mercredi 19 mars 2014

Equatoria. Patrick Deville.

Ce livre recommandé par un camarade rétif aux avions mais lecteur exigeant tombait à point pour m’accompagner dans mon voyage africain. Pas seulement pour les lieux revisités, j’ai apprécié aussi l’épaisseur historique de ces déambulations. Des îles Sao Tomé jusqu’à Zanzibar en passant par les grands lacs nous suivons Savorgnan De Brazza dont l’engagement contre l’esclavage fut notoire. Nous croisons Che Guévara et partageons les ivresses présentes de l’auteur :
 « Nous nous sommes réfugiés dans ma chambre pour y boire le vin de palme. Il feuillette les carnets ouverts sur mon lit, la petite pile des livres de Schweitzer. J’ai lu plusieurs de ces livres avant de rencontrer son successeur, imaginant qu’il avait pu quant à lui s’enfiler l’œuvre intégrale avant de prendre ses fonctions. Combien sommes- nous à le lire encore ? On peut s’étonner de la disparition quelques années après sa mort d’un nom qui fut connu de tous sur la planète. S’enfoncer dans les jungles au hasard des méandres des fleuves immenses et lents, en grand appareil, le regard halluciné, dans le vacarme des singes et des oiseaux. Arracher de son torse les flèches empoisonnées. Songer à la gloire, à l’oubli, aux mausolées. Vides, pour la plupart. »
Léger et puissant, quand le courage côtoie l’indifférence, la beauté, les marécages, lorsque l’abrutissement vient après la lucidité pour retenir deux mots de Céline dont une citation ouvre les 345 pages.
Jean Baptiste Harang dit que la parole de Deville : « est drôle et dure, narquoise, désabusée, élégante, elle dit l’histoire des hommes, elle reconnait notre part d’ombre, et laisse brûler la part du feu ».  Rien  à rajouter.

mardi 18 mars 2014

Astérix chez les Pictes. J.Y. Ferri, D. Conrad

Le 35° album de la série  aux tirages multimillionnaires a-t-il encore quelque parfum ?
Cette fois les deux gaulois, dont on n’apprend plus rien en dehors de la susceptibilité du gros, raccompagnent Mac Ollock en Ecosse où il doit retrouver sa belle Camomilla.
« - Ma fragile, ma transparente, ma légère, ma gracile, ma subtile, mon infime, ma ténue, mon aérienne, mon éthérée, ma frêle, ma fluette, ma menue, ma translucide »
- Il reparle »
L’irréductible village breton en hiver est sympathique et les femmes séduites par l’habitant de la Calédonie, un beau glaçon, amusantes, mais la séquence en terres humides manque de fraîcheur. Il y a bien un monstre du Loch Andloll, des lancers de troncs, des pictogrammes, des tissus à carreaux, des boissons au malt, et opportunément l’oubli d’une certaine radinerie, peu de surprises, de clins d’œil qui mettaient un peu de sel dans les grands premiers albums où grands et petits se régalaient.
 Cette fois il s’agit d’un surgelé pour menu enfant avec tous les ingrédients demandés dans la recette, mais sans personnalité : ces  pictes manquent de piquant.

lundi 17 mars 2014

The Grand Budapest Hotel. Wes Anderson.

The grand battage médiatique n’a pas éventé le charme de cette déambulation loufoque dans la vieille Europe vu depuis un hôtel élégant où se croisent les solitudes.
J’avais cependant préféré, du réalisateur à l’esprit d’enfance toujours très présent, « Moonrise Kingdom » et « Fantastic M. Fox », plus imaginatifs, bien que les belles images et le rythme soient cette fois encore au rendez-vous.
La reconstitution des années 30 en des lieux mythiques se prêtait plus à mon goût à la mélancolie qu’à cette fantaisie baroque.
En ce moment la perception de notre continent par ses habitants  ne peut éviter de se porter plus volontiers vers des images d’un passé réinventé que vers des visions à l’optimisme partagé.
Cette contribution américaine à l’édification d’un imaginaire commun est intéressante, plaisante mais pas le chef d’œuvre proclamé par tant de critiques. Assez peu familier des acteurs américains, je n’ai pas trouvé leurs performances exceptionnelles, malgré un casting prestigieux nous a-t-on dit.

dimanche 16 mars 2014

Amor fati. Yves Jamait.

