mardi 25 mai 2021

L’homme le plus flippé du monde. Théo Grosjean.

Avant son arrivée sur terre le petit Théo n’avait pas reçu le livre sacré de « La méthode d’intégration d’un groupe en soirée » ; sa vie ne sera qu’angoisse. 
En devenant auteur de bande dessinée, avec une bonne aptitude à l’auto dérision, il va faire du bien à ses lecteurs stressés, et à lui-même si bien que lorsque dans de rares moments où il trouve la paix, il s’angoisse de ne plus trouver d’idées pour son album.
La pandémie est une aubaine mais la concurrence est vive pour le titre de « plus flippé du monde ». En tous cas dans la catégorie de la plus drôle des autobiographies, il tient la corde. 
La mort vient s’asseoir à côté de lui et les petits personnages logeant dans son cerveau se disputent. Ses projections dans le futur ou ses retours vers l’enfance, sa procrastination, nous font sourire. 
Souvent bavard, romantique avec son amie qui aime bien se dévaluer aussi, il peut livrer deux pages sans paroles : après avoir symbolisé son manque d’énergie tout au long de la journée en dessinant une batterie de téléphone à son plus bas niveau, ce n’est que lorsqu’il éteint la lumière que sa vitalité revient et l’empêche de dormir.
Un critique lui a dit : 
« Tu n’es pas le flippé que tu prétends être, juste un peu anxieux comme monsieur tout le monde » 
Il va se mettre dans tous ses états devant son miroir :  
«  C’EST A MOI QUE TU PARLES ! » 
Si ce tome 2 s’intitule  « Tentatives d’adaptation » nous comptons bien qu’il ne guérisse pas trop vite de sa tendresse, de son humour et qu’il nous livre de son trait aussi clair que son honnêteté, des pages toujours aussi réjouissantes : on a tellement envie de le consoler à notre tour, de le rassurer.

lundi 24 mai 2021

Garçon chiffon. Nicolas Maury.

Parfait pour retourner dans les salles, ce premier film parle de cinéma, des difficultés à se trouver, quand les regards se croisent ou fuient.
L’acteur principal est le réalisateur, froissé, « chiffon » : mot de tendresse devenu insupportable à force d’être répété par Nathalie Baye, sa mère pas si caricaturale qu’une comédie l’appellerait.
Après le suicide du père, une vie de comédien aléatoire, un retour vers la mère aimante et agaçante, la conclusion en chanson est ouverte. 
« A nos visages de velours,
Je prends ce que tu me donnes et j’en fais mon amour. »  
Quelques séquences hystériques, surréalistes, à la Demy, sont émouvantes. Il est question de l’histoire d’une « étoile et d’un lion » de Vanessa Paradis, et d’Anne Sylvestre en duo pour bien dire les rapports de filiation : 
« Moi, je t'ai lissé les ailes
Ma chérie
- Mais je peux lisser les tiennes
Moi aussi
- Ça ne se fait pas si vite
Déjà tu ne comprends plus
Tu as l'âge de la fuite
Moi, celui du déjà-vu »
 Ce film musical retrouve les affres parisiennes habituelles dans les métiers du cinéma, et la dualité entre province et capitale. 
Est-ce que nous avons mûri ou parce qu’ils sont traités avec finesse sous des dehors extravertis, l’autisme et l’homosexualité ne sont pas sujets de controverse ? 
Jouées avec sincérité, intensité, ces deux heures fraîches prennent leur temps, mêlant le rigolo des « jaloux anonymes » et le pathétique de l’amoureux apeuré peu aimable car trop aimant, perdu dans un amour éperdu, adolescent qui n’a pas fini d’apprendre à s’aimer. 
Il répète «  L’Éveil du printemps » où un enfant se mue en adulte, une pièce de théâtre de Wedekind dont l’aperçu donne envie de mieux la connaître.

dimanche 23 mai 2021

Indocile heureux. Bénabar.

