mercredi 3 octobre 2018

Epinal # 2.

Notre logeuse nous conseille de passer par le parc du château qui après escaliers et chemin pentu évoque une ambiance de forêt profonde plutôt que celle d’un parc urbain : une bonne surprise.
Dominant la préfecture des Vosges et la Moselle, l’ancienne forteresse s’établissant au XIII° siècle à l’emplacement d’une tour datant de l’an mil, a connu bien des assauts.
Face à Louis XIV, la place forte a été réduite de surcroit la ville a dû démolir, à ses frais, dix-huit tours et 1 700 mètres de muraille. A la demande de Philippe Seguin qui fut maire dans les années 80, le donjon redressé en partie se distingue parmi un ensemble ruiniforme où les spinaliens peuvent profiter à proximité d’un agréable lieu de jogging et de pique-nique.
Le musée d’art ancien et contemporain est très intéressant, avec des présentations claires et efficaces. Une exposition temporaire sur « le couple » s’insère parfaitement dans les collections permanentes. 
Des bains romains sont reconstitués, mettant en scène des objets de l’époque, de belles stèles mortuaires.
Les statues du Moyen-Âge à  hauteur d’homme sont bien mises en valeur.
Nous étions venus pour le Georges De La Tour : « Job raillé par sa femme »
mais « L’embarquement  de Sainte Paule à Ostie » de Le Lorrain avec des explications projetées de façon très pédagogique en ciblant d’un coup de torche la partie détaillée nous arrête.

La section ethnographique est passionnante avec ses crèches et scènes bibliques dans des boîtes, ses enseignes de magasin, coqs de clocher, coffres de mariage, pipes à tête de mort ou en forme de crabe, ciseaux pour éteindre les chandelles, « des mouchettes »…
Un gardien passionné nous retient un moment, si bien que c’est au pas de charge que nous abordons l’art contemporain au dernier étage où  nous remarquons surtout la cocasserie de Plonk et Replonk.
Kebab à midi où la serveuse s’est fait piquer par une guêpe.
Musée de l’image évidemment où des gravures anciennes sont confrontées dans des vitrines à des photos, des peintures, des bandes dessinées, des caricatures plus contemporaines.

Les très jolis abat-jour de l’accueil ne sont pas à vendre. 
Nous comprenons mieux l’engouement populaire qui a perduré autour de Napoléon en observant les légendes des images alors rares qui accompagnent le récit des campagnes de l’empereur. 
Des images  religieuses côtoient des jeux devant récompenser les enfants sages, pantins, théâtre en papier fort, des fantaisies mettant en scène des inversions : la femme qui bat son homme, un cochon qui dépèce le charcutier. 
Une expo temporaire développe le thème de la fuite en Egypte autour d’un tableau d’après Zurbaran.
Ces deux musées ont travaillé «  le couple », à deux :
L’un : « L’homme était à l’origine un être unique, avec une tête à deux visages, avant que Zeus ne décide de le punir en le séparant en deux, condamnant ainsi l’homme et la femme à la recherche de l’âme sœur ».
L’autre : « La cigale ne peut aller sans la fourmi, tout comme Paul appelle Virginie »
A proximité «  L’imagerie d’Epinal » ou l’atelier Pellerin, du nom du fondateur « maître cartier », encore en activité depuis la fin du XVIII° siècle, possède des centaines de milliers d’images qui furent colportés dans le monde entier. 
Le bâtiment est classé monument historique comme certaines machines  remarquables. Des tablettes numériques interactives donnent une dimension très intéressante à la visite, permettant de comprendre le passage de la xylographie (gravure sur bois) à la lithographie (gravure sur pierre), de la presse à bras aux pochoirs. Nous  jouons avec les poupées et leurs vêtements amovibles, tirons sur les tirettes, et trouvons où se cache la vieille dame dans les traits de la jeune fille. Les selfies s’inscrivent parmi les images centenaires. La boutique où sont présentés aussi des dessinateurs contemporains est riche.

mardi 2 octobre 2018

L’homme de Cro-Macron. Jul.