Voilà que le chanteur popu se met à causer latin :
« Amor Fati signifie « l’amour du destin » et fait ici une référence au philosophe Nietzche. »
Du « carpe Diem » qui durerait.
Sinon casquette et accordéon, et  bien sûr :
« T’es pas dans ton assiette,
 Tu serais p’têtre mieux dans un verre ».
Nous, nous sommes contents de le retrouver accoudé au bistrot comme toujours. 
Pourtant, Tout était calme : 
« Derrière les nuages le ciel était de l’eau » 
Chanteur aux accents qui conviennent aux manifs dans l’Europe, il ne tombe pas dans l’imprécation simpliste, fait part des rêves trahis et chope les « Mastricheurs » et les « Lisbonimenteurs » efficacement.
Il épingle aussi de vieux messieurs poudrés aux programmes esthétiques, Ridicules, et a honte de son pays quand il expulse les étrangers : C’était hier.
Charlélie Couture lui offre les paroles de Ah ! La prudence avec certains « qui paient pas de taxe » mais pour Le schizo, se débrouille seul pour essayer de « trier le moche du gnou ».
Alors Prendre la route  ou rester là, La lune et moi ?
Les parapluies perdus me rappellent trop d’autres petits bals, perdus.
Mais Les prénoms « ça passe avec les saisons » a tout pour réussir.
« Elles s’appellent Coline ou Faustine
Sarah, Laurédane ou You-jin
Lili , Maé, Lola, Zoé
Soléna, Alma, Déborah
Lucie, Candice, Elie, Célia
Les filles de leurs premiers baisers. »
Rock, boogie, tango, musette.

samedi 15 mars 2014

Vie et destin de Célestin Arepo. Jérôme Millon.

Choisi par les libraires, ayant recueilli des critiques élogieuses, ce livre de 120 pages, qui m’a été offert car j’avais croisé il y a longtemps le petit garçon devenu désormais éditeur et écrivain à son premier ouvrage, ne m’a pourtant pas convaincu.
Quand le Monde évoque « son écriture aux accents flaubertiens », je ne suis pas sûr que tout aurait résisté au gueuloir :
«  Le Père dévisagea Célestin et fut rassuré de ne déceler aucun stigmate de ces exaltés, nihilistes agressifs, toujours prêts à enfoncer un coin dans le mur de la certitude. »
Bien que j’ai aimé, par exemple « la mélancolie, fleur si délicieusement effeuillée »  fleurissant dans un environnement mi mystique, mi poétique, flou.
Célestin Arepo est comptable dans une usine de roulements à billes et s’habille en gris, sa vie est terne. Le récit de cette existence à l’imparfait en épouse la monotonie même lorsque l’homme sans fantaisie va subitement connaitre la révélation de la poésie en regardant les nuages. Les mots vont avoir plus de saveur que les personnages traités comme des silhouettes.
AREPO figure dans un palindrome à Pompéi mais aussi en marqueterie sur une porte au coin de la rue JJ Rousseau en face de chez Arthaud  à Grenoble : « Sator arepo tenet opera rotas »  à disposer en carré, à lire dans tous les sens, mot croisé parfait sans case noire « Le laboureur Arepo guidant la charrue travaille en tournant. » J’ai l’impression que ce jeu de lettres avec le « N » au centre signifiant poisson en araméen a été un déclencheur d’écriture pour l’auteur curieux aimant Pompéi, les vieux livres, La Salette  et les retables mais les reliant à mon goût d’une manière un peu artificielle.  La littérature cherche ses mots pour dévoiler le monde, mais parfois - je sais de quoi je parle- elle le brouille aux yeux des lecteurs. Pourtant la question posée par Rose la serveuse latiniste : « êtes-vous croyant ? » méritait bien quelques temps de réflexion. L’histoire se passe au début du siècle dernier.

vendredi 14 mars 2014

Saint Egrève : pâles municipales.

