mardi 3 décembre 2019

La revue dessinée # 26. Hiver 2019.

228 pages de BD concernant l’actualité avec des ho! et des bof !
Excellente idée que de choisir le traitement par Wikipédia de l’évènement « gilets jaunes ».
A travers le fonctionnement de la référence collaborative en matière d’information et les débats qui accompagnent une édition sur le web, sont mis en évidence la diversité des acteurs, la dynamique et les contradictions que le surgissement de ce mouvement a fait naître.
L’appréciation : «  tandis que des jets de pavés répondent aux tirs de flash-ball » aurait pu être complétée par « et vice-versa ».
Inattendu et nuancé, un reportage sur le rapport que les policiers et les gendarmes entretiennent avec leurs armes est intéressant.
 « Retour à Istambul » avec un hôte kurde est plus convenu : la répression est sans nuance, l’oppression s’aggrave.
L’apport des abeilles a déjà été documenté, porteraient-elles gilet jaune comme il est dit dans l’introduction ? Je croyais que c’était la guêpe dont la taille était en jaune et noir.
Un retour sur « # MeeToo » n’apprend pas grand-chose.
Le côté naïf du regard d’un novice dans le domaine sportif, cette fois-ci, la zumba, a déjà été exploité.
J’ai trouvé bien désinvolte le dessinateur, par ailleurs amusant, qui illustre la contestation de la formulation : «  association de malfaiteurs ».
A travers les changements de noms pour les villes se mesure le poids des habitudes : la dénomination « Grelibre » après la Révolution n’a pas duré pour effacer « noble » qui heurtait les oreilles et l’appellation Saint Petersburg après être passée par Petrograd, Léningrad, est revenue aux origines : c’est ce qu’on appelle aussi une révolution.
Dans une série concernant les lieux de pouvoir, « La maison de la chimie » occupe une position importante.
L’entrée dans le domaine de l’action sociale d’opérateurs privés à travers les CIS (Contrat à Impact Social) initié par un certain Benoit Hamon est instructive.  
Pour une fois, je connais un peu l’artiste, Björk,  présentée dans la série, « face B » : c’est qu’elle serait plutôt face A.
Mais les séquences retenues du film de Godard « La Chinoise » dispensent de regrets de ne l’avoir pas vu.
La description de la fuite en avant des stations de sport d’hiver montre bien la difficulté de combattre un réchauffement climatique tangible là haut pourtant depuis des années, quand tant d’emplois sont en jeu. Et la multiplication des canons à neige a beau être contre productive le profit immédiat commande. 

lundi 2 décembre 2019

Les misérables. Ladj Ly.

Je me joins à l’unanimité critique, qui pourtant me rendait méfiant, pour dire que j'ai vraiment apprécié ce film original.
Peu importe que des situations ne soient pas rigoureusement documentaires, le constat criant est vraiment éclairant sur des années d’évolution de la banlieue ; le film « La haine » a été tourné il y a déjà  24 ans.
La violence ne quitte pas l’écran depuis les premières images d’une liesse populaire explosive lors de la finale du mondial de 2018 jusqu’à l’apocalypse finale.
La hargne, la rage des plus jeunes, victimes et acteurs, est effrayante.
Les rapports des policiers entre eux sont durs, sous couvert d’humour viril, et bien entendu les mots qui s’échangent avec les jeunes sont agressifs ou ceux des adultes envers les enfants d’une brutalité qu’on ne sait plus voir. Quand un des flics revient chez lui et s’envoie une bière bien méritée, les querelles de ses filles pour être plus familières en arrivent à paraître insupportables.
L’intrigue palpitante permet une immersion passionnante dans un milieu dont on cause mais qui nous reste étranger.
Le titre était certes déjà pris, mais du haut de son Olympe, Hugo peut servir encore :
« Mes amis, retenez ceci, il n'y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes.
Il n'y a que de mauvais cultivateurs. »
Loin des simplifications qu’affectionnent tous les vautours qui survolent la question « banlieue », l’invitation à la réflexion n’est pas délivrée en des couleurs optimistes.
Que peuvent, les maires, les architectes, les profs, les policiers, les parents, la République, le cinéma ? 
   

dimanche 1 décembre 2019

Héritiers. Nasser Djemaï.

