dimanche 15 mars 2015

Cyrano de Bergerac. Edmond Rostand Georges Lavaudan

Est-ce que mon enthousiasme d’il y a deux ans http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/04/cyrano-de-bergerac-edmond-rostand.html pouvait se renouveler ? Oui !
Avivé par la conviction que ce sont les mots qui sauveront notre humanité, après les déflagrations de janvier, j’ai apprécié ces deux heures et demie où l’humour, le panache, emportent l’émotion.
Au plus profond des palpitations de la vie, le théâtre amène les siècles révolus et leur romantisme dans les mœurs les plus contemporaines : tchatcheurs en battle.
La mise en scène met en évidence le texte initial.
Les sentiments sont absolus, les fêlures se regardent en face, l’héroïsme ce n’est pas vaincre cent épées mais mourir debout.
La délicatesse :
« Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce?
Un serment fait d'un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer;
C'est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d'un peu se respirer le coeur,
Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme! »
Dans une autre version j’avais aimé la tirade des "non merci"
« Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?
Non, merci ! »
Cette fois j’ai apprécié un des sept moyens de monter dans la lune :
«Sur une sauterelle aux détentes d'acier, 
Me faire, par des feux successifs de salpêtre,
Lancer dans les prés bleus où les astres vont paître ! »
Il s’agit d’une scène secondaire où Cyrano doit faire attendre De Guiche, je l’ai choisie pour retenir le plaisir de chaque instant, la saveur de chaque vers, la verve de chaque mot, les couleurs de chaque personnage avec une Roxane peu précieuse dont tous sont amoureux.
Sur cette lune où il va retourner au moment de mourir, sans engin mécanique, ni espoir de cent vierges ; il a aimé pour cent amoureux sur la terre et s’est élevé cent fois au dessus des contingences.
« - Les feuilles !
Elles sont d'un blond vénitien.
Regardez-les tomber.
-Comme elles tombent bien !
Dans ce trajet si court de la branche à la terre,
comme elles savent mettre une beauté dernière,
et malgré leur terreur de pourrir sur le sol,
veulent que cette chute ait la grâce d'un vol !
- Mélancolique, vous ?
- Mais, pas du tout, Roxane !
- Allons, laissez tomber les feuilles de platane...
et racontez un peu ce qu'il y a de neuf.
Ma gazette ? »
Cette Roxane peut être un absolu, une « inaccessible étoile », une  figure comme Marianne de la République à qui on voue de grands mots et qui échappe, les prétendants étant trop sots. Mais point besoin d’extrapoler : les rouages de la pièce s’enclenchent parfaitement. Les excès les plus fous sont au service d’une quête toujours lucide. Les détails savoureux se révèlent, comme se goûtent  les retrouvailles avec les morceaux de bravoure pas escamotés : des brioches sont emballées dans des cornets en papier où sont écrit des poèmes, la nonne qui ne cherche pas à convertir le vieux Cyrano  peut prier pour lui, elle n’avait pas attendu son autorisation.

samedi 14 mars 2015

Fête du livre de Bron 2015. Qu’est-ce qu’on a en commun ?