Oui Bruno Nicolini est un anticonformiste: positif, tendre, drôle, il ne se prend pas au sérieux, mais nous ravit depuis - je n’arrive pas à m’y faire - vingt ans, le prenant toujours pour le petit dernier des chanteurs qui ont des textes et une personnalité. 
Au delà des formules heureuses, des points de vue nouveaux, pour des scénettes vives où il sublime la banalité, accompagnées de musiques sautillantes, notre quotidien en est tout éclairé. Il se permet d'être cérémonieux pour traiter avec distance des sujets pas si anodins que ça. Son romantisme le plus vibrant nous touche grâce à un humour très contemporain qui met de la légèreté à la gravité.
Le temps passe : « Oui et alors » : 
« … Il ne faut pas douter
Qu’on se passera de nous
Comme nous de nos ainés ». 
Toujours garder « Un lego dans la poche ». 
«  L’enfance est si courte
Et dure si longtemps. »
 L’amour en fuite :  
« Tous les divorcés »
 Se sont aimés tendrement
Un weekend sur deux,
Ils le répètent à leurs enfants
Quel est le plus important, l’premier amour ou l’plus récent ? »
 Toujours croire « Les belles histoires » où subsiste : 
«… le piment doux
Des premières querelles d’amoureux ». 
Il renouvelle la vieille histoire: « On ne choisit pas d’aimer » : 
« Tu peux faire le blasé
Arguer que tu t’en moques
T’as pas fini de pleurer
Si ce n’est pas réciproque. »
A un enterrement, il a jeté sa rancune à la rivière : 
« Au nom du temps perdu », il trouve  belle la veuve qui a été sa femme.
Le refrain d’« Une âme de poète » a beau contenir:  
«  Ça me troue l’fion bordel à cul »:  
« On connaît des gens très classes
Distingués, bien comme il faut
Qui disent des trucs dégueulasses
Sans employer de gros mots » 
Pour évoquer les classes moyennes « William et Jack » Dalton sont parfaits. 
Et le slogan « Exigeons l’impossible » risque de se résoudre 
 «  quand les poules auront des caries ».
 Plaisir de vacances avec « Le bain de 23h 30 » 
et celui de chaque jour :
« Les filles de plus de 40 ans » 
« N’aiment pas qu’on leur mente
Sauf quand on fait semblant
De leur en donner 30 ».
« Les indociles heureux » fait la distinction entre les vrais et les faux rebelles de cour d’école ou des open space, les anarchistes de ministère, les insoumis à la fashion week: 
« Y'a les rebelles d'Internet,
Révolutionnaires de Twitter
Et qui vont sauver la planète
En postant partout des petits cœurs
De faux rebelles sous toutes les formes,
L’époque est à la vaine querelle
Anticonformiste, c'est la norme,
Rebelle c'est consensuel » 
Je biche.

 

samedi 22 mai 2021

Nœuds de vie. Julien Gracq.