Nous avons retrouvé avec un plaisir augmenté de surprises, l’auteur bien de chez nous http://blog-de-guy.blogspot.com/2017/01/vertiges-nasser-djemai.html
Il avait apporté sur un plateau, « Les invisibles », il y a huit ans déjà, et aurait pu continuer dans cette veine « documentaire », mais bien que le décor soit différent, il continue à fouiller du côté de la transmission, de l’héritage, de l’exil ou de l’assignation à résidence, de nos aveuglements, avec une façon de faire qui concerne chacun.
Une famille dans une grande maison au bord d’un lac évoque Tchekhov dont les dilemmes traversent les siècles et supportent les évolutions, d’autant plus qu’un glissement poétique est apporté avec cette création et amène à douter de la réalité ; celle-ci en est augmentée.  
Ces demeures envahies de racines coûtent cher. Déchirer les factures, fuir dans le rêve ne peuvent constituer des réponses. Entre temps se jouent de douces démences qui comportent chacune une part de raison : celle de la vieille mère qui fait partie des murs n’est pas plus délirante que celle de son fils qui ne cesse de se jouer un film ou celle de sa fille qui ne peut que gérer le chaos.
Les acteurs sont excellents entre le fils exubérant, la fille de bonne volonté et son mari raisonnable, la tante des bois et la mère prête à embarquer. Le gardien a une belle voix même si son monologue trop surligné « poétique » est le seul bémol que j’apporterai dans cet excellent spectacle de près de deux heures.

samedi 30 novembre 2019

La maison au bord de la nuit. Catherine Banner.

Les histoires de la famille Esposito (enfant trouvé, exposé) traversent le siècle depuis Castellamare une île au large de la Sicile. La lecture est aisée jusqu’à une conclusion que j’ai trouvée flamboyante après tant de destins variés traités sobrement, de personnages forts où l’immuable se frotte aux bouleversements apportés par la modernité.
«  Le petit avait perdu sa mère tout bébé et, sitôt qu’il avait su marcher, il s’était mis en devoir de sillonner Castellamare en long, en large en travers, pour y chasser le lézard, y distribuer des coups de bâton et dévaler les pentes les plus caillouteuses et les plus escarpées à califourchon sur son âne en plastique bleu à roulettes rouges. »  
Cet échantillon d’humanité affleure au dessus des forces telluriques, cerné par la mer qui à la fois isole et réunit ceux qui tiennent à l’essentiel d’une nature rêche et à ses habitants présents aux autres autant par les ragots que par la solidarité.
« Il suffit que le monde ait des ennuis pour que les gens s'intéressent de nouveau aux miracles. »   
La protection de San’Agata est indispensable à ces vies courageuses dont les capacités d’adaptation sont aussi remarquables que l’intégrité de ceux qui perpétuent les traditions.
Des contes introduisent chaque épisode et rappellent la puissance de la parole, de la littérature.
« Dans la poche intérieure de son uniforme, il conservait son carnet de cuir rouge. La fleur de lys dorée qui en ornait la couverture s'effaçait et le cuir s'élimait, mais les histoires lui prouvaient qu'il existait encore, ailleurs, une autre réalité que celle des tranchées. » 
Amedeo d’abord médecin va tenir un café «  Au bord de la nuit » au nom improbable, soulignant pourtant sa position centrale dans un récit ouvrant sur des réflexions existentielles toujours incarnées jamais surplombantes tout au long de 575 pages qui se dégustent comme un limoncello, avec délice.

vendredi 29 novembre 2019

Liberté.