Depuis trente ans que cette fête existe, je ne l’ai découverte que l’an dernier et ce fut un régal : http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/03/fete-du-livre-bron-2014.html
Cette fois j’ai manqué Marie-Hélène Lafon et Emmanuelle Pagano que je tenais à entendre sur le thème « de l'influence du paysage » en littérature, et ma vexation de m’être trompé d’heure a été avivée par une amie croisée dans la salle des parieurs de l’hippodrome de Parilly, qui en sortait, enchantée par les deux romancières.
Alors nous nous sommes consolés ma comparse et moi avec deux auteurs qui m’étaient totalement inconnus, bien qu’ « auteurs majeurs de la littérature contemporaine internationale » : John Burnside et José Carlos Somoza réunis pour leur tendance à mélanger les genres : polars, fables, réalité et imaginaire, ombre et lumière.
L’écossais jovial est un poète qui ne manque pas d’humour. Son roman « L’été des noyés » se pare de mystères : dans une île près du cercle polaire, les légendes rapportent qu’une femme à la beauté fascinante entraine les jeunes gens vers la mort … 
Dans « Le Tétraméron », l’espagnol né à la Havane, livre un roman gothique où les fables cruelles contées à une jeune fille au sortir de l’enfance s’emboitent comme poupées gigognes.
Cocteau fut évoqué opportunément : « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité », puisque cette dualité est au cœur de la création littéraire.
Pour illustrer la part subjective qu’apporte celui qui a un livre devant ses yeux, l’ancien psychiatre auteur de « La caverne des idées » a évoqué un lecteur qui avait trouvé la description de la Havane ancienne particulièrement fidèle, alors que l’écrivain n’y avait vécu que les premiers mois de sa vie.
L’imagination nous fait grandir et quand « la folle du logis », l’imagination, se déchaine dans des pages, une fois le livre refermé, nous entrons dans d’autres formes de folie.
Ce sont, en ce moment, des marteaux bien réels qui s’attaquent aux statues.
En attendant la rencontre avec la star rock Djian et la punk Despente, je consentais à assister à la prestation d’une actrice qui écrit : Anne Wiazemsky.
Et nous fûmes emballés par la sincérité, la force, de l’ancienne femme de Godard, digne de son grand père François Mauriac.
Ce n’est pas le côté : j’ai connu  Deleuze, Bertolucci, Bresson… qui m’a séduit, mais la vérité de l’écrivaine se démarquant de l’autofiction, tout en s‘autorisant quelques reconstructions de la mémoire. L’écriture lui vient quand les personnages (re)vivent. Par modestie, elle n’a pas mis en exergue Colette:
«Imagine-t-on à me lire que je fais mon portrait ? Patience, c'est seulement mon modèle. »
Pourtant, je pressens que c’est tout à fait ainsi qu’elle a écrit. Sa façon de nous parler de l’histoire de sa mère donne vraiment envie de lire son livre : « Un enfant de Berlin » antérieur à sa trilogie : « Jeune Fille », «  Une année studieuse »,  « Un an après ».
A la sortie de la découverte de cette belle personne, au regard passionné, quelle ne fut pas notre déception avec l’auteure de « Baise-moi » et celui de « 37° 2 le matin » dans l’entre-soi avec Sylvain Bourmeau qui ignorait même le titre de l’entretien ( par la barbichette) qu’il était sensé diriger : « les illusions perdues » !
Si Despentes garde encore quelque fraicheur, le parolier de Stephan Escher fut pathétique et sa suffisance n’entraine pas à lui voter des circonstances atténuantes. Leur connivence se dispensant de respecter le public, nous ignorerons sans doute leur dernière production : « Vernon Subutex » disquaire nostalgique de l’une et « Chéri-chéri », un écrivain le jour, travesti la nuit, venu de l’autre. Nous avons appris que celui qui prétend écrire pour l’agriculteur de Corrèze sur son tracteur, et pas seulement pour les habitants du VI°, vient de déménager, dans le VI°. Mon Massey Ferguson est tout ému de la confidence.
La rock attitude d’un membre éminent de l’élite de la littérature française tient dans un look, d’avantage que dans un serment Clearasil qui consiste à « ne  pas trahir ses rêves de jeunesse ».
« Waouh ! » n’a- t-il cessé de s'exclamer à propos de la langue de sa jeune collègue.
« C’est un peu court, jeune homme ! » aurait dit Cyrano.

vendredi 13 mars 2015

Antiquités grecques.