Je ne comprenais pas le titre au moment où j'ai abordé la première partie de ses
«notules», dont la suite est à venir en 2027, 20 ans après sa mort, et puis j’ai plongé dans les paysages décrits par le géographe.
« Presque tous les paysages des contrées faites d’alluvions récentes sont ingrats : aussi bien le Bourbonnais que la Crau, le plateau suisse que le Bas Dauphiné : mouvements de terrain inharmonieux, incohérents, sont ceux de la boite à sable des Kriesgspiele ou des chantiers en proie aux bulldozers, végétation coriace et branchue, qui tend partout vers le groupement abâtardi du fourré, yeux d‘eau louche qui font penser non à des étangs, mais à des creux de marnières et de ballastières noyées. »
Finalement, par petites touches, je m’aperçois qu’il s’agit bien d’enlacements, de détours lorsque l’auteur, cité dans de nombreux articles, entre finement, poétiquement, dans les détours des fonctions « lire » et « écrire »,la complexité rencontre l’originalité. 
Ses portraits sont ciselés : 
« Le pharmacien, ami de jeunesse de mon père, violoniste et boute-en train comme lui, avait la laideur avenante et mobile, la turbulence et le lorgnon bas perché d’Offenbach, qu’il adorait ; sa femme, dans une des deux ou trois familles de la haute dévotion florentaise, raccourcissait avec pondération la bride à son mari bohème… » 
Ses appréciations sur le milieu littéraire sont âpres, et on aime ça.
Il parle de l’œuvre d’un collègue :
« … prend aujourd’hui pour moi je ne sais quelle apparence parcheminée et cuite, comme le visage de certaines vedettes, précocement rôti par les sunlights. » 
Comme l’usage du dictionnaire n’est plus guère usité, il vaut mieux garder son téléphone à portée de main : ainsi j’ai découvert le mot « gemmail » (panneau constitué de morceaux de verre translucides colorés juxtaposés et superposés, sans sertissage), il convient parfaitement à une appréciation de la poésie.
L’acte d’écrire nous révèle à nous mêmes : 
« Ecrire sans discontinuer, ce n’est pas tant céder à la préférence abusive qu’on a pour son moi, qu’aliéner ce moi dans son fort le plus reculé, en le soumettant tout entier aux mécanismes extérieurs du langage.»
 Et ses réflexions de solitaire vont bien au-delà de sa fenêtre : 
« La Terre a perdu sa solidité et son assise, cette colline, aujourd’hui, on peut la raser à volonté, ce fleuve l’assécher, ces nuages les dissoudre. Le moment approche où l’homme n’aura plus sérieusement en face de lui que lui-même, et plus qu’un monde entièrement refait de sa main à son idée – et je doute qu’à ce moment il puisse se reposer pour jouir de son œuvre, et juger que cette œuvre était bonne. »

vendredi 21 mai 2021

Territoires.

Au cours de ces derniers mois, nous nous sommes tenus à proximité de chez nous et avons arpenté notre « territoire » mot devenu inévitable dans les débats autour des empilements administratifs, élément de rhétorique prétendant s’ancrer dans une glèbe laissée aux ronces. 
D’autres « territoires » sont venus se rappeler à nos mémoires autour de Jérusalem trois fois sainte, où les haines se déchainent. Les mâles de là bas, front contre front, échappent à l’écriture inclusive. 
Comme en photographie, je m’en tiens aux gros plans maintenant que les drones envisagent joliment les paysages de si haut et ne m’attarde pas en des lieux que je ne connais pas. 
Je ne connais pas plus le latin et le grec, mais  leur remise en cause par un prof de Princeton m’interpelle, car ces langues seraient à ses yeux, une « fabrique du suprématisme blanc » rejoignant avec un degré de noire bêtise de plus, les attaques contre ces enseignements de l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem. 
Sans illusion sur les bienfaits de « rosa rosam » auprès de tous, les impossibilités de travailler pour les ultimes Mohicans enrichis par ces options interroge chez moi la dernière notion  colorant ma nostalgie de la gauche : l’égalité. Déjà que la notion de liberté s’est réduite à un «  je fais ce que je veux », un nivellement par le bas serait-il le but de ceux qui ne savent voir du même œil, un charpentier et un chercheur du CNRS ? Khâgne et hypokhâgne ne seraient pour les maîtres à penser correctement que la seule antichambre ouvrant vers un pays de Cocagne avec teuf tous les soirs ?
Et dire que maintenant c’est de courage dont il faut faire preuve pour souhaiter l’excellence au bout d’un parcours où apparaitraient clairement les étapes sélectives à franchir, en se dispensant de promettre la lune à tous. Mais il est vrai comme dit Nassim Nicholas Taleb: « étudier le courage dans les manuels ne rend pas plus courageux que manger du bœuf ne transforme en bovin. » J'aurai même préféré « taureau» à la place de « bovin».
Les dénonciateurs de l’empire du fric indexent trop souvent la valeur d’un métier à sa valeur marchande. Par ailleurs pour me complaire dans les métaphores de ceux qui ont popularisé la notion de « Bullshit jobs », je considère mieux l’aide soignante auprès de pépé et ses couches que le brasseur d’or in the City.
Au moment de s’orienter, les sortis du bac choisissent option « décoration de façade » ou « plantation de tubercules »,  pourquoi d’autres ne préféreraient pas entretenir les racines de notre langue et rendre service à tous, en éloignant les malentendus ? Aucune dignité ne serait amputée, avec de surcroit des découvertes dans l’ADN de nos mots encore à divulguer. 
« Ma patrie, c'est la langue française » Albert Camus.
De bonnes âmes s’alarment de voir le Ramassis National au plus haut alors que sa cheffe ne dit mot, mais qui donc la ferait monter ?
L’individu se risquant à critiquer les excès de l’extrême gauche des amphis est vite catalogué à l’extrême droite et expulsé de ce côté. Il rejoint les étiquetés racistes parce qu'ils défendent le droit au blasphème quand des réserves sur l’écriture inclusive en amènent  d’autres aux abords d’Auschwitz : ça fait du monde à repousser depuis les réseaux sociaux et sur les murs de Sciences Polpot. Les dénonciateurs bruns du temps de Vichy ont fait des émules rouges : des affichettes style « Wanted » avaient été apposées au centre ville avec la tête de députés ayant voté contre les convictions des colleurs.
Ce climat de chasse à l’homme est partagé dans les deux camps d’une façon pour le moment plus métaphorique qu’au Moyen Orient, mais également virils. Les peintures aux entrées de Grenoble concernant le président de la République restent en vue plus volontiers que les tags insultant un autre candidat local aspirant à de plus hautes fonctions.
Nous avons laissé partir au fil de l’eau : nation, sécurité et laïcité.   
La Marine naufrageuse est venue piller les bateaux échoués.  
« Le sable de la mer, les gouttes de la pluie, les jours de l'éternité, qui peut les dénombrer ?La hauteur du ciel, l'étendue de la terre, la profondeur de l'abîme, qui peut les explorer ?Mais avant toute chose fut créée la Sagesse... »  La bible.