Prendre le maître mot, essayer de le sortir de toutes les sauces auxquelles il a été mis, et le poser sur la paillasse du quotidien. Lui et ses acolytes sont des mots gros, ils sont en gras dans le texte.
« Les Français ne sont pas faits pour la liberté : ils en abuseraient. » Voltaire
D’abord essayer d’éloigner ses déclinaisons économiques où sous le libéralisme même éclairé au « néo » c’est bien l’éternel capitalisme qui sévit, allant jusqu’à son versant libéral en ses mœurs, sans tout de même en être réduit à rentrer dans la fabrication d’un cocktail Molotov libertaire.  
Prendre plutôt le mot  « liberté » quand il est brandi pour faire choisir bébé entre un petit pot de patate douce ou une pomme de terre nouvelle.
Dans ce cas domestique, toutes les options ne sont jamais présentées dans leur intégralité et les préférences sont induites. Cette façon de poser des questions dont on connaît la réponse créé des illusions et des désillusions qui annoncent une société de frustrés, d’enfants gâtés jamais rassasiés, jamais contents.
Le terme d’ « autonomie » quoique plus modeste se tient dans ce champ de la réalisation d’un individu léger et court vêtu. Mis à chaque ligne des intentions pédagogiques dès la maternelle, il a été tellement galvaudé qu’il est oublié au moment de l’entrée dans les études dites « supérieures » quand tant de « Tanguy » squattent chez maman. Et les revendications très précoces d’indépendance avec l’affiche sctochée à la porte de la chambre : « interdit à toute personne étrangère » tournent carrément au ridicule quand approche la trentaine. L’argent de poche est accepté ainsi que celui de l’état, mais l’ingratitude pourrait-elle avoir quelque pudeur de temps en temps ?
Le mot « autonome » m’était familier dans mes appréciations portées à propos de bambins en phase de grandir, il a migré vers les degrés qui mènent à la dépendance au moment où les souvenirs se ramassent comme ils peuvent.
« L'autonomie consiste à se donner à soi-même envers l'autre une loi, plutôt que de la recevoir de la nature ou d'une autorité extérieure. » Antoine Spire
Sa rencontre avec le troisième terme de la triade républicaine était fatale quand s’éloigne l’indifférence et que la bonne distance est maintenue entre le « moi » et le « nous ».
 « Autonomie » se conjugue avec « mobilité » qui fut bien un des sujets qui tourna en rond autour des ronds points. Elle monte dans l’automobile. Sous la fumée de son pot d’échappement qui promettait des échappées belles dans les années soixante, la voiture qui rencontre bien des obstacles dans la ville n’est plus nécessaire aux trottineurs; ils ont l’avion.
Pris de tournis, les mots circulent comme ils veulent, en tempête sur les réseaux, ils appellent à la censure des autres. Les enfants de la toute puissance devenus grands s’érigent en juges impitoyables  tout en se maquillant de bienveillance dans d’autres circonstances. Les atteintes à la liberté de parole dans les Universités françaises n’a pas soulevé les foules à l’indignation pourtant toujours disponible. Ainsi le terme «  présumé » qui accompagnait un inculpé avec d’ailleurs des prudences ridicules qui faisait ainsi qualifier un meurtrier pris le couteau à la main, est tombé en désuétude, quand  le tribunal médiatique a pré-jugé avant les magistrats.
« Pour être libre, il fallait d'abord présumer qu'on l'était ». Salman Rushdie
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Le dessin de garde provient d’un journal Iranien Kianoush pour illustrer un article de « Courrier International » consacré à Hong Kong.

jeudi 28 novembre 2019

Artemisia. Jean Seroy.

Pour le cycle de conférence « Les peintres au cinéma » débutant ce lundi, le film présenté devant les amis du musée a précédé l’analyse.
Il s’agissait du film d’Agnès Merlet de 1997 consacré à Artemisia Gentileschi, intitulé  simplement « Artemisia », la première femme à avoir signé ainsi ses toiles au temps du Caravage.
La réalisatrice avait suivi l’école des beaux arts à Orléans, elle était bien placée pour faire s’exprimer un art au moyen d’un autre art.  Mais la tâche n’est pas toujours aisée, ainsi entre peinture et littérature, à voir les précautions prises par les peintres pour évoquer le seul livre, la Bible, pouvant vite classer l’auteur dans une confrérie selon qu’était choisi le nouveau ou l’ancien testament.
Cette coproduction internationale avec Michel Serrault dans le rôle d’Orazio Gentileschi,Valentina Cervi petite fille de celui qui fut Peppone auprès de Don Camillo et le serbe Miki Manoljovik dans le rôle d’ Agostino Tassi, son maître, avait coûté cher comme tous les films d’époque, mais ne rencontra pas son public.
Pourtant ce moment intense d’une vie, loin d’un biopic, où la liberté se cherche, a des résonances bougrement contemporaines : le peintre Agostino Tassi est accusé de viol sur la jeune Artémisia. Au début du XVII° siècle, la notion de viol était surtout liée à la défloration qui mettait en jeu l’honneur de la famille, mais les ambigüités autour de cet acte perdurent, quand d’autres intérêts entrent également dans les appréciations d’une justice qui avait alors les moyens de vous faire parler. 
Tassi qui travaillait avec Orazio Gentileschi va parfaire la formation de la jeune fille dans le domaine de la perspective, mais le libertin l’entrainera dans une liaison passionnée. Elle se mariera avec un autre le lendemain du procès intenté par son père qui fut un évènement bien documenté mais dont le verdict reste flou.
De Florence, la patrie de son mari, elle revient à Rome et passe à Naples l’essentiel de sa carrière après être allée à la cour de Londres où elle retrouve son père dix ans après.  
« Suzanne et les vieillards »
Ce récit de l’apprentissage d’une femme, devenue un symbole féministe, face aux hommes, constitue aussi une réflexion sur le regard dès le générique où une bougie se reflète dans un œil.  
En cette époque baroque, Artemisia regarde son corps dans un miroir, « Danaé » et le corps des hommes qu’on lui cache, Tassi peint dehors derrière des cadres qui découpent les paysages  comme les barreaux d’un pensionnat religieux dont le père l’a exfiltrée ou ceux de la prison de son amant .
« Judith et Holopherne » est un autoportrait et le portrait de son violeur. La jeune juive qui mettait fin à la vie d’un prince Assyrien n’accomplit pas une mission comme chez Le Caravage, c’est un évènement générateur pour elle. Le sang de la décapitation coule comme celui de la défloration ou celui de la torture qu’elle a subi et que Tassi fait cesser en avouant sa faute, préservant les mains de son amante.
 