En dehors de quelques affiches déchirées ou collées par-dessus, par chez nous, les pâles municipales déclenchent  bien peu de passion.
A propos d’un article précédent http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/02/la-gauche-saint-egreve-cul-par-dessus.htmlcertains m’ont fait savoir qu’ils avaient ressenti quelques picotements, mais aucune objection sur le fond n’a été avancée, seul l’affect était convoqué.
Pour des adeptes de la controverse, voire de la démocratie, l’acceptation de la contradiction ne semble pas forcément mûre. Verdeur persistante et reproduction à tous les étages des phénomènes de cour avec copinage et contentement de soi, «  tout va très bien, madame la marquise ».
Alors comme je goûte fort peu les « faut pas dire », je m’en remets à qui pourra me détourner de la pente vers laquelle je me dirige : celle de voter pour la maire sortante.
Voilà au moins une énigme résolue pour tous ceux, dont je fus, qui nous étonnions de la contradiction de l’électorat de la ville se situant à droite pour les municipales, à gauche pour les autres élections: j’en suis.
Comme souvent le vote n’est pas une adhésion mais une répulsion et comme le blanc ou l’abstention me paraissent  des postures adolescentes, vais-je trahir des années de militance à gauche ? Mais où est-elle en réalité ?
J’avais développé par ailleurs  http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/11/gauche-saint-egreve-la-fosse.html   quelques arguments, quelques humeurs. Quand j’apprends qu’une de mes camarades avait été approchée par les quatre listes en présence, c’est bien que nous sommes en plein méli mélo et que la distance entre les concurrents est plutôt mince. Dans les réunions publiques, les colistiers dont les noms sont avancés ne sont pas forcément présents, certains étiquetés n’apparaissant que tous les sept ans, leur participation à la vie citoyenne ayant été  fort discrète hors période électorale.
Pour la confusion, nous sommes servis.
Le parti socialiste se trouve à la remorque de revanchards conservateurs qui avaient contribué fortement à annihiler toute ambition pour la ville, quand devait s’édifier un lycée… alors que la gauche était aux affaires. Pas de projets.
Le parti communiste essaye de sauver l’honneur mais son programme semble bien court aussi, le sigle clignote encore, l’étoile rouge est morte depuis un moment. Jusqu’à maintenant le seul domaine  abordé dans son tract concerne la MJC alors qu’aucune expression de sa part n’avait émergé quand le sort du pôle jeunesse se jouait, contrairement à Tania Bustos qui a tenu jusqu’à l’aube, vaillante petite chèvre de M. Seguin.
Les verts ne gagneront pas, mais ils gèrent leur boutique en n’osant pas rappeler les enjeux cruciaux qui se posent. Alors qu’ils avaient été les seuls au cours de la législature passée à poser timidement la question du logement, je n’ai pas vu de proposition de densification de l’habitat qui éviterait tant de déplacements polluants.
Pour les référents nationaux, il suffira de citer Guérini, Woerth, Placé ou un  candidat périgourdin  du Parti de Gauche traité de " parent pouilleux" par son chef … Bien sûr que ma sévérité va vers la gauche puisque la vertu et l’espoir de plus de justice étaient là, les arrivistes en face avec leur goût du pognon ne m’intéressent guère, la casaque aux couleurs défraichies qui fut portée par Cahuzac n’attire plus les parieurs.
Kamo qui place justement les enjeux à la Métro, tout en flattant une identité saint égrévoise de carton pâte a réalisé la plupart de ses promesses dont certaines propositions figuraient dans le programme de notre liste d’opposition, et elle a eu le courage de ne pas brosser son électorat toujours dans le sens du poil. Elle n’a pas d’adversaire à droite, à moins que ceux là s’y prennent « autrement ». Quand j’entends : « elle n’est pas gentille », j’aurai tendance à préférer cette attitude à la démagogie qui prend ses aises dans la période. Ses propositions sont pourtant maigrichonnes et le seul argument dans l’air du temps de ne pas augmenter les impôts, témoigne qu’au bout de deux mandats, les équipes, si équipe il y eut, s’essoufflent.
« Le poumon, le poumon, vous dis-je.»
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Dans le Canard de cette semaine: 