jeudi 20 mai 2021

Le Postillon. N° 60. Printemps 2021.

A peine publiée ma critique, sévère, du bimestriel local 
qu’en achetant le Dauphiné Libéré, je trouve un nouveau numéro du satirique journal qui ne sait parler de son confrère quotidien qu’en tant que « Daubé », bien qu’il y puise son inspiration. 
Est ainsi réactivée une rubrique historique pour préciser que Raoul Sacorrotti, Arsène Lupin transalpin, monte-en l’air qui vidait les greniers grenoblois dans les années 30 finançait les révolutionnaires espagnols.
Pourtant la rencontre des rédacteurs masqués avec des lycéens autour de la presse pour lesquels ce moyen d’information est étranger aurait pu ouvrir une réflexion féconde. Le constat accablant de vivre sur une autre planète alors que les adultes n’ont pas donné l’exemple m’a semblé un peu court.
Si les porte- paroles de l'association technophobe «Pièces et main d’œuvre» en restent à leur marotte folklorique en militant pour la réinstallation des cabines téléphoniques, le compte-rendu d’une nuit dans les rues grenobloises sous couvre-feu reste assez prévisible. 
Par contre la promotion de l’atelier paysan fabriquant des outils adaptés aux besoins des agriculteurs permet de passer de la critique systémique à des réalisations positives, loin des bavardages.
Pour tourner en ridicule les vendeurs de vent, Le Postillon est toujours pertinent avec Piolle et Ferrari en tête de gondole à l'heure de « la grenobalpisation de la cuvette » : 
tout devient siglé Grenoble Alpes (GA) CHUGA, l’UGA… « invest in Grenoble Alpes »). 
Cette fois la révélation de Gregoire Gambatto, fondateur de Germinal, entreprise de « growth hacking »,« bidouillage de croissance », se définissant lui-même comme « un monstre d’influence sur Linkedin », est tout à fait signifiante des mœurs actuelles.
La dénonciation d’un marchand de sommeil entre dans leur combat habituel du côté des plus défavorisés, mais les bisbilles entre un propriétaire et la mairie de Seyssins ne semblent pas départager si évidemment qu’ils le présentent, le bien et le mal.
L’article intéressant concernant «  Le Magasin » centre d’art contemporain met en évidence la distance entre une communication très « care » et une gestion autoritaire. Est citée l’irrévérencieuse et délicieuse Nicole Esterolle  
qui trouvait que ce lieu  était devenu :  
« le rendez-vous des radicalo-historico-afro-éco-queer-trans- féministe (…) qui ont priorité pour la monstration de leurs performatifs et bidulaires épanchements ». 
Le dossier à propos du CHAI (Centre Hospitalier Alpes-Isère), l’hôpital psychiatrique de Saint Egrève qui emploie 1700 professionnels pour suivre 19 000 malades par an aurait gagné en pertinence en s’allégeant de stéréotypiques illustrations représentant des outils datant de 1764 comme par exemple « une vis permettant de creuser un trou dans le crâne d’un fou ». Il n’était pas indispensable non plus de citer à plusieurs reprises Albert Londres, ni de développer des cas remontant à 2018 pour décrire un lieu de souffrance où des avancées sont tout de même mentionnées. Si certains se souviennent encore de l’assassinat d’un étudiant par un pensionnaire de Saint Robert, comme on disait jadis, quelques témoignages éloignent l’image du « fou qui fait peur » tout en dénonçant des démarches excessivement sécuritaires, alors que la vague psychiatrique ne fait que commencer.