J’ai du manquer un épisode, car nous voilà au huitième chapitre de la série « Silex in the city », j’en étais resté à « Merci pour ce mammouth »
Toujours aussi jubilatoire, je riais tout seul en attendant, à la librairie du Square, la présentation du livre de Pierre Rosanvallon, loin de se préoccuper, lui, du divorce d’Alexandra l’Amibe et Jean Dubaboin ; il examine le temps long.
Bien que tout le monde n’ait pas une mentalité de « Darwinner », la bipédie, naturellement En marche, devait émerger.
Nous sommes en 40 000 avant JC et Johnny Habilis est mort, lui qui chantait «  Les portes du crétacé » ou « Quelque chose en nous d’une bactérie ».
Le « cueilleur Park » de Roybon suscite des résistances et des vocations de zadistes (« zone arboricole à défendre »).
Le couple Dotcom bat de l’aile, Spam lit « cinquante nuances de graisse » mais bien soutenue par sa copine avec qui elle va au «  Hammammouth », elle connaitra même une aventure avec le créateur de « PierreBnB » tellement d’un autre monde que c’est Bilal qui a dessiné le bellâtre.
Blog le mari qui s’abrutit tous les soirs devant des programmes de « crétacé-réalité », supporter du « Primate Saint Germain », va vivre ailleurs. Ayant forcé un barrage de police et mis dans le rouge le plan « Vigiprimate », il sera incarcéré à « Fleury-Habilis », il sera vite libéré grâce à la relation de maman.
«  Les valets de l’ultra darwinisme ont voulu te briser » s’exclame Ambroise  entre une occupation de volcan et des discussions avec le groupe «#balance ta pierre »  ou les « LGBTI »
, « lémuriens-guenons- batraciens- tyrannosaures- Iguanes », qui ratissent large,  rencontré.e.s à la « Convergence des huttes ».

lundi 1 octobre 2018

Mademoiselle de Joncquières. Emmanuel Mouret.

Les réalisateurs sont plutôt déterminants dans mes choix de film avant les acteurs, pourtant ici les sourires de Cécile de France et les regards d’Edouard Baer sont épatants. Elégance et mélancolie.
Ils sont vraiment faits pour être Madame de La Pommeraye et le Marquis des Arcis.
Emmanuel Mouret est parfaitement bien dans ce XVIII° siècle, tellement stylisé qu’il en est très moderne, lorsqu’il reprend un récit de Diderot après les « Dames du bois de Boulogne » de Robert Bresson.
A la sortie de la séance en croisant des lycéens qui inévitablement « s’en battaient les couilles », j’ai su que j’étais revenu en 2018, mais j’avais pris un bain revigorant d’une langue ciselée qui va chercher au plus profond des esprits et de cœurs.
« Le bonheur, c’est une bonne heure » 
La marquise arrange des bouquets magnifiques.
Dans leurs robes qui les mettent tellement bien en valeur, le combat pour la dignité de la femme est mené de main de maîtresse, même si le chemin est long et prend des tours inattendus.
Les valets apportent des fauteuils au bord du plan d’eau parfaitement fauché.
Dans les jardins à la française se jouent libertinage, marivaudage, badinages, passion, dissimulation, amour, vengeance, et vérité. Avec délicatesse.

dimanche 30 septembre 2018

Amélie-les-crayons.

Le nouveau spectacle intitulé « Mille ponts » d’une chouchoute de Télérama, était présenté à la salle du Pont de Vence, à Saint Egrève, après avoir été un succès cet été dans la ville où l’on danse sur le pont, Avignon.
« Ponponponpon » pour s’essayer à l’humour léger, sans conséquence, de cette gentille heure et demie.
« J’habite au bord du monde
Le ciel est à ma porte
La terre n’est pas si ronde »
Il me faut revenir lire des paroles pas toujours très audibles en début de séance où les ficelles pour entrainer le public à se lever, fréquemment sollicitées, nuisent à la poésie, à mon avis.  
Le spectacle est bien rythmé. La native de Vienne(38), à présent bretonne, frappe comme en fest-noz, joue de tout son corps, des pieds et des mains. Ses deux musiciens pratiquant tous les instruments sont au premier plan et à la sortie des spectateurs avaient visiblement les mélodies entrainantes dans la tête.
Les thèmes sont d’actualité, arbres, nature et éoliennes:
« Y a plus d’saison j’dis ça j’dis rien ! »
Les migrants :
« C’est la vie, c’est l’espoir et la lumière
Qui nous poussent tous dehors
On s’en va avec rien passer les frontières »
Les éternels tourments sentimentaux sont bien troussés :
« C’est toi l’huile, moi le beurre
Toi tu files quand je pleure
Traversés par nos faiblesses
Je déprime et toi tu stresses
Toi sans moi, moi sans toi
On n’y a même pas pensé
Si jamais ça nous prend,
Rendez-vous dans l’escalier ! »
Mais l’écoute perturbée par des procédés trop faciles, je n’ai pas dansé, même intérieurement. Pourtant :
« Et je suis avec vous au bal des vivants
Et je suis avec vous dans un tableau géant
Un manège envoûtant, ces païens
Sur ce plancher chantant
Personne n'est chancelant
Tout le monde se tient
Se tient bien »
Le nom même de l’artiste qui a collaboré avec Aldebert
avait peut être incité des parents à amener leurs enfants dans cette soirée, mais je me suis demandé s’ils pouvaient bien saisir par exemple que Laleina, « celle qui est aimée de tous », en malgache, est une adepte de la décroissance:
« Elle s’est délestée des malles remplies d’autrefois
Elle porte une robe à volants, un talisman et sa voix
Et tout l’tralala , Laleina l’a liquidé
J’envie la légèreté de Laleina
J’envie sa bonne étoile et son bel éclat »

samedi 29 septembre 2018

L’art de perdre. Alice Zeniter.

