mardi 29 mars 2016

Azrayen. Lax. Giroud.

Je m’étais demandé pourquoi les noms du dessinateur et du scénariste étaient plus en évidence que le titre de l’édition intégrale.
C’est que les pères acteurs de cette guerre sans nom ont inspiré ce récit dont la préface de Benjamin Stora valide le travail minutieux des fils qui fournissent des annexes copieux.
En 1957, une section de vingt-deux hommes a disparu en Kabylie, un autre groupe de militaires part à leur recherche, en se comportant parfois de façon très brutale à l’égard des populations. 
Azrayen est le surnom du lieutenant disparu, « l'Ange de la Mort », amant d’une institutrice berbère qui participe un moment aux recherches, elle n’a pas la langue dans sa poche :
 « C'est vous qui parlez de civilisation ? Vous qui rasez des villages entiers ? Vous qui déportez leurs habitants dans des camps immondes ? Vous qui torturez les patriotes dans le secret de vos caves ? »
Mais le propos n’est pas manichéen :
« A quoi bon un pays débarrassé de l'occupant s'il y règne encore la tyrannie des coutumes et des barbaries d'un autre âge ? »
C’est l’hiver et parmi les pierres et la misère, la situation de guerre parait encore plus insensée pour les colonisés et les occupants : qu’y a-t-il à gagner ?
Violence et incertitudes : un scénario bien mis en valeur par des dessins nerveux et des couleurs au réalisme sonnant juste.

lundi 28 mars 2016

A perfect day. Fernando Leon de Aranoa.

Une équipe d’humanitaires dans les Balkans affrontant l’absurde, nous fait partager un humour qui les sauve du désespoir. Dans deux véhicules, deux vieux baroudeurs et la petite dernière à initier, assurent sous des dehors forcément désinvoltes, une mission dont l’efficacité ne tient qu’à une corde. Les paysages sont magnifiques, les filles jolies, les puits maléfiques, les vaches piégeuses, un innocent ballon devient un objet de pouvoir révélateur des incompréhensions. Excellent, on peut penser à « M.A.S.H. ». Avec Benicio Del Toro, Tim Robbins, Olga Kurylenko, Mélanie Thierry.

dimanche 27 mars 2016

Les insoumises. Isabelle Lafon.

Un tel titre a beau devenir anodin au pays des « mutins de Panurge » comme disait Philippe Muray, c’est pourtant un moment intense que nous avons partagé dans le Petit Théâtre de la MC2. Il est justement question de la recherche des mots justes et de la violence de cette quête dans les trois séquences proposées, du temps de Staline en Russie, avec Virginia Wolf à Londres et dans un hôpital psychiatrique.
Deux entractes d’une demi-heure entre trois séquences d’une heure dix laissent le temps de prendre une bière et une soupe à La Cantine de « La maison de la culture » qui commence à s’organiser plus efficacement.
D’abord « Deux ampoules sur cinq » : depuis un appartement communautaire à l’époque de Staline, la poétesse Anna Akhmatova et la journaliste Lydia Tchoukovskaia, femmes de lettres, comme on disait dans ces années 30, ont des raisons de  se méfier des mots. Un fils emprisonné, un mari arrêté, l’une apprend les créations de l’autre pour en conserver la mémoire plus sûrement que sur un support papier. A la lumière de lampes torches, elles se confient et surmontant l’urgence, la poésie les sauve.
« Let Me Try » s’inspire du journal de Virginia Woolf. Trois actrices mettent en forme les différentes personnalités de celle qui voulait « saisir les choses avant qu’elles ne se transforment en œuvre d’art ». Elles sont drôles et tragiques, légères et brûlantes, iconoclastes, enluminant le moindre feuillage. L’écriture se cherchant, enrichit, colore la langue, élargit la pensée.
Dans la troisième partie «  Nous demeurons », peut-on parler d’ « insoumises à la raison » à propos de femmes qui viennent exposer leurs délires poignants rassemblés dans des revues de psychiatrie ? Elles sont submergées par des voix intérieures, leur souffrance est exposée avec conviction par les comédiennes qui nous rendent proches ces aliénées de la fin du XIX° siècle.
Si les démarches en Russie ou à Londres étaient une recherche de liberté, malgré leur vigueur commune, elles ne peuvent se confondre avec l’expression des diverses folies. « Expression » comme on  dit d’un linge tordu ou comme on presse un fruit, elle se rapproche parfois de nos expériences, quand les mots résistent. Mais je me méfie d’une vision candide de termes aux allures chatoyantes qui sont pour ces femmes seules autant de cris dans le désert, aux désarrois irréductibles.

