mardi 25 novembre 2008
Paysans.
Quand je m’enthousiasme pour le dernier film de Depardon, et sur ses photos de toujours, j’adhère à sa subjectivité, à son trop plein d’égo, à ses points de vues forcément partiels, même si lors de son film « l’Afrique, comment ça va avec la douleur ? » il nous embarquait dans des panoramiques à 360°. Et puis quand on blogue, on sait bien faire clignoter l’expression « se prendre pour sa photo ». Lorsque je cadre avec un appareil photo, je choisis, j’oublie, et plus encore lorsque je pioche, comme on dit d’un cheval qui piétine fébrilement, pour écrire. Je me laisse volontiers bercer par la sonorité des mots qui veulent bien se nommer parfois : poésie. Les amertumes de la vie y corsent leur goût, les lumières d’un instant se prolongent, les plaisirs se donnent à voir.
Novembre, et mes années me portent à me laisser envahir avec délices par d’ultimes images des années soixante. Comment ne pas vouloir fixer un dernier souffle de ces gens là, des hauts plateaux d’Ardèche, au cul des vaches. Je crois savoir mesurer l’indécence à admirer la frugalité de ces vies depuis mon canapé moelleux. Et qui suis-je pour mettre à distance ces pairs ? Mon immense respect d’aujourd’hui est venu après des incompréhensions réciproques. Que mon père fut encore considéré comme étranger au village après des années parce qu’il n’allait pas à la messe, reste une fierté après avoir été une blessure. Ils étaient droits et bien souvent de droite, ces hommes que je connaissais, mais en d’autres lieux parpaillots, les familles sont de toujours à gauche et droits. Cabochards comme mules, muets comme pierres, tirant de ces cailloux le lait de la vie.
Je n’échappe pas à ces nostalgies coupables quand je reprends la recension de mes pratiques pédagogiques, mais je me défends de toute complaisance rétroactive lorsque je m’essaye à la politique.
Porter témoignage sur les paysans ne compromet pas le travail d’un cinéaste qui écouterait avec empathie de jeunes agriculteurs. Lorsque je me laisse aller à contempler les soldats de terre cuite de Xian, je ne m’interdis pas un reportage sur les années Mao. « Et tenant l’autre et l’une, moi je tenais le monde »
lundi 24 novembre 2008
The Duchess
Des robes XVIII °,des paysages, pour se dépayser dans ce film avec Keira Knightley (« Orgueil et préjugés »). S’étonner de la correspondance entre ce destin d’une ancêtre de Lady Di et celui de la populaire princesse. S’amuser aussi des images d’une belle qui apparaît sur les tréteaux d’un parti dont je voulais m’abstraire des difficultés de l’heure. Ce n’est pas Barry Lindon dont le destin m’avais ému ; là je me suis distrait, intéressé par certains sujets : la situation des femmes à l’époque, ce que recèle la volonté de plaire à tous prix… Les parcs des châteaux se prêtent bien au grand écran.
dimanche 23 novembre 2008
Le banquet flamand.
Conférence des amis du musée. Bien sûr qu’ils sont roboratifs les tableaux et conformes à nos fantasmes de victuailles, de ripailles. Ce sont des images de rêves d’abondance à une époque qui venait d’être dévastée par les guerres de religion. Au marché, le vendeur de gibier lutine la marchande des quatre saisons en tournant le dos à des scènes bibliques. Cette vitalité renaissance fait plaisir à voir. Les plumes se déploient, les poils sont soyeux, les lumières sculptent fruits et légumes et il y a toujours un chien dans les parages pour chaparder un morceau de barbaque. Depuis Bosch et le péché de gourmandise jusqu’au patron de l’atelier de Rubens, en passant par Bruegel et d’autres peintres du côté d’Anvers, des banquets, des kermesses, des trognes, les plaisirs de la vie.
vendredi 21 novembre 2008
Moscow Belgium
Film bon qui apporte un plaisir sans mélange ; la langue flamande est savoureuse, les acteurs subtils, transfigurés, passant de l’accablement de vies compliquées à la grâce de l’amour. Le réalisateur Christophe Van Rompaey aime ses personnages et nous aussi. Barbara Sarafian incarne magnifiquement l’héroïne parfois défaite, d’autres fois rayonnante. Familles recomposées, en HLM, sans misérabilisme, sans soleil artificiel, avec un beau courage au quotidien d’une femme qui a bien mérité son petit moment de bonheur, même si elle "s'obstine à tout tartiner de moutarde pour ne goûter à rien", comme lui dira son camionneur.
Soir de vote à la section P.S.