jeudi 13 mars 2014

Ingres vs Delacroix

Dans la « querelle des coloris », le dessin s’oppose à la couleur quand montent sur le ring : Raphaël contre Le Titien puis Poussin comparé à Rubens jusqu’à Picasso et Cézanne trait contre teinte.
Cette fois Alain Bonnet aux amis du musée nous a présenté le néo classique Ingres en face du romantique Delacroix au XIX° siècle.
Quand Delacroix pénétrait dans la même pièce que l’auteur du portrait de monsieur Bertin, celui-ci disait sentir d’emblée des effluves de soufre.
La rigueur contrarie la séduction, l’institution académique affronte l’indépendance, le moderne défie l’antique, l’éclat des couleurs réplique à la sculpture, la sobriété et la fougue sont antithétiques, comme le calme et l’élan, la force et l’expression, la tradition et la modernité, l’esprit et la chair, Platon et Epicure, les Romains et les Flamands.
Dans une caricature du « Diable à Paris », Delacroix est muni d’une très large brosse alors qu’Ingres brandit sa pancarte : « Il n’y a que le gris et M. Ingres est son prophète. »
Mais l’opposition du réalisme et de l’idéalisme, de l’ordre vis-à-vis de la liberté, se complique parfois.
Parmi les critiques qui animèrent les débats, Adolphe Thiers, le bourreau de la Commune est du côté de celui qui peignit « La liberté guidant le peuple » : 
«  Aucun tableau ne révèle mieux à mon avis l’avenir d’un grand peintre, que celui de M. Delacroix, représentant le Dante et Virgile aux enfers. C’est là surtout qu’on peut remarquer ce jet de talent, cet élan de la supériorité naissante qui ranime les espérances un peu découragées par le mérite trop modéré de tout le reste. »
En pleine Restauration catholique, le tableau représentant  « Le vœu de Louis XIII », par Ingres, le successeur de David, célébrant l’alliance du trône et de l’autel, sera mis en place avec toute la pompe nécessaire dans la cathédrale de Montauban. L’évènement historique a des intentions mythiques, la célébration est lyrique.
Par contre la toile, manifeste du romantisme, « Les massacres de Scio ; familles grecques attendant la mort ou l'esclavage » appelle l’émotion en mettant en scène un évènement contemporain : de nombreux grecs viennent d’être massacrés par les ottomans. Les victimes souffrantes sont au premier plan, la guerre n’est pas glorieuse.
Nous sommes aux alentours du  salon de 1824 où des cimaises jusqu’aux cintres, les peintres essayaient d’acquérir sinon renforcer leur notoriété ne dépassant pas parfois le seuil des boutiques de matériel de peinture plus nombreuses alors que les galeries.
Aujourd’hui dans le journal Libération à propos du photographe Cartier-Bresson, le commissaire de l’exposition explique:
« Il y a, dans l’histoire de la peinture, une fameuse opposition entre la couleur et la ligne, qui, au XIXe siècle, s’incarne dans le débat entre Ingres et Delacroix. Cartier-Bresson était définitivement du côté de Delacroix, il préférait composer ses images en s’appuyant sur des lignes de force, plutôt que sur des masses colorées. S’il a pratiqué la couleur, c’est seulement parce que l’économie de la presse illustrée, à partir des années 50, l’exigeait. Dans les années 70, lorsqu’il arrête de travailler pour les magazines, il commence à exprimer son aversion pour la couleur. Elle symbolise alors pour lui une pratique contrainte, alors qu’au même moment, pour toute une génération de jeunes photographes, elle offre au contraire de nouvelles perspectives créatives. »
Il aurait dû dire du côté d’Ingres et non de Delacroix.