mercredi 19 mai 2021

Amiens # 2

La température fraîche offre un contraste important avec hier.  
Nous destinons notre matinée à la visite commentée de la cathédrale Notre Dame que nous retenons et réglons à l’Office du tourisme.
Notre conférencier, un petit monsieur avec son parapluie partage son érudition à l’ancienne, méthodique et passionné.
Il commence par aborder lhistorique: 1220-1268 : Les fonds pour construire l’Eglise ne manquent pas.
D’abord la ville est riche grâce au commerce des drapiers, aux impôts, aux péages sur les ponts  et aux droits de passages des bateaux sur la Somme.
Rapportent aussi les reliques dont  la tête de Saint Jean-Baptiste. Elles attirent les pèlerins, ainsi que le bleu d’Amiens au procédé de fabrication gardé secret, réputé même hors des frontières. 
La cathédrale fut bâtie en une seule fois et cela lui confère son unité.
Elle fut épargnée par les conflits ; pendant la seconde guerre, les Stukas l’évitaient dans leurs bombardements en plongée se concentrant sur l’anéantissement du reste de la ville.
Elle fut la dernière cathédrale de style « gothique » ou
« ogival » et bénéficia des expériences de celles qui l’avaient précédée. Elle atteint la longueur de 142 m, sa hauteur de 48 m est un peu plus basse que celle de Beauvais mais cette dernière dut  réduire sa longueur suite à l’effondrement de la travée.
Ces deux tours inégales déplaisaient à Eugène Viollet-Le- duc, adepte de la symétrie. Jusqu’à 23 couches de peintures successives ont recouvert l’édifice ; il est difficile aujourd’hui d’imaginer cette façade et ses ornements ainsi que ses statues autrefois multicolores quand on se trouve face à cette pierre claire.
Ce fut l’œuvre des  sculpteurs« imagiers », que l’absence d’images, de livres en papier, voire d’imprimerie ont poussé à raconter le contenu de l’ancien et du nouveau testament, dans une lecture compréhensible par tous.Trois portails donnent accès au lieu saint.
Le portail central est consacré au Jugement dernier représenté dans le tympan. Le Christ apparait dans le trumeau entouré par les statues latérales des apôtres. Les autres personnages en pierre font appel aux prophètes comme Jonas dont l’histoire  est racontée en sculpture dans les quadrilobes.
Le portail de droite fait référence à la naissance du Christ. Dans le trumeau, prennent place la vierge et l’enfant. La tête du petit serait attribuée à Viollet le duc. 
Des traces et restes très atténués de couleurs affleurent par endroit  et témoignent de la peinture disparue.
Au Sud trône une autre belle Vierge dorée.
En dessous de la Vierge à l’enfant du portail de la mère de Dieu, Adam, créé à l’image de Dieu et Eve née de sa côte, chassés tout deux du paradis rappellent la faute originelle, mais Marie sainte mère veille sur les pauvres pécheurs. Les autres sujets sculptés traités concernent l’annonciation, la visitation, la présentation de Jésus au temple.
A gauche, les fidèles peuvent identifier de grandes figures de l’ancien testament  que ce soit  les trois rois mages, ou Hérode surmontant un quadrilobe décrivant le massacre des innocents 
ou encore le roi Salomon fondateur du temple de Jérusalem, (clin d’œil des architectes) accompagné de la reine de Saba. Le portail de gauche est dédié à Saint Firmin.