samedi 26 mars 2016

L’amour humain. Andreï Makine.

Le titre situe l’ambition du roman qui embrasse l’histoire de la décolonisation en Afrique.
« une vie qui nait quand l’Histoire, ayant épuisé ses atrocités et ses promesses, nous laisse nus sous le ciel, face au seul regard de l’être qu’on aime »
Elias, l’africain héroïque, un révolutionnaire professionnel formé par les russes, connaitra Cuba et les exaltations, les désillusions de la guerre froide en pays chauds.
Le côté « Un Angolais en Sibérie » invite à la comparaison avec une bande dessinée qui serait magnifiquement dessinée: le style est coloré, mais le scénario conventionnel n’évite pas les facilités, avec contrastes entre champagne des colloques et eau des marigots, sur fond d’ apparitions de belles qui ne font que passer.
 « Et ce soir là, en 1967, sur une plage cuivrée par le couchant, il apprit la fin d’Ernesto.
Cette mort resta ainsi à jamais liée, dans son souvenir, au saignement vif des nuages, à la somnolence des vagues, au visage éploré de cette jeune cubaine qui lui annonça la nouvelle. Une chevelure raidie par le sel, des lèvres dont il effaça, d’un baiser, un gémissement un peu trop artistique »
Entre un amour absolu et irrésolu et les pauvresses violées, la place est réduite pour que des personnages hésitent, vivent, s’approchent, se connaissent.
La fresque de 295 pages peut s’envisager comme un poème avec reprise au refrain  de quelques motifs : une femme dont les soldats vont fouiller la bouche pour en extirper quelques  granules de diamants, un enfant enterré avec son masque, le creux du coude de la mère, une maison en bois au perron enneigé…
« A Luanda un couple parle de la graisse restée dans une poêle, à Lusaka une femme dort à côté de son mari diplomate qu’elle n’a jamais aimé, à Paris une intellectuelle rédige un texte sur les révolutions trahies … »

vendredi 25 mars 2016

Vivre ensemble.

Il n'y a pas que des  faux plafonds qui se sont affaissés à Bruxelles. Le virus instillé par les assassins, se disséminant encore plus facilement que des clous, a franchi mes barrières immunitaires installées par des décennies d’éducation républicaine et depuis dupliquées en versions diverses.
Je ne peux plus entendre l’expression «  vivre ensemble » dont j’ai pourtant tant usé, sans être sur la défensive.
Ensemble avec qui ? Les assassins ont même renoncé à vivre pour nous empêcher de respirer, de laisser nos cheveux aller dans le vent, de rire, de penser.
Je ne supporte plus les « même pas peur », les dessins de Tintin qui pleure,  du capitaine Haddock jurant pour souligner nos impuissances et le Manneken-Pis, qui n’a qu’à arroser les bombes pour qu’elles s’éteignent : ça n’a rien éteint ! Non je n'ai pas la frite et la bière ne passe pas.
Les enfants de Molenbeek  de nos écoles bienveillantes ont massacré nos enfances nunuches dessinées à la ligne claire, après avoir saigné nos adolescences Grand Duduche.
Ah les sages, sur les réseaux sociaux qui s’expriment tout de suite pour dire de ne pas parler trop vite sur les réseaux sociaux !
Regardons ailleurs : n’y aurait-il pas un intellectuel pas correct qui se serait exprimé pas comme il faut , pas où il faut?
Oui la déchéance de nationalité est bien dérisoire et elle existait déjà, mais les critiques à son égard sont du même niveau : politicard. 
Qui a contesté l’état d’urgence ? Qui gène-t-il ? Cependant son inscription dans une constitution tombée entre de sales mains, peut craindre.
Quelques pétitionnaires ne veulent pas que la victoire contre les ennemis de la démocratie se paye par une altération de celle-ci, mais ne voient-ils pas que dans le paysage s’accumulent tant de cadavres ?
Ils nient l’état de guerre en ignorant qu’ils sont désignés comme ennemis par toutes les branches de Daechis. Ce ne sont pas les protestations de gentillesse du parti du Bien qui amenuiseront la jouissance des barbares quand sont paralysées l’Europe et ses institutions.
Pas de conclusion: pas de conclusion; pas de solution: pas de solutions.
......
Le dessin du "Canard" de la semaine est en tête d'article.