De Cranach à Klimt, le sujet qui ne figure que dans les livres deutérocanoniques (apocryphes pour les protestants et les juifs) fut très traité.
Orazio Gentileschi. "Judith sa servante et le  tête d'Olopherne"
La symbolique de la chasteté triomphant de la luxure a pu apparaître aussi comme
« l’Église catholique romaine qui décapite l’hérésie luthérienne représentée par Holopherne ».
L’icône féministe a peint des princes d’Italie et d’Europe et d’autres figures féminines fortes, « Cléopâtre » ou « Betsabée ».

mercredi 27 novembre 2019

Lacs italiens 2019. # 2. Bergame ville haute

Le ciel bleu d’hier a disparu : grisaille mais temps doux. Réveil et petit déjeuner en douceur. Nous partons à pied le long de la viale Giovanni XXIII  qui devient viale Roma puis viale Vittorio Emmanuele II, grande artère fréquentée même ce dimanche matin. Belles demeures, banques cossues installées dans des immeubles historiques. Une course autour de la ville basse se prépare ; des tentes blanches de l’autre côté de la Place de la liberté illustrée par une statue avec un pendu par les pieds, abrite des stands dont un pour nourrir et abreuver les chiens, l’autre pour promouvoir le rotary club ...
Nous trouvons facilement la stazione  du funiculare et nous nous mettons dans la file d’attente bien fournie.
Nous commençons par nous promener dans le parc près du musée de la Rocca, parc du souvenir  recueillant des monuments à la gloire  des soldats italiens  morts dans l’aéronautique, dans la marine ou  à la gloire  des  déportés ou encore de la Croix Rouge. A l’entrée un panneau alerte sur la présence du moustique tigre. 
Première belle vue sur les toits avec des cheminées originales qui ravissent D. et une belle unité de tuiles.
Nous arpentons ensuite les rues, de préférence désertes, étroites, pleines de jolies surprises  et débouchons sur la piazza Vecchia, investie en ce moment par un festival Landscape avec  des groupes de  pots de fleurs d’herbes pourtant courantes mais prenant un autre aspect dans ce contexte et des arbustes sans pots dont les racines cachées dans la terre recouverte de copeaux forment une boule maintenue par un grillage.
Sous les arcades, une installation de fauteuils, transats et relax posés sur un faux gazon invite le passant à un temps de pause agréable.
La place est magnifique, car  elle camouffle  aussi la piazza del Duomo que nous découvrons mieux en grimpant sur une loggia accessible par un escalier dont chacune des  marches reçoit un grand globe lumineux sur le côté gauche. Outre la vue sur les 2 places (Vecchia et Duomo), la loggia propose un accès à une exposition sur le bois  et son travail : artisanat d’objets en bois comme des sacs à main, marionnettes, bicyclette, œufs ….
Nous approchons de Santa Maria Maggiore. Nous  admirons la  superbe façade, où les couleurs rose/ blanc ou noirs/blancs alternent.  Deux lions en pierre rouge sous le porche supportent 2 colonnes. A l’intérieur, l’office, bien qu’il soit plus de midi comme l’ont annoncé les cloches à toute volée, n’est pas terminé et nous  empêche de déambuler dans le splendide décor que nous entrapercevons. 
Pause repas en attendant en terrasse sous les parasols blancs en compagnie de moineaux effrontés : bruschetta ou pizza, tiramisu ou tarte au chocolat, bière et déca.