Je vais éviter de relire mes leçons d’instruction civique concernant  l’abstention, car avant les élections départementales, je suis plus près de la promenade printanière, sans passer par l’isoloir, que d’apporter ma voix à ceux qui ont tant esquinté la gauche :
surtout pas à la filiale Cahuzac, ni aux braillards Poutiniens.
Les ambulances ont versé dans le fossé.
Bref, je n’irai pas plus loin sur ces chemins craignant de n’y croiser que des trains de sénateurs. Pas plus que je ne disserterai de Macron, ne sachant rien en économie, ni de Syriza, découvrant chaque jour des aspects ignorés de la politique en France ; alors la Grèce : je ne sais pas.
Par contre j’évite de m’enfouir la tête dans le sable, quand les moyens les plus modernes retrouvent le fondamentalisme le plus moyenâgeux.
Et je sais Cabu, Wolinski effacés, les petites filles explosées et les statues démolies.
Quand un enfant devient un bourreau, c’est l’enfance qui est tuée.
L’école, je connais… je connaissais, car à la faculté, désormais, il faut des rattrapages en dictées pour des étudiants en lettres modernes ! J’avais appris pour les ingénieurs, mais je crains qu’il ne soit trop tard, avec des profs en exercice, confondant « la tension » et « l’attention »sur des bulletins, nuance au cœur pensais-je de leur métier, et qui n’en ont rien à foutre de se corriger ! Comment peut-on les respecter ?
Je croyais que la gauche (la gauche ?) avait à voir avec la culture. Mais point du tout ! Elle minimise les motivations religieuses, ethniques qui expliqueraient une part des crises du monde. Les lunettes économiques en œillère ne signent pas qu’un défaut passager, mais un vice constitutif chez les princes qui nous gouvernent. Ceux-ci nourris à la com’ n’envisagent plus la complexité et préfèrent s’en prendre à Onfray, le philosophe, et asséner quelques mots outranciers pour « faire sens », croient-ils. Alors face à « apartheid » les mesures semblent dérisoires même si  par contre le terme « islamo fascisme » dit avec justesse ce qui nous sidère présentement.
Dans la réforme du collège, ils tirent l’enseignement vers l’animation et enfoncent les élèves dans une léthargie imposée par un système qui ne croit plus en lui-même.
Ah, les réseaux « sociaux » se sont déchainés, car Goldman a dit aux jeunes : «  remuez-vous ! » Comment ne pas pointer la décadence de notre société qui se perd dans des querelles qui n’en sont pas !
Alors que les élèves : «ils ont sommeil de 8 à 9, ont faim de 11 à 12 et sont excités de  16 à 17» d’après la formule ramassée d’une collègue que j’ai connue bienveillante et qui persiste à l’être. 
D’accord pas d’amalgame : il y en a aussi qui digèrent de 14h à 15h et d’autres qui sont fatigués de 8h à 17h.
La prof, elle, est debout, j’en connais aussi.
Et tant s’appliquent encore à élever les petits, se mettant à leur portée, sans s’abaisser, les écoutant sans les approuver à tous coups.
En insistant sur le mot qui se perd, « élever » : Maggiori dans Libé parlant du philosophe Jean-François Mattéi :
« Depuis l’aube grecque, toutes les connaissances linguistiques, religieuses, philosophiques, esthétiques, scientifiques, sociales, éthiques, juridiques, économiques, historiques se sont bâties de façon architectonique, sur le modèle d’une cathédrale, dont l’architecture - «non de pierre, mais de pensée» - est gouvernée par la «raison universelle» : l’humanité de l’homme, comme conscience, sujet de droit, être social, vient de ce qu’il habite au centre de ce système et en est nourri, «édifié». «Que l’on édifie le monde à partir d’un modèle scientifique, l’homme à partir d’un modèle éthique ou le citoyen à partir d’un modèle juridique, le geste d’édification a pour but d’élever la réalité de l’homme à la hauteur d’une idée, l’idée de vérité, l’idée de justice ou l’idée de bien.»
...... 
Le dessin de la semaine, je l'ai apprécié dans "Libération" .

jeudi 12 mars 2015

Niki de Saint Phalle. La revanche des nanas.