jeudi 24 mars 2016

Le Caravage et les caravagesques italiens. Jean Serroy.

Ce soir le conférencier, devant les amis du musée de Grenoble, a commencé par la Genèse :
« La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres. »
et les lamentations de Jérémie :
« Il me fait habiter dans les ténèbres,
Comme ceux qui sont morts dès longtemps »
Du néant, de la mort, depuis les zones noires et les mises en scènes dramatiques, la force lumineuse, détachant les volumes, va jaillir du « ténébrisme ».
La modernité pointe son nez  au XVII° siècle, au milieu d’un bouleversement culturel et spirituel décisif pour notre civilisation.
C’est le temps de la reconquête catholique, du concile de Trente, quand des sciences remettent en cause les connaissances. L’homme va-t-il être privé de la grâce, de la lumière ?
« Saint Jérôme » le traducteur de la bible en latin, fait face au crâne : « memento mori ». Le « ténébrisme » se distingue du clair obscur qui procède par degrés, il assume le face à face, le contraste.
Si la lumière de Jacopo Bassano vient de l’intérieur du tableau, le peintre maniériste annonce le Caravage en particulier dans « La déposition du Christ »
comme Le Gréco  et  son « Jeune garçon soufflant sur un tison »
ou dans les couleurs éclatantes, sortant de l’ombre avec une bougie et une torche, d’Antonio Campi dans « La Décollation de Saint Jean-Baptiste ».
Michelangelo Merisi dit Caravaggio, peintre maudit, eut les faveurs de princes de l’Eglise car il remplissait les maisons de Dieu. Au cours de ses fuites, de la Lombardie, à Rome, Naples, à Malte, il reçut de nombreuses commandes. Puis l’engouement passé, oublié des siècles suivants, il est redécouvert dans la seconde partie du XX°. Il inspire de nombreux romans dont « La Course à l'abîme » de Dominique Fernandez et plus récemment « La mort subite » d’ Álvaro Enrigue, des films dont «  Caravaggio » de Dereck Jarman.
Mon voisin de conférence m’envoie un commentaire de Fernandez  extrait de son dernier livre « Nous avons sauvé le monde » à propos de la phrase de Poussin : « Caravage a détruit la peinture » :
« Ce qu'a détruit le Caravage ce n'est pas tant la peinture, mais l'illusion que la beauté, la propreté, l'hygiène, la bienséance vestimentaire sont le bien de tous. Beauté, propreté, hygiène, noblesse dans le maintien, dignité dans les manières, correction dans les vêtements, de telles valeurs ne sont pas universelles, elles sont un luxe qui n'appartient qu'à certaines classes de la société. »
Baglione, un de ses concurrents malheureux, peut nous éclairer, tout autant que ses nombreux laudateurs :
« Une tête de sa main se payait plus cher qu'une grande composition de ses rivaux, tant était grande l'importance de la ferveur publique ...ferveur publique qui ne juge pas avec les yeux mais regarde avec les oreilles.»
« L'Arrestation du Christ »  au moment du baiser de Judas montre la proximité du bourreau et de sa victime comme dans sa dernière œuvre « le martyre de Sainte Ursule » où brillent aussi les cuirasses.
Par contraste sa « Corbeille de fruits », œuvre de jeunesse, inondée de lumière est originale par la vue en contre plongée et les marques de pourrissements, de flétrissures, qui n’embellissent pas la réalité.
Parmi sept versions,  « Saint Jean Baptiste » à la grâce alanguie, est bien vivant, dénudé par la lumière, qui éclairait  aussi le célèbre « Bacchus », jeune homme, un peu las.
Quand celui qui est désigné par Jésus, semble interroger : « qui ? moi ? » au  moment de « La  vocation de Saint Matthieu », une « lumière de soupirail » éclaire le bureau du fisc comme les tavernes à venir
Deux versions de « Saint Mathieu et l’ange » écrivant sous la dictée sont également fortes, mais je préfère la charmante complicité du jeune et du vieillard qui fut refusée pour son trop grand naturel, dont ne subsiste qu’une copie, car la toile originale fut détruite par les bombardements de Berlin à la fin de la seconde guerre mondiale.
Les ténèbres ont couvert la terre, la sauvagerie se déchaine lors de la flagellation du Christ, ou au moment de la mise au tombeau, Le Caravage, qui a beaucoup vécu la nuit est sublime, son désir de lumière éclate avec «  La conversion de Saint Paul ».
Le « caravagisme », lumière et naturel, trouvera en Bartolomeo Manfredi un disciple qui n’est pas seulement un théoricien, voir son « Arrestation du Christ ».
Artemisia Gentileschi et la violence de « Judith décapitant Holopherne » répond à un viol qu’elle avait subi et n’était pas resté caché.
De Francesco Guarino, « Sainte Agathe »  qui eut les seins coupés, est saisissante.
Mais pour conclure sur un bel équilibre, ce « Le baptême du Christ » de Battistello ira bien, non ?
Il y eut un temps aux amis du musée de Grenoble où Le Caravage était cité presque à toutes les conférences, j’en ai retenu quelques pages dans les archives de ce blog, quand il fut question du noir: http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/09/le-noir-damien-capelazzi.html
Et lorsqu’il fut exposé à Montpellier :

