminer un bonne fois pour toutes ou de continuer la phrase pour voir jusqu’où elle nous mène. »
J’ai trouvé de quoi satisfaire également mon goût  de découvrir des mots dont je ne connaissais pas la signification : « le mojo » : le charisme, le sex appeal, le charme, le pouvoir magique.