77% pour Ségolène dans notre ville. Au niveau local ce ne sont pas les consignes de Delanoë qui ont eu beaucoup de poids. La présence de Fabius au côté de Martine a fait l’effet de repoussoir parmi un groupe où les militants pour l’Europe sont influents. Nous au village aussi, l’on a eu nos tractations et le secrétaire de la section a changé ; le sortant avait débouché le beaujolais nouveau : une belle preuve de son fair-play. La nouveauté n’était pas seulement dans les gobelets : le beau score de Royal est un gage de dynamisme, de cohérence parmi nous, de volonté de renouvellement des pratiques à confirmer puisqu’il nous faut retourner aux urnes ce soir.
jeudi 20 novembre 2008
Art concret
A Mouans Sartoux, petite ville à proximité de Cannes, le château à trois faces accueille un musée dédié à l’art concret autre nom de l’abstraction géométrique. Il y a des toiles de Morellet que nous avons pu voir au musée de Grenoble. Et une exposition temporaire sur le rythme ne pouvait ignorer Sonia Delaunay. Ces productions conviennent bien aux architectures dépouillées où la lumière est éclatante. Cette esthétique qui se veut proche de l’art appliqué, de la musique s’oppose à tout sentimentalisme ; pourtant les plaques piquées d’allumettes de Bernard Aubertin qui ont laissé une trace de leur éphémère embrasement éveillent une émotion qui n’est pas qu’une construction purement intellectualisée. Il en va pour moi comme la mémoire d’une fulgurance. Le regard fait une pause après avoir balayé bien des surfaces trop lisses, des agencements tellement minimalistes qu’il n’en reste rien.
mercredi 19 novembre 2008
Corps.« Faire classe » #9
« Le meilleur que je sais sur la morale et sur les obligations de l’homme, c’est au football que je le dois » A. Camus. J’ai abusé de la citation envers ceux qui méprisaient le sport. Je ne les convaincs pas quand je compare mes plaisirs d’exégète des délires Ribéryens à leurs pointilleux échanges entre mélomanes. Affaire de classes sociales peut être, de filiation, de glèbe. Quand les souvenirs de rectangles tracés à la sciure au milieu des champs des dimanches après-midi, d’hier, m’émeuvent plus que les toutouyoutous périodiques qui vendent leur peau à la pub, aujourd’hui ; le sport a bien un lien avec la jeunesse. Bref !
J’ai eu des plaisirs jamais éventés et la chance d’exercer dans une commune dotée de gymnases nombreux, de stades soignés. Nous avons travaillé avec des moniteurs compétents, dans le confort, sans avoir le sentiment d’être l’enseignant spectateur / consommateur.
Un luxe qui nous dispensait d’installer les agrès, les plots, les haies, les poinçonneuses dans les buissons d’un parcours d’orientation, d’avoir à préparer des séquences toujours innovantes et efficaces. L’équilibre existait dans notre part prise pour animer un groupe, en arbitrer un autre, parer les débutants, apporter son éclairage, observer mes apprentis, moment rare, sans être obnubilé par mon propre discours.
Dans une programmation cohérente avec toutes les classes de la ville, sur une année, nous foulions les parquets, les sous-bois et le goudron, les tatamis, le tartan, la neige, le sable, la faïence, pour des cycles hand-ball, endurance, sports d’opposition, athlétisme, ski de piste, beach-volley, piscine. Certaines années en catamaran et kayak de mer, nous sommes sortis de l’estuaire pour aller vers l’océan.
- Dis Yacine, tu étais bien, alors, le roi du monde ?
Et Dounia du haut du télésiège redoutant la pente : « jamais je ne descendrai ça ! »
« Si, tu l’as fait : victoire ! » et pour nous le miel parce que ce n’est pas tous les jours que nous pouvons mesurer les acquis d’une façon aussi éclatante, en plein soleil, au-dessus des nuages.
Les rencontres de sports collectifs, des journées d’athlétisme, de course longue, permettaient des retrouvailles avec d’autres groupes scolaires.
Les horaires d’E.P.S. structuraient notre année. Quelques photographies, posters renouvelés au fil des cycles sur un panneau aux alentours de la classe pour faire joli, pour entourer emploi du temps et résultats, affirmer- il n’en était pas besoin - le lien entre tous les aspects de la formation. Les évaluations variées que nous avons essayé de mettre au point en concertation participaient aussi de cette légitimation du travail mené tous terrains.
Du soin était apporté pour anticiper les rendez-vous, être muni des équipements nécessaires : avoir survêt’ et des chaussures de sport pour le sport : s’appliquer. « Etre à ce que l’on fait », simplement, sans singer les égarements médiatiques concernant la concentration des athlètes gonflés à l’image, où l’impudeur les poursuit jusque sous les douches. La classe médiatique pipeautante s’est moqué longtemps de J.P. Papin de modeste origine, ce sont les mêmes qui auront des paroles bienveillantes pour les assignés faibles de l’heure : le même mépris.
Les clameurs du troisième pouvoir retentissent beaucoup dans ce champ, dictature consentie aux labels marchands. Vive les chasubles masquant les griffes des marques pour que l’équipe existe dans sa nouveauté, sa mobilité, sa diversité : les gaîtés de l’uniforme.
Les aristocrates ont des héritiers admirateurs de l’amateurisme et méprisant un peu les pue-la-sueur monnayant leurs inlassables cannes kenyanes. Cette distinction se décalque dans le monde intellectuel où les biens pourvus peuvent dédaigner l’argent, l’effort. Le vocabulaire agressif, dépréciateur, « chambreur », est celui des vestiaires, alors que dehors sur les panneaux lumineux s’affichent des idéaux. Double langue.
La métaphore sportive se vend bien, car pas mal d’évidences se révèlent en ces lieux. Il faut reprendre sans cesse les mots, les éponger, redonner du sens à « équipe », à « agressivité ». Vérité du corps, vocabulaire des postures : « adresser une passe ».
La fortune du mot « passeur » désignant le moindre sous - titreur signerait- elle l’épuisement prochain de sa réalité ?
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