Au XVI° siècle, sous les lumières caravagesques, la peinture
naturaliste fait sortir la réalité de la toile et les hommes trinquent sans
même l’ombre d’une allusion religieuse en fond de scène.
Le conférencier Jean Serroy, aux amis du musée, nous
accompagne, d’auberges qui commencent à s’enfumer en assommoirs XIX°, de
gargotes en bistrots, de guinguettes en tavernes.
Le monde est nouveau, le sang circule, les planètes ont
trouvé leurs orbites, les cabinets de curiosité s’enrichissent, les natures
mortes répertorient le monde.
« Bacchus chez les
vignerons » de Vélasquez, le dieu à l’épaule nue, est descendu de son
nuage, il rayonne, mais les acteurs de la vendange aux têtes rigolardes
marquées par le soleil sont bien là.
Et lors d’un « Déjeuner des
paysans », le vin versé
par la servante constitue l’axe de la toile et scelle la discussion.
« L'on voit
certains animaux farouches, des mâles et des femelles répandus par la campagne,
noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent
et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix
articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face
humaine, et en effet ils sont des hommes. » La Bruyère
Trois catégories de paysans sont représentées dans « Repas
de paysans »
de Louis, un des trois frères Le Nain. Ceux-ci appartenaient à la paroisse Saint
Sulpice dirigée par le père Olier prêchant vigoureusement la charité au moment de la
reconquête catholique où l’attention se porte tout de même sur les miséreux. Le
propriétaire tient un verre éclatant d’une façon distinguée devant son fermier
et le va-nu- pied n’a rien.
« Le roi boit » de Jordaens et ce qui est bu ressort,
il avait peint aussi « Comme les
vieux chantent, les enfants piaillent », une autre façon de dire, tel
père tel fils,
« ce que chantent les
vieux, les enfants le fredonnent » dans « La joyeuse famille »
de Yan Steen où la fête est assumée dans un joyeux remue ménage, un chien
attend que quelque chose tombe de la table.
Celui-ci est admis à l’intérieur d’un cabaret, contrairement
aux femmes, hormis les serveuses, dans une
« Partie de cartes» de
David Teniers. Une commère
jette quand même un coup d’œil.
Par contre tout le monde se presse « chez Ramponneau » qui
a installé ses cabarets au-delà de la
barrière de l’octroi où il peut casser les prix. Benjamin Fichel
en reconstitue l’ambiance un siècle plus tard.
« Un bar aux Folies Bergère » est le
dernier tableau reconstitué en atelier de Manet qui a consacré une dizaine de
toiles aux cafés. Comme Degas et son « Absinthe » à la
composition décentrée, où une femme songeuse et solitaire au reflet flou,
pourrait illustrer « L’assommoir » de Zola qui fit scandale à
l’époque.
« Le café de nuit » de Van Gogh semble vide sous
la lumière trop crue qui a attiré les « rodeurs nocturnes » comme des
papillons.
Dans sa période bleue,
« Le repas frugal » de
Picasso, inspiré des illustrations des « soliloques du pauvre » de
Jehan Rictus, est sombre, anguleux, ses personnages émaciés, tragiques eux
aussi.
Mais il y a un art de boire, celui qui exalte la vie, issu
de l’art de savoir élever la vigne.
C’est une femme, « Femme célébrant le vin »
peinte par Bartolomeo van Der Helst qui présente un livre clairement
calligraphié. C’est plus facile de prendre position que lorsqu’il s’agit de
choisir entre jansénistes et jésuites, protestants ou catholiques.
Les convives de JF De Troy attablés autour d’un « Déjeuner
d’huitres » font sauter les bouchons, joyeusement.
« Le
buveur » d’Annibal Carrache coupe avec les grâces maniéristes, il a
les yeux qui interrogent le fond du verre,
et
« Le jeune dégustateur »
de Mercier a posé les clefs qui mènent aux trésors de la cave, il boit des yeux
une promesse de plaisir.
Greuze, apprécié de Diderot condamne « L’ivrogne »
qui ne tient pas son rôle de père, même le chien de la maison ne le reconnait
pas, il grogne.
« Sur le zinc », lors d’un de ses rares portraits, Vlaminck
pousse la caricature avec une pocharde à la lippe pendante, au mégot tombant, au
maquillage expressionniste.
Chagall, lui, reproduit
une coutume juive dans
« Double portrait au verre de vin »,
sur les épaules de Bella, il lève haut le verre.
Le vin va avec l’amour, Magritte peint une femme sur une
bouteille, le ciel sur une autre et le feu.