« T’as vu la
poussière qu’on fait ! ».
Cette soirée au théâtre s’annonçait sans certitude puisqu’à
vrai dire Racine m’avait dépassé du temps où je préférais San Antonio, d’autant
plus que je me remettais en mémoire des avis contrastés sur les mises en scène
d’Isabelle Lafon.
Mais à l’heure où même France Culture maltraite parfois la
langue, une heure chez l’élève de Port Royal ne peut pas faire de mal.
Pour ne rien arranger nous sommes arrivés une fois que la
représentation était commencée, alors que les avis sur la pièce de deux
personnes qui m’importent n’offraient pas d’à priori favorable, l’une étant
sortie accablée, l’autre sceptique.
Entrer dans la langue du XVII° siècle, la plus pure dit-on,
après s’être impatienté dans les embouteillages n’est pas évident ; les
dilemmes de Bérénice peuvent-ils nous distraire de la Ligue du LOL ?
Et là à l’écart de la table où s’essayent les dialogues, une
comédienne longtemps silencieuse, mais attentive à ce qui se passait sur le
plateau sans coulisses m’a permis de me concentrer sur l’objet de sa vigilance.
Il se trouve qu’il s’agissait de la metteure en scène, et cette entrée par elle
permise a été efficace en ce qui me concerne.
Du temps de ces époques antiques revues par les classiques, la
politique prenait le pas sur les passions amoureuses. Heureusement que j’avais
relu le pitch :
« Titus empereur doit renoncer à épouser une reine
étrangère qu’il aime, mais il ne peut le lui dire. Et il demande à son ami
Antiochus de le faire à sa place alors que ce dernier, également épris de
Bérénice, lui, a fait sa déclaration »
Mais faire jouer Titus par une femme et Bérénice par deux
femmes a rendu un peu plus difficile la compréhension d’une pièce réduite
non pas à sa plus simple expression, mais brouillée par une recherche accumulant
les pistes et les énigmes. Il y a peu d’action, et les monologues peuvent se prêter
à des tâtonnements théâtreux pour renouveler le « comment
dire ».
Que la table soit centrale pour poser la question
de la représentation au moment où Juppé fait part de sa lassitude de la
politique, est légitime, et je ne rejoins pas ma contributrice habituelle qui
regrette que les actrices ne remplissent pas les costumes des hautes figures du
répertoire. J’ai trouvées celles-ci parfois excellentes et parfois grotesques
comme lors d’une cavalcade ou lorsqu’elles insistent sur les lettres muettes à
la limite de la caricature. Pour ce qui est de la pureté de la langue qui
sauvait la pièce pour mon autre comparse, les mots m’ont paru bien désuets pas
seulement lorsqu’il est question d’« hymens » :
« Adieu, servons
tous trois d'exemples à l'univers
De l'amour la plus tendre, et la plus malheureuse,
Dont il puisse garder l'histoire douloureuse. »
« Hélas ! »
De l'amour la plus tendre, et la plus malheureuse,
Dont il puisse garder l'histoire douloureuse. »
« Hélas ! »
La grandeur n’est plus de saison, même après s’être défait
de ses écharpes et gilets.
On disait alors « noblesse » ; fusse-t-elle
celle des sentiments, elle a été abolie.