Catherine Marie Agnès Fal de Saint Phalle (1930 / 2002)  dite Niki (la victoire) vient de connaître les honneurs du Grand Palais à Paris.
Qui n’a pas croisé une de ses nanas colorée et plantureuse, dans des fontaines ou en produits dérivés ? Elles ne disent cependant pas tout de son œuvre.
Christian Loubet devant les amis du musée a évoqué son parcours :
« Ce qui la faisait vivre, l’a aussi tuée ».
Vers la fin de sa vie, les poumons rongés par les vapeurs des résines plastiques utilisées pour ses colossales sculptures, elle a publié « Mon secret » où elle raconte les agressions sexuelles que lui a fait subir son père, un banquier catholique, lors de « l’été des serpents », quand elle avait 11 ans. Deux des quatre enfants de cette famille se sont suicidés.
La belle avait fait la une de « Time », de « Elle », de « Vogue ».
Elle a quitté mari et enfants en 1956 et a commencé à peindre et sculpter à Nice où elle était traitée pour une dépression. Elle y a rencontré le groupe des nouveaux réalistes (Klein, Arman, César…) et Tinguely avec qui elle se remariera.
L’art est une thérapie : « L’agressivité qui était en moi commençait à sortir. »
Un de ses premiers tableaux : « My lover » représente Saint Sébastien au corps percé de vrais clous dont une cible a remplacé la tête.
Son « autoportrait »  en mosaïque a des airs d’une Frida Khalo sur la défensive, enserré dans des feuillages, constellé de drippings à la Pollock, traversé par une zone blanche qui ressemble à une coupure.
 « Feu à volonté » : elle tire sur des poches remplies de peinture rouge avec une carabine et invite les spectateurs à en faire autant : c’est de l’ « action painting », la performance sera renouvelée plusieurs fois
 « J’ai tiré sur : papa, tous les hommes, les petits, les grands, les importants, les gros, les hommes, mon frère, la société, l’Église, le couvent, l’école, ma famille, ma mère, tous les hommes, (…). J’ai tué la peinture.»
Elle règle aussi des comptes à la religion avec sa « Vieille bigote »,  détourne des exvotos, souille des autels mais ne renie pas une certaine spiritualité.
Ses « mariées » macabres ont le visage tellement las qu’il s’efface sous la fatigue.
Cependant la fréquentation d’une amie connaissant une grossesse heureuse, va modifier son expression d’un féminisme vigoureux. Les accouchées intimidantes vont laisser la place à des géantes aux formes rondes vantant pour certaines l’antiracisme.
Dans une exposition à Stockholm, le public pénètre « Hon (elle) », une structure de près de 30 m de long comportant un milk bar, une salle de cinéma, par «  la porte de la vie » : « La plus grande putain du monde » dit-elle.
La ville de Hanovre lui avait fait confiance, l’artiste lui lèguera 400 de ses œuvres.
Un des bâtiments du  Herrenhäuser gärten sera transformé selon ses indications après son décès : une grotte telle un kaléidoscope tapissé de miroirs et de pierres précieuses résume son travail foisonnant.
A Bâle, au musée Tinguely est installée « Gwendolyn », à Beaubourg «  La fontaine Stravinsky » et une fontaine à Château Chinon, le « Golem » à Jérusalem offre des toboggans, « Miles Davis » joue sur la promenade des Anglais ; sa notoriété est mondiale.
En Toscane à Capalbio, un chantier qui a duré 15 ans, NDSP réalise d’imposants monuments inspirés de Gaudi, du facteur Cheval, représentant 22 figures du tarot où se lit l’influence de Jodorowski :
« L’impératrice », « L’empereur », « La grande papesse », « Le diable », « L’ermite », « Le pendu » et devant « La tour brisée par un éclair » comment ne pas penser au 11septembre ?  Auparavant elle avait apprécié aussi les Watts Tower à Los Angeles qui n’étaient pas considérées par les artistes, alors qu’elle aussi se sentait une outsider parmi les autres artistes.
« Je n’ai jamais suivi d’école d’art et je suis autodidacte » : la définition d’une artiste « art brut ».