De chaque côté de l’évêque 12 quadrilobes enferment les signes du zodiaque, en dessous desquels correspondent pour chacun d’entre eux une scène de vie en relation avec les saisons évoquées.
Lorsque nous pénétrons à l’intérieur, nous nous sentons bien petits dans cet espace de hauteur et de lumière caractéristiques de l’art ogival.
Un labyrinthe au sol long de 240 mètres occupe en grande partie le dallage de la nef. Son cheminement le long d’un ruban noir enroulé oblige à poursuivre rigoureusement tout le tracé avant d’atteindre le centre sans possibilité de raccourci.

Au milieu, dans le cercle noir, une croix dont les branches se terminent par un lys indique les quatre coins cardinaux, mais  tout le monde peut constater que le bâtiment n’est pas dans l’axe. Cependant, au moment des solstices la lumière qui filtre par une fenêtre divise parfaitement la croix en deux parties et met en évidence ombre et  lumière : cette symbolique s’explique par une parole de saint Jean Baptiste désignant le Christ : « je suis l’ombre, Il est la lumière ». Des anges évêques et bâtisseurs s’invitent dans le cercle et s’imbriquent entre les branches de la croix.
Nous ne verrons rien de l’orgue de la Renaissance en réfection.
Mais nous  ne manquerons pas l’ange qui pleure au dos du chœur. Pendant la guerre de 14-18, les soldats australiens, néo zélandais et britanniques le rendirent célèbre dans le monde entier lorsqu’ils combattirent au front  à une quinzaine de kilomètres d’Amiens. Pour écrire à leur famille, ils envoyaient des cartes postales de la cathédrale, mais en raison de l’épuisement  du stock, ils se sont rabattus sur celui inexpliqué de l’ange qui pleure. Ce putto est une petite sculpture du XVII° placée au-dessus d’un enfeu d’évêque. Il fut rajouté à la suite d’un différend entre l’artiste  et le commanditaire qui trouvait la note du tombeau trop salée. Main appuyée sur un sablier et  coude reposant sur un crâne, il dénonce la Vanité du monde terrestre.
Les chapelles et monuments du déambulatoire gardent trace aujourd’hui encore du 1er conflit  mondial, comme  par exemple la présence d'un drapeau australien offert, exposé telle une relique…
Quant au bâtiment, il souffre de l’œuvre du temps et des hommes ; pour maintenir l’écartement des piliers et les consolider, une chaîne de métal a été insérée tout le long du triforium, à l’image d’un tonnelage.
Il n’y a plus grand-chose à contempler au niveau des peintures ou fresques, ni au niveau des vitraux encrassés dont seulement 5 % ont survécu aux guerres.
Durant la visite nous avons pu apprécier notre guide ; ce passeur, grand bavard, n’a manqué ni d’anecdotes ni d’érudition, sans mégoter sur le temps consenti.
Lorsque nous quittons les lieux, un prêtre célèbre le  baptême d’un petit métis du nom de Shun au milieu de sa parentèle blanche et noire ; la cérémonie me semble bien plus étoffée que celle pratiquée de par chez nous…