Je rejoins volontiers l’idée que le prix Goncourt des lycéens est une distinction des plus sûres : ce roman est pour moi le livre de l’année procurant le même bonheur que ceux de Maylis de Kérangal : http://blog-de-guy.blogspot.com/2015/10/reparer-les-vivants-maylis-de-kerangal.html , avec une empathie de même intensité.
Chaque chapitre recèle une scène forte, constituant au bout des 500 pages, un volume remarquable à propos de nos identités.
Le titre s’avère bien plus profond que ce qu’il m’évoquait comme rapprochement, avec le délicieux « Que le meilleur perde » de Bon et Burnier, une gourmandise, comme les « langues de chat » venues du Leclerc que la grand-mère kabyle sert à ses petites filles qui auraient préféré ses gâteaux au miel.
«  Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître,
Tant de choses semblent si pleines d’envie
D’être perdues que leur perte n’est pas un désastre. » Elisabeth Bishop 
Il s’agit autour du sujet délicat des harkis, traité en finesse, de remonter le temps, revisiter des pays, suivre l’existence palpitante de trois générations depuis le grand- père devenu un «  jayah » (celui qui n’est plus dans le troupeau) qui ne peut plus rien apporter à la famille, ne comprend plus son monde et que personne ne comprend. 
Plutôt que des coïncidences éclairantes, les silences, les maladresses, laissent de la place pour les révélations.
« Si elle savait qu’à la fin de l’été 56, son grand-père s’était trouvé ici, à quelques mètres à peine de l’endroit où elle se tient, pris dans une pluie de verre, de plâtre, de sang, elle contemplerait peut être la place avec avidité… »
Les formules frappantes, les observations acérées et légères, les images poétiques, abondent, sans encombrer :
 « Ce qu’on ne transmet pas se perd, c’est tout. Tu viens d’ici mais ce n’est pas chez toi. »
« Autant chercher les racines du brouillard. »
«  On ne sait pas ce qu’il vend et on ne sait pas ce qu’il gagne. Probablement rien, mais ça lui prend tout son temps. »
«  Elle lui assure que tout va bien, qu’elle veut simplement parler. En s’entendant prononcer ces mots, elle prend conscience de ce qu’ils ont de menaçant. C’est la phrase qui précède les ruptures, c’est le mensonge du méchant dans les films d’action pour qu’on lui ouvre la porte. »
« Chez la plupart des gens, la colonne vertébrale ploie lentement avec les années et une sorte de calme s’installe. »
«  Je suis un ex-suicidaire qui serait prêt à devenir immortel pour peu qu’on le menace tous les jours, dit il »
En guise de résumé, ces paroles d’un des protagonistes, extirpées par sa compagne, pourraient faire l’affaire:
« On était dans un camp, on était derrière des barbelés, comme des bêtes nuisibles. Je ne sais plus combien de temps ça a duré. C’était le royaume de la boue. Mes parents ont dit merci.
Et puis après, ils nous ont foutu dans la forêt,[…] Mes parents ont dit merci.
Ensuite, ils nous ont envoyés dans une cité HLM de Basse-Normandie, dans une ville où avant nous, je ne crois pas que qui que ce soit ait jamais vu un arabe. Mes parents ont dit merci. »
Ou bien cette vision : «  Annie en robe d’été qui court dans les oliviers, sa peau dorée par le soleil, qui se tourne vers lui en souriant, en criant son nom note suspendue quelques secondes puis qui enfle devient stridente insupportable cris multiples hommes femmes hurlements déchirent la gorge et les oliviers brûlent traits noirs contre le ciel odeur de pneu fondu chair éclatée homme feu qui trébuche homme-fer tombé au sol sous les hués on reviendra pour toi pour ton père on reviendra. »
La complexité est rendue avec clarté :
« Il voudrait comme Gilles et François, des parents au mode vie identifiables et cohérents qui peuvent être rejetés en bloc - mentalité paysanne, mentalité bourgeoise. Au lieu de quoi il a hérité d’un père insaisissable, qu’il voudrait défendre mais qui refuse d’être défendu. »
Et si hommes et femmes n’entrent pas forcément dans des familles aussi typées que celle de la tristesse ou celle de la colère, j’aimerais retenir cette façon de dire la fragilité du bonheur :
« vous vous penchez et voyez que votre lacet est défait. »

vendredi 28 septembre 2018

Le Postillon. N°47. Automne 2018.