mercredi 11 mars 2015

Iran 2014 # J 20. Kandovan/ Tabriz

Aujourd’hui vendredi, c’est férié, le dimanche des musulmans, et déjà des voitures de touristes créent un embouteillage dans les deux sens. Du coup après la descente ardue du village, nous devons effectuer un morceau de trajet sur la route pavée en tirant nos valises entre les voitures. Hossein a bien fait finalement de ne pas s’engager. Il nous ramène à Tabriz, étape sur la route de la soie, dont Marco Polo disait « une grande ville entourée de beaux et agréables jardins. Elle est excellemment située et on y trouve des marchandises venues de toutes les régions.» 
Nous commençons la journée par la visite à la mosquée bleue. Cette mosquée désaffectée, écroulée lors d’un tremblement de terre en 1780 a été reconstruite selon les vœux d’intellectuels de la ville, mais il ne reste que peu de mosaïques azurées qui firent sa splendeur. Pour se représenter l’intérieur, elles ont été complétées et remplacées par de la peinture plus pâle, les coupoles rebâties n’arborant qu’un agencement des briques régulières. Peu de tapis recouvrent le sol, isolé par une moquette verte.
Comme la visite du bazar moderne s’avère compromise en ce jour religieux, Halleh, notre guide, propose de visiter la maison de la constitution ou Mashroutch, hors programme donc  payante, mais pourquoi pas ? Cela nous permet d’apprendre un peu l’histoire de la région, qui fut, au XIII° siècle, le centre administratif d’un empire s’étendant « de l’Anatolie à l’Amou Daria et du Caucase à l’océan Indien ». Ce fut le siège des indépendantistes azerbaïdjanais menés par deux soldats « immortels » qui créèrent une constitution que les shahs kadjar adoptèrent quand ils soumirent les séparatistes. Mais la langue farsi et les coutumes ne s’imposèrent jamais complètement, même encore aujourd’hui.
La maison construite au XIX° par un russe abrite un petit musée qui expose des photos de moustachus enroulés dans des cartouchières, des journaux, quelques bustes ou portraits, des coffres forts fabriqués à Marseille.
La maison conserve des vitraux colorés qui participent à son charme. Même si beaucoup d’éléments politiques et historiques nous échappent, c’est intéressant de constater que le vainqueur s’empare des trouvailles du vaincu.
Halleh n’a pas renoncé à réaliser nos souhaits d’acheter des faïences à motifs de poissons, mais la démarche chez un potier reste infructueuse. Nous allons nous poser dans un restau assez chic et moderne où elle nous commande un nouveau plat régional : le koufteh. Il se présente comme une grosse boulette de différents ingrédients mixés que Dany compare à du pâté de foie trempant dans une sauce rouge. Indépendamment, il y a aussi des feuilles de vigne garnies de riz. Le chauffeur qui a mangé avec nous va disposer de son après midi et nous conduit à l’hôtel, qu’il confond d’abord avec un cinq étoiles  près d’un parc squatté par des tentes de repos de  citadins du vendredi. Nous déclinons l’invitation de nous balader et préférons nous reposer un moment au Caspain Hôtel en attendant que la chaleur tombe un peu. Vers 17h, Halleh nous accompagne dans les rues calmes aux boutiques pas mal closes. Elle se dirige vers une librairie et avec sa gentillesse et son charme habituels, s’arrange pour que l’employé qui la reconnait nous transfère sa clé USB musicale sur un CD. Nous sommes reçus avec des bonbons et repartons avec  chacun un sac vert pomme. En descendant l’avenue, nous débouchons sur une place moderne encore en travaux : le centre en contre bas nous attire car le pavement imite les motifs d’un tapis.
A deux pas, à l’ombre d’un pont une petite animation / exposition, comme pour une fête de quartier, donne un peu de vie : nous y voyons des stands de maquillages pour enfants, des spécialités culinaires de régions (gâteaux)  ou artisanales et le clou, un magasin de services pour le mariage. Nous sommes chaleureusement reçus, photographiés, fêtés, honorés par l’organisation qui nous offre des bonbons et une femme nous fait cadeau d’une feuille en poterie bleu turquoise, comme ça, pour le souvenir !
Il semble que les étrangers ne s’attardent pas  ou ne passent pas à Tabriz, tant pis pour eux.
 Pour notre dernier repas,  Halleh a choisi un restau branché à deux pas de l’hôtel. Un escalier descend dans une cave bien décorée avec de objets de brocante et des photos sous le verre des tables de personnages dissidents,  et des extraits de journaux.  Elle commande des aubergines cuisinées de deux manières différentes, délicieux ! Puis elle nous remercie, s’excuse de son français et nous offre à chacun un pin’s de Mahura Mazda rangé dans une petite boite charmante, en souvenir, achetée à Ispahan. Nous ne nous éternisions pas, Chantal est chargée de réveiller les troupes à 2h 20 cette nuit : départ pour l’aéroport 2h 45.