mercredi 23 mars 2016

Le goût de l’eau. Michel Rivard.

Quand, même lui, mon chonchon, mon unique, Souchon, déçoit  avec Voulzy  trop en avant dans l’avant première d’un album attendu :
«Derrière nos voix 
Est-ce que l'on voit nos cœurs ? 
Et les tourments, à l'intérieur ?
Ou seulement la, la, la?»
retrouver un vieux CD qui remonte à 1992 de Michel Rivard réconforte avec sa suite de « chansons naïves » sur des mélodies variées et séduisantes.
« Écoute mon amour
écoute comme c’est beau
ce n’est pas le moteur
ce n’est pas la radio
ce sont des larmes d’ange
sur le toit de l’auto
oh! Le goût de l’eau »
L’enfance est confiante : « une bille de verre », et poétique « sous la lune d’automne » :
« Dans l’nord d’la ville
d’une ville du nord
y a un ti-cul qui cherche encore
le fil de sa mémoire
et la lune d’automne
brillera ce soir
Je n’aime pas la nostalgie
c’est une maîtresse inassouvie
aux yeux trop bleus
mais je t’emmène en ville à pied
j’te fais présent de mon passé »
Quand on est emballé, tout parait délicieux : sa reprise de « la princesse et le croque note » de Brassens est à la hauteur, et même le déprimant « l’oubli » est fort, pourtant « en parlant de la paix » a pu s’user comme  « les dinosaures », mais le charme opère toujours et on approuve l’invitation toute simple « veux-tu danser ? » ou la demande « garde-moi de la peur » de « Tout seuls en Amérique ».
Je recopie quelques mots de  « tu peux dormir » 
 « J’voudrais m’glisser dans tes silences
savoir enfin à quoi tu penses
quand tu souris
le temps qui passe est un méchant
papa le temps est un méchant »
 juste pour évoquer les jeux avec les rencontres, le temps,  l’enfance toujours, la légèreté pour aller au cœur des auditeurs, dans cette dernière chanson loin d’être aussi célèbre que l’immense « complainte du phoque en Alaska » du temps où il faisait partie du groupe Beau Dommage.