En lecteur suiveur des humeurs trimestrielles contenues en 20 pages du journal n’hésitant pas à distribuer surtout les mauvais points, je vais distinguer dans leurs brèves et articles ce qui me ravit ou me désole.
J’aime quand ils vont à l’encontre des opinions communes surtout quand elles fleurissent dans leur camp où l’herbe est plus verte. Ainsi la critique, si elle est extrême de chez écologie profonde, vis à vis d’Aurélien Barrau, l’astrophysicien grenoblois qui cartonne sur Youtube avec « Des mesures politiques radicales pour sauver la planète », est tonique.
Et ils peuvent y aller franco lorsque les Républicains hurlent à l’insécurité alors qu’un des leurs à Fontaine était suspect dans la disparition de Maldera, un fameux mafieu. 
J’apprécie quand ils farfouillent encore du côté de la profession d’ingénieur, tellement répandue par ici, dont ils ne loupent jamais une fuite en avant vers des productions inutiles voire nocives. Lorsqu’ils ne s’en tiennent pas à des constructions théoriques, les publicistes de  l’association technophobe « Pièces et main d’œuvre » sont plus convaincants en nous alimentant en témoignages vécus par des ingénieurs reconvertis dans les vignes, les chèvres ou correcteurs au Postillon. 
Il faudrait d’ailleurs que ceux-ci étendent leur vigilance aux dessinatrices : si « l’usine l’a payée pour cela » il faut un « e » au participe passé « payé », d’après l’orthographe de l’ancien monde blédard. La bande dessinée à propos de son travail de vacances dans une fabrique de ravioles était d’ailleurs intéressante.
Je goûte à tous coups les conversations au comptoir, cette fois avec la patronne du « Bien être », bar de la place Championnet :
«  C’est bien beau Internet, mais ça n’écoute pas beaucoup. »
J’accompagne volontiers un marcheur le long du Drac, et déguste  l’article bien écrit, historique, juridique, politique, qui interroge : « les arbres peuvent-ils plaider ? »
Les rédacteurs (trices) anonymes sont heureusement prudents quand ils décrivent un conflit au travail chez Emaüs, tout en révélant des comportements problématiques. 
Avec le récit d’une fin de vie du côté de Coublevie, peut-on parler de « mort suspecte » ? La discrétion serait me semble-t-il de mise quand la douleur dans ces moments là affecte tout discernement.
Leurs expatriations au delà des fortifications d’Haxo sont toujours pittoresques et bien sûr le pavillon Keller à Livet-Gavet où a été tourné le film «  Les rivières pourpres » était tout indiqué pour une visite en dehors des journée du patrimoine, d’autant plus que des projets ambitieux ont été envisagés pour le réhabiliter, mais auront bien du mal à se concrétiser.
Par contre je suis en total désaccord avec leur complaisance récurrente envers ceux qui ont mis le feu à une boutique du CCI, qui présentait des innovations dédiées au commerce ou à l’égard des tagueurs, contre Levy le directeur de l’Université, qui ont salopé une fois encore la fac :
«  La rentrée ça gaze(ra) » ne peut que déclencher l'indignation.

jeudi 27 septembre 2018

Mandala en piécettes # 2.

Le roi des pièces jaunes, c’est bien mon voisin Hubert et non Bernadette Chodron de Courcel ( Chirac)
Il dispose les pièces de 1, 2, 5 et 10 c d’€uros, en voie d’obsolescence, en ne se contentant pas de les laisser en tas , comme tant d’oeuvres contemporaines, mais en les disposant sous forme de pyramides soignées aux proportions harmonieuses quoique fragiles.
Il aime souligner bien des absurdités de notre société de consommation  :
« Un article à 14,99 € se vendra-t-il mieux que ce même article à 15 € ?
En tous cas la monnaie permet de réaliser de beaux mandalas en relief »
Pour cette création, le familier des animations en sable à disperser au bout d’un patient travail, qui l’a amené d’écoles en maisons de retraite, a fait appel à des mendiants.
Sillonnant la ville en vélo, et volontiers liant, il n’a pas hésité à associer les plus démunis à son entreprise. Ainsi se rejoignent, non sans humour, les hommes à qui l’argent fait défaut et cette masse de monnaie en cuivre réputée sans valeur mais pesante.
Voilà une idée que Pinault, le milliardaire esthète, ne pourra mettre en ses palais.
Lors d’une de ses compositions, il a rassemblé 3888 pièces de 0,01 €, 1805 pièces de 0,02 € et 1916 pièces de 0,05 € pour un total de 170,78 €. Le facétieux moine cycliste aurait pu arrondir.