D'après les notes de voyage de Michèle Chassigneux

mardi 10 mars 2015

Vingt-trois prostituées. Chester Brown.

L’auteur ayant refusé le titre proposé par les éditeurs : « Payer pour ça », le seul décompte de ses expériences sexuelles tarifées est fidèle à l’esprit d’un récit comptable méticuleux, où il prend sa calculette pour voir combien de passes il peut se permettre dans l’année. Il estime également ce coût en regard d’une relation achevée avec une amie qui a entrepris une histoire avec un autre homme.
227 pages de BD et 60 de postface, appendices et notes diverses, bibliographie : c’est que l’auteur est minutieux et  d’une honnêteté froide qui donne à ce récit entomologique une originalité et une force certaine avec un humour distancié bien présent.
Récit autobiographique sans bienveillance où le visage des femmes rencontrées n’apparait jamais, par respect, sans aller contre la précision clinique des dessins en noir et blanc.
Les affects sont éloignés, mais on suit avec intérêt l’évolution de l’homme, ses questionnements : allant de sa peur de l’arnaque à la notation sur les sites internet naissants au Canada.
Même ses plaisirs sont maitrisés, et le regard sans complaisance de ses amis permet d’élargir une réflexion concernant la violence, le trafic d'êtres humains, la présence de l'argent dans les relations, voire la fiscalité.
« - L’amour et l’occident de Denis de Rougemont.
- C’est bien ? C’est intéressant. La poésie romantique n’est devenue populaire qu’au XII° siècle.
Ça a commencé quand les troubadours du sud de la France se sont mis à écrire et à chanter des chansons d’amour.
A peu près au même moment, toujours dans le sud de la France, l’église catholique éradiquait la religion cathare.
- Ah la croisade des Albigeois.
- Rougemont pense que ces deux choses sont liées.
Il pense que certains cathares sont devenus clandestins…que les troubadours étaient des cathares résistants.
Quand les troubadours chantaient une chanson à la gloire d’une femme cela symbolisait leur amour pour le divin. »
Des annexes documentées venant après la relation des ses relations sans drame, peut apporter des arguments aux anti abolitionnistes dont aucun n’a pu résister pourtant à la question :
« Et si votre fille devenait prostituée ? »

lundi 9 mars 2015

Les merveilles. Alice Rohrwacher.

Parce que je craignais une chronique « miel  toutes fleurs » trop sucrée, j’ai été séduit, surpris par ce film italien qui traite de la vie d’une tribu familiale dans la pauvreté, dont les bonheurs n’en ont que plus de prix. « Tout ne s’achète pas »
Les « merveilles » c’est boire un rayon de soleil dans une grange poussiéreuse, piquer une tête dans  l’eau en été, rebondir sur un sommier qui sert à dormir à la belle étoile, sauter dans les flaques, rêver, danser…
Les « merveilles » ne sont surtout pas celles d’une émission de télévision titrée « Au pays des merveilles » qui tranche par son artificialité tonitruante avec le quotidien rude, parfois violent,  d’une communauté au travail.
Les filles aident un père bio débordé, à récolter le miel, ressource principale de la maison. On pourrait y voir de l’exploitation d’enfants, d’autant plus qu’un garçon prédélinquant et mutique est confié à cette famille persistant  à vivre dans les utopies des années soixante non pas en Californie mais dans les cours boueuses de l’Ombrie. 
Le baba n’est pas cool et l’apiculteur plutôt unhappy.
Un chameau, cadeau incongru, démesuré, poétique est offert à l’ainée, baptisée Gelsomina comme Giulietta Masina dans « La strada ». Cette préadolescente forte et douce, filmée avec sensibilité, est émouvante. Aimée, elle est un vecteur d’espoir, elle saura s’émanciper sans briser. Ses ainés auront pâti d’une campagne qui ne parait plus qu’en tant que cartes postales, genre guère usité désormais.